Œuvres de saint Denys l’Aréopagite/Lettres

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Lettres
Traduction par l’abbé Darboy.
Sagnier et Bray (p. 479-518).

LETTRE PREMIÈRE.

À CAÏUS, THÉRAPEUTE.

Argument. — L’ignorance dont il est question dans le Traité de la Théologie mystique, n’est point la privation, mais bien plutôt l’excès, la sublimité de la connaissance, qui n’est jamais qu’imparfaite quand elle nous vient par les créatures.


Les ténèbres se dissipent devant la lumière, surtout devant une abondante lumière ; l’ignorance se corrige par les connaissances, surtout par des connaissances variées. Il n’en est pas ainsi de l’ignorance mystique, qui n’est point une privation, mais une supériorité de science. Dites donc, et c’est vrai, que la lumière réelle n’est point aperçue de ceux qui en jouissent, et que l’ignorance qui est selon Dieu ne va pas avec la connaissance des créatures. Ainsi ces sublimes ténèbres sont inaccessibles à toute lumière, et elles éclipsent toute science. Et si, en voyant Dieu, on comprend ce que l’on voit, ce n’est pas Dieu qu’on a contemplé, mais bien quelqu’une des choses qui sont de lui, et que nous pouvons connaître. Pour lui, supérieur à tout entendement, à toute existence, il subsiste suréminemment, et il est connu d’une manière transcendante, par cela même qu’il ne subsiste pas, et qu’on ne le connaît pas. Et cette absolue et heureuse ignorance constitue précisément la science de celui qui surpasse tous les objets de la science humaine.

LETTRE DEUXIÈME.

AU MÊME CAÏUS.


Argument. — On explique en quel sens Dieu est supérieur au principe même de la divinité et de la bonté participées par les créatures.


Est-il vrai que l’être suprême soit supérieur au principe même de la divinité, au principe même de la bonté ? Oui, si par divinité et bonté vous entendez la grâce de ce don merveilleux qui nous bonifie et nous divinise, et cette sublime imitation du type souverainement divin et souverainement bon, par laquelle nous devenons à notre tour bons et divins. Car, si cette grâce est réellement pour l’homme un principe de déification et d’amélioration, sans doute le principe radical de tout principe l’emportera sur la divinité et la bonté par lesquelles, ainsi qu’il a été dit, nous sommes déifiés et rendus bons ; sans doute encore, parce qu’il est inimitable et n’a pas de manières d’être, il l’emportera sur les imitations et manières d’être des créatures, et sur ceux qui le copient et participent de lui.

LETTRE TROISIÈME.

AU MÊME CAÏUS.


Argument. — De la signification du mot soudainement dans ce passage du prophète Malachie, chap. 3, v. 1 : Et statim veniet ad templum.


En général, le mot soudainement s’applique à ce qui arrive contre toute attente, et qui du sein de l’obscurité se produit au grand jour. Quand les Écritures emploient ce mot en parlant de l’incarnation de Jésus-Christ[1], elles veulent, à mon avis, faire entendre que notre incompréhensible Seigneur, en prenant la nature humaine, est sorti de son secret, pour se révéler à nos yeux. Non pas qu’il cesse d’être caché après cette manifestation, ou pour m’exprimer d’une façon plus divine, dans cette manifestation même : car ce mystère demeure scellé, sans que nul discours, sans que nul entendement le divulgue. La parole le nomme, mais ne l’explique point ; la pensée le conçoit, mais ne le connaît pas.

LETTRE QUATRIÈME.

AU MÊME CAÏUS.


Argument. — Que Jésus-Christ est vraiment homme, parce que, Dieu, il a daigné prendre le vêtement de notre humanité.


Vous demandez comment Jésus-Christ, qui est supérieur à tous les êtres, se trouve naturellement rangé parmi les hommes ? Car en le nommant homme ici, on ne veut pas seulement dire qu’il soit le créateur de l’humanité, mais encore qu’il possède en réalité tout ce qui constitue essentiellement notre nature.

Je réponds que l’on ne circonscrit pas le Seigneur dans les limites de l’humanité : en effet, ce n’est pas un pur homme, puisque, comme tel, il ne serait plus l’infini ; mais véritablement homme, et épris d’une immense charité pour les hommes, au-dessus d’eux et comme eux tout ensemble, il a daigné revêtir sa majesté de la nature même de l’homme. Et néanmoins éternellement parfait, il jouit avec plénitude et dans une infinie abondance de son être infini ; de sorte qu’en s’abaissant jusqu’à notre substance, il lui a communiqué la supériorité de son être, et qu’il a fait les actions humaines d’une façon surhumaine. Ceci paraît en ce qu’une vierge l’enfanta miraculeusement, et en ce que l’eau s’affermit sous ses pieds de chair et soutint le poids de son corps, devenue tout à coup ferme et stable par une force surnaturelle. Il y aurait à raconter encore une foule d’autres merveilles ; et quiconque les considère d’un œil pieux, comprendra admirablement que les affirmations dont la sainte humanité de Jésus-Christ est l’objet ont toute l’excellence et la valeur des négations les plus formelles. Car, pour m’exprimer d’un seul mot, on peut dire qu’il n’était point un homme, non pas qu’il n’eût notre nature, mais parce que, placé au-dessus de l’humanité, il se fit réellement homme comme nous, homme supérieur à nous. Au reste, il accomplit les œuvres divines non-seulement comme Dieu ; et les actions humaines non-seulement comme homme, mais Dieu et homme tout ensemble, il fit connaître au monde un mode d’agir nouveau, l’opération théandrique.

LETTRE CINQUIÈME.

À DOROTHÉE, DIACRE.


Argument. — De l’obscurité divine dont il est parlé au livre de la Théologie mystique.


L’obscurité divine n’est autre chose que cette inaccessible lumière dans laquelle il est dit que le Seigneur habite[2]. Bien qu’elle soit invisible, à raison de ses splendeurs éblouissantes, et inabordable, à cause de l’abondance de sa surnaturelle clarté, néanmoins quiconque a mérité de voir et de connaître Dieu, repose en elle, et par cela même qu’il ne voit ni ne connaît, il est véritablement en celui qui surpasse toute vue et toute connaissance ; il sait seulement que la divinité s’élève par delà le monde matériel et intelligible, et il répète avec le prophète : Vous pénétrez ce qui est en moi d’une manière admirable, et votre science est si élevée que je ne pourrai jamais l’atteindre[3]. Ainsi est-il écrit que le divin apôtre Paul connut la divinité, quand il dit qu’elle échappe à toute pensée et à toute science : c’est pourquoi il proclame que ses voies sont impénétrables et ses jugements incompréhensibles[4] ; que ses dons sont ineffables, et que sa paix surpasse tout entendement[5] ; car il avait trouvé celui qui est supérieur à tout, et il savait d’une science transcendante que, souverain auteur de toutes choses, Dieu est aussi par-dessus toutes choses.

LETTRE SIXIÈME.

À SOSIPATRE, PRÊTRE.


Argument. — On conseille à Sosipatre de s’appliquer plutôt à établir la vérité qu’à réfuter les opinions erronées.


Ne regardez pas comme une victoire, mon cher Sosipatre, les invectives contre un culte, ou une opinion qui ne semble pas légitime. Tout n’est pas fini pour Sosipatre, quand il a judicieusement réfuté ses adversaires ; car il se peut faire que, parmi une foule de faussetés et de vaines apparences, la vérité qui est une et cachée vous échappe, à vous et aux autres. Pour n’être pas noire, une chose n’est pas précisément blanche ; et de ce qu’on n’est pas un cheval, il ne s’ensuit pas qu’on soit un homme. Voici comment il faut faire, si vous m’en croyez : cessez de combattre l’erreur, et établissez si bien la vérité que les raisons dont vous l’appuierez soient complètement irréfutables.

LETTRE SEPTIÈME.

À POLYCARPE, ÉVÊQUE.


Argument. — I. Il ne faut pas disputer avec contention contre les infidèles, mais établir solidement la vérité, d’où suivra la ruine de l’erreur. II. On ne doit se soucier que fort peu des injures que nous adressent les infidèles. Polycarpe fera bien, entre autres arguments, de rappeler au sophiste Apollophane l’éclipse que ce dernier avait observée en la société de Denys au temps du crucifiement de Jésus ; III, car Apollophane pourra se souvenir qu’autrefois ce phénomène l’avait frappé et convaincu.


I. Je ne sache pas avoir jamais disputé contre les Grecs, ou d’autres errants, persuadé qu’il suffit aux hommes de bien de connaître et d’exposer la vérité directement et telle qu’elle est. Car dès qu’on l’aura légitimement démontrée, et clairement établie, en quelque espèce que ce soit, par là même il sera prouvé que tout ce qui n’est pas elle, tout ce qui en porte frauduleusement la ressemblance, n’est effectivement pas elle, ne lui ressemble pas, et que c’est plutôt une apparence qu’une réalité. Vainement donc l’apôtre de la vérité réfute tantôt ceux-ci, tantôt ceux-là. Ainsi, par exemple, un homme dit bien qu’il a la monnaie du prince ; pourtant il peut se faire qu’il n’ait qu’une trompeuse imitation de quelque pièce valable ; je suppose même que vous le lui avez démontré ; un autre après lui, puis un autre encore reviendront discuter sur le même objet. Mais au contraire, si on établit positivement une assertion de sorte qu’elle puisse braver les attaques des adversaires, alors tout ce qui lui est absolument opposé tombera de lui-même devant l’immuable persistance de la vérité prouvée. C’est par suite de cette conviction, à mon avis, fort judicieuse, que je n’ai pas tenu beaucoup à discuter contre les Grecs et les autres gentils : ce m’est assez, si Dieu te permet, de connaître la vérité d’abord, et puis de l’exposer comme il convient.

II. Vous dites que le sophiste Apollophane m’injurie, et me nomme parricide, parce que j’aurais manqué de piété filiale en me servant contre les Grecs de ce que j’ai appris des Grecs. Mais nous pourrions à plus juste titre reprocher aux Grecs d’abuser des dons de Dieu contre Dieu même, puisqu’ils appliquent à détruire son véritable culte par la sagesse qu’ils ont reçue de lui. Et je ne veux pas seulement flétrir les erreurs de la multitude qui s’attache avec grossièreté et convoitise aux fictions des poëtes, et adresse son adoration à la créature plutôt qu’au Créateur ; je dirai de plus qu’Apollophane fait un étrange usage des choses divines en parlant de Dieu : car cette science des êtres à laquelle il donne lui-même le beau nom de philosophie, et que le divin Paul appelle sagesse de Dieu, devrait élever les vrais philosophes vers celui qui est l’auteur de la nature et de la connaissance que nous en avons. Et pour ne pas entreprendre, contrairement à mon dessein, la réfutation d’Apollophane ou d’aucun autre, je dis simplement que lui, homme sage, sait sans doute que l’ordre et le mouvement des cieux ne peuvent jamais subir d’altération, si ce n’est par l’impulsion de celui qui les a créés et qui les maintient, et qui fait et change toutes choses, comme parle l’Écriture[6]. Comment donc ne pas adorer celui qui de la sorte se révèle à nous comme Dieu de l’univers ? Comment ne pas admirer sa puissance inénarrable et sa causalité féconde ? Car c’est par un miraculeux déploiement de sa force, que le soleil et la lune avec le monde céleste virent soudain leur cours suspendu, et demeurèrent fixés tout un jour au même point de l’espace[7] ; ou bien il faudrait dire, ce qui serait un plus grand prodige, que les sphères supérieures, et qui environnent les autres, poursuivirent leur carrière, tandis que celles-ci restèrent immobiles. C’est ainsi qu’on vit encore un jour égaler presque trois jours par sa durée continue[8] : alors il fallut, ou bien que pendant vingt heures entières tous les corps célestes, doués d’un mouvement anormal, se prissent à rétrograder, et à décrire merveilleusement leur orbite en sens inverse ; ou bien que le soleil, se déplaçant seul, parcourût en dix heures le cercle de l’année, et employât dix autres heures à revenir par une route nouvelle au point de son écart. Ce qu’il y a de certain, c’est que ce phénomène jeta les Babyloniens dans la stupéfaction, et qu’ils se soumirent sans combat à Ézéchias, comme à un homme divin, et certainement supérieur à l’humanité. Je ne parle pas des miracles d’Égypte, ni des autres prodiges que la divinité opéra en d’autres lieux ; je n’ai rappelé que ceux qui, se passant dans le ciel, furent observés partout, et sont partout récités.

Mais Apollophane nie formellement la vérité de ces choses ; et cependant elles sont consignées en Perse dans les monuments de la science sacerdotale ; et aujourd’hui encore les mages célèbrent une fête en mémoire de ce soleil de trois jours. Mais permis à lui de n’en rien croire, à raison de son ignorance ou de son inexpérience. Demandez-lui toutefois ce qu’il pense de l’éclipse qui se remarqua lorsque le Sauveur était en croix. Tous deux nous nous trouvions à Héliopolis ; tous deux nous vîmes que la lune était venue inopinément se placer devant le soleil (car ce n’était pas l’époque de sa conjonction), et qu’ensuite, depuis la neuvième heure jusqu’au soir, elle revint miraculeusement en opposition directe avec le soleil. Faites-le encore souvenir de ceci : il sait que la lune entra en conjonction par le côté de l’orient et atteignit jusqu’au bord occidental du soleil, et qu’ensuite, au lieu d’avancer en droiture pour opérer sa sortie, elle rebroussa chemin et ne quitta que le dernier le point de l’astre qu’elle avait voilé le premier. Tels sont les prodiges qui s’accomplirent en ces temps-là : et on ne peut les attribuer qu’à la cause universelle, Jésus-Christ, qui produit une foule de grandes et admirables œuvres.

III. Trouvez occasion de dire toutes ces choses à Apollophane. Pour lui, s’il le peut, qu’il me convainque de fausseté, moi qui étais à côté de lui et avec lui quand j’aperçus, quand j’étudiai, quand j’admirai le phénomène. Même en ce moment, Apollophane fut saisi de je ne sais quel sens prophétique, et comme s’il eût conjecturé ce qui se passait : Ô mon ami, dit-il, il y a une révolution dans les choses divines ! Mais c’est bien assez pour une épître. Vous êtes très-capable de suppléer à ce que j’omets et d’amener à Dieu en toute perfection cet homme qui ne manque certes pas de philosophie, et qui peut-être jugera convenable d’apprendre humblement la véritable et sublime philosophie de notre religion.

LETTRE HUITIÈME.

AU MOINE DÉMOPHILE.
COMMENT ON DOIT SE TENIR EN SON PROPRE EMPLOI ; ET DE LA MANSUÉTUDE.

Argument. — I. Les principaux serviteurs de Dieu, Abel, Job, Moïse, Joseph et David sont renommés pour leur douceur ; entre toutes les vertus dont le Christ donne l’exemple, brillent surtout la clémence et la mansuétude. C’est pourquoi Démophile est souverainement blâmable d’avoir maltraité un pénitent que le prêtre avait jugé digne d’absolution, et injurié ce prêtre lui-même. II. On prévient une objection de Démophile. III. On prouve qu’il ne convient pas que les inférieurs reprennent leurs supérieurs. IV. On enseigne que la subordination et l’ordre doivent être respectueusement gardés. V. On rappelle qu’il vaut mieux imiter la mansuétude du Seigneur que le zèle d’Élie, la douceur et la dureté ayant chacune leur récompense. VI. On appuie ces enseignements par une vision du saint personnage Carpus.

I. Nous lisons dans l’histoire du peuple hébreu, ô vaillant Démophile, que le saint personnage Moïse dut à sa grande mansuétude l’honneur qui lui fut accordé de voir Dieu. Si parfois on le représente comme déchu de la contemplation divine, il ne perdit ce don précieux qu’après avoir perdu sa douceur habituelle : ainsi est-il dit qu’il provoqua le courroux du Seigneur par son opiniâtre résistance aux divins commandements. Au contraire, quand on proclame les dignités glorieuses dont le ciel l’investit, on loue en même temps son éminente fidélité à imiter Dieu souverainement bon : car il était plein de douce bonté, et c’est pourquoi on le nomme serviteur de Dieu, et on le répute plus digne que tous les prophètes de contempler la divinité. Également lorsque quelques téméraires voulurent lui contester ainsi qu’à Aaron le commandement du peuple et l’honneur du sacerdoce, il se montra supérieur à tout sentiment d’ambition et offrit de céder le gouvernement de la nation à celui que Dieu choisirait[9]. Et comme les conspirateurs, lui reprochant le passé, se portaient à des menaces injurieuses et déjà presque à la violence, dans sa bénignité, il invoqua le secours de Dieu très-bon, et protesta avec une mansuétude infinie qu’il était innocent de toutes les calamités qui frappaient la multitude : car il savait parfaitement que ceux qui jouissent de la familiarité de Dieu si clément doivent s’appliquer à lui devenir semblables, autant qu’il est possible, et se rendre le témoignage qu’ils agissent avec un esprit de douceur. Et pourquoi le Seigneur daigna-t-il tant aimer David son aïeul ? C’est que le Seigneur, infiniment bon et ami de la bonté, trouva en David un homme selon son cœur, et qui fut doux et indulgent envers ses envieux[10]. Au reste, d’après la loi, on devait prendre soin du bœuf de son ennemi[11]. Job dut sa justification à son innocente bonté[12]. Joseph ne se vengea pas de la perfidie de ses frères[13], et Abel s’en alla avec simplicité et sans défiance en la compagnie du fratricide Caïn[14]. Enfin la théologie a proclamé bons tous ceux qui ne soupçonnent et n’accomplissent pas le mal, et que la méchanceté même d’autrui ne fait pas sortir de leur bonté ; qui, au contraire, à l’exemple de la nature divine, rendent bons les mauvais, et déploient à leur égard une bonté immense, et leur inspirent doucement une utile émulation.

Mais élevons les yeux plus haut. Cessons de louer la mansuétude des saints personnages et la charité des anges nos protecteurs ; ne rappelons pas que les esprits célestes prennent en pitié les gentils et intercèdent pour eux auprès de l’éternelle bonté ; qu’ils répriment les efforts hostiles des puissances de ténèbres ; qu’ils s’affligent de la malice des pécheurs et se réjouissent du salut de ceux qui reviennent au bien[15] ; ne rappelons pas ce que la théologie nous enseigne touchant la bienfaisance des anges. Mais contemplons dans ses splendides rayonnements, et parmi le calme de nos âmes, le Seigneur Jésus si bon, si infiniment bon, et que cette divine lumière nous élève jusqu’aux œuvres de sa douce miséricorde. Car n’est-ce pas un trait d’ineffable et incompréhensible bonté qu’il féconde le néant, et qu’après avoir produit les êtres, il les appelle à la gloire de lui ressembler, et se communique à eux autant qu’ils en sont respectivement dignes ? Bien plus : il aime éperdument ceux qui le fuient, il les recherche avec ardeur ; il les conjure, eux ses bien-aimés, et qui abusent de sa longanimité, de ne pas le rejeter avec dédain ; il ne souffre pas qu’on les accuse ; il prend en main leur défense, et promet de travailler à leur salut ; il court avec empressement à la rencontre de ceux qui, encore éloignés, cependant s’avancent vers lui ; il les embrasse, corps et âme, avec effusion, s’abstient de leur reprocher le passé, se contente de leur conversion actuelle, et parmi les douceurs de cette fête, il appelle ses amis, qui sont les bons, afin que sa maison se remplisse d’une allégresse unanime[16]. Là, si Démophile, ou quelque autre, trouve la clémence odieuse, on lui adresse de légitimes reproches ; on lui apprend ce que c’est que le bien et à se convertir à la bonté. Ne fallait-il pas, lui dit-on, que celui qui est bon se réjouît du salut de ceux qui étaient perdus, et de la vie de ceux qui étaient morts ? Enfin il prend sur ses épaules la brebis nouvellement convertie et invite à la joie les bons anges ; il est généreux envers les ingrats, fait lever son soleil sur les méchants comme sur les bons, et donne sa vie même pour ceux qui le fuient[17].

Mais vous, comme il apparaît par votre lettre, vous avez odieusement repoussé, en vertu de je ne sais quel droit, celui que vous nommez un impie et un pécheur, et qui se jetait aux pieds du prêtre en votre présence ; puis, comme il suppliait avec humilité, comme il confessait n’être venu que pour chercher la guérison de ses maux, vous, vous avez eu l’impudeur d’attrister par d’injurieuses paroles ce bon prêtre, parce qu’il accueillait le repentir, et qu’il jugeait un pécheur digne de miséricorde. Enfin vous avez dit au prêtre : « Sors d’ici avec tes pareils ; » et contre toute loi, vous avez fait invasion dans le sanctuaire et enlevé les redoutables mystères. Et vous osez nous écrire : « J’ai sauvé les choses saintes d’une profanation imminente, et je prends soin de les conserver dans leur pureté ! »

Voici donc notre jugement sur ce point : il n’appartient pas aux diacres, bien qu’ils vous soient supérieurs, il n’appartient pas à un moine tel que vous de censurer un prêtre, lors même qu’il semble ne pas traiter les choses divines avec respect, lors même qu’il est sorti de la ligne du devoir. Car, si la transgression des lois et des commandements célestes est une laideur et un désordre, ce n’est pas une raison de renverser par amour de Dieu la dépendance hiérarchique que Dieu même a établie. Dieu n’est pas divisé contre lui-même : car autrement son royaume pourrait-il subsister[18] ? Si le jugement est au Seigneur, comme disent les Écritures[19], et si les prêtres, après les évêques, sont anges et interprètes des jugements divins, c’est d’eux, par la médiation des diacres, que vous devez apprendre en temps opportun les secrets d’en haut, comme c’est d’eux que vous avez reçu la consécration monastique. Et n’est-ce pas là ce que proclament les rites symboliques de la hiérarchie ? Car tous ne sont pas admis à nos saints mystères avec une faveur égale ; les évêques sont au premier rang ; puis viennent les prêtres et ensuite les diacres. Hors de l’enceinte réservée aux clercs se trouvent les moines ; c’est là, c’est près des portes qu’on les initie ; c’est près des portes qu’ils se tiennent, non qu’ils en soient les gardiens, mais parce que telle est leur place, et pour leur apprendre qu’ils font plutôt partie du peuple que des ordres sacrés. C’est pourquoi, d’après les sages constitutions de l’Église, les moines sont appelés à la participation des choses saintes, mais le soin de les administrer est confié à d’autres, à ceux du sanctuaire : car ceux qui environnent avec piété l’autel, voient et entendent les mystères augustes dont une claire révélation leur est faite ; puis s’inclinant avec amour vers la foule que n’admet pas l’enceinte voilée, ils les manifestent aux moines dociles, au peuple saint, à ceux qui se purifient encore, à chacun selon sa force. Et les mystères augustes ont échappé avec bonheur au sacrilége jusqu’au moment où votre brutalité s’en est emparée et les a traînés au grand jour avec une violence impie. Et vous dites que vous les tenez en votre possession et sous votre garde, vous qui ne pouvez ni les voir, ni les entendre, et qui n’avez rien du prêtre : car vous ignorez même le vrai sens des Écritures que vos disputes de chaque jour combattent, au scandale de quiconque vous écoute.

On punirait assurément celui qui, sans ordre du monarque, irait s’emparer du gouvernement d’une province, ou qui, soumis à la juridiction de quelque magistrat, aurait la prétention de casser sa sentence d’absolution ou de condamnation, et même l’accablerait d’injures et le dépouillerait de ses fonctions. Or, vous, homme impuissant, vous avez bien pu méconnaître les droits d’un Dieu bon et clément et violer les règles divines de notre hiérarchie ! Au reste, ce blâme frappe quiconque excède son pouvoir, encore que son acte ne manque pas d’à-propos : car, même en ce cas, on doit s’abstenir. Semble-t-il effectivement qu’Ozias fit mal d’offrir de l’encens au Seigneur ? et Saül de sacrifier ? et les démons impurs de confesser hautement la divinité de Jésus Christ ? L’Écriture réprouve ceux qui s’ingèrent dans la charge d’autrui : chacun restera fidèlement dans les fonctions de son ministère. Et : Le seul grand-prêtre entrera dans le saint des saints, mais une fois par an et avec toute la pureté que la loi réclame d’un pontife. Et encore : Aux prêtres de prendre soin des choses saintes ; mais les lévites n’y toucheront pas, de peur qu’ils ne meurent. Et ailleurs : Le Seigneur s’indigne de la témérité d’Oza ; Marie est frappée de la lèpre pour avoir essayé de fixer des lois au souverain législateur ; les démons saisissent les fils de Scéva. Et enfin : Je ne les envoyais point, et ils couraient ; je ne leur parlais pas, et ils prophétisaient ; l’impie qui me sacrifie un veau est devant mes yeux comme celui qui tue un chien. En un mot, la parfaite justice de Dieu ne saurait tolérer les violateurs de la loi ; et quand ils disent : Nous avons fait beaucoup de miracles en votre nom, elle répond : Je ne vous connais pas ; retirez-vous de moi, vous tous, ouvriers d’iniquité. Ainsi, et selon la parole des saintes Lettres, il n’est pas bon de faire illégitimement des choses justes d’ailleurs. Il importe que chacun reste attentif à soi-même, et, sans présumer rien de trop élevé et de trop profond, s’occupe seulement des choses qui lui furent prescrites en raison de son mérite et de son rang[20].

II. Et quoi ! direz-vous, on ne saurait donc reprendre les prêtres qui manquent de piété, ou commettent quelque autre faute dans leur ministère ! Il sera permis à ceux qui se glorifient dans la loi de déshonorer Dieu par la transgression de la loi[21] ! Les prêtres ne sont-ils pas les interprètes de Dieu ? Et comment donc iront-ils annoncer au peuple les vertus divines qu’ils ignorent eux-mêmes ? Comment pourra illuminer celui qui est enveloppé de ténèbres ? Et donnera-t-il le Saint-Esprit celui qui ne croit pas au Saint-Esprit, ni dans sa conscience, ni dans sa conduite[22] ?

Je répondrai à ces objections sans détour ; car je ne hais pas Démophile, et je ne voudrais pas qu’il fût séduit par Satan. Les ordres qui environnent immédiatement la Divinité ont plus de conformité avec elle que ceux qui s’en éloignent ; et les choses plus proches de la vraie lumière sont aussi mieux éclairées et plus lumineuses. Mais vous comprenez qu’il ne s’agit pas ici d’une proximité locale, mais bien de l’aptitude avec laquelle les esprits se présentera à Dieu. Si donc le privilége d’illuminer est dévolu aux prêtres, l’ordre et le pouvoir sacerdotal n’appartiennent pas à celui qui ne peut conférer la lumière, bien moins encore à celui qui n’est pas illuminé. Je trouve donc grandement téméraire quiconque, en cet état, usurpe les fonctions sacrées et ne s’abstient pas, par crainte ou par pudeur, de toucher à des mystères dont il n’est pas digne, et pensant que Dieu ignore ce que sa propre conscience connaît, essaie d’abuser celui qu’il nomme hypocritement son père, et ose enfin, au nom du Christ, prononcer sur le pain et le vin mystiques ses impures malédictions ; car je ne nommerai jamais cela une prière. Non ! assurément non ! un tel homme n’est pas un prêtre, c’est un ennemi, un fourbe, qui se fait à lui-même illusion ; c’est un loup armé d’une peau de brebis contre le troupeau du Seigneur.

III. Mais ce n’est pas à Démophile de réprimer ces désordres. Car, si la parole divine nous ordonne d’accomplir justement ce qui est juste (et la justice consiste à rendre à chacun selon son mérite), tous doivent assurément agir en ce sens, mais dans les limites de leur ordre et de leur dignité. Ainsi les fonctions des anges leur sont départies en raison de leurs mérites ; mais ce n’est pas nous qui faisons ce discernement, ô Démophile ; c’est Dieu qui donne les attributions, à nous par le ministère des anges, et à ceux-ci par l’intervention d’anges plus élevés. En un mot, c’est toujours par le moyen d’êtres supérieurs que la Providence universelle, dans sa sagesse et son équité, décerne aux êtres inférieurs ce qui leur échoit. Aussi quiconque est appelé de Dieu à gouverner les autres doit, dans l’exercice du commandement, avoir égard au mérite de ses subordonnés. Que Démophile traite donc avec cette discrète équité la partie raisonnable de son âme et sa colère et sa concupiscence ; qu’il n’intervertisse pas en lui l’ordre voulu et que la raison, qui est plus noble, commande aux autres puissances qui le sont moins. Car, si nous voyions sur la place publique le serviteur quereller son maître, le jeune homme outrager le vieillard, le fils injurier son père, se précipiter sur lui, le frapper indignement, n’est-il pas vrai que nous serions, au tribunal de notre propre conscience, dignes d’un blâme sévère pour n’être pas venus en aide à l’autorité compromise, quoique peut-être elle ait de son côté les premiers torts ? Comment donc n’aurions-nous pas honte de souffrir que la raison fût vaincue par la colère et par la convoitise et dépouillée de l’empire que Dieu lui a décerné, et par là d’exciter en nous un trouble, une révolte, une confusion pleine d’injustice et d’impiété ? Aussi notre divin apôtre et bienheureux législateur a-t-il dit qu’il exclurait du gouvernement de l’Église de Dieu celui qui n’avait pas su gouverner comme il convient sa propre maison[23] : car quiconque règle sa conduite, réglera celle d’autrui ; qui dirige autrui, dirigera une famille ; qui régit une famille, régira une ville ; qui commande à une ville, commandera à une nation. En somme, et pour employer la parole des Écritures, qui est fidèle dans les petites choses, l’est aussi dans les grandes ; et qui est infidèle dans les petites choses, l’est également dans les grandes[24].

IV. Vous donc, faites une part légitime à la concupiscence, à la colère, à la raison ; mais aussi que les diacres vous commandent, et à ceux-ci les prêtres, et aux prêtres les évêques, et aux évêques les apôtres et les successeurs des apôtres. Si par hasard quelqu’un d’entre eux s’écarte de la ligne du devoir, les pieux personnages de son rang le redresseront ; et, de la sorte, les ordres ne seront pas confondus, et chacun restera à son poste et en son ministère. J’étais bien aise de vous donner ces instructions touchant ce que vous devez savoir et faire en votre charge.

Quant à votre dureté brutale envers cet homme que vous nommez impie et souillé de crimes, je ne saurais assez déplorer la ruine où fut précipitée votre âme qui m’est toujours chère. Et de qui donc pensez-vous avoir été consacré thérapeute, c’est-à-dire serviteur ? Si ce n’est pas du Dieu bon, il faut de toute nécessité que vous n’apparteniez ni à lui, ni à, nous, ni à notre culte ; alors cherchez-vous un Dieu et d’autres prêtres qui vous initient à l’inhumanité plutôt qu’à la perfection, et devenez l’implacable instrument d’une barbarie qui a pour vous des charmes ! Dites, sommes-nous donc élevés à une si parfaite sainteté ? Et n’avons-nous plus besoin de la clémence infinie ? Ah ! plutôt, n’imitons-nous pas les impies dans leur double délit, comme parle l’Écriture ? Nous faisons le mal sans comprendre en quoi nous sommes mauvais ; puis, justifiant nos œuvres, nous croyons voir tandis que nous sommes aveugles. Oui, le ciel s’en est étonné, et moi j’en ai frémi et je ne pouvais m’en croire. Si je n’eusse pas lu votre lettre (et pourquoi faut-il qu’elle me soit parvenue !), non, je n’aurais jamais pensé, et nul n’aurait pu me persuader ceci : Démophile n’admet pas que Dieu, si bon envers toutes choses, soit bon envers les hommes, ni que lui-même ait besoin de miséricorde et de salut ! Bien plus, il dégrade les prêtres qui inclinent avec tendresse à supporter les fautes de la multitude ignorante, et savent très-bien qu’ils sont eux-mêmes pleins de faiblesse et d’infirmités !

Comme Démophile est éloigné de la route suivie par le suprême et divin pontife, qui cependant était séparé des pécheurs, selon la parole de l’Écriture[25], et qui manifeste la charité que nous avons pour lui en nous confiant le soin de faire paître ses brebis avec mansuétude ! Au contraire, on nomme méchant le serviteur qui refuse de remettre la dette à son compagnon et de lui appliquer un peu de cette indulgence qu’il avait lui-même si largement éprouvée, et on le condamne à des châtiments mérités[26]. C’est là ce que tous devraient craindre, Démophile et moi. Nous voyons encore qu’en sa passion, le Seigneur demanda pardon pour ses impies bourreaux. Enfin il réprimande ses disciples parce qu’ils réclamaient une trop cruelle vengeance des Samaritains ses persécuteurs[27]. Et votre imprudente lettre répète cent fois, ce dont vous tirez gloire à tort et à travers, que vous soutenez la cause de Dieu et non pas la vôtre ! Et vous trouvez beau de défendre avec méchanceté les intérêts de la bonté infinie !

V. Mais non : car nous n’avons point un pontife qui ne puisse pas compatir à nos infirmités : au contraire, il est bon et miséricordieux ; il ne disputera ni ne poussera des cris ; il est la mansuétude même ; il est la propitiation pour nos péchés[28]. Nous ne saurions donc approuver les accès de votre zèle indiscret, quoique vous citiez mille fois à votre appui Phinée et Élie. Le Seigneur n’agréa pas de semblables prétextes émis par ses disciples, alors qu’ils n’avaient pas encore reçu l’esprit de douceur et de bonté. Aussi notre auguste initiateur instruit en toute charité ceux qui résistent à la doctrine de Dieu[29] ; car il faut éclairer et non punir les ignorants : c’est ainsi qu’on ne frappe pas les aveugles, mais on les guide par la main. Mais vous, vous avez souffleté et découragé cet homme qui essayait d’ouvrir les yeux à la lumière ; et tandis qu’il s’approchait avec timidité et confusion, vous l’avez outrageusement chassé : c’est horrible à dire ! Et le Seigneur, plein de clémence, poursuivait cette brebis égarée sur les montagnes ; il la rappelait dans sa fuite, et, l’ayant trouvée, il la rapportait sur ses épaules[30] ! Je vous en conjure, soyons mieux avisés en ce qui nous concerne et ne nous plongeons pas l’épée dans le sein. Car ceux qui ont le désir de commettre l’injustice ou de faire le bien, lors même qu’il devient impossible d’exécuter leurs intentions, amassent sur leur tête des trésors de malice ou de bonté, et ils seront riches de vertus divines ou ensevelis dans d’affreux tourments : les uns fraternellement admis en la compagnie des anges, et affranchis de tous les maux, jouiront ici-bas et dans les cieux d’une paix parfaite, entreront par droit d’héritage dans la douceur d’un éternel repos et, ce qui dépasse tous les biens, habiteront pour toujours avec Dieu ; les autres, au contraire, n’auront jamais la paix ni avec Dieu ni avec eux-mêmes, et sur terre, et après la mort, ils seront condamnés à vivre avec les cruels démons. Que toute notre ardeur soit donc de nous attacher au Dieu bon, et d’avoir commerce intime avec le Seigneur, et de n’être pas rangés par le souverain juge au rang des réprouvés pour y endurer des peines méritées. Tel est le sujet de mes plus grandes alarmes ; et je demande la grâce de n’être pas précipité dans tous ces maux.

Mais il faut que je vous fasse part de la vision que Dieu envoya un jour à un saint personnage : n’en raillez pas ; car ce que je dirai est vrai.

VI. Étant un jour en Crète, je reçus l’hospitalité chez Carpus, personnage, s’il en fut, éminemment propre aux contemplations divines, à cause de l’extrême pureté de son esprit. Il n’abordait jamais la célébration des saints mystères sans qu’auparavant, dans ses prières préparatoires, il ne fût consolé par quelque douce vision. Or, il me racontait qu’il conçut un jour une tristesse profonde, parce qu’un infidèle avait ravi à l’Église et ramené au paganisme un nouveau chrétien dans le temps même des pieuses fêtes qui suivirent son baptême. Il devait prier avec amour pour tous les deux et invoquer le secours de Dieu Sauveur à dessein de convertir le païen et de vaincre l’apostat par la mansuétude ; il devait passer sa vie entière à les exhorter, jusqu’à ce qu’enfin ils trouvassent une solution parfaite à tous leurs doutes et que, corrigés de la témérité et de la folie du passé par une légitime et salutaire punition, ils fussent conduits ainsi à la connaissance de Dieu. Mais, ce qui auparavant ne lui était jamais arrivé, il fut violemment saisi d’une amère indignation. C’était le soir : il se couche et s’endort avec ces haineux sentiments. Il avait coutume d’interrompre son repos et de s’éveiller dans la nuit pour la prière : l’heure à peu près venue, après un sommeil pénible, entrecoupé, il se lève plein de trouble. Mais en entrant en commerce avec la divinité, il se livre à un chagrin peu religieux, il s’indigne, il trouve injuste que des hommes impies et qui traversent les voies du Seigneur vivent plus longtemps. Là-dessus il prie Dieu d’envoyer la foudre et de détruire sans pitié ces deux pécheurs à la fois. À ces mots, il croit voir soudain la maison où il était, ébranlée d’abord, puis se divisant en deux dans toute sa hauteur. Devant lui se dressait une flamme d’un éclat immense qui, du haut des cieux, à travers le faîte déchiré, semblait descendre jusqu’à ses pieds. Dans la profondeur du firmament entr’ouvert, apparaissait Jésus environné de la multitude des anges qui avaient revêtu une forme humaine. Carpus, les yeux élevés, contemple cette merveille et s’étonne. Ensuite, abaissant ses regards, il voit au-dessous du sol bouleversé un vaste et ténébreux abîme. Les deux pécheurs qu’il avait maudits se tenaient sur le bord du précipice, tremblants, misérables, se soutenant à peine, près de tomber. Du fond du gouffre, d’affreux serpents rampaient vers eux et s’entortillaient autour de leurs pieds, et tantôt les saisissaient, les enveloppaient, les entraînaient, tantôt de la dent et de la queue les déchirant ou les caressant, essayaient en toute manière de les renverser dans l’abîme. Bien plus, des hommes se joignaient à ces serpents pour assaillir en même temps le couple infortuné, lui imprimer des secousses, le pousser, le frapper de coups. Enfin le moment vint où ces deux hommes semblaient près de périr, moitié de plein gré, moitié par force, contraints pour ainsi dire et tout à la fois séduits par le mal. Cependant Carpus triomphe d’aise en contemplant ce spectacle et en oubliant celui du ciel ; il s’irrite et s’indigne de ce que leur ruine ne s’accomplissait pas assez vite ; il essaie plusieurs fois, mais en vain, de la consommer lui-même ; il redouble de colère ; il les maudit. Mais son regard se décide enfin à interroger encore les cieux. Le prodige y continuait : seulement Jésus était ému de compassion ; il se levait de son trône, il descendait vers les malheureux, leur tendait une main secourable. Et les anges leur venaient aussi en aide et les soutenaient chacun de leur côté. Et le Seigneur disait à Carpus : « Lève la main et frappe-moi désormais ; car je suis prêt à mourir encore une fois pour le salut des hommes, et cela me serait doux si l’on pouvait me crucifier sans crime. Vois donc si tu aimes mieux être précipité dans ce gouffre avec les serpents, que d’habiter avec Dieu et avec les anges si bons et si amis de l’humanité. »

Voilà le récit que m’a fait Carpus, et j’y crois volontiers.

LETTRE NEUVIÈME.

À L’ÉVÊQUE TITUS,
QUI AVAIT DEMANDÉ PAR LETTRE CE QUE C’EST QUE LA MAISON DE LA SAGESSE, SON CALICE, SA NOURRITURE ET SON BREUVAGE.

Argument. — I. On montre que le langage figuratif des Écritures donne aux ignorants de grossières pensées ; qu’il y a deux théologies, l’une secrète et mystérieuse, l’autre plus claire et évidente. II. On fait voir de quelles interprétations sont susceptibles les divers symboles, et ce que signifie le feu et la nourriture en Dieu et chez les anges ; III, ce que représente la coupe, IV, les aliments et les breuvages, V, l’ivresse divine et les bienheureux s’asseyant dans le ciel, VI, et le sommeil et la veille en Dieu.

I. Mon cher Titus, je ne sais si le pieux Timothée serait parti sans avoir rien lu de ce que j’ai écrit touchant les figures que l’Écriture emploie en parlant de Dieu. Dans le traité de la théologie symbolique, j’ai voulu lui expliquer nettement toutes ces locutions sacrées, que plusieurs esprits trouvent prodigieusement étranges. Encore imparfaits, il leur semble quelque peu absurde que nos maîtres dans l’ineffable sagesse ne révèlent la vérité inconnue des profanes, la vérité divine et mystérieuse, que sous le voile d’obscurs et audacieux symboles. C’est pourquoi plusieurs d’entre nous n’ont qu’une foi médiocre en ce qui est dit des secrets divins ; car ils les contemplent seulement à travers les figures matérielles qui nous les déguisent. Mais il faut, au contraire, briser cette enveloppe et les considérer dans leur nudité et leur pureté natives : car ainsi révérerons-nous cette fontaine de vie, qui tout à la fois s’écoule et se maintient en elle-même : force unique et simple, douée d’un mouvement et d’une activité spontanés et persistant dans une immuable identité ; connaissance radicale de toutes les connaissances ; intime objet de sa propre et éternelle contemplation. Je me suis donc cru dans l’obligation de donner à tous en général, et à Titus en particulier, la meilleure explication possible des formes diverses que l’on applique mystérieusement à la divinité ; car, à n’en juger que par l’extérieur, ne sont-elles pas remplies d’un merveilleux qu’il est difficile de croire et qui ressemble à des chimères ? C’est ainsi qu’on nous peint, en parlant de la génération éternelle, le sein de Dieu engendrant Dieu à la façon des corps, pour ainsi dire[31] ; on nous rappelle le Verbe procédant d’un cœur d’homme et répandu dans les airs[32], et l’Esprit procédant de la bouche comme un souffle[33] ; on célèbre le Fils éternel porté dans les entrailles du Père comme s’il s’agissait d’un enfantement corporel : ou bien, empruntant des symboles au règne végétal, on nous parle d’arbres, de rejetons, de fleurs et de racines ; on nous décrit des sources d’eau jaillissante, une fécondité qui produit de glorieuses splendeurs, d’autres images encore qui symbolisent les incompréhensibles perfections de Dieu. Ainsi encore, lorsqu’il est question des vues providentielles de la divinité, de ses bienfaits, de ses manifestations, de sa force, de ses propriétés, de son repos, de sa stabilité, de ses émanations éternelles, et enfin de sa puissance de séparer et d’unir, on donne à Dieu les formes multiples d’hommes, de bêtes sauvages et d’autres animaux, de plantes et de pierres ; on le revêt d’ornements de femme et de l’armure des barbares ; on lui attribue, comme à un vil artisan, l’art du potier et le creuset du fondeur ; on lui prépare des coursiers, des chars et des trônes ; on lui organise de somptueux banquets ; on dit qu’il boit, s’enivre et dort appesanti par le vin. Faut-il rappeler encore son courroux et ses tristesses, ses serments nombreux, ses regrets divers, ses malédictions, ses longs ressentiments ; et les promesses éludées par de tortueuses et sophistiques interprétations ; et la lutte contre les géants que la Genèse mentionne et où l’on voit que, dans sa crainte, le Seigneur prit des résolutions contre ces hommes puissants qui élevaient un grand édifice pour protéger, non pas leur brigandage, mais leur propre existence ; et cette assemblée convoquée dans les cieux pour tendre des embûches au roi Achab ; et les charnelles et amollissantes voluptés des Cantiques ; et en un mot toutes les fictions pareilles, à la fois hardies et respectueuses : symboles palpables de choses dérobées à nos yeux ; symboles multiples et divisés de choses simples et indivisibles ; symboles à formes et à figures diverses de choses qui n’ont ni forme ni figure ; tels enfin, que si l’on en peut contempler la beauté interne et cachée, on trouvera que tout y est mystérieux, divin et rempli d’une immense lumière théologique[34] ?

Car il ne faut pas imaginer que tous ces signes n’aient été créés que pour eux-mêmes ; ils sont, au contraire, destinés à déguiser la science mystérieuse que tous ne peuvent avoir, les choses sacrées échappant à l’appréhension des profanes intelligences. Le voile n’est levé que pour les vrais amis de la sainteté, qui sont bien loin d’interpréter d’une façon puérile ces pieux symboles, et qui, par leur pureté d’esprit et la puissance de leur faculté contemplative, sont aptes à pénétrer le vrai dans sa simplicité intime et dans sa surnaturelle profondeur qui dépasse si excellemment de grossières images.

Au reste, il faut observer que les théologiens ont une double doctrine : l’une secrète et mystique, l’autre évidente et plus connue ; l’une symbolique et sacramentelle, l’autre philosophique et démonstrative. Mais toujours le mystère, qui est inénarrable, se trouve impliqué dans le symbole décrit : le symbole démontre et persuade la vérité des affirmations ; le mystère agit efficacement et opère l’union avec la divinité par une sorte de discipline qui s’apprend sans maître. Aussi voyons-nous, par les cérémonies qui s’accomplissent dans les mystères augustes, que nos premiers chefs dans la doctrine sacrée, maintenant et sous la loi, ont fait usage de ce religieux symbolisme ; les anges nous transmettent les divins secrets sous le voile de mystiques emblèmes ; le Seigneur lui-même a parlé du ciel en parabole et nous a donné son sacrement déifique sous la figure d’un banquet. Car il était bon non-seulement que les choses saintes fussent assurées contre l’indiscrétion des profanes, mais aussi que la vie humaine, où se mêlent ensemble le simple et le multiple, reçût la lumière des connaissances divines, sous des conditions analogues à sa nature complexe. À cette portion de l’âme que les passions n’atteignent pas, il convenait d’assigner la contemplation de ces pures et profondes vérités que recouvrent les saints emblèmes. Quant à notre sensibilité, il convenait de s’adapter à elle, autant pour la guérir que pour relever aux choses divines, et d’imaginer pour cela les diverses fictions du symbolisme religieux. Que ces moyens soient en harmonie parfaite avec nos besoins, c’est ce que démontrent ceux qui, instruits des secrets divins directement et non par les figures, se forgent néanmoins une sorte d’image pour arriver à l’intelligence de ce qu’ils ont entendu.

III. Et l’édifice de cet univers sensible cache, ainsi qu’un voile, les choses invisibles qui sont en Dieu, comme l’a dit saint Paul, et avant lui le Verbe de vérité. Aussi les discours de la théologie font allusion, tantôt à la vie civile et à la législation, tantôt à la vie d’expiation et à l’innocence : ici elle s’exprime d’une façon humaine et moins relevée ; là, d’une manière surnaturelle et plus parfaite. Parfois elle invoque des lois manifestes, et parfois de secrètes ordonnances, mais en s’accommodant toujours aux exigences du sujet qu’elle traite et à la capacité des intelligences qu’elle instruit ; car ses paroles, dans toute leur teneur, contiennent, non point un simple récit, mais une perfection qui communique la vie. C’est pourquoi, au mépris de l’opinion du vulgaire, nous devons pénétrer saintement le sens des sacrés symboles et non les traiter avec irrévérence, puisqu’ils sont la fidèle copie des choses divines et la sensible image d’augustes et surnaturelles réalités. Et non-seulement les intelligibles et adorables splendeurs de l’infini, et en général les choses divines, ont été mystérieusement revêtues de symboles multiples, comme lorsqu’on dit que Dieu incompréhensible est un feu et que ses oracles sont comme la flamme[35] ; mais, de plus, on dépeint les rangs sacrés des esprits angéliques à la fois intelligibles et intelligents sous des images diverses, sous des emblèmes sans nombre, sous la forme de flammes ardentes. Mais ce symbole du feu doit être diversement interprété, selon qu’il s’applique à la divinité qui surpasse tout entendement, ou bien aux paroles et aux actes divins que nous comprenons, ou bien encore aux saints anges. Dans le premier cas, il s’applique à Dieu, à cause de son incompréhensibilité ; dans le second, à la parole divine, à raison de son efficacité ; dans le troisième, aux anges, parce qu’ils participent à Dieu, et ainsi du reste, comme l’insinue assez la savante institution de ces symboles et l’étude qu’on en fait. Il faut aussi du discernement dans l’appréciation des saints emblèmes, et les appliquer, selon les occurrences, aux causes, aux essences, aux puissances, aux ordres divers et aux dignités : toutes choses qui sont exprimées par ce langage figuratif.

Mais je ne veux pas dépasser les bornes d’une lettre, et j’arrive à la question que nous voulons résoudre. Or, nous disons que tout aliment a la vertu de parfaire ceux qui s’en nourrissent ; qu’il supplée ce qui leur manque et satisfait à leurs besoins ; qu’il remédie à leur faiblesse et leur conserve la vie, les fait refleurir et les renouvelle, leur donne la richesse de la santé ; en un mot, corrige en eux la tristesse et l’imperfection et leur confère la joie et la perfection.

III. C’est pourquoi les Écritures s’expriment avec bonheur quand elles nous montrent la sagesse si bonne et si élevée au-dessus de toute sagesse, présentant une coupe mystérieuse et versant un breuvage sacré après avoir servi sa table de mets opulents et invité à grands cris et avec bonté ceux qui avaient besoin d’elle. Les convives trouvent donc chez elle un double aliment : la consistance de viandes solides et le charme d’un doux breuvage, et de sa coupe s’échappe le fleuve de ses paternels bienfaits. Le calice, par sa rondeur et son large évasement, est le symbole de la Providence qui embrasse indistinctement toutes les créatures dans sa sollicitude, et qui n’a ni commencement ni fin. Mais bien qu’elle s’étende à tout, elle demeure en elle-même, garde une identité permanente et se maintient dans une immobilité parfaite ; comme la coupe qui conserve invariablement la même forme. Quand on dit que la sagesse s’est bâti une maison où elle a préparé des mets, des breuvages et un calice, c’est pour faire entendre à ceux qui savent convenablement juger les choses divines que les soins providentiels viennent de cet artisan suprême qui donne aux créatures et l’être et le bonheur ; qui s’étend à tout, est présent à tout et embrasse tout. Tout en lui-même par l’excellence de sa nature, il n’est rien de ce qui est, en quelque sens que ce soit. Séparé du reste des êtres, éternellement le même et éternellement en lui, il est, il subsiste, il demeure dans une absolue et permanente identité, sans jamais sortir de lui-même, sans quitter jamais son trône ; son séjour, la stabilité de sa demeure. Dans cette immutabilité, il opère ses œuvres saintes et providentielles ; il s’étend à tout et demeure en lui-même ; il est en repos et en mouvement, et l’on pourrait dire que, naturellement et surnaturellement tout ensemble, il déploie l’activité de sa providence en sa stabilité et garde sa stabilité parmi les opérations de sa providence.

IV. Mais que signifient les mets et les breuvages ? Car il est dit que la sagesse, dans sa bonté, offre l’un et l’autre à ses convives. Je crois donc que les aliments solides sont la figure de la perfection spirituelle, de l’immuable constance dans le bien. C’est aux âmes intérieures placées en cet état, élevées à une science fixe, puissante, absolument pure de toute conception matérielle et admises à la participation des choses divines, que le bienheureux Paul distribuait la nourriture forte qu’il avait reçue de la sagesse même. Les breuvages symbolisent le fleuve de la doctrine qui se répand avec abondance et amour sur toutes choses, et qui s’attempère charitablement à ceux qu’elle nourrit, et au moyen du multiple et du variable les élève à la simple et immuable connaissance de Dieu. De là vient que les enseignements spirituels de Dieu sont comparés à la rosée, à l’eau, au lait, au vin et au miel : ainsi, leur fécondité est désignée par l’eau ; par le lait, leur énergie à donner accroissement ; par le vin, leur aptitude à rendre la vigueur ; par le miel enfin, leur propriété de purifier et de conserver. Voilà ce que la divine sagesse distribue à ses serviteurs : voilà le fleuve sans cesse jaillissant des immenses délices qu’elle leur prépare. C’est véritablement là s’enivrer de la joie des banquets, et on attribue avec raison à la sagesse le privilége de vivifier, de nourrir, de renouveler et de parfaire.

V. C’est en ce sens mystique qu’on dit que l’auteur de tous les biens, que Dieu s’enivre ; et l’on veut marquer ainsi la plénitude parfaite et l’immensité ineffable de la jouissance, ou, pour mieux dire, de l’essence divine. L’ivresse, chez nous, se prend en mauvaise part et n’est autre chose que l’excès dans le boire et une défaillance des sens et de l’entendement ; mais chez Dieu, elle se prend en bonne part, et elle est l’abondance infinie de tous les biens s’écoulant dans sa source même. Également dans ce renversement d’esprit qui accompagne l’ivresse, il faut voir la suréminence incompréhensible par laquelle Dieu échappe à l’entendement et dépasse toute idée, toute intelligence, tout être. En un mot, il est troublé d’ivresse et hors de lui-même, parmi toutes ses perfections, parce qu’il en est inondé au delà de toute mesure, et parce qu’il habite en dehors d’elles et par-dessus elles.

Et ces locutions nous conduisent à comprendre de la même sorte les festins des élus dans le royaume des cieux. Car il est dit ; « Le roi passera ; il les fera asseoir et les servira[36]. » Ceci désigne la fraternelle concorde des bienheureux dans la participation aux mêmes grâces, et l’assemblée des premiers-nés qui sont inscrits dans le ciel, et les esprits des justes enrichis de tous les dons parfaits. Quand on dit qu’ils s’asseoiront, je crois qu’on veut figurer la fin de leurs travaux multipliés, leur vie calme et tranquille, leur divin état dans la lumière et dans la région des vivants, leur félicité sainte, la pure et abondante possession de tous les trésors célestes qui les plonge dans un océan d’allégresse. Et c’est Jésus qui les réjouit, les fait asseoir et les sert, qui leur donne cet éternel repas, et leur distribue les flots de ce bonheur si plein.

VI. Mais je vous entends ; vous m’allez demander l’explication de ce qu’on nomme le sommeil et le réveil de Dieu. Et quand j’aurai montré que ce sommeil est la mystérieuse profondeur de Dieu et sa parfaite incommunicabilité ; que ce réveil est l’attention même avec laquelle la Providence veille au gouvernement et au salut de ses créatures, vous me ferez sur le symbolisme théologique des questions ultérieures. Mais, d’une part, je ne veux pas avoir l’air de dire des choses nouvelles quand je ne puis que retomber dans les mêmes discours ; et, de l’autre, je crois avoir satisfait heureusement à vos demandes. C’est pourquoi je termine ici ma lettre dans la conviction que j’ai surabondamment répondu à la vôtre.

Je vous envoie mon Traité de la Théologie symbolique ; vous y verrez avec de plus amples explications ce que c’est que le palais de la sagesse, les sept colonnes qui le décorent, et pourquoi les mets sont distingués en victimes et en pains, et ce que veut dire le mélange du vin, la fatigue qui suit l’ivresse en Dieu, et tout ce que renferme ma lettre. Il m’a semblé que ce livre rend facile l’explication des symboles théologiques et s’accorde très-bien avec la doctrine et la vérité des saintes Écritures.

LETTRE DIXIÈME.

À JEAN, THÉOLOGIEN,

APÔTRE, ÉVANGÉLISTE, EN EXIL DANS L’ÎLE DE PATHMOS.

Argument. — Saint Denys annonce prophétiquement au disciple bien-aimé, en exil à Pathmos, sa délivrance prochaine et son retour en Asie.

Je vous salue, ô âme sainte ! vous êtes mon bien-aimé ; et je vous donne plus volontiers ce titre qu’à tous les autres. Je vous salue encore, ô bien-aimé, si cher à celui qui est véritablement beau, plein d’attraits et digne d’amour. Faut-il s’étonner que le Christ ait dit la vérité, et que les méchants chassent ses disciples des villes, et que les impies se rendent à eux-mêmes la justice qu’ils méritent en se retranchant de la société des saints ? Vraiment les choses visibles sont une frappante image des choses invisibles : car, dans le siècle à venir, ce n’est pas Dieu qui accomplira la séparation méritée, mais les mauvais s’éloigneront eux-mêmes de Dieu. C’est ainsi que, même ici-bas, les justes sont avec Dieu, parce que, dévoués à la vérité et sincèrement détachés des choses matérielles, affranchis de tout ce qui est mal et épris d’amour pour tout ce qui est bien, ils chérissent la paix et la sainteté ; parce que, dès ce monde, ils préludent aux joies des temps futurs, menant une vie angélique au milieu des hommes, en toute tranquillité d’esprit, vrais enfants de Dieu, pleins de bonté et enrichis de tous les biens.

Je ne suis donc pas assez insensé pour imaginer que vous ayez de la douleur ; quant à vos tourments corporels, vous les sentez, mais vous n’en souffrez pas.

Au reste, tout en adressant un blâme légitime à ceux qui vous persécutent et qui pensent follement éteindre le soleil de l’Évangile, je prie Dieu qu’ils cessent enfin de se nuire, qu’ils se convertissent au bien et vous attirent à eux pour entrer en participation de la lumière. Mais, quoi qu’il arrive, rien ne nous ravira les splendeurs éblouissantes de l’apôtre Jean ; car, pour le présent, nous jouissons des vérités de votre enseignement que nous rappelons à notre mémoire ; et bientôt (et je le dis hardiment), bientôt nous serons réunis à vous. Car je mérite confiance quand je dis ce que vous et moi nous avons appris de Dieu : c’est que vous serez délivré de la prison de Pathmos ; que vous retournerez en Asie, et que, là, vous donnerez l’exemple d’imiter le Dieu bon, laissant à la postérité de suivre vos traces.
FIN.
  1. Malach., 3, 1.
  2. I. Timot., 6, 16.
  3. Psalm., 138, 6.
  4. Rom., 11, 33.
  5. Phil., 4, 7.
  6. Dan., 2, 21.
  7. Josue, 10, 12.
  8. IV. Reg., 20, 11.
  9. Num., 10.
  10. Psalm., 88, 21.
  11. Exod., 23, 4.
  12. Job., I. 8 ; et 42, 7.
  13. Gen., 50, 20.
  14. Gen., 4, 8.
  15. Script., passim.
  16. Matt., 11 ; Luc., 15.
  17. Matt., 5, 45. — Joan., 10, 11.
  18. Matt., 12, 25.
  19. Isai., 30, 18 ; Rom., 2, 16 ; Malach., 2, 7.
  20. Script., passim.
  21. Rom., 2, 23.
  22. Act., 19, 2.
  23. I. Tim., 2, 5. — Tit., 1.
  24. Luc, 16, 10.
  25. Hebr., 7, 26.
  26. Luc, 15, 6.
  27. Script., passim.
  28. Script., passim.
  29. II. Tim., 2, 24.
  30. Luc., 15, 6.
  31. Psalm., 109, 4.
  32. Ibid., 44, 1.
  33. Ibid., 32, 6.
  34. Script., passim.
  35. Deuter., 4. — Psalm., I 18.
  36. Luc., 12, 37.