Œuvres poétiques (Malherbe)/Les Larmes de Saint Pierre

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Œuvres poétiques de Malherbe, Texte établi par Prosper BlanchemainE. Flammarion (Librairie des Bibliophiles) (p. 197--).

LES LARMES DE SAINCT PIERRE
imitées de tansille
[au roy henry iii]

1587


Ce n’est pas en mes vers qu’une amante abusée
Des apas enchanteurs d’un parjure Thésée,
Aprés l’honneur ravy de sa pudicité,
Laissée ingratement en un bord solitaire,
Fait de tous les assauts que la rage peut faire
Une fidelle preuve à l’infidelité ;

Les ondes que j’épans d’une eternelle veine
Dans un courage sainct ont leur saincte fontaine,
Où, l’amour de la terre et le soin de la chair
Aux fragiles pensers ayant ouvert la porte,
Une plus belle amour se rendit la plus forte,
Et le fit repentir aussi tost que pécher.

Henry, de qui les yeux et l’image sacrée
Font un visage d’or à ceste âge serrée,

Ne refuse à mes voeux un favorable appuy ;
Et, si pour ton autel ce n’est chose assez grande,
Pense qu’il est si grand qu’il n’auroit point d’offrande
S’il n’en recevoit point que d’égales à luy.

La foy qui fut au coeur d’où sortirent ces larmes
Est le premier essay de tes premières armes,
Pour qui tant d’ennemis à tes pieds abattus,
Pasles ombres d’enfer, poussière de la terre,
Ont cognu ta fortune, et que Part de la guerre
A moins d’enseignements que tu n’as de vertus.

De son nom de rocher, comme d’un bon augure,
Un éternel estat l’Eglise se figure ;
Et croit, par le destin de tes justes combas,
Que ta main, relevant son épaule courbée,
Un jour, qui n’est pas loin, elle verra tombée
La troupe qui Passaut et la veut mettre bas.

Mais le coq a chanté pendant que je m’arreste
À l’ombre des lauriers qui t’embrassent la teste,
Et la source, déja commençant à s’ouvrir,
A lasché les ruisseaux qui font bruire leur trace,
Entre tant de malheurs estimant une grâce
Qu’un Monarque si grand les regarde courir.

Ce miracle d’amour, ce courage invincible,
Qui n’esperoit jamais une chose possible

Que rien finist sa foy que le mesme trespas,
De vaillant fait couard, de fidelle lait traistre,
Aux portes de la peur abandonne son maistre,
Et jure impudemment qu’il ne le cognoit pas.

À peine la parolle avoit quitté sa bouche
Qu’un regret aussi prompt en son ame le touche ;
Et, mesurant sa faute à la peine d’autruy,
Voulant faire beaucoup, il ne peut davantage
Que souspirer tout bas, et se mettre au visage
Sur le feu de sa honte une cendre d’ennuy.

Les arcs qui de plus prés sa poitrine joignirent,
Les traits qui plus avant dans le sein l’atteignirent,
Ce fut quand du Sauveur il se vit regardé ;
Les yeux furent les arcs, les oeillades les flèches
Qui percèrent son ame, et remplirent de brèches
Le rempart qu’il avoit si laschement gardé.

Cet assaut, comparable à l’éclat d’une foudre,
Pousse et jette d’un coup ses défenses en poudre.
Ne laissant rien chez luy que le mesme penser
D’un homme qui, tout nu de glaive et de courage,
Voit de ses ennemis la menace et la rage,
Qui, le fer en la main, le viennent offenser.

Ces beaux yeux souverains, qui traversent la terre
Mieux que les yeux mortels ne traversent le verre,

Et qui n’ont rien de clos à leur juste courroux,
Entrent victorieux en son ame étonnée
Comme dans une place au pillage donnée,
Et luy font recevoir plus de morts que de coups.
 
La mer a dans son sein moins de vagues courantes
Qu’il n’a dans le cerveau de formes différentes,
Et n’a rien toutesfois qui le mette en repos,
Car aux flots de la peur sa navire, qui tremble,
Ne trouve point de port, et tousjours il luy semble
Que des yeux de son maistre il entend ce propos :

« Et bien ! où maintenant est ce brave langage ?
Cette roche de foy, cet acier de courage ?
Qu’est le feu de ton zèle au besoin devenu ?
Où sont tant de serments qui juroient une fable ?
Comme tu fus menteur, suis-je pas véritable ?
Et que t’ay-je promis qui ne soit avenu ?

« Toutes les cruautez de ces mains qui m’attachent,
Le mépris effronté que ces bourreaux me crachent,
Les preuves que je fais de leur impieté,
Pleines également de fureur et d’ordure,
Ne me sont une pointe aux entrailles si dure
Comme le souvenir de ta déloyauté.

« Je sçay bien qu’au danger les autres de ma suite
Ont eu peur de la mort et se sont mis en fuite ;

Mais toy que plus que tous j’aimay parfaitement,
Pour rendre en me niant ton offense plus grande,
Tu suis mes ennemis, t’assembles à leur bande,
Et des maux qu’ils me font prens ton ébatement. »

Le nombre est infiny des parolles empraintes
Que regarde l’apostre en ces lumières sainctes ;
Et celuy seulement que sous une beauté
Les feux d’un oeil humain ont rendu tributaire
Jugera sans mentir quel effet a pû faire
Des rayons immortels l’immortelle clarté.

Il est bien asseuré que l’angoisse qu’il porte
Ne s’emprisonne pas sous les clefs d’une porte,
Et que de tous costez elle suivra ses pas ;
Mais, pour ce qu’il la voit dans les yeux de son maistre,
Il se veut absenter, espérant que peut-estre
Il la sentira moins en ne la voyant pas.

La place lui déplaist où la troupe maudite
Son Seigneur attaché par outrage dépite ;
Et craint tant de tomber en un autre forfait
Qu’il estime déja ses oreilles coupables
D’entendre ce qui sort de leurs bouches damnables,
Et ses yeux d’assister aux tourmens qu’on luy fait.

Il part, et la douleur, qui d’un morne silence
Entre les ennemis couvroit sa violence,

Comme il se voit dehors, a si peu de compas
Qu’il demande tout haut que le sort favorable
Luy face rencontrer un amy secourable
Qui, touché de pitié, luy donne le trépas.

En ce piteux estât, il n’a rien de fidelle
Que sa main, qui le guide où l’orage l’appelle :
Ses pieds, comme ses yeux, ont perdu la vigueur ;
Il a de tout conseil son ame dépourveuë,
Et dit, en soupirant, que la nuit de sa veuë
Ne l’empesche pas tant que la nuit de son coeur.

Sa vie, auparavant si chèrement gardée,
Luy semble trop longtemps icy bas retardée ;
C’est elle qui le fasche et le fait consumer :
Il la nomme parjure, il la nomme cruelle,
Et, tousjours se plaignant que sa faute vient d’elle,
Il n’en veut faire conte, et ne la peut aimer.

« Va, laisse-moy, dit-il, va, déloyale vie ;
Si de te retenir autresfois j’eus envie,
Et si j’ay désiré que tu fusses chez moy.
Puis que tu m’as esté si mauvaise compaigne,
Ton infidelle foy maintenant je dédaigne ;
Quitte-moy, je te quitte et ne veux plus de tov.

« Sont-ce tes beaux desseins, mensongère et méchante,
Qu’une seconde fois ta malice m’enchante,

Et que, pour retarder une heure seulement,
La nuit déja prochaine à ta courte journée,
Je demeure en danger que l’âme, qui est née
Pour ne mourir jamais, meure éternellement ?

« Non, ne m’abuse plus d’une lasche pensée ;
Le coup encores frais de ma cheute passée
Me doit avoir apris à me tenir debout,
Et sçavoir discerner de la trêve la guerre,
Des richesses du ciel les fanges de la terre,
Et d’un bien qui s’envole un qui n’a point de bout.

« Si quelqu’un d’avanture en délices abonde,
Il se perd aussitost, et déloge du monde :
Qui te porte amitié, c’est à luy que tu nuis ;
Ceux qui te veulent mal sont ceux que tu conserves,
Tu vas à qui te fuit, et tousjours le reserves
À souffrir, en vivant, davantage d’ennuis.

« On voit par ta rigueur tant de blondes jeunesses,
Tant de riches grandeurs, tant d’heureuses vieillesses,
En fuyant le trépas au trépas arriver ;
Et celuy qui, chétif, aux misères succombe,
Sans vouloir autre bien que le bien de la tombe,
N’ayant qu’un jour à vivre, il ne peut l’achever !

« Que d’hommes fortunez, en leur âge première,
Trompez de l’inconstance à nos ans coutumière,

Du depuis se sont veus en étrange langueur,
Qui fussent morts contens si le Ciel, amiable,
Ne les abusant pas en son sein variable,
Au temps de leur repos eust coupé sa longueur.

« Quiconque de plaisir a son ame assouvie,
Plein d’honneur et de bien, non sujet à l’envie,
Sans jamais en son aise un mal-aise éprouver,
S’il demande à ses jours davantage de terme,
Que fait-il, ignorant, qu’attendre de pied ferme
De voir à son beau temps un orage arriver ?

« Et moy, si de mes jours l’importune durée
Ne m’eust en vieillissant la cervelle empirée,
Ne devois-je estre sage, et me ressouvenir
D’avoir veu la lumière aux aveugles rendue,
Rebailler aux muets la parole perdue,
Et faire dans les corps les âmes revenir ?

« De ces faits non communs la merveille profonde,
Qui par la main d’un seul étonnoit tout le monde,
Et tant d’autres encor, me dévoient avertir
Que, si pour leur autheur j’endurais de l’outrage,
Le mesme qui les fit, en faisant davantage,
Quand on m’offenseroit, me pouvoit garantir.

« Mais, troublé par les ans, j’ay souffert que la crainte,
Loin encore du mal, ait découvert ma fainte,

Et, sortant promptement de mon sens et de moy,
Ne me suis apperceu qu’un destin favorable
M’offroit en ce danger un sujet honorable
D’acquérir par ma perte un triomphe à ma foy.

« Que je porte d’envie à la troupe innocente
De ceux qui, massacrez d’une main violente,
Virent dés le matin leur beau jour accourcy !
Le fer qui les tua leur donna cette grâce
Que, si de faire bien ils n’eurent pas l’espace,
Ils n’eurent pas le temps de faire mal aussi.

« De ces jeunes guerriers la flote vagabonde
Alloit courre fortune aux orages du monde,
Et déja pour voguer abandonnoit le bord,
Quand l’aguet d’un pirate arresta leur voyage ;
Mais leur sort fut si bon que d’un mesme naufrage
Ils se virent sous l’onde et se virent au port.

« Ce furent de beaux lis qui, mieux que la nature
Meslans à leur blancheur l’incarnate peinture
Que tira de leur sein le Cousteau criminel,
Devant que d’un hiver la tempeste et l’orage
À leur teint délicat pussent faire dommage,
S’en allèrent fleurir au printemps éternel.

« Ces ensans bien-heureux (créatures parfaites,
Sans l’impersection de leurs bouches muettes)

Ayans Dieu dans le coeur, ne le purent louer ;
Mais leur sang leur en fut un témoin véritable ;
Et moy, pouvant parler, j’ay parlé, misérable,
Pour luy faire vergogne et le desavouer.

« Le peu qu’ils ont vécu leur fut grand avantage,
Et le trop que je vy ne me fait que dommage.
Cruelle occasion du soucy qui me nuit !
Quand j’avois de ma foy l’innocence première,
Si la nuit de ma mort m’eût privé de lumière,
Je n’aurois pas la peur d’une immortelle nuit.

« Ce fut en ce troupeau que, venant à la guerre
Pour combattre l’enfer et défendre la terre,
Le Sauveur incognu sa grandeur abaissa ;
Par eux il commença la première meslée,
Et furent eux aussi que la rage aveuglée
Du contraire party les premiers offença.

« Qui voudra se vanter avec eux se compare,
D’avoir receu la mort par un glaive barbare,
Et d’être allé soy-mesme au martyre s’offrir :
L’honneur leur appartient d’avoir ouvert la porte
À quiconque osera, d’une ame belle et forte,
Pour vivre dans le ciel, en la terre mourir.

« Ô désirable fin de leurs peines passées !
Leurs pieds, qui n’ont jamais les ordures pressées,

Un superbe planché des estoiles se font ;
Leur salaire payé les services precede ;
Premier que d’avoir mal, ils trouvent le remède,
Et devant le combat ont les palmes au front.

« Que d’applaudissemens, de rumeur et de presses,
Que de feux, que de jeux, que de traits de caresses,
Quand là-haut en ce point on les vid arriver !
Et quel plaisir encor, à leur courage tendre,
Voyant Dieu devant eux en ses bras les attendre,
Et pour leur faire honneur les anges se lever !
 
« Et vous, femmes, trois fois, quatre fois bien-heureuses,
De ces jeunes amours les mères amoureuses ;
Que faites-vous pour eux, si vous les regrettez ?
Vous faschez leur repos, et vous rendez coupables,
Ou de n’estimer pas leurs trépas honorables,
Ou de porter envie à leurs félicitez.

« Le soir fut avancé de leurs belles journées ;
Mais qu’eussent-ils gagné par un siécle d’années ?
Ou que leur avint-il, en ce viste départ,
Que laisser promptement une basse demeure,
Qui n’a rien que du mal, pour avoir de bonne heure
Aux plaisirs éternels une eternelle part ?

« Si vos yeux, penetrans jusqu’aux choses futures,
Vous pouvoient enseigner leurs belles avantures.

Vous auriez tant de bien en si peu de malheurs
Que vous ne voudriez pas pour l’empire du monde
N’avoir eu dans le sein la racine seconde
D’où nasquit entre nous ce miracle de fleurs.

« Mais moy, puisque les loix me défendent l’outrage
Qu’entre tant de langueurs me commande la rage,
Et qu’il ne faut soy-mesme éteindre son flambeau,
Que m’est-il demeuré pour conseil et pour armes,
Que d’écouler ma vie en un fleuve de larmes,
Et, la chassant de moy, l’envoyer au tombeau ?

« Je scay bien que, ma langue ayant commis l’offense,
Mon coeur incontinent en a fait pénitence.
Mais quoy ! si peu de cas ne me rend satisfait.
Mon regret est si grand, et ma faute si grande,
Qu’une mer eternelle à mes yeux je demande
Pour pleurer à jamais le péché que j’ay fait. »

Pendant que le chétif en ce point se lamente,
S’arrache les cheveux, se bat et se tourmente,
En tant d’extrémitez cruellement reduit,
Il chemine tousjours ; mais, resvant à sa peine,
Sans donner à ses pas une reigle certaine,
Il erre vagabond où le pied le conduit.

À la fin, égaré (car la nuit, qui le trouble,
Par les eaux de ses pleurs son ombrage redouble,

Soit un cas d’avanture ou que Dieu l’ait permis,
Il arrive au jardin où la bouche du traistre,
Profanant d’un baiser la bouche de son maistre,
Pour en priver les bons aux méchans l’a remis.

Comme un homme dolent que le glaive contraire
A privé de son fils et du tiltre de pere,
Plaignant deçà delà son malheur advenu,
S’il arrive en la place où s’est fait le dommage,
L’ennuy renouvelle plus rudement l’outrage
En voyant le sujet à ses yeux revenu ;

Le vieillard, qui n’attend une telle rencontre,
Si tost qu’au dépourveu sa fortune lui montre
Le lieu qui fut témoin d’un si lasche méfait,
De nouvelles fureurs se déchire et s’entame,
Et de tous les pensers qui travaillent son ame
L’extréme cruauté plus cruelle se fait.

Toutessois il n’a rien qu’une tristesse peinte ;
Ses ennuis sont des jeux, son angoisse une feinte,
Son malheur un bonheur, et ses larmes un ris,
Au prix de ce qu’il sent quand sa veuë abaissée
Remarque les endroits où la terre pressée
À des pieds du Sauveur les vestiges écris.

C’est alors que ses cris en tonnerre s’éclatent,
Ses souspirs se font vents qui les chesnes combattent.

Et ses pleurs, qui tantost descendoient
mollement,
Ressemblent un torrent qui des hautes montagnes,
Ravageant et noyant les voisines campagnes,
Veut que tout l’univers ne soit qu’un element.

Il y fiche ses yeux, il les baigne, il les baise,
Il se couche dessus, et seroit à son aise
S’il pouvoit avec eux à jamais s’attacher.
Il demeure muet du respect qu’il leur porte ;
Mais en fin la douleur, se rendant la plus forte,
Lui fait encore un coup une plainte arracher.

« Pas adorez de moy, quand par accoustumance
Je n’auroy, comme j’ay, de vous la cognoissance,
Tant de perfections vous découvrent assez ;
Vous avez une odeur des parfums d’Assyrie ;
Les autres ne l’ont pas, et la terre, flétrie,
Est belle seulement où vous estes passez.

« Beaux pas de ces seuls pieds que les astres cognoissent,
Comme ores à mes yeux vos marques apparaissent !
Telle autrefois de vous la merveille me prit,
Quand, déja demy-clos sous la vague profonde,
Vous ayant appelez, vous affermistes l’onde,
Et, m’asseurant les pieds, m’étonnastes l’esprit.

« Mais, ô de tant de biens indigne recompense !
Ô dessus les sablons inutile semence !

Une peur, ô Seigneur, m’a séparé de toy,
Et, d’une ame semblable à la mienne parjure,
Tous ceux qui furent tiens, s’ils ne t’ont fait injure,
Ont laissé ta présence, et t’ont manqué de foy.
 
« De douze, deux fois cinq, étonnez de courage,
Par une lasche fuite évitèrent l’orage,
Et tournèrent le dos quand tu fus assailly ;
L’autre, qui fut gagné d’une sale avarice,
Fit un prix de ta vie à l’injuste supplice ;
Et l’autre, en te niant, plus que tous a failly.
 
« C’est chose à mon esprit impossible à comprendre ;
Et nul autre que toy ne me la peut apprendre,
Comme a pû ta bonté nos outrages souffrir.
Et qu’attend plus de nous ta longue patience,
Sinon qu’à l’homme ingrat la seule conscience
Doive estre le Cousteau qui le face mourir ?
 
« Toutesfois tu sçais tout, tu cognois qui nous sommes,
Tu vois quelle inconstance accompagne les hommes,
Faciles à fléchir quand il faut endurer.
Si j’ay fait comme un homme en faisant une offence,
Tu feras comme Dieu d’en laisser la vengeance,
Et m’oster un sujet de me désespérer.

« Au moins, si les regrets de ma faute avenue
M’ont de ton amitié quelque part retenue,

Pendant que je me trouve au milieu de tes pas,
Désireux de l’honneur d’une si belle tombe,
Afin qu’en autre part ma dépouille ne tombe,
Puisque ma fin est prés, ne la recule pas. »

En ces propos mourans ses complaintes se meurent,
Mais vivantes sans fin ses angoisses demeurent,
Pour le faire en langueur à jamais consumer.
Tandis la nuit s’en va, ses lumières s’étaignent,
Et déja devant lui les campagnes se peignent
Du safran que le jour apporte de la mer.

L’Aurore, d’une main, en sortant de ses portes,
Tient un vase de fleurs languissantes et mortes ;
Elle verse de l’autre une cruche de pleurs,
Et, d’un voile tissu de vapeur et d’orage
Couvrant ses cheveux d’or, découvre en son visage
Tout ce qu’une ame sent de cruelles douleurs.

Le Soleil, qui dédaigne une telle carrière,
Puis qu’il faut qu’il déloge, éloigne sa barrière ;
Mais, comme un criminel qui chemine au trépas,
Montrant que dans le coeur ce voyage le fasche,
Il marche lentement, et désire qu’on sçache
Que, si ce n’estoit force, il ne le feroit pas.

Ses yeux par un dépit en ce monde regardent ;
Ses chevaux tantost vont, et tantost se retardent.

Eux-mesmes ignorans de la course qu’ils font ;
Sa lumière paslit, sa couronne se cache ;
Aussi n’en veut-il pas, cependant qu’on attache
À Celuy qui l’a fait des épines au front.

Au point accoustumé, les oiseaux, qui sommeillent,
Apprestez à chanter dans les bois se réveillent ;
Mais, voyant ce matin des autres diffèrent,
Remplis d’étonnement, ils ne daignent paroistre,
Et font à qui les voit ouvertement cognoistre
De leur peine secret le un regret apparent.

Le jour est déja grand, et la honte plus claire
De l’apostre ennuyé l’avertit de se taire ;
Sa parolle se lasse, et le quitte au besoin ;
Il voit de tous costez qu’il n’est veu de personne ;
Toutesfois le remors que son ame lui donne
Témoigne assez le mal qui n’a point de témoin.

Aussi l’homme qui porte une ame belle et haute,
Quand seul en une part il a fait une faute,
S’il n’a de jugement son esprit dépourveu,
Il rougit de iuy-mesme ; et, combien qu’il ne sente
Rien que le ciel présent et la terre présente,
Pense qu’en se voyant tout le monde l’a veu.