Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/Enfin guéri d’une amitié funeste

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ELEGIE.


Enfin guery d’une amitié funeste,
A mon esprit désormais il ne reste
Qu’un sentiment de juste desplaisir
D’avoir languy d’un si mauvais désir ;
Bien mal-heureux d’avoir dans la pensée
Le souvenir de ma fureur passée,
Qui fut honteuse, et dont je me repens.
D’oresnavant plus sage, à mes despens,
Que si jamais mon jugement s’oublie
Jusqu’à rentrer en semblable folie,
Dieux qui vengez les crimes des humains,
Punissez-moy si vous avez des mains ;
Si vous avez pouvoir sur la tempeste,

Ne la poussez ailleurs que sur ma teste.
Et vous, beaux yeux, plus aymez que le jour,
Qui remplissez tous mes esprits d’amour,
Pour pénitence octroyez-moy, de grâce,
Mourant pour vous, que mon péché s’efface ;
Que je reprenne en vos divins appas
D’un lasche crime un glorieux trespas ;
Et quand mon ame, en vos liens captive,
Pour mieux souffrir obtiendra que je vive,
Que le regret d’avoir esté si sot,
Et sans le bien de vous servir plustost,
Chaque moment reproche à mon courage
Le deshonneur de mon premier servage.
Faictes-le donc, beaux yeux, je le consens ;
Mais je demande un mal que je ressens :
Je suis desjà, dans ce supplice mesme,
Prest de mourir depuis que je vous ayme.
Le souvenir d’avoir porté des fers
Si malheureux me tient dans les enfers.
A chaque fois que ce bel œil m’envoye
Ses doux regards pleins d’honneur et de joye,
Où Venus rit, où ses petits Amours
Passent le temps à se baiser tousjours,
Les vains souspirs d’une contraincte flame
Me font ainsi discourir en mon ame :
Pauvre abuzé, que j’eus mauvais conseil !
Que j’ay bien pris la nuict pour le soleil !
Que mon esprit fut autrefois facile,
Et que l’erreur me trouva bien docile !
Que je fus lourd ! que je fus insensé !
Mon jugement en est tout offensé.
Les faux attraicts à qui je fis hommage
Qu’ont-ils d’esgal à ce divin visage ?
Ce n’est qu’horreur au prix de ta beauté,
A qui je viens donner ma liberté.

Dieux ! que l’Amour estoit bien en colère
De m’obliger au soucy de lui plaire !
Que mes destins sont bien mes ennemis !
Qu’ils m’ont trahy de me l’avoir permis !
Vous qui m’ostez ceste mauvaise envie,
Qui banissez la honte de ma vie,
Chère Amaranthe, à qui je dois le bien
D’avoir rompu cet infâme lien,
Gardez qu’Amour ne me soit plus contraire,
Que mon destin ne soit mon adversaire ;
Dites aux Dieux, vous qui les gouvernez,
Et leur esprit en vos yeux retenez,
Que, si mon ame est encore capable
D’un autre Amour si lasche et si coupable,
Ils n’auront point de tonnerre si fort
Qui ne me donne une trop douce mort.
Mais où l’Amour trouveroit-il des armes ?
Quelle beauté luy fournira des charmes
Pour dégager encores mes esprits
Des beaux liens où je demeure pris ?
Autre que vous n’a rien que je désire ;
Vous estes seule au monde que j’admire ;
Je vous adore, et jure vos beaux yeux
Qu’un paradis ne me plairoit pas mieux.
Que si mes yeux rendoient jamais possible
Qu’à vos regards mon ame fust visible,
Vous y verriez les plus beaux mouvemens
Qu’amour jamais fist naistre à des amans ;
Vous y verriez la douce frenaisie
Dont vous avez ma volonté saisie ;
Mille pensers à vos yeux incognus
D’un grand respect jusqu’icy retenus
Vous y verriez un cœur sans artifice,
Se présentant lui-mesme en sacrifice.
Et qui se croit mourir assez heureux

Si vous croyez qu’il feist bien l’amoureux.
Il est trop vray, ma peine est assez claire,
Et c’est en vain que je la pense taire.
Qui ne cognoist, à mes yeux languissans,
A mes souspirs sans cesse renaissans,
Qu’une fureur secrette me dévore,
Que je n ay sceu vous descouvrir encore ?
Bien que pressé de ne la plus celer.
Auprès de vous je ne sçaurois parler.
Ce que je voy reluire en ce visage
^. Me fait faillir la voix et le courage ;
Mais si je puis jamais me r asseurer,
Ou si je puis enfin moins souspirer,
Je parleray, je vous diray ma peine,
Qu’autre que moy jugeroit inhumaine,
Mais que je sens plus douce mille fois
Que je ne croy la fortune des roys.