Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/L’art d’aimer

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 2 (p. 153-172).


L’ART D’AIMER.[1]


CHANT PREMIER


....................
Flore met plus d’un jour à finir une rose.
Plus d’un jour fait l’ombrage où Paies se repose ;
Et plus d’un soleil dore, au penchant des coteaux,
Les grappes de Bacchus, ces rivales des eaux.
Qu’ainsi ton doux projet en silence mûrisse,
Que sous tes pas certains la route s’aplanisse,

Qu’un œil sûr te dirige, et de loin avec art
Dispose ces ressorts que l’on nomme hasard.
Mais souvent un jeune boraine, aspirant à la gloire
De venir, voir et vaincre et prôner sa victoire,
Vole et hâte l’assaut qu’il eût dû préparer.
..................
L’imprudent a voulu cueillir avant l’automne
L’espoir à peine éclos d’une riche Pomone ;
Il a coupé ses bleds quand les jeunes moissons
Ne passaient point encor les timides gazons[2].
Le danger, c’est ainsi que leur bouche l’appelle
D’abord effraie ou semble effrayer une belle ;
Prudence, adresse, temps, savent l’accoutumer
À le voir sans le craindre et bientôt à l’aimer.


Quand Junon sur l’Ida plut au maître du monde,
Xanthus[3] l’avait tenue ait cristal de son onde ;
Et sur sa peau vermeille une savante main
Fit distiller la rose et les flots de jasmin.
Cultivez vos attraits ; la plus belle nature
Veut les soins délicats d’une aimable culture.
Mais si l’usage est doux, l’abus est odieux.
Des parfums entassés l’amas fastidieux,
De la triste laideur trop impuissantes armes,
À d’indignes soupçons exposeraient vos charmes.
Que dans vos vêtemens le goût seul consulté
N’étale qu’élégance et que simplicité.

L’or ni les diamans n’embellissent les belles ;
Le goût est leur richesse ; et tout puissant comme elles
Il sait créer de rien leurs plus beaux ornemens ;
Et tout est sous ses doigts l’or et les diamans.
J’aime un sein qui palpite et soulève une gaze.
L’heureuse volupté se plaît, dans son extase,
À fouler mollement ces habits radieux
Que déploie au Cathay le ver industrieux.
Le coton mol et souple, en une trame habile,
Sur les bords indiens, pour vous prépare et file
Ce tissu transparent, ce réseau de Vulcain,
Qui, perfide et propice à l’amant incertain,
Lui semble un voile d’air, un nuage liquide,
Où Vénus se dérobe et fuit son œil avide[4].


Sur ses membres..........
S’étend le doux réseau d’une peau diaphane.


Quand la gaze ou le lin, barrière mal tissue,
Qui la couvre ou plutôt la découvre à sa vue.
Suivant de tout son corps les détours gracieux…


C’est par ses vêtements qu’elle est nue à tes yeux.


Et de ses vêtements couverte et non voilée.


(Je crois avoir déjà mis ce vers-là quelque part, mais je ne puis me souvenir où[5].)

Un mouvement de désirs tel que celui que l’on éprouve après dîner, lorsqu’on a bu vin, café…


La sombre défiance assiège en vain ta trace,
Il faut oser. L’amour favorise l’audace.
Les ruses des mortels n’éludèrent jamais
D’un enfant et d’un dieu les ruses et les trails.
Que sert des tours d’airain tout l’appareil horrible ?
Que servit à Junon son Argus si terrible ?
Ce front d’inquiétude armé de toutes parts,
Où veillaient à la fois cent farouches regards[6] ?


CHANT DEUXIÈME


Il faut qu’un amant sache prendre toutes les formes… exemples des métamorphoses des dieux… Après trois ou quatre, finir par raconter en douze ou quinze vers l’enlèvement d’Europe, traduisant Ovide, livre II, et Moschus… D’abord elle a peur… puis elle finit par s’asseoir sur lui.


Aux rives de Sidon Jupiter mugissant.

Jupiter quadrupède et sur l’herbe paissant,
Aux rives de Sidon ravisseur mugissant.
Quoique paisible et doux, la vierge qu’il adore
L’approche, fuit, revient, fuit et revient encore ;

Puis lui jette des fleurs, s’accoutume à le voir,
Le touche, et sur son flanc ose bientôt s’asseoir[7].


λάθρια πηλείδαο φιλάματα, λάθριον εὐνάν.
(Bion de Smyrne.)


Et les baisers secrets et les lits clandestins.


Si d’un mot échappé l’outrageuse rudesse
A pu blesser l’amour et sa délicatesse,
Immobile il gémit, songe à tout expier.
Sans honte, sans réserve, il faut s’humilier
Tombe même à genoux, bien loin de te défendre ;
Tu le verras soudain plus amoureux, plus tendre,
Courir et t’arrêter, et lui-même à genoux
Accuser en pleurant son injuste courroux.
Mais souvent malgré toi, sans fiel ni sans injure,
Ta bouche d’un trait vif aiguise sa piqûre ;
Le trait vole, tu veux le rappeler en vain
Ton amant consterné dévore son chagrin.
Ou bien d’un dur refus l’inflexible constance
De ses feux tout un jour a trompé l’espérance ;
Il boude ; un peu d’aigreur, un mot même douteux
Peut tourner la querelle en débat sérieux.
Oh ! trop heureuse alors si, pour fuir cet orage,
Les Grâces t’ont donné leur divin badinage ;

Cet air humble et soumis de n’oser s’approcher,
D’avoir peur de ses yeux et de t’aller cacher,
Et de mille autres jeux l’inévitable adresse,
De mille mots plaisants l’aimable gentillesse,
Enfin tous ces détours dont le charme ingénu
Fait éclater un rire à peine retenu.
Il t’embrasse, il te tient, plus que jamais il t’aime ;
C’est ton tour maintenant de le bouder lui-même.
Loin de s’en effrayer, il rit, et mes secrets
L’ont instruit des moyens de ramener la paix[8].
....................
Sache inventer pour lui mille tendres folies.
Il faut, en le grondant, le serrer dans tes bras ;
Lui dire, en le baisant, que tu ne l’aimes pas ;
Et les reproches feints, la colère badine ;
Et des mots caressants la mollesse enfantine ;
Et de mille baisers l’implacable fureur.
....................


Souvent d’un peu d’humeur, d’un moment de caprice
(Toute belle a les siens) il ressent l’injustice ;
Il se désole, il crie, il est trompé, trahi ;
Tu ne mérites pas un amant tel que lui ;
Il a le cœur si bon ! Sa sottise est extrême.
Il te hait, te maudit ; — plus que jamais il t’aime.
Crains que l’ennui fatal dans son cœur introduit
Puisse compter les pas de l’heure qui s’enfuit.
Il est pour la tromper un aimable artifice ;

Amuse-là des jeux qu’invente le caprice ;
Lasse sa patience à mille tours malins,
Ris et de sa faiblesse et de ses cris mutins.
Tu braves tant de fois sa menace éprouvée,
Elle vole, tu fuis ; la main déjà levée,
Elle te tient, te presse ; elle va te punir.
Mais vos bouches déjà ne cherchent qu’à s’unir,
Le ciel d’un feu plus beau luit après un orage.
L’amour fait à Paphos naître plus d’un nuage,
Mais c’est le souffle pur qui rend l’éclat à l’or,
Et la peine en amour est un plaisir encor.
Le hasard à ton gré n’est pas toujours docile.
Une belle est un bien si léger, si mobile !
Souvent tes doux projets, médités à loisir,
D’avance destinaient la journée au plaisir ;
Non, elle ne veut pas. D’autres soins occupée,
Tu vois avec douleur ton attente échappée,
Surtout point de contrainte. Espère un plus beau jour,
Imprudent qui fatigue et tourmente l’amour.
Essaye avec les pleurs, les tendres doléances,
De faire à ses desseins de douces violences.
Sinon, tu vas l’aigrir ; tu te perds. La beauté,
Je te l’ai fait entendre, aime sa volonté.
Son cœur impatient, que la contrainte blesse,
Se dépite : il est dur de n’être pas maîtresse.
Prends-y garde : une fois le ramier envolé
Dans sa cage confuse est en vain rappelé.
Cède ; assieds-toi près d’elle ; et soumis avec grâce,
D’un ton un peu plus froid, sans aigreur ni menace,
Dis-lui que de tes vœux son plaisir est la loi.
Va, tu n’y perdras rien, repose-toi sur moi.

Complaisance a toujours la victoire propice[9].
Souvent de tes désirs l’utile sacrifice,
Comme un jeune rameau planté dans la saison,
Te rendra de doux fruits une longue moisson.
Flore a pour les amans ses corbeilles fertiles ;
Et les fleurs, dans leurs jeux, ne sont pas inutiles.
Les fleurs vengent souvent un amant courroucé,
Qui feint sur un seul mot de paraître offensé.
Il poursuit son espiègle ; il la tient, il la presse ;
Et, fixant de ses flancs l’indocile souplesse,
D’un faisceau de bouquets en cachette apporté
Châtie, en badinant, sa coupable beauté ;
La fait taire et la gronde, et d’un maître sévère
Imite, avec amour, la plainte et la colère ;
Et négligeant ses cris, sa lutte, ses transports,
Arme le fouet léger de rapides efforts,
Frappe et frappe sans cesse, et s’irrite et menace,
Et force enfin sa bouche à lui demander grâce.
Telle Vénus souvent, aux genoux d’Adonis,
Vit des taches de rose empreintes sur ses lis.
Tel l’Amour, enchanté d’un si doux badinage,
Loin des yeux de sa mère, en un charmant rivage,
Caressait sa Psyché dans leurs jeux enfantins,
Et de lacets dorée chargeait ses belles mains.

Fontenay ! lieu qu’Amour fit naître avec la rose,
J’irai (sur cet espoir mon âme se repose),

J’irai te voir, et Flore et le ciel qui te luit.
Là je contemple enfin (ma déesse m’y suit)
Sur un lit que je cueille en tes rians asiles,
Ses appas, sa pudeur, et ses fuites agiles,
Et dans la rose en feu l’albâtre confondu,
Comme un ruisseau de lait sur la pourpre étendu.


Dans les plaisanteries pour rire, il faut prendre garde de ne rien dire qui puisse être une vérité.


L’amour est délicat, un rien peut le blesser.


Quand on a resté avec ce qu’on aime, même sans rien dire, le temps a passé vite, on s’étonne toujours qu’il soit déjà si tard.


Nulle heure n’est oisive et nul instant n’est vide[10].
Le temps vole, pour eux, d’une aile si rapide !
Tous deux muets, tous deux tranquilles à l’écart,
S’étonnent à la fin qu’il soit déjà si tard.
Ils se parlent d’amour dans leur silence même.
L’âme sans le vouloir rêve de ce qu’elle aime.
Il est là : c’est assez.


Je leur ai conseillé de s’absenter quelquefois. ; mais vous n’avez rien à craindre, c’est un précepte bien pénible.


Eh ! qui peut sans mourir s’éloigner d’une amante ?


La prière............
Ou l’ordre impérieux, faveur plus douce encore.


Ce mélange incroyable et divin
De raison, de délire,
D’exigence et de soins, d’esclavage et d’empire.


Sur sa lèvre de rose et d’amour parfumée.
Cueillir la douce fleur d’une haleine embaumée


La jeune Hébé donnée au courage d’Alcide.


Quand on a été longtemps importuné par des témoins.


Dans le premier baiser l’âme entière se noie.


Un jeune homme


Croit toujours de beaux yeux garants d’une belle âme.


Et sur son cou d’ivoire
D’une dent chatouilleuse avec un doux murmure
Imprimera la molle et suave blessure.

Rugis uterum Lucina notavit[11].


De Lucine avec art dissimuler l’outrage.


Obéis ; c’est un dieu, c’est un enfant colère.


Baisers mêlés de pleurs, soupirs, molle complainte.


..........Et tant de probité
Ne fut rien qu’ignorance et que rusticité.


Et tu sais bien quel est auprès de la beauté
L’attrait même du crime et de la nouveauté.


Oui, jusques dans sa robe et le contour de lin
Que presse la ceinture au-dessous de son sein,
Sans avoir son aveu, ta bouche pétulante
À cherché la fraîcheur de sa gorge naissante.
Sur les deux ramiers blancs le vautour indompté.
Sur les deux ramiers blancs il s’est précipité,
Les deux oiseaux jumeaux qu’un même nid rassemble.
Qui se cachent tous deux, qui s’élèvent ensemble,
Dont le bec est de rose, et que l’œil plein d’ardeur.
Poursuit, touche de loin, et qui troublent le cœur[12].


Sa robe au gré du vent derrière elle flottante,
En replis ondoyants mollement frémissante,
S’insinue, et la presse, et laisse voir aux yeux
De ses genoux charmants les contours gracieux[13].


....................
Non ; même sans chercher d’amoureuses promesses,
Sans vouloir de Vénus connaître les caresses,
L’être belle toujours vous prenez quelques soins ;
Vous voulez plaire même à qui vous plaît le moins.
Ô chaste déité qu’adore le Pirée,
Tu jettes l’instrument, fils de ta main sacrée,
Tu brises cette flûte où pour charmer les dieux,
Respire en sons légers ton souffle harmonieux ;
Tu rougis de la voir dans une onde fidèle
Altérer la beauté de ta joue immortelle[14].


Du céleste voyage à mon char confié
En deux courses son vol a franchi la moitié.

Descendons, sous nos pas la nuit couvre les plaines.
De mes cygnes fumants je détache les rênes ;
Demain même trajet s’ouvre devant mes yeux ;
Mon char avec le jour regagnera les cieux[15].


CHANT TROISIÈME


....................
C’est l’amour qui, trompant la sombre vigilance,
Sait donner devant elle une voix au silence.


Une jeune beauté par lui seul affermie,
Quand la troupe aux cent yeux est enfin endormie.
De son lit qui pleurait l’absent trop attendu
Fuit, se glisse, et d’un pied muet et suspendu,
Au jeune impatient va, d’aise palpitante,
Ouvrir enfin la porte amie et confidente ;
Et sa main, devant elle, interroge sans bruit
Et sa route peureuse et les murs et la nuit[16].

....................
Il apprend aux soupirs à s’exhaler à peine ;
Il instruit, près des murs qui pourraient vous ouïr,
Vos baisers à se taire et ne vous point trahir.


........L’obstacle encourage l’amour.
J’épargne le chevreuil que nul bois, nul détour
Ne dérobe à mes traits dans la vaste campagne :
Je veux le suivre au haut de la sombre montagne.
Et, trempé de sueurs, affronter en courant
La ronce hérissée et l’orageux torrent.


Retenez, il est temps, le songe qui s’enfuit.
Belle et rapide fleur, doux enfant de la nuit ;
Le jour vient, il t’appelle, empresse-toi d’éclore :
Ah ! tu ne verras point une seconde aurore.


....................
Les mains de Calliope et celles de l’amour.
La couronne de fleurs qui vivent plus d’un jour
....................


....................
....................
De tes traits languissants observe la pâleur.
Si telle est des amants l’amoureuse couleur.
Procris, pâle et mourante, aux abois suit Céphale.
Vois, pour Endymion, Phœbé mourante et pâle ;
Vois d’Alphée éploré pâlir le front vermeil,
Et la pâle Clytie amante du soleil.


Quand l’ardente saison lait aimer les ruisseaux,
À l’heure où, vers le soir, cherchant le frais des eaux,

La belle nonchalante à l’ombre se promène ;
Que sa bouche entr’ouverte et que sa pure haleine,
Et son sein plus ému de tendresse et de vœux,
Appellent le baiser et respirent ses feux ;
Que l’amant peut venir, et qu’il n’a plus à craindre
La raison qui mollit et commence à le plaindre ;
Que sur tout son visage, ardente et jeune fleur,
Se répand un sourire insensible et rêveur ;
Que son cou faible et lent ne soutient plus sa tête ;
Que ses yeux, dans sa course incertaine et muette,
Sous leur longue paupière à peine ouverte au jour
Languissent mollement et sont noyés d’amour[17].


Sur l’oreiller d’amour tous deux.


Mais surtout sans les yeux quels plaisirs sont parfaits ?
Laissez, près d’une couche ainsi voluptueuse,
Veiller, discret témoin, la cire lumineuse,
Elle a tout vu la nuit, elle a tout épié ;
Dès que le jour paraît, elle a tout oublié[18].


À la fin du morceau de Prêtée :


Et tu verras ainsi contre tes fers agiles.
Se briser ses efforts et ses ruses fragiles.


Au troisième chant, histoire des grossières amours des premiers âges ; le luxe et l’art s’introduisant peu à peu dans la manière d’aimer… Athènes, Corinthe, Rome… Phryné.


D’un style grossier l’obscène nudité.


Il faut bien observer que ce qui est généralement un défaut dans les femmes, est souvent une grâce et une gentillesse dans une seule. Particulièrement de bien manger à table.


Les beaux garçons sont souvent si bêtes.

Un homme doit se conformer au goût des femmes. Il doit quelquefois coudre, broder, faire de la tapisserie ; mais il ne faut pas qu’il s’y montre trop adroit ; au contraire, il vaut mieux qu’il affecte de s’y prendre mal. Hercule auprès d’Omphale. Sa maladresse qui amusait cette dame[19].


Le mot d’un peintre : Ne pouvant la faire belle, tu l’as faite riche.


Ce n’est pas que je veuille condamner les femmes à ne songer qu’aux affaires du ménage. J’aime fort qu’une belle main, habile à manier la plume et l’aiguille, cultive à la fois l’une et l’autre Minerve.


Un vers en comparaison Nervis alienis mobile lignum[20].


....................
Aux signes de l’aimant statue obéissante,
S’enflamme au seul aspect d’un feu contagieux.
Ainsi, quand au hasard un doigt harmonieux
Agite et fait parler une corde sonore.
Une autre corde au loin qu’on négligeait encore
D’elle-même résonne, éveillée à ce bruit,
Et s’unit à sa sœur, et l’écoute et la suit.


Aux bords où l’on voit naître et l’Euphrate et le jour,
plus d’obstacle et de crainte environne l’amour.
Aussi..................
....................
..Sans se pouvoir parler même des jeux,
On se parle, on se voit. Leur cœur ingénieux
Donne à tout une voix entendue et muette.
Tout de leurs doux pensers est le doux interprète.
Désirs, crainte, serments, caresse, injure, pleurs,
Leurs dons savent tout dire : ils s’écrivent des fleurs.
Par la tulipe ardente une flamme est jurée ;
L’amarante immortelle atteste sa durée.
L’œillet gronde une belle. Un lis vient l’apaiser.
L’iris est un soupir ; la rose est un baiser.
C’est ainsi chaque jour qu’une sultane heureuse
Lit en bouquet la lettre odorante, amoureuse.
Elle pare son sein de soupirs et de vœux ;
Et des billets d’amour embaument ses cheveux.


Voir d’Herbelot au mot Lalch qui signifie une tulipe. (D’Herbelot, Bibliothèque orientale, 4 vol. in-1°.)


Offrons tout ce qu’on doit d’encens, d’honneurs suprêmes
Aux dieux, à la beauté plus divine qu’eux-mêmes.
Puisse aux vallons d’Hémus, où les rocs et les bois
Admirèrent d’Orphée et suivirent la voix,
L’Hèbre ne m’avoir pas en vain donné naissance !
Les muses avec moi vont connaître Byzance ;
Et si le ciel se prête à mes efforts heureux,
De la Grèce oubliée enfant plus généreux,
Sur ses rives jadis si noblement fécondes,
Du Permesse égaré je ramène les ondes.
Pour la première fois de sa honte étonné.
Le farouche turban, jaloux et consterné,
D’un sérail oppresseur, noir séjour des alarmes,
Entendra nos accents et l’amour et vos charmes.
C’est là, non loin des flots dont l’amère rigueur
Osa ravir Sestos au nocturne nageur,
Qu’en des jardins chéris des eaux et du zéphyre.
Pour vous, rayonnant d’or, de jaspe, de porphyre.
Un temple par mes mains doit s’élever un jour.
Sous vos lois j’y rassemble une superbe cour
Où de tous les climats brillent toutes les belles :
Elles règnent sur tout et vous régnez sur elles.
Là des filles d’Indus l’essaim noble et pompeux,
Les vierges de Tamise, au cœur tendre, aux yeux bleus.
De Tibre et d’Éridan les flatteuses sirènes,
Et du blond Eurotas les touchantes Hélènes,
Et celles de Colchos, jeune et riche trésor,
Plus beau que la toison étincelante d’or,

Et celles qui du Rhin l’ornement et la gloire
Vont dans ces froids torrents baigner leurs pieds d’ivoire,
Toutes enfin, ce bord sera tout l’univers[21].
....................
....................
....................
L’Amour croit par l’exemple, et vit d’illusions.
Belles, étudiez ces tendres fictions
Que les poètes saints, en leurs douces ivresses,
Inventent dans la joie aux bras de leurs maîtresses.
De tout aimable objet Jupiter enflammé,
Et le dieu des combats par Vénus désarmé,
Quand la tête en son sein, mollement étendue,
Aux lèvres de Vénus son âme est suspendue ;
Et dans ses yeux divins oubliant les hasards,
Nourrit d’un long amour ses avides regards ;
Quels appas trop chéris mirent Pergame en cendre ;
Quelles trois déités un berger vit descendre,
Qui, pour, briguer la pomme abandonnant les cieux,
De leurs charmes rivaux enivrèrent ses yeux ;
Et le sang d’Adonis, et la blanche Hyacinthe
Dont la feuille, respire une amoureuse plainte ;
Et la triste Syrinx aux mobiles roseaux,
Et Daphné de lauriers peuplant le bord des eaux[22] ;

Herminie aux forêts révélant ses blessures ;
Les grottes, de Médor confidentes parjures ;
Et les ruses d’Armide, et l’amoureux repos
Où, sur des lits de fleurs, languissent les héros ;
Et le myrte vivant aux bocages d’Alcine.
Les Grâces dont les soins ont élevé Racine
Aiment à répéter ses écrits enchanteurs,
Tendres comme leurs yeux, doux comme leurs faveurs.
Belles, ces chants divins sent nés pour votre bouche.
La lyre de Le Brun qui vous plaît et vous touche,
Tantôt de l’élégie exhale les soupirs,
Tantôt au lit d’amour éveille les plaisirs.
Suivez de sa Psyché la gloire et les alarmes ;
Elle-même voulut qu’il célébrât ses charmes,
Qu’amour vînt pour l’entendre ; et dans ces chants heureux
Il la trouva plus belle et redoubla ses feux.
Mon berceau n’a point vu luire un même génie :
Ma Lycoris pourtant ne sera point bannie.
Comme eux, aux traits d’amour j’abandonnai mon cœur,
Et mon vers a peut-être aussi quelque douceur.

  1. Un certain nombre de fragments ont été publiés dans les éditions de 1819 et 1833 ; un plus grand nombre dans l’édition de Gab. de Chénier.
  2. Édit. 1819
  3. Le Xanthe est le même fleuve que le Scamandre. Voy. Œuvres complètes de La Fontaine, édit. Louis Moland, t. IV, p. 362.
  4. Édit. 1819.
  5. Voy. tome Ier, p. 306.
  6. Ces vers sont une répétition du morceau placé dans les élégies sous le n° lviii. Le poète aurait opté plus tard pour l’une ou l’autre place.
  7. André Chénier à traité plusieurs fois ce sujet. Voy. t. I, p. 76 et suivantes.
  8. Ce morceau se trouve dans l’édition de 1819.
  9. Ce ver et les trois suivants avaient été reproduits dans les élégies, avec cette variante du premier vers :

    Complaisance a toujours une adresse propice.
  10. Ce fragment a été placé par M. G. de Chénier dans les Élégies
  11. Ovide, de Arte amandi, liv. III, v. 785.
  12. Édition de G. de Chénier, dans les Églogues.
  13. Édition de G. de Chénier, dans les Églogues.
  14. Ibid. Inspiré par ce passage d’Hygin. — Cap. 165, p. 235, édition de 1681, in-8. « Minerva tibias dicitur prima ex osse cervino fecisse, et ad epulum deorum cantatum venisse. Juno et Venus cum eam irriderent, quod et cæsia erat et buccas inflaret, fœda visa, et in cantu irrisa, in Idam sylvam ad fontem venit : ibique cantans in aqua se aspexit, et vidit se merito irrisam : unde tibias ibi abjecit et imprecata est, ut quisquis eas sustulisset, grave afficeretur supplicio. Quas Marsyas Œagri filius pastor unus ex turis (saturis) invenit, etc. »
  15. M. G. de Chénier a placé ces derniers vers parmi les fragments d’élégie. Nous croyons, comme M. Becq de Fouquières, qu’ils étaient plutôt destinés à terminer un deuxième chant de l’Art d’aimer. Il en faudrait conclure qu’à un certain moment André Chénier songea à faire quatre chants de l’Art d’aimer.
  16. Tibulle, II, i, 77.
  17. Ce morceau a paru dans l’édition de 1833.
  18. M. G. de Chénier a placé ces cinq vers a la fin de l’élégie sur la Lampe. Voy. t. I, p. 248.
  19. Lucien, Dialogue des dieux, dialogue entre Jupiter, Esculape et Hercule.
  20. Horace, liv. II, satire vii, v. 81, 82.
  21. Édit. 1819.
  22. André Chénier avait songé à placer ces quatre derniers vers dans une bucolique avec ces variantes :

    Et le sang d’Adonis et la rose hyacinthe
    Dont la feuille respire une amoureuse plainte,
    Pan, qui presse en ses bras d’infidèles roseaux,
    Et les bras de Daphné peuplant le bord des eaux.