Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Allons, allons, mes beaux coursiers

La bibliothèque libre.

Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 2 (p. 222-224).

XVI[1]


Allons, allons, mes beaux coursiers, courez, volez, l’aurore est belle, le ciel est pur, un vent frais agite le feuillage, la terre respire une odeur balsamique.


L’aurore est belle et pure et le ciel sans nuage ;
Un souffle doux et frais caresse le feuillage.
....................
....................
Courez, volez, mes beaux coursiers.


Elle vole, les coursiers volent, elle passe comme un éclair.


Ils volent, le char vole, elle vole, elle fuit
Comme l’agile éclair qui brille dans la nuit.
Tous les yeux sont sur elle......


L’envie assise derrière elle l’accompagne d’un œil oblique et sinistre, l’admiration la contemple avec des cris de joie, l’amour secret et silencieux la suit d’un long regard. Elle n’ose rencontrer l’œil de l’amour, elle ignore celui de l’envie, elle sourit à celui de l’admiration qui la contemple.


L’envie, au front paré d’un sourire d’apprêt.
D’un œil oblique et faux l’accompagne et se tait.

L’admiration rit, la contemplant si belle,
Et d’un cri l’applaudit et s’élance après elle.
L’amour mystérieux, dans le bois à l’écart,
Seul, timide, muet, la suit d’un long regard.
Elle n’ose point voir l’œil de l’amour timide ;
Elle ignore l’envie à l’œil faux et livide ;
Elle sourit aux cris du tumulte joyeux
Qui l’applaudit de loin, le plaisir dans les yeux[2].


Debout sur son char elle élève sa tête divine, ses cheveux sont relevés négligemment et flottent derrière elle sous un casque couvert de plumes agiles, son fouet frappe les airs, elle agite les rênes, elle anime ses coursiers orgueilleux d’un si beau fardeau.


Courez, volez, mes beaux coursiers.


Quoi ! (un nom de cheval) tu te ralentis. C’est donc en vain que tu as des jambes si fines… C’est donc en vain que je t’aimais… Tes yeux roulaient du feu quand tu me voyais venir te caresser… Va, je n’irai plus moi-même présenter à ta bouche le frein qui doit te conduire ; mes doigts n’iront plus s’envelopper dans ta crinière dorée, et ma main caressante ne fera plus retentir tes flancs ni ta poitrine. Et vous (d’autres noms de chevaux), redoublez d’ardeur. Je vous ferai faire de beaux harnais ; j’entrelacerai moi-même des rubans dans vos crinières flottantes ; vous mangerez du pain dans ma belle main.


Courez, volez, mes beaux coursiers.


Ils reconnaissent la voix de l’héroïne. Ils frémissent, ils bondissent, leurs yeux s’enflamment, leurs oreilles se dressent devant eux, le feu sort de leurs naseaux, leurs harnais sont blanchis de sueur et leur frein d’écume. Ils volent, le char vole, elle vole, elle passe comme un éclair, le vent ne peut les suivre.


Ils reconnaissent tous la voix de l’héroïne ;
Ils tressaillent, saisis à cette voix divine ;
Roulent leurs pieds dans l’air, lèvent leurs fronts ardents ;
L’or du frein tortueux résonne entre leurs dents.
Courbant leur col nerveux, tous, en chutes pareilles
Précipités ; leurs yeux s’enflamment ; leurs oreilles
Se dressent devant eux ; hérissés et fumants.
Leur narine bondit en longs frémissements.
Mors et harnais sont blancs de sueur et d’écume.
La roue échappe aux yeux, l’axe bouillant s’allume.
Ils volent, le char vole, elle vole, elle fuit
Comme l’agile éclair qui brille dans la nuit.
Le vent ne peut les suivre.......


et le ciel répète au loin tout à la fois les hennissements, les pieds frappant la terre, les roues de fer, le fouet et la ibelle vois qui excitent les coursiers, les seize pieds serrés, la bruyante narine et les cris de l’admiration qui s’élancent après la belle héroïne.[90


Sous la dent de l’acier aux pointes lumineuses,
Joignant d’un velours noir les bandes sinueuses,
Un camée éclatant, sur l’argile d’azur.
Presse contre son flanc le basin frais et pur.
....................

  1. Édition G. de Chénier, mais cette pièce est ici reconstituée. Chaque partie du canevas en prose qui a été exécutée est suivie immédiatement des vers qui la reproduisent.

    En tête de cette pièce, l’auteur a écrit : Sotto il quadro in Ingles.

  2. Ce vers peut rappeler celui de Malherbe, dans l’ode sur la prise de Marseille :

    Du plaisir de sa chute a fait rire les yeux.