Les Fleurs du mal/1857/Abel et Caïn

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Les Fleurs du mal (1857)Poulet-Malassis et de Broise (p. 219-221).

XCI

ABEL ET CAÏN



Race d’Abel, dors, bois et mange :
Dieu te sourit complaisamment,

Race de Caïn, dans la fange
Rampe et meurs misérablement.

Race d’Abel, ton sacrifice
Flatte le nez du Séraphin !


Race de Caïn, ton supplice
Aura-t-il jamais une fin ?

Race d’Abel, vois tes semailles
Et ton bétail venir à bien ;

Race de Caïn, tes entrailles
Hurlent la faim comme un vieux chien.

Race d’Abel, chauffe ton ventre
À ton foyer patriarcal ;

Race de Caïn, dans ton antre
Tremble de froid, pauvre chacal !

Race d’Abel, sans peur pullule :
L’argent fait aussi ses petits ;

Race de Caïn, ton cœur brûle ;
Éteins ces cruels appétits.

Race d’Abel, tu croîs et broutes
Comme les punaises des bois !

Race de Caïn, sur les routes
Traîne ta famille aux abois.

— Ah ! race d’Abel, ta charogne
Engraissera le sol fumant !


Race de Caïn, ta besogne
N’est pas faite suffisamment ;

Race d’Abel, voici ta honte :
Le fer est vaincu par l’épieu !

Race de Caïn, au ciel monte,
Et sur la terre jette Dieu !