Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome II/Première partie/Livre III/Chapitre V

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CHAPITRE V.

Histoire naturelle de la côte occidentale d’Afrique jusqu’à Sierra-Leone.

Cette histoire naturelle sera divisée en cinq classes : les végétaux, les quadrupèdes, les oiseaux et la volaille, les amphibies avec les insectes et les reptiles, enfin les poissons. Ces cinq articles seront traités successivement dans l’ordre où l’on vient de les nommer ; mais il est à propos de commencer par quelques remarques générales des voyageurs sur le climat et les saisons, l’air, les maladies et le terroir de cette division de l’Afrique. Au surplus, nous devons prévenir le lecteur qu’il ne trouvera pas ici de description complète, telle qu’il pourrait la désirer chez les naturalistes. Nous donnerons plus ou moins de détails, selon que l’objet sera plus ou moins connu, plus ou moins intéressant. On se souviendra qu’un abrégé n’est pas un dictionnaire.

Dans les parties de l’Afrique dont on traite ici l’histoire, l’année peut être divisée entre la saison sèche et la saison humide. La première dure huit mois, c’est-à-dire, depuis le mois de septembre jusqu’au mois de juin ; la seconde depuis le mois de juin jusqu’à celui d’octobre exclusivement. C’est cette dernière saison qui fait l’hiver. Pendant celle de la sécheresse, les chaleurs sont excessives par la rareté des pluies ; à peine tombe-t-il quelques rosées dans tout cet espace.

Les pluies commencent fort doucement, et par quelques ondées passagères, mais qui ne laissent pas d’être accompagnées d’éclairs et de tonnerre ; elles augmentent vers la fin de juin. La chute des eaux devient alors si violente, avec des orages, des vents, un tonnerre et des feux si terribles, qu’on croirait avoir à redouter la confusion des élémens. C’est néanmoins dans cette saison que les habitans du pays sont obligés de travailler à la terre. La plus grande impétuosité des pluies est depuis le milieu de juillet jusqu’au milieu d’août.

La première et la dernière tempête sont généralement les plus violentes. Il s’élève d’abord un vent fort impétueux, qui dure environ une demi-heure avant la chute de la pluie, de sorte qu’un vaisseau surpris par cette agitation subite peut être fort aisément renversé. Cependant les apparences du ciel sont des avertissemens qui la font prévoir. Il se charge quelque temps auparavant ; il devient noir et triste. À mesure que les nuées s’avancent, il en sort des éclairs qui sont capables de répandre l’effroi. Les éclairs sont si terribles en Afrique et s’entre-suivent de si près, que pendant la nuit ils rendent la lumière continuelle : le fracas du tonnerre n’est pas moins épouvantable, et va jusqu’à faire trembler la terre.

Pendant la pluie, l’air est ordinairement frais ; mais à peine est-elle finie, que le soleil se montre et fait sentir une extrême chaleur. On est quelquefois porté à prendre ce temps pour se déshabiller et pour dormir ; mais, avant qu’on soit sorti du sommeil, il arrive souvent un nouveau tornado qui fait passer le froid jusque dans les os, et dont les suites deviennent funestes. C’est ordinairement le sort des Européens, lorsqu’ils négligent les précautions ; car les naturels du pays sont à l’épreuve de ces révolutions de l’air. Dans la saison des plaies, les vents de mer soufflent peu ; mais à leur place il vient au long de la rivière des vents d’est qui sont d’une fraîcheur extrême, depuis le mois de novembre jusqu’au mois de janvier, surtout pendant le jour.

Tous les écrivains attribuent aux pluies les débordemens du Sénégal, de la Gambie et des autres rivières de la même côte. Le Maire prétend que la cause des pluies est le retour du soleil, qui, s’éloignant alors du tropique du cancer, fait en France le solstice d’été, et celui d’hiver dans cette partie d’Afrique. Cet astre attire une grande masse de vapeurs qui retombent ensuite en grosses pluies, cause régulière des inondations.

Ceux qui arrivent des climats froids doivent s’attendre à trouver en Afrique quatre mois fort malsains et fort ennuyeux ; mais ils sont dédommagés de cette affreuse saison par le retour d’un printemps de huit mois, pendant lequel ils voient continuellement les arbres couverts de fleurs et de fruits. L’air est alors d’une fraîcheur charmante ; cependant il conserve une qualité particulière qui ne doit pas être fort saine pour le corps, puisqu’elle est capable de rouiller une clef dans la poche. Le temps des chaleurs excessives est ordinairement la fin de mai, quinze jours ou trois semaines avant la saison des pluies.

Le soleil se fait voir perpendiculairement deux fois l’année. Jamais la longueur du jour ne surpasse treize heures, et jamais il n’y a moins de onze heures, c’est-à-dire, depuis le lever jusqu’au coucher du soleil ; car on connaît peu les crépuscules en Afrique. La lumière n’y paraît qu’avec le soleil, et l’on se trouve dans les ténèbres aussitôt qu’il disparaît. Ceux qui ont quelques notions de la sphère comprendront aisément que, dans le voisinage de l’équateur, le soleil, étant presque perpendiculaire, doit laisser peu de place à ce qu’on nomme aurore et crépuscule chez les peuples qui ont la sphère oblique.

En général l’air de ces côtes est malsain, surtout vers les rivières, vers les terrains marécageux, et dans les cantons couverts de bois, sur toute la côte, depuis le Sénégal jusqu’à la Gambie. La saison des pluies est pernicieuse à tous les Européens ; et celle des chaleurs, qui dure depuis le mois de septembre jusqu’au mois de juin, ne leur est guère moins funeste, s’ils n’opposent beaucoup de précaution au danger.

Cette intempérie de l’air cause aux étrangers qui n’y sont pas accoutumés plusieurs sortes de maladies ; mais l’effet en est encore plus fâcheux lorsqu’ils mangent trop avidement les fruits du pays, et qu’ils se livrent avec excès à l’usage du vin de palmier et des femmes. Les maux auxquels ils doivent s’attendre sont la fièvre, le choléra-morbus, des ulcères aux jambes et de fréquentes convulsions, suivies infailliblement de la mort ou d’une paralysie. De toutes ces maladies, la plus fatale est la fièvre, qui emporte souvent en vingt-quatre heures l’homme du meilleur tempérament. Les vers sont une autre incommodité cruelle de ces contrées. Les Nègres surtout y sont sujets. Moore rapporte l’exemple d’une jeune femme qui avait dans chaque genou un ver long d’une aune. Avant que le ver parût, elle souffrit de violentes douleurs ; et ses jambes enflèrent beaucoup ; mais, lorsque la tumeur vint à s’ouvrir, et que le ver eut commencé à se faire voir, ses souffrances diminuèrent. Le ver sortait chaque jour de la longueur de cinq à six pouces. À mesure qu’il s’étendait, on le roulait doucement autour d’un petit bâton, avec la précaution de le lier d’un fil pour l’empêcher de rentrer. S’il se rompt malheureusement dans l’opération, la gangrène suit immédiatement. L’opinion des Nègres sur la cause de ces vers est qu’ils viennent de l’épaisseur de l’eau, qualité que la saison des pluies fait prendre nécessairement à leur boisson. La même maladie est commune sur la côte de Guinée proprement dite, dans les îles des Caraïbes, et dans plusieurs parties des Indes orientales.

On a observé sur toutes ces côtes que les nuées qui apportent la pluie viennent presque toujours du sud-est ; elles sont attirées par le soleil dans sa marche vers le tropique du nord ; elles se résolvent en pluie lorsqu’elles sont raréfiées par sa chaleur. Son action étant encore beaucoup plus forte à son retour, il les rompt avec violence, les écarte, et cause les tonnerres et les éclairs redoutables qui semblent menacer la nature de sa ruine, jusqu’à ce que, les nuées étant dissipées par degrés, l’air reprend sa clarté vers le temps où le soleil atteint à l’équinoxe c’est-à-dire à la fin de septembre.

La variété des arbres est extrême dans cette partie de l’Afrique. On y trouve d’excellens bois de construction pour les vaisseaux et pour d’autres usages, et des arbres d’une grosseur si extraordinaire, que vingt hommes ensemble n’en pourraient embrasser le tronc. Barbot en mesura un, près de Gorée, dont la circonférence était de soixante pieds. Il était à terre abattu par le nombre des années, et le tronc en était creux ; vingt hommes y auraient pu tenir debout. Cet arbre, nommé baobab par les Iolofs, porte dans d’autres pays de l’Afrique le nom de gouï. Les Français l’ont quelquefois appelé calebassier, et son fruit pain-de-singe.

Adanson, voyageur français, a vu sur l’écorce de quelques-uns de ces arbres de cinq à six pieds de diamètre, des noms gravés profondément. Il en renouvela deux, dont l’un datait du quinzième, et l’autre du seizième siècle. Ces caractères avaient environ six pouces de longueur ; mais ils n’occupaient en largeur qu’une très-petite partie de la circonférence du tronc, d’où il jugea qu’ils n’avaient pas été gravés dans la jeunesse de ces arbres. Il lui sembla que ces inscriptions suffisaient pour déterminer à peu près à quel âge les baobabs peuvent arriver ; car, si l’on suppose que les noms dont il parle ont été gravés dans les premières années de ces arbres, et que ceux-ci aient grossi de six pieds dans l’espace de deux siècles, on peut calculer combien il leur faudrait de siècles pour parvenir à vingt-cinq pieds.

Aux branches de ces arbres monstrueux sont quelquefois suspendus des nids qui n’étonnent pas moins par leur grandeur ; il y en a qui ont au moins trois pieds de longueur, et ressemblent à de grands paniers ovales, ouverts par en bas, et tissus confusément de branches d’arbres assez grosses. Ce sont ceux d’une espèce d’aigle que les Nègres appellent ntann.

« La couleur de l’écorce du baobab, dit M. Golberry, autre voyageur français, est d’un brun clair, piquetée de petits points gris ; mais la couleur du tronc de l’arbre est plus foncée que celle des maîtresses branches. Les feuilles sont longues de six à huit pouces sur trois pouces de large, attachées par trois, cinq ou sept sur un pétiole commun, comme les feuilles du marronnier d’Inde, auxquelles elles ressemblent. L’aspect d’un baobab offre un dôme immense d’une belle et riche verdure. Ses fleurs sont blanches et très grandes ; elles ont, quand elles sont épanouies, quatre pouces de longueur sur près de six pouces de diamètre. Elles sont un exemple remarquable du sommeil des plantes. Les Nègres ne cessent d’admirer cette faculté de la fleur du baobab de se replier sur elle-même pendant la nuit, et de ne s’ouvrir, qu’aux premiers rayons du soleil levant. Ils disent que cette fleur dort, et ils ne se lassent pas du plaisir de se rassembler avant le lever du soleil autour des baobabs en fleur, d’épier leur réveil, et de leur dire dans leur langue, au moment de leur épanouissement et en les saluant : Bonjour, belle dame.

» C’est aussi au lever du soleil que les Nègres ont coutume de recueillir les jeunes feuilles du baobab, qu’ils emploient à différens usages, mais dont ils se servent surtout pour donner de la saveur et du goût au bouillon, à la vapeur duquel ils cuisent leur couscous, et qui sert d’assaisonnement à ce mets. Ils font sécher les feuilles à l’ombre, et la réduisent en une poudre verte qu’ils appellent lalo. Cette poudre se conserve parfaitement dans des sachets de toile de coton, pourvu qu’elle soit tenue dans un lieu sec ; ils l’emploient journellement, et en mettent deux ou trois pincées dans leur couscous ou autres mets.

» Son fruit, nommé bouï par les Nègres, a une forme oblongue ; il se termine en pointe à ses deux extrémités. Sa longueur est de dix pouces, sur six de diamètre dans la partie la plus renflée qui est au milieu. L’écorce de ce fruit et dure et ligueuse, d’un brun très-noir, marquée par des sillons, et couverte d’un duvet très-fin, très-court, et d’une teinte verdâtre. Quand le fruit est dans sa parfaite maturité, ce duvet disparaît et laisse à nu une coque noire et lisse, qui de loin ressemble a un coco dépouillé de sa première enveloppe. On trouve dans l’intérieur une substance blanche, spongieuse et pulpeuse, imbibée d’une eau aigrelette et sucrée très-agréable au goût. Chaque fruit contient plusieurs centaines de graines. Les Nègres reconnaissent à la pulpe du bouï des vertus admirables. Lorsqu’elle est sèche, ils la réduisent en poudre, la délaient dans du lait, ou même dans de l’eau pure, et en font usage, avec beaucoup de succès, contre les crachemens de sang, et contre d’autres maladies. Ils disent que ceux d’entre eux qui ont la possibilité de faire un usage habituel de la pulpe du bouï et des feuilles du gouï, sont plus forts ; plus robustes, plus braves et plus courageux que les autres.

» Ce fruit est un objet de commerce. Les Mandingues le portent dans la partie orientale et méridionale de l’Afrique, tandis que les Maures ou Arabes le font passer dans le pays de Maroc, d’où il se répand ensuite en Égypte et dans toute la partie orientale de la Méditerranée. C’est dans ce dernier pays qu’on en réduit la pulpe en une poudre qu’on apporte du Levant dans l’Europe occidentale, et qu’on connaît depuis long-temps sous le nom très-impropre de terre sigillée de Lemnos. Prosper Alpin est le premier qui ait reconnu que cette poudre, regardée jusqu’à lui comme une terre de l’Archipel, était une substance purement végétale et originaire de l’Éthiopie ou du centre de l’Afrique.

» M. Golberry parle d’un baobab de cent quatre pieds de tour, ou de trente-quatre pieds de diamètre. La hauteur de son tronc n’excédait pas trente pieds. À cette élévation, ses branches principales s’étendaient horizontalement à plus de cinquante pieds autour de l’arbre ; leurs extrémités fléchissaient vers la terre. Le temps avait creusé dans le tronc une caverne haute de vingt-deux pieds, sur un diamètre de vingt pieds. Les Nègres en avaient façonné l’intérieur et l’entrée. Le sol était un sable de couleur orange, que l’on y avait apporté. Suivant une tradition, une idole avait autrefois orné ce temple d’un genre et d’une structure admirables ; mais les prêtres mahométans l’avaient détruite. Cette caverne servait de rendez-vous et de salle d’assemblée aux habitans des villages voisins.

» Les racines du baobab s’étendent extraordinairement loin ; elles se prolongent horizontalement et presqu’à fleur de terre, à la distance de soixante pieds, et plus. Elles servent de soutien à une énorme racine pivotante. Cet étonnant végétal appartient particulièrement aux contrées occidentales de l’Afrique comprises entre le cap Blanc et le cap des Palmes. Les botanistes l’ont nommé Adansonia digitata. Il est de la famille des malvacées ; le cœur du bois est tendre et léger, et abondant en moelle ; elle occupe une partie si considérable de l’intérieur, que, quand une sorte de moisissure, à laquelle le centre est sujet, s’y établit, il s’y forme des cavernes telles que celle qui a été décrite plus haut. L’écorce est fort épaisse, fort lisse, et presque aussi dure que le bois : l’un et l’autre ont presque la dureté du fer.

» M. Golberry mesura un des baobabs dont parle Adanson, trente-six ans après ce célèbre naturaliste, et ne le trouva accru que d’un pied et quelques pouces de circonférence, c’est-à-dire de sept à huit lignes de diamètre. »

Le plus utile et le plus commun de tous les arbres du pays, comme de tout le reste de l’Afrique, est le palmier, dont on connaît plusieurs espèces dans cette partie du monde, ou les principales sont le dattier et le cocotier, l’aouara, le siboa, et le rondier qui porte le vin. Nous avons déjà parlé de ce dernier. Nous ajouterons ici quelques détails sur ce don précieux que la nature a fait aux Nègres.

Le vin de palmier est une liqueur qui distille du rondier par une incision qu’on fait au sommet. Il a la couleur et la consistance des vins d’Espagne. Il pétille comme le champagne. Il joint à la douceur une sorte d’acidité qui le rend fort agréable. Il envoie des vapeurs à la tête, et les étrangers qui en boivent trop librement, sans en avoir formé l’habitude, en ressentent de fâcheux effets. Il est trop purgatif, lorsqu’il est fait nouvellement, quoique ce soit alors qu’il ait plus de douceur et d’agrément ; car, dans l’espace d’un jour ou deux, il fermente et devient aussi fort que le vin du Rhin. Les habitans ne se l’épargnent pas dans cette nouveauté, et ne trouvent pas qu’il leur soit fort nuisible. Il n’est véritablement bon que pendant trente-six heures. Ensuite il s’aigrit et s’altère par degrés jusqu’à se changer en vinaigre. À mesure qu’il vieillit, il devient plus capable de communiquer des vapeurs à la tête. C’est un puissant diurétique ; et cette qualité explique fort bien pourquoi les Nègres ne sont pas sujets à la gravelle ni à la pierre. Il fermente avec tant de violence, que, si l’on ne fait beaucoup d’attention aux vases qui le contiennent, il les agite et les brise. Le vin de palmier paraît délicieux à quantité d’Européens lorsqu’il sort du tronc de l’arbre. Les Nègres y mêlent quelquefois de l’eau. Ils assurent que, si l’on en prend à l’excès, il enflamme les parties naturelles.

Leur méthode pour le recevoir du tronc est, comme on l’a déjà dit, de suspendre leur gourde quelques doigts au-dessous de l’incision, pour y faire couler la sève. Ils coupent une branche, et laissent la gourde attachée au chicot ; mais il ne leur arrive guère d’en couper plus de deux, dans la crainte d’affaiblir l’arbre. Lorsque la sève a coulé trente ou quarante jours par différentes incisions, ils couvrent de terre grasse et les ouvertures du tronc et la place des branches coupées, pour donner à l’arbre le temps de se rétablir.

Les Nègres n’emploient pas d’échelles pour grimper sur les palmiers, soit qu’ils en veuillent cueillir le fruit ou tirer du vin. Ils se servent d’une sorte de sangle d’osier, ou de gros fil de coton, ou de feuilles sèches de palmier, qui est assez grande dans sa rondeur pour renfermer l’arbre et le Nègre qui veut y monter, en laissant entre l’homme et l’arbre l’espace d’un pied et demi. À l’aide de cette ceinture, contre laquelle un Nègre s’appuie le derrière en pressant l’arbre des pieds et des genoux, il grimpe au sommet avec une agilité surprenante. Il choisit l’endroit auquel il veut attacher sa gourde. Il s’y arrête aussi tranquillement que s’il était assis. On est effrayé de les voir suspendus si haut avec un secours si faible. Moore, dit qu’ils montent, à la vérité avec beaucoup de vitesse ; mais que, lâchant quelquefois prise, ils tombent du haut de l’arbre, et se tuent misérablement.

Le siboa est d’une hauteur extraordinaire. Ses feuilles servent aux habitans pour couvrir leurs maisons. Ils tirent du tronc une sorte de vin qui a beaucoup de rapport avec le vin de palmier, quoiqu’il ne soit pas si doux. Dans sa jeunesse, le tronc est aussi plein de sève que celui du palmier ; mais le nombre des années le rend dur et coriace.

L’aouara croît en abondance sur le Sénégal. Il est droit, haut, et d’une grosseur égale jusqu’au sommet. On en a vu de la hauteur de cent pieds. Sa tête est environnée d’une écorce dure et inégale, d’où il sort trente, quarante, et jusqu’à soixante branches ; elle sont toutes fort droites, vertes, unies, sans nœuds et flexibles, d’une substance qui tient le milieu entre le roseau dans sa parfaite maturité et le roseau vert. Ces branches sont longues de trois ou quatre pieds, et creuses au centre ; elles se fendent comme l’osier en fils de toutes sorte de grosseur, qui peuvent recevoir différentes sortes de teinture. À leur extrémité, elles produisent une feuille d’un pied de long, qui, venant à s’ouvrir, forme un éventail naturel d’environ deux pieds de largeur. On emploie ces branches à divers usages. Les Nègres en font des cribles pour leurs grains, mais surtout des paniers et des corbeilles qui portent en Amérique le nom de paniers caraïbes, parce que c’est de ces sauvages que les Français en ont tiré l’invention. Les feuilles de l’aouara sont fort commodes, et pourraient être d’une grande utilité, si les Nègres avaient assez d’industrie pour les rendre molles et pliables.

L’arbre que son utilité doit faire placer après les précédens, et qui croît fort communément près du Sénégal, est le cotonnier. Il aime les cantons élevés, ce qui le met à couvert des inondations : peut-être ne devrait-il être compté qu’au rang des arbrisseaux. Le coton n’en est pas excellent, parce que les Nègres en négligent la culture. En Amérique, on a des machines qui portent le nom de moulins à coton, pour séparer le coton de sa semence ; mais les Nègres d’Afrique se servent de leurs mains. C’est l’ouvrage de leurs femmes, qui le filent ensuite avec un simple fuseau sans rouet.

L’indigo croît naturellement dans plusieurs cantons du pays, et les Nègres en font usage pour teindre les pagnes ou leurs étoffes de coton. Ils leur donnent une couleur fort vive ; mais l’art de teindre n’est pas aussi cultivé parmi eux qu’en Amérique. Barbot dit que l’indigo croît en Afrique sur un arbuste que les Portugais ont nommé finto, dont la hauteur est d’environ trois pieds.

Les îles du Sénégal et les cantons voisins produisent quantité d’excellent tabac. Cette plante pourrait être fort avantageusement perfectionnée, si les Nègres avaient assez d’industrie pour la cultiver et pour la travailler un peu après l’avoir recueillie. Moore observe que sur la Gambie les Nègres plantent le tabac près de leurs maisons ; qu’ils le sèment aussitôt qu’ils ont fait la moisson du grain ; que celui qui croît près des rivières est très-fort, et qu’à peu de distance des mêmes lieux il est beaucoup plus faible.

Dans les pays du Sénégal croît le sanara. Les terres humides sont celles qui conviennent à cet arbre. Il est généralement de la hauteur et de la grosseur du poirier. Ses feuilles ressemblent à celles du laurier-rose. Le bois en est dur, et d’autant plus propre à la construction des vaisseaux et des barques, qu’il acquiert une nouvelle dureté dans l’eau ; mais les Nègres ne souffrent pas volontiers qu’on abatte ces arbres, parce que les abeilles aiment à s’y réfugier, et qu’ils en tirent beaucoup de miel et de cire.

On trouve sur toutes les côtes occidentales de l’Afrique le calebassier d’herbe, cucurbita lagenaria, que les Nègres estiment, avec raison, parce qu’il leur fournit tous leurs vases. Cet arbre a communément trois ou quatre pieds de circonférence. Il y en a de différentes formes et de diverses grandeurs. L’écorce en est mince, et ne surpasse pas l’épaisseur d’un écu ; mais elle est dure et coriace. Le bois est doux, et se polit facilement. Cet arbre porte des fleurs et des fruits deux fois l’année, ou plutôt il est constamment couvert de fruits et de fleurs. Lorsque la calebasse est mûre, on le reconnaît à sa tige, qui se flétrit et devient noire ; alors on se hâte de la cueillir pour prévenir sa chute, qui ne manquerait pas de la briser. Les Nègres en font diverses sortes d’ustensiles. Il se trouve des calebasses assez grandes pour contenir vingt-quatre pintes. Leur manière de les préparer est de les percer à l’extrémité, pour y faire entrer de l’eau chaude qui amollit et dissout la chair intérieure. Ils la tirent ensuite avec un petit bâton, et, mêlant du sable avec leur eau, ils continuent de rincer et de nettoyer le dedans jusqu’à ce que les moindres fibres en soient sorties. Après cette opération, ils laissent sécher la calebasse, qui devient propre alors à contenir du vin et d’autres sortes de liqueurs, sans leur communiquer aucun mauvais goût. Pour couper une calebasse en deux, et s’en faire des bassins ou des plats, ils la serrent par le milieu avec une corde, immédiatement après l’avoir cueillie. La coque est alors si molle, qu’elle se divise aisément.

Le tamarinier croît dans toutes les parties occidentales de l’Afrique. Ceux qui se trouvent au sud du Sénégal sont d’une hauteur extraordinaire ; mais communément cet arbre n’est pas plus haut que le noyer, quoiqu’il soit beaucoup plus touffu. C’est la chair et la graine séparées de la peau extérieure de son fruit, et broyées en consistance, qu’on transporte en Europe, et qui sont employées dans la médecine. En Afrique, les Nègres en font une liqueur avec de l’eau, du sucre et du miel. Ils en composent aussi des confections qu’ils conservent pour apaiser leur soif.

Le kahouer est une espèce de prunier qui ressemble beaucoup au cerisier. L’ape, ou l’arbre aux singes, est assez grand. Il croît sur le bord des rivières : c’est sur ses branches que le koubolos, ou martin-pêcheur, fait son nid. Le bischalo est un bois dur et bon pour la charpente. Il croît sur les rives de la Gambie. Son tronc est droit, et son feuillage donne beaucoup d’ombre. C’est sous ces arbres que les Nègres prennent le plaisir de la conversation et de la danse. Près du lac de Cayor il croît une multitude d’ébéniers qui donnent de l’ébène de la plus belle espèce. On en trouve aussi à Donaï et dans d’autres cantons du Sénégal.

Les environs de Fatatenda produisent le pao de sangre, d’où l’on tire le sang-de-dragon. Les habitans l’appellent komo. Il a si peu de hauteur et de grosseur, qu’on en trouve peu d’où l’on puisse tirer une planche de quatorze ou quinze pouces de largeur. Il rend une odeur agréable lorsqu’il est nouvellement coupé. Son bois est dur, d’un beau grain, et prend un fort beau poli. On en fait des écritoires et des ouvrages de marqueterie dont la vermine n’approche jamais. Les habitans s’en servent pour composer leur balafo, instrument de musique dont on a donné la description. Cet arbre aime un terroir sec, pierreux, et surtout le sommet des montagnes.

Les bords de la Gambie et les cantons voisins produisent une abondance extraordinaire de courbarils, arbre gros et touffu, qui sert en Amérique à plusieurs usages, mais fort négligé par les Nègres. Chaque fruit a trois ou quatre noyaux de la grosseur et de la forme d’une amande commune, durs et d’un rouge foncé, remplis d’une noix dont le goût est à peu près le même que celui de la noisette, mais un peu plus aigre. Les enfans nègres les aiment passionnément, et les Européens leur trouvent beaucoup de ressemblance avec le goût du pain d’épice, auquel ils ressemblent aussi par la couleur. De l’écorce de l’arbre on fait des tabatières, des boîtes à poudre, etc. Le tronc jette une gomme claire et transparente qui ne se dissout point aisément, et qui jette au feu une odeur aromatique peu différente de l’encens. Les Anglais nomme cet arbre locust tree.

Le fromager ou polou croît dans plusieurs cantons, particulièrement sur la rivière de Cachao et dans les îles de Bissaoots, où les habitans le plantent autour de leurs maisons. C’est un arbre fort haut et fort gros. Quand ses feuilles tombent, on voit succéder une cosse verte de la forme et de la grosseur d’un œuf de poule, mais un peu plus pointue par les deux bouts. Elle contient un duvet ou une sorte de coton qui n’est pas plus tôt mûre qu’elle crève avec quelque bruit ; et le coton serait emporté aussitôt par le moindre vent, s’il n’était recueilli avec beaucoup de soin. Il est couleur de perle, extrêmement fin, doux et luisant, plus court que le coton commun, mais aisé à filer, et très-propre à faire de fort beaux bas.

Le savonnier est de la grosseur d’un noyer, et ressemble à l’arbre qui porte le même nom en Amérique ; aussi est-il de la même espèce. Les Nègres écrasent le fruit entre deux pierres pour en tirer le noyau, et font usage de la chair pour en laver leur linge. Elle mousse et nettoie fort bien ; mais elle use le linge beaucoup plus vite que le savon. Le mischéry n’a guère plus de vingt pieds de hauteur ; son tronc est fort gros. On estime d’autant plus les planches de ce bois, que les vers ne s’y mettent jamais. Le mischéry est fort commun sur les bords du Rio-Grande.

Le figuier sauvage de l’Afrique est de vingt ou vingt-deux pieds de hauteur : ses branches s’étendent au loin, et produisent beaucoup de feuilles. On en voyait un à Albreda, sur la Gambie qui n’avait pas moins de trente pieds de circonférence. Le fruit en est insipide. Le bois de cet arbre n’est pas propre à brûler, ni même à faire des planches, parce qu’il est fort dur ; mais, comme il est fort blanc et fort uni, on ne laisse pas de l’employer pour les lambris. Par la même raison, Les Nègres en font des plats, des écuelles, des assiettes et des cuillères ; d’autant plus que, lorsqu’on le travaille vert, il n’est pas sujet à se fendre. Les habitans prennent plaisir à s’assembler sous son feuillage, pour y tenir leurs caldées ou leurs assemblées.

Toute la côte produit des orangers et des citronniers. À James-Fort, sur la Gambie, les Anglais en recueillent soigneusement le fruit, et n’en manquent jamais pour leur punch. Les orangers prospèrent surtout dans l’île de Bissao. Brue en vit un dans la cour du palais du roi, d’une si prodigieuse grandeur, qu’il couvrait la cour toute entière. Les citronniers des bords du Casa-Mansa portent un fruit d’une espèce singulière, rond, plein de jus, l’écorce de l’épaisseur du parchemin, et communément sans aucune sorte de pepins.

Sur le bord des rivières, on trouve un arbuste qui a la feuille rude, et qu’on ne peut toucher sans que toute la touffe des feuilles ne se retire et ne se resserre par une espèce de sympathie : il porte une sorte de fleur jaune, semblable à nos roses de haies. Cet arbuste est nommé sensitive par les Européens.

Le quamiay est un arbre grand et touffu, dont le bois est fort dur. Les Nègres des environs du cap Vert en font des mortiers pour piler le riz et le maïs, parce qu’il n’est pas sujet à se fendre. L’écorce est employée dans la médecine.

L’encens se trouve dans les pays au sud d’Arguin et au nord du Sénégal ; ses branches, qui sont en grand nombre, sont menues et flexibles, couvertes d’une peau mince et serrée. Les feuilles sont longues et étroites ; elles croissent en couple, et ne perdent jamais leur verdure. La tige qui le soutient est rouge et forte. Elles sont molles et épaisses ; si on les broie dans la main, elles rendent un suc huileux, d’une odeur aromatique et d’un effet astringent.

Dans le pays du cap Vert, on voit communément un petit arbrisseau qui porte un fruit semblable à l’abricot, de la grosseur de la noix et d’un goût fort agréable. Les Nègres l’appellent mandananza ; il passe pour malsain. Ses feuilles ressemblent à celles de l’if, et sont d’un vert léger.

Barbot nomme quantité d’arbres qui se trouvent aux environs de Sierra-Leone. Le bissy est ordinairement haut de dix-huit ou vingt pieds. Son écorce est d’un rouge brunâtre et sert à la teinture de la laine. Les Nègres l’emploient aussi à faire des canots. Le katy est un grand arbre dont le bois est fort dur, et sert à faire des canots qui sont à l’épreuve des vers. Ses feuilles et son écorce sont médicinales. Le billagoh, plus grand encore que le katy, communique aussi a ses feuilles une vertu purgative. Le bossy est un arbre doux au tact, qui porte une prune longue et jaune, d’un goût fort amer, mais très-saine. Les Nègres emploient l’écorce à faire des cendres pour leurs lessives. Le bonde est un arbre gros et touffu, de sept ou huit brasse de tour. L’écorce en est épineuse et le bois fort doux. On s’en sert pour la construction des canots ; et de sa cendre, mêlée avec de l’huile de palmier, on fait du savon. Le millé est gros et coriace ; c’est le bois que les Nègres emploient pour leurs conjurations. Le dombock produit un fruit qui ressemble aux cormes, et dont les Nègres mangent beaucoup. L’écorce, trempée dans de l’eau, cause le vomissement. Le bois est rouge et sert à la construction des pirogues. Le kolack est un grand arbre qui porte une espèce de prune fort bonne à manger. L’écorce en est purgative. Le duy est fort touffu. Son fruit ressemble à la pomme, et plaît beaucoup aux Nègres. Ils s’en servent en infusion comme d’un cordial et d’un restaurant.

L’écorce du naukony, lorsqu’elle est coupée, a le goût du poivre. Le dongah est commun au long des côtes, et produit un fruit qui ressemble à nos glands. Le djaadjah se trouve en abondance dans tous les endroits marécageux, aux bords des lacs et sur les rivières. Les Hollandais lui ont donné le nom de mangelaer, et les Français celui de manglier et de palétuvier. Il n’est pas moins commun dans les cantons marécageux de l’Amérique ; et l’on s’y fait un amusement de monter sur les branches, qui s’étendent sur l’eau, pour y prendre les huîtres qui s’y attachent en grand nombre. Ces mêmes branches se courbent vers la terre ou vers l’eau, y prennent facilement racine, et se mêlent avec si peu d’ordre, qu’il devient impossible de distinguer le véritable tronc. Un même arbre s’étend ainsi fort loin sur les bords d’une rivière ou sur le rivage de la mer. Tous les voyageurs conviennent que c’est un passe-temps fort agréable de manger des huîtres au lieu même où elles se prennent. Les branches inférieures servent à s’avancer sur la surface de l’eau ; celles du milieu offrent des siéges pour s’y reposer, et celles d’en haut donnent de l’ombre : ordinairement les huîtres tiennent si fort aux branches basses, que, sans une hache ou quelque autre instrument de fer, il est impossible de les arracher. Elles sont plates, grandes comme la main, et d’un goût assez amer ; mais on les trouve bonnes dans le pays parce qu’il n’y en a pas de meilleures.

Nous avons déjà parlé du bananier ; il abonde dans le pays qui est entre Gorée et le Sénégal. On se sert des feuilles pour couvrir les maisons.

Lorsque le rejeton commence à sortir de la terre, il a l’apparence de deux feuilles roulées ensemble, qui, venant à s’ouvrir, donnent passage à deux autres, et celle-ci aux suivantes, jusqu’à ce que l’arbre ou la plante ait atteint l’âge de neuf mois ; alors elle pousse de son centre une tige d’un pouce et demi de diamètre, et longue de trois ou quatre pieds. Les bourgeons dont elle est chargée sont remplacés par des fruits qui s’inclinent vers la terre par leur propre poids. Il sont mûrs quatre mois après que les bourgeons ont commencé à se faire voir, et continuent depuis trente jusqu’à cinquante ou soixante bananes, suivant la bonté de la plante et du terroir ; ces pelotons sont assez lourds. Comme ils croissent en cercle autour de la tige, et que leur nombre est ordinairement de cinq, les Nègres les appellent dans leur langue une pate de bananes.

Chaque banane peut avoir un pouce et demi de diamètre sur dix ou douze pouces de longueur. La chair ressemble parfaitement à du beurre. Le goût de la banane est un mélange de celui du coin et de la poire de bon-chrétien : elle est saine et nourrissante.

Lorsque le fruit est cueilli, on coupe aussitôt la plante, pour ne laisser que la racine, qui, dans l’espace d’un mois, produit un nouvel individu et de nouveaux fruits ; de sorte que le bananier porte du fruit chaque mois de l’année. On trouve l’ananas en abondance près du Sénégal et sur toute la côte, jusqu’au sud du Congo.

Les melons d’eau, que les Français appellent pastèques, sont fort communs dans les mêmes parties de l’Afrique. Nous en avons déjà parlé. La chair est d’un rouge luisant, et le jus fort doux et fort rafraîchissant. On reconnaît le temps de leur maturité en les touchant avec une petite baguette, qui les fait retentir comme un arbre creux.

L’igname est une plante qui ressemble à la betterave, et qui demande un terrain gras et profond. La racine en est grosse, rude, inégale et pleine de petits cordons. Au dehors, sa couleur est un violet foncé. Le dedans a la consistance d’une betterave, et, soit cuit ou cru, il est d’un blanc sale tirant sur la couleur de chair. L’igname est fade avant d’être bouilli ; mais le feu lui donne du goût, le rend nourrissant et facile à digérer ; il peut servir de pain, si on le mange avec de la chair.

Le manioc croît fort abondamment en Guinée. Mais, comme c’est une production particulière de l’Amérique, nous en remettrons la description à l’endroit de notre abrégé qui regarde cette partie du monde.

On distingue ici trois sortes de patates, les rouges, les blanches et les jaunes : elles s’entretiennent par les rejetons. Les unes mûrissent dans l’espace de six semaines ; d’autres, qui passent pour les meilleures, ont besoin de quatre mois. Ce légume est bon, sain et nourrissant. La couleur de la chair est la même que celle de la peau, c’est à-dire rouge, blanche ou jaune : le goût est délicieux.

Au commencement de la saison des pluies, le pourpier croît naturellement ; et, sur les bords de la Gambie, il est non-seulement fort bon, mais tout-à-fait semblable au nôtre. On trouve aussi une herbe nommée calalou , qui ressemble à l’épinard, et qui sert aux mêmes usages. Le pays produit une variété infinie d’autres bonnes herbes ; mais les Nègres ont peu de goût pour les salades, et s’étonnent de voir manger de l’herbe aux Européens comme aux chevaux et aux vaches ; ils n’ont pas plus d’inclination ni de curiosité pour les fleurs.

Dans le pays des Foulas, le grand millet se sème à la fin d’octobre, et se recueille aux mois de mars et d’avril. Dans le royaume d’Oualo, le temps de semer est la fin de décembre, et celui de la moisson est aux mois de mai et de juin.

À l’égard du petit millet, ou mil, ou blé de Guinée, on en distingue six sortes. Il se sème partout après les premières pluies, c’est-à-dire, au mois de juin, pour être cueilli aux mois de novembre et de décembre. On sème tous ces grains à la main, comme nous semons le froment et l’orge : il croît à la hauteur de neuf ou dix pieds, sur un petit tuyau. Le grain est au sommet, dans une assez grande touffe.

Les Nègres font leur moisson avec des instrumens de fer, assez semblables à nos serpes ; et, après avoir laissé sécher pendant un mois le millet dans l’épi, ils le renferment dans des huttes bâties pour cet usage dans des lieux secs : il se conserve ainsi des années entières. Ils le battent dans un mortier avec un pilon, pour séparer les grains, puis le broient dans autre mortier, et le passent dans un crible pour séparer le son.

Le couscous, qui est l’aliment le plus commun des Nègres, est une composition de farine de millet. Après en avoir fait une pâte, ils la mettent sur le feu dans un pot de terre ou de bois, percé d’un grand nombre de trous comme nos passoires ; et l’arrosant d’eau bouillante, ils la remuent continuellement pour l’empêcher de s’épaissir. À force de mouvement, elle se divise en petites boules sèches et dures, qui se gardent long-temps, lorsqu’on prend soin de les garantir de l’humidité. Pour en faire usage, on les arrose d’eau chaude, ce qui les fait enfler comme le riz. Cette nourriture est saine, du moins s’il en faut juger par les Nègres, qui sont ordinairement gras et pleins de santé. Le grand et le petit mil sont connus des naturalistes sous le nom de houlque sorgho et de houlque à épi.

Le sanglet est la simple farine du mais. C’est l’aliment le plus commun des pauvres habitants. Le maïs se plaît dans les terrains frais, et même marécageux. Il se cultive comme le millet, et se vend en épis ou en grains.

Le riz croît fort abondamment sur les bords et dans les îles du Sénégal, sur la Gambie et dans les autres parties de la côte, surtout dans les lieux qui sont sujets aux inondations des rivières. Le commerce du riz est considérable sur les côtes voisines de Cachao, et au sud de Bissao.

On sème le riz dans les terres basses. Il croît de la hauteur du froment. Du sommet de la tige il pousse d’autres petit tuyaux qui soutiennent les épis. Sa multiplication est si extraordinaire, qu’un boisseau en produit souvent jusqu’à quatre-vingts. Cependant la paresse des Nègres les met quelquefois dans le cas d’en manquer.

Il n’y a point de champs ni de bois qui ne soient ornés d’une grande variété de fleurs sauvages, tout-à-fait différentes de celles de l’Europe, mais d’une beauté fort médiocre. On en distingue une qui ressemble, pour la figure, à la belle de nuit. Elle est du plus beau cramoisi du monde ; mais les Nègres n’ont aucun goût pour les fleurs. Ils ont une sorte de lis qu’ils appellent bounning, d’un goût fort âcre, dont les Anglais se servent dans leurs sauces.

Cette vaste partie du continent de l’Afrique, qui est depuis le cap Blanc jusqu’à Sierra-Leone, contient des animaux de toutes les espèces, surtout une infinité de bêtes de proie, qui vivent en sûreté dans cette retraite. Donnons le premier rang au lion, puisqu’il l’a toujours obtenu.

Il semble que l’Afrique soit le pays naturel de cette noble créature, non-seulement parce qu’il n’y a point de régions connues où les lions soient en si grand nombre, mais encore parce qu’ils y sont d’une taille et d’une fierté terribles. Cependant on remarque que ceux du mont Atlas n’approchent point de ceux du Sénégal et de la Gambie pour la hardiesse et la grosseur.

Quelques naturalistes ont observé que la face du lion a quelque ressemblance avec le visage humain. Il a la tête grosse et charnue, couverte de longues boucles d’un crin fort rude. Son front est carré et comme sillonné par de profondes rides, surtout lorsqu’il est en fureur. Ses yeux sont vifs et perçans, ombragés d’épais sourcils qu’il fait mouvoir d’une manière effrayante. Il a le nez long, large et ouvert, la mâchoire épaisse et garnie de muscles, de tendons et de nerfs d’une force singulière. Il a, de chaque côté, quatorze dents, quatre incisives, quatre de l’œil, et six molaires. Sa langue est fort grosse, rude et couverte de plusieurs pointes aussi dures que de la corne, longues de trois ou quatre lignes et tournées vers le gosier. Cette étrange superficie de sa langue rend ses lèchemens si dangereux, qu’ils écorchent aussitôt la peau ; et pour peu qu’il sente le sang, il ne pense plus qu’à dévorer. Le domestique d’un Français ayant souffert qu’un lion privé, qui couchait dans la chambre de son maître, prît l’habitude de le caresser et de le lécher, fut averti souvent du danger où il s’exposait. Mais, se fiant à la douceur et à la familiarité de cet animal, il négligea les avertissemens. Son maître, réveillé par quelque bruit, jeta les yeux dans sa chambre, et ne fut pas peu effrayé de voir la tête de son valet entre les griffes du lion qui avait déjà dévoré le corps. Il se leva aussitôt, et, gagnant son cabinet, il appela au secours quelques autres Français, qui tuèrent le monstre à coups de fusil.

Quoique le cou du lion soit d’une bonne longueur, il est d’une raideur étonnante. Aristote s’est trompé lorsqu’il l’a cru composé à un seul os ; il consiste en plusieurs vertèbres mobiles, qui ne laissent pas d’être parfaitement jointes. Celui du mâle est couvert d’une longue et rude crinière, qui se dresse lorsqu’il est en furie. La femelle est sans crinière, mais on la croit plus féroce encore et plus terrible que le mâle.

Le lion a les jambes courtes, osseuses et fort souples. Sa marche est lente et majestueuse, excepté lorsqu’il poursuit sa proie, car il court alors avec une vitesse extraordinaire. Il a les pieds gros et larges. Ceux de devant sont divisés en cinq griffes bien articulées. Ceux de derrière en quatre, toutes armées d’ongles forts et pointus. Sa queue est longue, vigoureuse, couverte d’un poil rude et court jusqu’à l’extrémité, qui est frisée et qui se termine en touffe.

On sait quelle est la fierté et la hardiesse de cet animal formidable. Son intrépidité est telle, que, soit hommes ou bêtes, il ne paraît jamais effrayé du nombre de ses ennemis. S’il ne pense point à l’attaque, il passe dédaigneusement, et continue sa marche avec lenteur. Si la faim le presse, il se jette indifféremment sur tout ce qui se présente, et la résistance ne fait qu’augmenter sa rage. Aussi est-il fort dangereux de le blesser sans l’abattre. Quelque inégal que puisse être le combat, il ne tourne jamais le dos. S’il est forcé de se retirer, il recule lentement, jusqu’à ce qu’il ait gagné quelque retraite assurée.

Un gentilhomme florentin avait une mule si vicieuse, que non-seulement elle rendait peu de services, mais que, se révoltant contre les valets et les palefreniers, elle maltraitait des dents et des pieds tous ceux qui s’approchaient. Son maître, après avoir employé inutilement toutes sortes de moyens pour la dompter, résolut de l’exposer aux bêtes féroces de la ménagerie du grand-duc. On lâcha un lion dont le rugissement aurait d’abord effrayé tout autre animal ; mais la mule, sans paraître alarmée, se retira prudemment dans un coin de la cour, où elle ne pouvait être attaquée que par derrière, c’est-à-dire du côté de sa principale force : dans cette situation, elle attendit son ennemi, l’observant du coin de l’œil, et lui présentant la croupière. Le lion, qui parut sentir la difficulté de l’attaque, employa toute son adresse pour prendre ses avantages. Enfin la mule trouva le moment de lui lancer une si furieuse ruade, qu’elle lui brisa neuf ou dix dents dont on vit sauter les fragmens en l’air. Le roi des animaux s’aperçut qu’il n’était plus en état de combattre ; il ne pensa qu’à se retirer en arrière jusque dans sa loge, en laissant la mule maîtresse du champ de bataille.

La proie ordinaire du lion est une multitude de petits animaux, excepté lorsque étant pressé par la faim, il n’épargne rien. Il ne faut pas croire ce que dit Paul Lucas, et Labat après lui, que les lions respectent les femmes et prennent la fuite à leur vue. Paul Lucas raconte que, près de Tunis, il a vu les femmes du pays, sans autres armes que des bâtons et des pierres, poursuivre des lions pour leur faire quitter leur proie, et ces fiers animaux l’abandonner plutôt que de se défendre : c’est une chimère. L’empire des femmes ne s’étend pas sur les monstres.

Le lion supporte long-temps la soif. On prétend qu’il ne boit qu’une fois en trois ou quatre jours, mais qu’il boit beaucoup lorsque en trouve l’occasion. C’est une erreur vulgaire que de le croire épouvanté du chant des coqs. On a vérifié au contraire qu’il fait peu d’attention à la volaille ; mais il n’est pas moins vrai qu’il redoute les serpens. La ressource des Maures, lorsqu’ils sont poursuivis par un lion, est de prendre leur turban de le remuer devant eux dans la forme d’un serpent. Cette vue suffit pour obliger l’ennemi à précipiter sa retraite. Comme il arrive souvent aux mêmes peuples de rencontrer des lions dans leurs chasses, il est fort remarquable que leurs chevaux, quoique célèbres par leur vitesse, sont saisis d’une terreur si vive, qu’ils deviennent immobiles, et que les chiens, non moins timides, se tiennent rampans aux pieds de leur maître ou de son cheval. Le seul expédient pour les Maures est de descendre et d’abandonner une proie qu’ils ne peuvent défendre ; mais, si le ravisseur est trop près, et qu’on n’ait pas le temps d’allumer du feu, seul moyen de l’effrayer, il ne reste qu’à se coucher par terre dans un profond silence. Le lion, lorsqu’il n’est pas tourmenté par la faim, passe gravement, comme s’il était satisfait du respect qu’on a pour sa présence.

Le lion est d’une taille assez haute, souple et bien prise. Ceux d’Afrique ne sont pas moins gros qu’un cheval barbe. Quoique la lionne n’ait que deux mamelles, elle porte souvent quatre lionceaux, et quelquefois davantage On assure, qu’ils naissent les yeux ouverts. Lorsque les Maures en trouvent dans quelque antre, ils ne manquent jamais de les porter aux Européens, qui s’empressent ordinairement de les acheter. Si la lionne revient assez tôt pour courir après les ravisseurs, ils lui jettent un de ses petits ; et tandis qu’elle le porte à sa caverne, ils ne perdent pas un moment pour s’échapper avec les autres.

Nos histoires, ainsi que celles des anciens, offrent quantité d’exemples de la générosité et de la clémence du lion. Labat en rapporte deux qu’il avait appris de plusieurs témoins. Le père Joseph Colombet, religieux jacobin, étant dans l’esclavage à Méquinez , résolut, avec un de ses compagnons, de se mettre en liberté par la fuite. Comme ils connaissaient assez le pays, ils espéraient de pouvoir se rendre à Larache, place qui appartient aux Portugais sur cette côte. Ils trouvèrent le moyen de s’échapper, et, ne marchant que la nuit, ils se reposaient pendant le jour dans les bois, où ils se couvraient de feuilles de ronces pour se défendre de l’ardeur du soleil. Après deux jours de marche, ils arrivèrent près d’un étang, seule eau qu’ils eussent rencontrée depuis leur départ ; et le premier objet qui frappa leur vue fut un lion qui était fort près d’eux, et qui paraissait garder le bord de l’eau. Un moment de conseil sur un danger si pressant leur fit prendre le parti de se mettre à genoux devant ce terrible voisin, et d’une voix touchante ils lui firent le récit de leur infortune. Le lion parut touché de leur humiliation : il s’éloigna volontairement à quelque distance, et leur laissa la liberté de boire. Le plus hardi ne balança point à s’approcher de l’étang, où il remplit son flacon tandis que l’autre continuait ses prières. Ils passèrent ensuite à la vue du lion, sans qu’il fît le moindre mouvement pour leur nuire ; et, le jour d’après, ils arrivèrent heureusement à Larache.

La seconde aventure s’était passée à Florence. Un lion du grand-duc, étant sorti de la ménagerie, entra dans la ville, et y répandit beaucoup d’épouvante. Entre les fugitifs il se trouva une femme qui portait son enfant dans ses bras, et qui, dans l’excès de sa crainte, le laissa tomber. Le lion s’en saisit et paraissait prêt à le dévorer, lorsque la mère, transportée du plus tendre mouvement de la nature, retourna sur ses pas au mépris du danger, se jeta aux pieds du lion, et lui demanda son enfant. Il la regarda fixement : ses cris et ses pleurs semblèrent le toucher ; enfin il mit l’enfant à terre, et se retira sans lui avoir fait le moindre mal. Si ces deux histoires sont vraies, comme en effet elles sont possibles, le malheur et le désespoir ont donc une expression qui se fait entendre des monstres les plus farouches ! Mais ce qu’il y a sans doute de plus admirable, c’est ce mouvement aveugle et sublime qui précipite la mère sur les pas de l’animal féroce devant qui tout fuit, cet oubli de toute raison bien au-dessus de la raison même, et qui fait recourir cette femme désespérée à la pitié du monstre même qui ne respire que la mort et le carnage. C’est bien là l’instinct des grandes douleurs, qui semblent toujours se persuader qu’on ne peut pas être inflexible.

Les Français du fort Saint-Louis avaient une belle lionne qu’ils gardaient enchaînée pour l’envoyer en France. Cet animal fut atteint d’un mal à la mâchoire, qu’on prétend aussi dangereux pour son espèce que l’hydropisie de poitrine pour la race humaine. N’étant plus capable de manger, il fut bientôt réduit à l’extrémité, et les gens du fort, qui le crurent désespéré, lui ôtèrent sa chaîne et jetèrent son corps dans un champ voisin. Il était dans cet état, lorsque le sieur Compagnon, auteur du Voyage de Bambouk, l’aperçut à son retour de la chasse ; ses yeux étaient fermés, sa gueule ouverte et déjà remplie de fourmis. Compagnon prit pitié de ce pauvre animal, et, s’imaginant lui trouver quelque reste de vie, il lui lava le gosier avec de l’eau, et lui fit avaler un peu de lait. Un remède si simple eut des effets merveilleux. La lionne fut rapportée au fort. On en prit tant de soin, qu’elle se rétablit par degrés ; mais, n’oubliant pas à qui elle était redevable d’un si grand service, elle conçut tant d’affection pour son bienfaiteur, qu’elle ne voulait rien prendre que de sa main ; et lorsqu’elle fut tout-à-fait guérie, elle le suivait dans l’île avec un cordon au cou comme le chien le plus familier.

Tandis que le sieur Brue était directeur de la compagnie française au Sénégal, on apporta dans l’île de Saint-Louis un troupeau entier de chèvres qu’on avait acheté des Maures. Il y avait dans le fort un beau lion qu’on y nourrissait soigneusement depuis plusieurs années. La vue de ce terrible animal inspira tant de frayeur aux chèvres, qu’elles prirent toutes la fuite, à la réserve d’une seule, qui, le regardant avec audace, fit un pas en arrière, et s’avança vers lui les cornes baissées. Cette attaque fut répétée plusieurs fois. Le lion, pour éviter cet adversaire incommode, se mit comme un chien entre les jambes du directeur. Mais il pouvait y avoir dans ce mouvement plus de pitié que de crainte ; car comment une chèvre pourrait-elle effrayer un lion ?

On nomme quelques animaux qui ne craignent pas de mesurer leurs forces avec lui, tels que le tigre et le sanglier. L’éléphant, quoique redoutable par sa grosseur, devient souvent sa proie. En 1695, dans un marais rempli de roseaux, proche de Maroc, on trouva un lion et un sanglier expirans des blessures qu’ils avaient reçues l’un de l’autre dans le même lieu. Les roseaux étaient abattus aux environs et teints de leur sang.

L’attaque du lion paraît toujours délibérée. Il ne s’avance pas directement vers sa proie ; mais, faisant un circuit, et rampant même pour s’approcher, il s’élance ensuite lorsqu’il est à portée de fondre dessus d’un seul saut. Malgré cette férocité naturelle, les lions s’apprivoisent facilement dans leur jeunesse. Il s’en trouve d’aussi doux et d’aussi caressans que des chiens.

Les Maures emploient la peau des lions pour faire des couvertures de lits. En Europe, on s’en sert pour les garnitures de selles et les siéges de carrosses.

Quelques voyageurs assurent que le lion est ordinairement accompagné d’un autre animal qui va pour lui à la chasse, et qui lui rapporte sa proie. Il est du genre du chien. On le nomme aussi chakal. Il est très-commun entre le cap Boïador et Sierra-Leone, et en général dans toute l’Afrique.

On rencontre ces animaux en grand nombre dans les dunes qui ferment et bordent à l’orient le désert qu’on parcourt, en voyageant par terre, du Sénégal à Gorie. Le chakal est plus petit que le loup ; il en a la férocité. Rusé comme le renard, il a comme lui le museau effilé et pointu ; et, en chassant, il aboie comme un chien. Les chakals ne marchent qu’en troupes nombreuses pour attaquer les bœufs ; et une vingtaine se réunissent pour chasser les gazelles ou les antilopes. Les chakals mangent aussi les bêtes mortes. Leur poil est d’un roux sale. Ils courent fort vite.

Un autre animal que l’on a quelquefois confondu avec le chakal, est l’hyène. Il est d’une férocité qui ne le cède qu’à celle de la panthère ; il dévore tout ce qui se présente, hommes, animaux, surtout les vaches, les chevaux et les moutons. Au fort d’Akra, sur la côte d’Or, il vient pendant la nuit jusque sous les murs, y enlève des porcs, des brebis, et il pénètre quelquefois jusque dans l’étable. Pour détruire ces bêtes carnassières, on a trouvé le moyen de disposer plusieurs fusils bien chargés, de manière qu’une corde qui soutient une pièce de viande ne peut être ébranlée sans faire partir trois ou quatre coups qui mettent autant de balles dans la tête de l’animal. Ce piége manque rarement. En 1700, Bosman vit une hyène, qui avait été tuée dans le même lieu, et sa grosseur était celle d’un mouton ; mais elle avait les jambes plus longues et d’une épaisseur proportionnée. Son poil était court et marqueté, sa tête grosse et plate, avec des dents dont la moindre était plus grosse que le doigt ; ses griffes n’étaient pas moins terribles ; de sorte que toute sa force paraît consister dans ses griffes et ses dents.

Un de ces animaux étant entré pendant la nuit, près d’Akra, dans la cabane d’un Nègre, enleva une jeune fille qu’il chargea sur son dos, en se servant d’une pâte pour la tenir ferme dans cette situation, tandis qu’il marchait légèrement sur les trois autres ; mais les cris de sa proie ayant éveille quelques Nègres, elle fut délivrée par ceux qui se hâtèrent de la secourir. On ne lui trouva qu’une petite meurtrissure dans l’endroit où l’hyène l’avait serrée de sa pâte.

Les tigres, ou plutôt les panthères, sur cette côte d’Afrique, sont de la taille d’un grand lévrier. On prétend qu’elles sont beaucoup plus grandes dans l’Abyssinie. Leur peau forme un spectacle agréable pour la variété de ses taches et de ses couleurs. Le poil en est doux et luisant : elles ont la tête semblable à celle du chat, les yeux jaunes et féroces, le regard cruel et malin, les dents fort pointues, la langue aussi rude qu’une pierre, et les muscles fort longs. Tous leurs mouvemens sont vifs et agiles comme ceux du chat. Elles ont la queue longue, couverte d’un poil fort court, les jambes bien proportionnées, souples et fortes, et les pieds armés de griffes aiguës. Elles sont très-voraces, et dans leur faim elles attaquent avec adresse les animaux beaucoup plus gros qu’eux, tels que l’éléphant et le taureau. Les Nègres mangent sa chair et la trouvent bonne.

Brue, après avoir employé toutes sortes de moyens pour adoucir la férocité d’une panthère, qu’il avait fait élever an fort Saint-Louis, eut un jour la curiosité d’éprouver comment un porc serait capable de se défendre contre cet animal. Il en prit un des plus forts, et la panthère fut lâchée contre lui. Après une courte escarmouche, le porc se retira dans un angle des murs du fort, où son ennemi fut long-temps sans pouvoir prendre sur lui le moindre avantage ; enfin, se trouvant serré de plus près, il se mit à pousser des cris si furieux, que tout le troupeau de porcs qu’on avait pris soin d’éloigner, accourut à ce bruit, sans que rien fût capable de l’arrêter ; et tous ensemble ils fondirent si brusquement sur la panthère, qu’elle n’eut pas d’autre ressource, pour se mettre à couvert, que de sauter dans le fossé du fort, où les porcs n’osèrent la suivre.

On a remarqué que les panthères d’Afrique n’attaquent jamais les blancs, c’est-à-dire les Européens, quoiqu’elles dévorent fort avidement les Nègres. Elles sont plus cruelles et plus voraces que les lionnes. Lorsqu’elles sont pressées par la faim, elles entrent dans les villages, elles enlèvent le premier animal qu’elles rencontrent, à la vue même des habitans, qu’elles dévorent quelquefois eux-mêmes. Il est difficile de se procurer des panthères vivantes, parce que les Nègres les tuent avec des flèches empoisonnées, et que dans les piéges mêmes où ils trouvent quelquefois le moyen de les prendre, ils ne peuvent ou n’osent s’en saisir qu’après les avoir tuées à coups de flèches. Une panthère mortellement blessée ne laisse pas de fuir avec beaucoup de vitesse, et n’expire ordinairement que dans sa fuite.

Il se trouve sur la côte d’Or des panthères aussi grosses que des buffles. On en distingue de quatre ou cinq sortes, dont la différence consiste dans leur grandeur et la disposition de leurs taches. Le nombre de ces animaux est incroyable dans cette contrée. Lorsqu’ils trouvent assez de bêtes pour rassasier leur faim, ils n’attaquent point les hommes, sans quoi le pays de la côte d’Or serait bientôt sans habitans. Avec cette étrange férocité, on ne laisse pas de les apprivoiser dans leur jeunesse, et l’on en voit d’aussi familiers que les chiens et les chats de l’Europe. Bosman en vit six de cette espèce à Elertina ; mais il observe que tôt ou tard ils reviennent à leur férocité, et qu’il ne faut jamais s’y fier sans précaution.

Le chat tigre ou serval tire son nom de ses taches noires et blanches, qui lui donnent beaucoup de ressemblance avec le chat. Il est de la forme des chats d’Europe, mais trois ou quatre fois plus gros, et naturellement vorace. Il mange les rats, les souris, etc. ; et si l’on excepte la grosseur, il est fort peu différent de la panthère. M. le duc de Choiseul en avait un enchaîné dans une de ses antichambres.

Le léopard est agile et cruel. Cependant il n’attaque jamais les hommes, à moins qu’il ne se trouve dans quelque lieu si étroit, qu’il craigne de ne pouvoir s’échapper. Dans ces occasions, il se jette sur l’ennemi qu’il redoute, il lui déchire le visage avec ses griffes, et continue de lui arracher autant de chair qu’il en peut trouver, jusqu’à ce qu’il le voie mort et sans mouvement. Il porte aux chiens une haine mortelle, et s’expose à tout pour dévorer ceux qu’il rencontre.

Les loups ressemblent entièrement à ceux de France ; mais ils sont un peu plus gros et beaucoup plus cruels.

Il n’y a point de quadrupède connu qui puisse le disputer à l’éléphant pour la grosseur. On en trouve peu au nord du Sénégal ; mais les régions du sud en sont remplies. Sa tête est monstrueuse, ses oreilles longues, larges et épaisses ; ses yeux, quoique fort grands, paraissent d’une petitesse extrême dans cette masse d’énorme grosseur. Son nez est si épais et si long, qu’il touche à terre. On l’appelle proboscide ou trompe. Il est charnu, nerveux creusé en forme de tuyau, flexible, et d’une force si singulière, qu’il lui sert à briser ou à déraciner les petits arbres, à rompre les branches des plus gros, et à se frayer le passage dans les plus épaisses forêts. Il lui sert aussi à lever de terre sur son dos les plus lourds fardeaux. C’est par ce canal qu’il respire et qu’il reçoit les odeurs. Le nez de l’éléphant va toujours en diminuant depuis la tête jusqu’à l’extrémité, où il se termine par un cartilage mobile, avec deux ouvertures qu’il ferme à son gré. Sans ce présent de la nature, il mourrait de faim ; car il a le cou si épais et si raide, qu’il lui est impossible de le courber assez pour paître comme les autres animaux ; aussi périt-il bientôt lorsqu’il est privé de cet utile instrument par quelque blessure. Sa bouche est placée au-dessous de sa trompe, dans la plus basse partie de sa tête, et semble jointe à sa poitrine. Sa langue est d’une petitesse qui n’a point de proportion avec la masse du corps. Il n’a dans les deux mâchoires que quatre dents pour broyer sa nourriture ; mais la nature l’a fourni pour sa défense de deux autres dents qui sortent de la mâchoire supérieure, et qui sont longues de plusieurs pieds. Il se sert avec avantage de ces deux armes. Ce sont les dents qui s’achètent et qui sont mieux connues sous le nom d’ivoire ou de morfil. Leur grosseur est proportionnée à l’âge de l’animal. La partie qui touche la mâchoire est creuse ; le reste est solide et se termine en pointe. Comme les Européens paient ces dents assez cher, c’est un motif qui arme continuellement les Nègres contre l’éléphant. Ils s’attroupent quelquefois pour cette chasse avec leurs flèches et leurs zagaies ; mais leur méthode la plus commune est celle des fosses qu’ils creusent dans les bois, et qui leur réussissent d’autant mieux qu’on ne peut guère se tromper à la trace des éléphans.

La chair de ces animaux est un mets délicieux pour les Nègres, surtout lorsqu’elle commence à se corrompre. Un bon éléphant en fournit presque autant que quatre ou cinq bœufs. La mesure ordinaire de ceux d’Afrique est de neuf ou dix pieds de long sur onze ou douze de hauteur. On en distingue plusieurs sortes ; mais cette différence vient moins de leur forme que des lieux qu’ils habitent. Les éléphans qui se retirent dans les cantons déserts et montagneux sont plus farouches et plus adroits que les autres : ceux qui vivent dans les plaines sont moins intraitables, parce qu’ils sont accoutumés à la vue des hommes.Ceux du Sénégal ne s’éloignent guère des habitations et des terres cultivées, et seraient encore plus familiers, si les fréquentes attaques des Nègres ne les rendaient inquiets et défians. Cependant il n’arrive guère qu’ils insultent les hommes, s’ils ne sont insultés les premiers.

Quoique la grosseur des éléphans fasse juger qu’ils doivent être pesans dans leur marche et dans leur course, ils marchent et courent fort légèrement. Leur pas ordinaire égale celui de l’homme le plus agile. Leur course est beaucoup plus prompte ; mais il est rare de voir un éléphant courir. Avec un ventre pendant, un dos courbé, des jambes fort épaisses, et des pieds de douze ou quinze pouces de diamètre, ils ne peuvent aimer le mouvement. Leurs pieds sont couverts d’une peau dure et épaisse, qui s’étend jusqu’à l’extrémité de leurs ongles. L’éléphant d’Afrique est presque noir comme ceux de l’Asie. Sa peau est dure et ridée ; avec quelques poils longs et raides, qui sont répandus par intervalle et sans aucune continuité ; sa queue est longue et semblable à celle du taureau, mais nue, à l’exception de quelques poils qui se rassemblent à l’extrémité, et qui lui servent à se délivrer des mouches. Sa peau est en beaucoup d’endroits à l’épreuve de la balle. On s’est persuadé faussement qu’il n’a point de jointures aux pieds, et qu’il lui est impossible par conséquent de se lever et de se coucher. Cette erreur vulgaire est détruite par le témoignage de tous les voyageurs ; mais il a un défaut moins connu, qui est de se tourner difficilement de la droite à la gauche. Les Nègres, qui l’ont reconnu par des expériences fréquentes, en tirent beaucoup d’avantage pour l’attaquer en plein champ.

Plusieurs naturalistes assurent que les femelles de ces animaux portent leurs petits dix-huit mois, d’autres trente-six ; mais rien n’est plus incertain ; et l’on ne peut espérer d’en être aisément informé, parce que les éléphans privés ne produisent point. D’autres assurent aussi que les éléphans voient et marchent aussitôt qu’ils sont nés, et que les femelles les nourrissent de leur lait pendant sept à huit ans ; simples conjectures, qui n’ont aucune autorité pour fondement.

L’éléphant a peu d’embarras pour sa nourriture ; il se nourrit d’herbe comme les taureaux et les vaches. Si l’herbe lui manque, il mange des feuilles et des branches d’arbres, des roseaux, des joncs, toutes sortes de fruits, de grains et de légumes. Dans une faim pressante, il mange quelquefois de la terre et des pierres ; mais on a remarqué que cette nourriture lui cause bientôt la mort. D’ailleurs il souffre patiemment la faim, et l’on assure qu’il peut passer huit, ou dix jours sans aucun aliment. Cependant il mange beaucoup lorsqu’il est dans l’abondance, témoin les dommages qu’il cause aux plantations des Nègres. Un seul de ces animaux consomme dans un jour ce qui suffirait pour nourrir trente hommes pendant une semaine, sans compter les ravages qu’il fait avec ses pieds ; aussi les Nègres n’épargnent-ils rien pour les éloigner de leurs champs : ils y font la garde pendant le jour ; ils y allument des feux pendant la nuit. Le tabac enivre quelquefois les éléphans, et leur fait faire des mouvemens fort comiques ; quelquefois leur ivresse va jusqu’à tomber endormis. Les Nègres ne manquent point ces occasions de les tuer, et se vengent sur leurs cadavres de tous les maux qu’ils en ont reçus. Les éléphans boivent de l’eau ; mais ils ne manquent jamais de la troubler avec les pieds comme le chameau.

Ils ont quantité d’ennemis qui les exposent à des combats fréquens, et dont ils deviennent fort souvent la proie ; ce sont les lions, les panthères et les serpens, sans compter les Nègres. Le plus redoutable est la panthère ; elle saisit l’éléphant par la trompe et la déchire en pièce.

Les éléphans s’attroupent ordinairement au nombre de cinquante ou soixante. On en rencontre souvent des troupeaux dans les bois ; mais ils ne nuisent à personne lorsqu’ils ne sont point attaqués.

Ils sont en si grand nombre au long de la Gambie, qu’on aperçoit de tous côtés leurs traces. Les roseaux et les bruyères où ils aiment à se retirer laissent voir ordinairement la moitié de leurs corps à découvert. Les deux dents qui nous donnent l’ivoire sortent de la mâchoire d’en haut, quoique les peintres nous les représentent dans la situation opposée. C’est avec ces puissantes armes que les éléphans arrachent les arbres ; mais il arrive aussi quelquefois qu’elles se brisent ; de là vient qu’on trouve si souvent des fragmens d’ivoire dispersés dans les terres. On prétend qu’ils sont si légers à la course, qu’un éléphant blessé de trois coups de fusil, et qu’on trouva mort le jour d’après dans les bois, ne laissa pas de surpasser la vitesse des chevaux.

Il ne faut jamais attaquer l’éléphant dans un lieu où il a la liberté de se tourner ; sa trompe est terrible ; et l’ennemi qu’il saisit dans sa fureur ne peut éviter d’être écrasé. La femelle ne porte qu’un petit à la fois, et le nourrit avec de l’herbe et des feuilles. Les éléphans entrent souvent dans les villages pendant la nuit ; s’ils rencontrent quelques Nègres, ils ne passent pas moins tranquillement ; mais quand le hasard les fait heurter contre les cabanes, ils les renversent sans peine.

Il est très-difficile de les blesser mortellement, à moins qu’ils ne soient frappés entre les yeux et les oreilles ; encore la balle doit-elle être de fer ; car la peau de l’éléphant résiste au plomb comme un mur, et contre l’endroit même que le fer perce, une balle de plomb tombe entièrement aplatie.

Les Nègres assurent que jamais l’éléphant n’insulte les passans dans un bois, mais que, s’il est tiré et manqué, il devient furieux.

Au mois de décembre 1700, à six heures du matin, un éléphant s’approcha de la Mina, sur la côte d’Or, marchant à pas mesurés au long du rivage, sous le mont San-Iago. Quelques Nègres allèrent au-devant de lui sans armes pour le tromper par des apparences tranquilles. Il se laissa environner sans défiance, et continua de marcher au milieu d’eux. Un officier hollandais, qui s’était placé sur la pente du mont, le tira d’assez près, et le blessa au-dessus de l’œil. Cette insulte ne fit pas doubler le pas au fier animal. Il continua de marcher les oreilles levées, en paraissant faire seulement quelques menaces aux Nègres, qui continuaient de le suivre, mais entre les arbres qui bordaient la route. Il s’avança jusqu’au jardin hollandais et s’y arrêta. Le directeur général, accompagné d’un grand nombre de facteurs et de domestiques, se rendit au jardin, et le trouva au milieu des cocotiers, dont il avait déjà brisé neuf ou dix avec la même facilité qu’un homme aurait à renverser un enfant. On lui tira aussitôt plus de cent balles, qui le firent saigner comme un bœuf qu’on aurait égorgé. Cependant il demeura sur ses jambes sans s’émouvoir. La confiance qu’on prit à cette tranquillité coûta cher au Nègre du directeur. S’étant imaginé qu’il pouvait badiner avec un animal si doux, il s’approcha de lui par-derrière, et lui prit la queue ; mais l’éléphant punit sa hardiesse d’un coup de trompe, et, l’attirant à lui, il le foula deux ou trois fois sous ses pieds. Ensuite, comme s’il n’eût point été satisfait de cette vengeance, il lui fit dans le corps, avec ses dents, deux trous où le poing d’un homme aurait pu passer. Après lui avoir ôté la vie, il tourna la tête d’un autre côté, sans marquer d’attention pour le cadavre ; et deux autres Nègres s’étant avancés pour l’emporter, il les laissa faire tranquillement.

Il passa plus d’une heure dans le jardin, jetant les yeux sur les Hollandais qui étaient à couvert sous des arbres à quinze ou seize pas de lui. Enfin la crainte d’être forcés dans cette retraite leur fit prendre le parti de se retirer, heureux de n’être pas poursuivis hors du jardin par l’animal contre lequel ils n’auraient pu trouver la moindre ressource. Ils avaient à se reprocher de n’avoir point apporté d’autre poudre et d’autres balles que la charge de leurs fusils ; mais le hasard conduisit l’éléphant par une autre porte qu’il renversa dans son passage, quoiqu’elle fût de deux rangs de briques. Il ne sortit pas néanmoins par l’ouverture ; mais, forçant la haie du jardin, il gagna lentement la rivière pour laver le sang dont il était couvert, ou pour se rafraîchir. Ensuite retournant vers quelques arbres, il y brisa plusieurs tuyaux d’un aquéduc et quelques ; planches destinées à la construction d’une barque. Les Hollandais avaient eu le temps de se rassembler avec des munitions ; ils renouvelèrent leur charge, et le. firent tomber à force de coups. Sa trompe, qui fut coupée aussitôt, était si dure et si épaisse, qu’il fallut plus de soixante-dix coups pour la séparer du corps. Cette opération dut être fort douloureuse pour l’éléphant ; car, après avoir essuyé tant de balles sans pousser un seul cri, il se mit à rugir de toute sa force. On le laissa expirer sous un arbre où il s’était traîné avec beaucoup de peine ; ce qui confirme l’opinion établie parmi les Nègres, que les éléphans, à l’approche de leur mort, se retirent, s’ils le peuvent, sous un arbre ou dans un bois.

Aussitôt qu’il fut mort, les Nègres tombèrent en foule sur son cadavre, et coupèrent autant de chair qu’ils en purent emporter. On trouva que, d’un si grand nombre de coups, il en avait reçu peu de mortels. Quantité de balles étaient restées entre la peau et les os. On cite pourtant l’exemple d’un Anglais qui, tirant un éléphant de son canot sur le bord de la Gambie, le tua d’une seule balle de plomb ; mais cet exemple rare prouverait seulement qu’il y a dans l’éléphant, comme dans presque tous les animaux, tel endroit où la blessure est facilement mortelle. Dans ceux que la nature a le mieux cuirassés, on peut trouver le défaut des armes.

L’éléphant n’est pas moins admirable par sa docilité et son intelligence que par sa grosseur ; il vit l’espace de cent cinquante ans. Sa couleur s’embellit en vieillissant.

On raconte plusieurs preuves de l’esprit des éléphans ; Buffon en a réuni plusieurs exemples dans son Histoire naturelle, que l’on peut consulter.

Le buffle est un autre animal des mêmes contrées : il est plus gros que le bœuf ; son poil est noir, court et fort rude, mais si clair, qu’on découvre aisément la peau. Elle est brune et poreuse. La tête du buffle est petite à proportion du corps, maigre et pendante. Ses cornes sont longues, noires, courbées, avec la pointe ordinairement tournée en dedans ; il est dangereux, surtout dans sa colère, et lorsqu’il est irrité par quelque insulte. Comme sa course est fort prompte, s’il atteint la personne qu’il poursuit, il la foule aux pieds, il l’écrase jusqu’à ce qu’il ne lui trouve plus de respiration. Plusieurs Nègres ont échappé à sa fureur en se contraignant long-temps pour retenir leur haleine. Il a les yeux grands et le regard terrible, les jambes courtes, le pied ferme ; son mugissement est capable d’effrayer. Il mange peu et travaille beaucoup. On s’en sert en Italie pour labourer la terre et pour tirer les voitures. Son tempérament est si chaud, qu’au milieu de l’hiver il cherche l’eau et s’y plaît beaucoup. Sa chair est coriace et peu estimée, ce qui n’empêche pas qu’elle ne se vende dans les boucheries de Rome.

Dans plusieurs parties du continent, surtout dans les bois et les montagnes, on voit des vaches sauvages qui craignent beaucoup l’approche de l’homme. Elles sont ordinairement de couleur brune, avec de petites cornes noires et pointues ; elles multiplient prodigieusement, et le nombre en serait infini, si les Européens et les Nègres ne leur faisaient sans cesse la guerre.

Jobson nous apprend qu’outre les buffles, on trouve une quantité de sangliers sur la Gambie. Leur couleur est un bleu foncé. Ils sont armés de larges défenses, et fournis d’une longue queue touffue, qu’ils tiennent presque toujours levée. Les habitans parlent beaucoup de leur hardiesse et de leur férocité : ils les tuent pour prendre leur peau, qu’ils apportent aux comptoirs anglais. Jobson en vit une de quatorze pieds de longueur, brune et rayée de blanc.

On trouve sur le Sénégal et sur la Gambie de grands troupeaux de gazelles ou d’antilopes. Cet animal est de la taille d’un petit chevreuil ; il a le poil court et de couleur fauve, les fesses et le ventre blancs, la queue courte et noire ; ses cornes sont noires, aplaties sur les côtés, recourbées en lyre ; à un pouce de la pointe, elles se dirigent brusquement en devant ; ses jambes sont longues, fines et nerveuses ; celles de devant sont garnies de brosses ; ses yeux sont très-grands, entourés d’un cercle noir. Les gazelles sont farouches et timides ; le moindre bruit les met en fuite ; leur vitesse et leur légèreté sont sans égales. Leur chair et bonne à manger.

Les cerfs et les biches ne sont pas moins communs dans le même pays. Ils viennent en troupeaux fort nombreux des régions qui sont au nord du Sénégal, pour chercher des pâturages au sud de cette rivière. Les Nègres leur font payer ce secours bien cher. Ils attendent que l’herbe commence à sécher, ce qui arrive au mois de mars ou d’avril ; et, mettant le feu à ces espèces de forêts, ils contraignent tous ces animaux, dont elles sont remplies, de gagner le bord de la rivière pour se sauver à la nage. Là, d’autres Nègres les attendent en grand nombre, et ne manquent pas d’en faire une sanglante boucherie. Ils font sécher la chair après l’avoir salée, et vendent les peaux aux Européens.

Quelques voyageurs ont prétendu que dans le voisinage du cap Vert on trouve un animal que les habitans nomment bomba, et les Européens capiverd. C’est une erreur ; le capiverd ou cabiai est particulier à l’Amérique méridionale.

Les singes de différentes espèces sont innombrables dans les pays arrosés par le Sénégal et la Gambie, jusqu’à Sierra-Leone. Ils paraissent en troupes de trois ou quatre mille, rassemblés chacun dans leur espèce. On prétend qu’ils forment des républiques où la subordination est fort bien observée, et qu’ils voyagent en bon ordre sous des chefs. Ce sont ordinairement les mâles vigoureux, les individus les plus robustes qui sont à la tête de la troupe. On ajoute que les femelles portent leur petit sous le ventre, quand elle n’en ont qu’un ; mais que, si elles en ont deux, elles chargent le second sur le dos ; et que leur arrière-garde est toujours composée d’un certain nombre des plus gros. Il est certain qu’ils sont d’une hardiesse extrême. Jobson, voyageant sur la rivière, était surpris de leur témérité à se présenter, sur les arbres, à secouer les branches, et à menacer les Anglais avec des cris confus, comme s’ils eussent été fort offensés de les voir. Pendant la nuit, on entendait quantité de voix qui semblaient parler toutes ensemble, et qu’une voix plus forte, qui prenait le dessus, réduisait ensuite au silence. Jobson remarqua aussi, dans quelques endroits fréquentés par ces animaux, une sorte d’habitations composées, de branches entrelacées, qui pouvaient servir du moins à les garantir de l’ardeur du soleil. Les Nègres mangent fort avidement la chair des singes. Quelques-uns de ces singes aiment beaucoup à mordre et à déchirer. Aussi les Nègres du Sénégal, qui voient les Français rechercher ces animaux, leur apportent des rats en cage, en les assurant qu’ils sont plus méchans encore, et qu’ils mordent mieux que les singes.

On ne peut s’imaginer les ravages que ces pernicieux animaux causent dans les champs des Nègres, lorsque le millet, le riz et les autres grains sont dans leur maturité. Ils se joignent quarante ou cinquante pour entrer dans un lougan. Un des plus vieux se place en sentinelle au sommet de quelque arbre, tandis que les autres font la moisson ; s’il aperçoit quelque Nègre, il se met à pousser des cris furieux. Toute la troupe, avertie par ce signal, se retire avec son butin, en sautant de branche en branche avec une merveilleuse agilité. Les femelles chargées de leurs petits n’en sont pas moins légères. Les jeunes s’apprivoisent aisément. La plus sûre méthode pour les prendre, est de les blesser au visage, parce qu’y portant les mains dans le premier sentiment de la douleur, ils lâchent la branche qui les soutient, et tombent ordinairement au pied de l’arbre. On s’engagerait dans un détail infini, si l’on voulait décrire toutes les différentes espèces de singes qui se trouvent depuis Arguin jusqu’à Sierra-Leone. Leurs bandes vivent séparées dans les cantons qu’elles se sont appropriés. Ce sont en général des guenons, des macaques, des babouins. On y trouve principalement des patas, des blancs-nez, la diane, le mandrill, la guenon à camail, le caillitriche ou singe vert ; enfin on y voit même l’orang-outang chimpanzee, ou barris, ou quojas morrou. Ces espèces sont la plupart méchantes, indociles, malpropres. Plusieurs auteurs assurent que les plus grandes enlèvent les petites Négresses de huit à dix ans, en jouissent, leur donnent tous leurs soins, et en sont jaloux.

Il se trouve des porcs-épics et des civettes sur la Gambie, et ces espèces d’animaux font une guerre cruelle à la volaille. Les civettes sont en grand nombre entre le Sénégal et le mont Atlas, aussi-bien que dans le royaume de Quodia, au-dessus de Sierra-Leone. La civette a le museau pointu, de petits yeux, de petites oreilles, des moustaches comme celles du chat, une peau marquetée de blanc et noir, entremêlée de quelques raies jaunes ; une queue longue et touffue comme celle du renard. Elle est farouche, vorace et cruelle. Ses morsures sont fort dangereuses. On prend les civettes au piége et dans des trappes : on les garde dans des cages de bois, et pour nourriture on leur donne de la chair crue bien hachée.

Le prix de cet animal consiste dans une matière épaisse et huileuse qui se ramasse dans une petite bourse au-dessous du ventre près de la queue. Cette bourse est profonde d’environ trois doigts, et large de deux et demi ; elle contient plusieurs glandes qui renferment la matière odoriférante qu’on fait sortir en la pressant. Pour la tirer, on agite l’animal avec un bâton, jusqu’à ce qu’il se retire dans un coin de la cage. On lui saisit la queue, qu’on tire assez fort au travers des barreaux. L’animal se raidit en pressant la cage de ses deux pieds de derrière. On profite de cette posture pour lui passer au-dessous du ventre un bâton qui le rend immobile. Il est aisé alors de faire entrer une petite cuiller dans l’ouverture du sac, et, pressant un peu la membrane, on en fait sortir le musc qu’il contient.

Cette opération ne se renouvelle pas tous les jours, parce que la matière n’est pas assez abondante, surtout lorsque l’animal est renfermé. On y revient seulement une fois ou deux en trois jours, et l’on en tire chaque fois une dragme et demie de musc, ou deux dragmes au plus. Dans les premiers momens, il est d’un blanc grisâtre ; mais il prend bientôt une couleur plus brune. L’odeur en est douce et agréable à quelque distance, mais trop forte de près, et capable même de nuire à la tête ; aussi les parfumeurs sont-ils obligés de l’adoucir par des mélanges.

La plus grande partie du musc vient de Hollande, et de là passe en France et en Angleterre. On nourrit la civette d’œufs et de lait ce qui rend le musc beaucoup plus blanc que celui d Afrique et d’Asie, où elle ne vit que de chair. Au Caire, comme en Hollande, ce sont les Juifs qui se mêlent particulièrement de ce commerce.

Les lièvres et les lapins des mêmes contrées ressemblent entièrement à ceux d’Europe, et n’y sont pas moins en abondance.

Les Maures et les Nègres qui vivent entre le Sénégal et la Gambie sont fort bien pourvus de chevaux. On voit aux seigneurs du pays des barbes d’une beauté extraordinaire et d’un grand prix. Les Maures entendent parfaitement ce commerce. Au lieu d’avoine, ils nourrissent leurs chevaux avec de l’herbe et du maïs broyé. S’ils veulent les engraisser, ils réduisent le maïs en farine, dans laquelle ils mêlent du lait. Ils les font boire rarement. Le grand défaut de leurs chevaux est de n’avoir pas de bouche.

Le Sénégal et le pays de la Gambie produisent beaucoup d’ânes. Toutes sortes de bestiaux y sont dans la même abondance. Les bœufs y sont gros, robustes, gras et de très-bon goût ; les vaches y sont petites, mais charnues et fortes. Elles donnent beaucoup de lait ; et dans plusieurs cantons elles servent de monture. À Bissao, elles tiennent lieu de chevaux, et leur pas est fort doux.

Les moutons sont aussi en très-grand nombre. On en distingue deux sortes, les uns couverts de laine, comme ceux de l’Europe, mais avec des queues si grosses, si grasses et si pesantes, que les bergers sont obligés de les soutenir sur une espèce de petit chariot, pour aider l’animal à marcher. Lorsqu’on les à déchargées de leur graisse extérieure, elles passent pour un aliment fort délicat. Les moutons de la seconde sorte sont revêtus de poil comme les chèvres ; ils sont plus gros, plus forts et plus gras que les premiers. Quelques-uns ont jusqu’à six cornes de différentes formes. Leur chair est tendre et de bon goût.

Les chiens sont ici fort laids, la plupart sans poil, avec des oreilles de renard. Ils n’aboient jamais ; leur cri est un véritable hurlement, et les chiens étrangers qu’on amène dans le pays prennent peu à peu la même voix. Les Nègres mangent leur chair, et la préfèrent à celle de tout autre animal ; mais ils n’apportent aucun soin pour les faire multiplier.

Le guana, qui est une espèce de lézard, est fort commun sur le Sénégal et la Gambie. Il ressemble au crocodile ; mais il est beaucoup plus petit, et sa grandeur est rarement de plus d’une aune. Les Nègres le mangent. Plusieurs Européens, qui en ont fait l’essai, le trouvent aussi bon que le lapin. Barbot rapporte que non-seulement cet animal fréquente les combets ou huttes des Nègres, mais qu’il leur est fort incommode pendant la nuit, et que, dans leur sommeil, il prend plaisir à leur passer sur le visage. On prétend que sa morsure est dangereuse, non qu’il ait une qualité venimeuse, mais parce que l’animal ne quitte jamais prise jusqu’à la mort, et qu’il n’est pas aisé de le tuer par les moyens ordinaires. Cependant l’expérience en a fait découvrir un qui est facile et sans danger. Il suffit de lui enfoncer dans les narines un tuyau de paille. On en voit sortir quelques gouttes de sang, et l’animal, levant la mâchoire d’en haut, expire aussitôt. Ses pieds sont armés de cinq griffes aiguës, qui lui servent à grimper sur les arbres avec une agilité surprenante. S’il est attaqué, il se défend avec sa queue. Quand sa chair est bien préparée, on ne la distinguerait pas de celle d’un poulet, ni pour la couleur ni pour le goût. Les Nègres le surprennent lorsqu’il est endormi sur quelque branche d’arbre, et s’en saisissent avec un lacet qu’ils attachent au bout d’une gaule.

On trouve des caméléons dans les pays qui bordent le Sénégal et la Gambie : cet animal, qui est une espèce de lézard, se nourrit de mouches et d’insectes. Les anciens naturalistes le faisaient vivre de l’air. Il darde une langue de sept à huit pouces, c’est-à-dire de la longueur de son corps. Elle est couverte d’une matière glutineuse qui arrête tout ce qui la touche. Lorsqu’il est endormi, il paraît presque toujours d’un jaune luisant. Il a les yeux très-beaux, et placés de manière que de l’un il peut regarder en haut, et de l’autre en bas. Les caméléons ordinaires ne sont pas plus gros que la grenouille ; et sont généralement couleur de souris ; mais il y en a de beaucoup plus gros.

De Bruyn, dans ses voyages au Levant, a donné la plus parfaite description qu’on ait encore vue du caméléon, avec une figure de la même exactitude. Il trouva l’occasion à Smyrne de se procurer quelques-uns de ces animaux ; et, voulant découvrir combien de temps ils peuvent vivre, il en gardait soigneusement quatre dans une cage. Quelquefois il leur laissait la liberté de courir dans sa chambre et dans la grande salle de la maison qu’il habitait. La fraîcheur du vent de mer semblait leur donner plus de vivacité. Ils ouvraient la bouche pour recevoir l’air frais. Jamais de Bruyn ne les vit boire ni manger, à la réserve de quelques mouches, qu’ils semblaient avaler avec plaisir. Dans l’espace d’une demi-heure, il voyait leur couleur changer trois ou quatre fois, sans aucune cause extraordinaire à laquelle il pût attribuer cet effet. Leur couleur habituelle est le gris, ou plutôt un souris pâle ; mais les changemens les plus fréquens sont en un beau vert tacheté de jaune. Quelquefois le caméléon est marqué de brun sur tout le corps et sur la queue. D’autres fois, c’est de brun qu’il paraît entièrement couvert. Sa peau est fort mince, et probablement transparente ; mais c’est une erreur de s’imaginer qu’il prenne toutes les couleurs qui se trouvent près de lui. Il y a des couleurs qu’il ne prend jamais, telles que le rouge. Cependant de Bruyn confesse qu’il lui a vu quelquefois recevoir la teinture des objets les plus proches. Il lui fut impossible de conserver plus de cinq mois en vie ceux dont il voulait éprouver la durée. La plupart moururent dès le quatrième mois.

Si le caméléon descend de quelque hauteur, il avance fort soigneusement un pied après l’autre, en s’attachant de sa queue à tout ce qu’il rencontre en chemin. Il se soutient de cette manière aussi long-temps qu’il trouve quelque assistance ; mais, lorsqu’elle lui manque, il tombe aussitôt à plat. Sa marche est fort lente.

Bosman trouva de la différence entre les caméléons de Smyrne et ceux de Guinée. Dans le second de ces deux pays, ils vivent autant d’années que de mois dans le premier. À la vérité, ceux qui lui servirent à vérifier cette expérience étaient souvent mis dans le jardin sur un arbre, où ils demeuraient quelque temps à l’air. On sait d’ailleurs qu’on en a apporté de vivans en Europe.

Le même auteur ajoute, sur ses propres observations, que tous les animaux ovipares, tels que le lézard, le caméléon, le guana, les serpens et les tortues, n’ont pas leurs œufs couverts d’une écaille, mais d’une peau épaisse et pliable.

Les insectes sont en fort grand nombre dans tous les cantons de l’Afrique. Des armées de sauterelles infestent souvent l’intérieur des terres, obscurcissent l’air dans leur passage, et détruisent tout ce qu’il y a de verdure dans les lieux où elles s’arrêtent, sans laisser une seule feuille aux arbres. Elles sont ordinairement de la grosseur du doigt, mais plus longues, et leurs dents sont fort pointues. Leur peau est rouge et jaune, quelquefois tout-à-fait verte. Les Maures et les Nègres s’en nourrissent : mais cet aliment ne les dédommage pas de la famine qu’elles apportent souvent dans les pays qu’elles ravagent.

On voit quantité de mouches d’une forme extraordinaire. Dans la saison des pluies, il en naît des multitudes que les Nègres nomment ghetle. Elle ont la tête grosse et large, sans aucune apparence de bouche. Les Nègres les mangent, car les Nègres mangent tout.

Les pays qui bordent la Gambie sont infestés d’une sorte de punaises qui causent de grands ravages. On n’est pas moins incommodé d’une prodigieuse multitude de fourmis blanches, qui se répandent par des voies singulières. Elles s’ouvrent sous terre une route imperceptible et voûtée avec beaucoup d’art, par laquelle des légions entières se rendent en fort peu de temps au lieu qui renferme leur proie. Il ne leur faut que douze heures pour faire un conduit de cinq ou six toises de longueur. Elles dévorent particulièrement les draps et les étoffes ; mais les tables et les coffres ne sont pas plus à l’épreuve de leurs dents ; et ce qu’on aurait peine à croire, si on ne le vérifiait tous les jours, elles trouvent le moyen de ronger l’intérieur du bois sans en altérer la superficie : de sorte que l’œil est trompé aux apparences. Le soleil est leur ennemi. Non-seulement elles fuient sa lumière, mais elles meurent lorsqu’elles y sont exposées trop long-temps. La nuit leur rend toute leur force. Les Européens, pour conserver leurs meubles, sont obligés de les élever sur des piédestaux, de les enduire de goudron, et de les faire souvent changer de place.

Il y a dans les bois une grosse mouche verte dont l’aiguillon tire du sang comme une lancette. Mais la plus grande peste du pays est une espèce de cousins, que les Portugais nomment mousquites, qui se répondent dans l’air à millions vers le coucher du soleil. Les Nègres sont obligés d’entretenir constamment du feu dans leurs huttes, pour chasser ces incommodes animaux par la fumée.

Les bois sont remplis de termès, sorte de fourmis d’une grosseur extraordinaire. Elles bâtissent leurs nids ou leurs ruches de terre grasse en forme pyramidale, les élèvent à la hauteur de six ou sept pieds, et les rendent aussi fermes qu’un mur de plâtre. Ces animaux sont blancs ; ils ont le mouvement fort vif : leur grosseur ordinaire est celle d’un grain d’avoine, et leur longueur à proportion. La plupart de leurs édifices ont quatorze ou quinze pieds de circonférence avec une seule entrée, qui est à peu près au tiers de sa hauteur. La route pour y monter est tortueuse. À quelque distance, on les prend pour de petites cabanes de Nègres. Sur le Sénégal il se trouve de petites fourmis rouges, d’une nature fort venimeuse.

Il n’y a point de pays, surtout vers la Gambie, qui ne soit peuplé d’abeilles. Aussi le commerce de la cire est-il considérable parmi les Nègres. Ils nomment komobasses les mouches qui produisent le miel. Ces petits animaux habitent le creux des arbres et s’effraient peu de l’approche des hommes.

Moore dit que les Mandingues, sur la Gambie, ont des ruches de paille comme celles d’Angleterre ; qu’ils y mettent un fond de planches, et qu’ils les attachent aux branches des arbres. Lorsqu’ils veulent recueillir ce qu’elles contiennent, ils étouffent les abeilles, ils prennent les rayons, les pressent pour en tirer le miel, dont ils font une sorte de vin ; font bouillir la cire, et la coulent pour en faire des pains, qui pèsent ordinairement depuis vingt jusqu’à cent vingt livres. C’est le pays de Cachao qui en produit la plus grande quantité. Ces Mandingues, étouffant les abeilles dont ils recueillent la cire, sont l’image des mauvais rois.

Les grenouilles de la Gambie sont beaucoup plus grosses que celles d’Angleterre. Dans la saison des pluies, elles font, pendant la nuit, un bruit qui, dans l’éloignement, ressemble à celui d’une meute de chiens. On trouve dans les mêmes lieux des scorpions fort gros, dont la blessure est mortelle, si le remède est différé. En 1733, Moore vit à Brouko un scorpion long de douze pouces.

Entre plusieurs espèces de serpens, il y en a dont la morsure est sans remède : ce ne sont pas les plus gros qui sont les plus dangereux. Dans le royaume de Cayor, ils vivent si familièrement parmi les Nègres, que, sans nuire même aux enfans, ils viennent à la chasse des rats et des poulets jusque dans les rues. S’il arrive qu’un Nègre soit mordu, un peu de poudre à tirer, brûlée aussitôt sur la blessure, est un remède qui réussit toujours. On voit des serpens de quinze ou vingt pieds de longueur, et d’un pied et demi de diamètre. Il y en a de si verts, qu’il est impossible de les distinguer de l’herbe. D’autres sont tout-à-fait noirs ; ils passent pour les plus venimeux. On en trouve de marquetés. Les Nègres assurent qu’il y en a de rouges dont la blessure est mortelle. La nation des Sérères les mange avec quelques précautions. Les aigles en font aussi leur proie. Sur la rivière de Courbali, on voit des serpens de trente pieds, qui avalent un bœuf entier. On les décrira plus bas. Les Nègres de la Gambie parlent de quelques serpens qui ont une crête sur la tête, et qui chantent comme le coq ; d’autres, suivant eux, ont deux têtes qui sortent du même cou ; mais Moore, en décrivant ces animaux, confesse qu’il n’en parle que sur le témoignage d’autrui.

Les chenilles du pays sont aussi grandes que la main, d’une figure extrêmement hideuse. On y voit deux sortes de vers, également incommodes. Les premiers se nomment chiques, et pénètrent ou s’engendrent dans les mains et dans la plante des pieds. S’ils y font une fois des œufs, il devient impossible de les extirper. Les autres sont produits par le mauvais air, et se logent dans la chair, en divers endroits du corps. Ils y acquièrent souvent jusqu’à cinq pieds de longueur. Nous en avons déjà parlé.

L’air, quoique sujet à des chaleurs si excessives, et troublé par tant de révolutions, n’a pas moins d’habitans en Afrique que la terre et les rivières. Il n’y a point de pays où les oiseaux soient en plus grand nombre ni dans une plus grande variété. On a déjà décrit l’autruche, la spatule, le flamant, le calao, à l’occasion des cantons où chacune de ces espèces se trouve plus particulièrement. Il reste à parler de ceux qui sont communs à toutes les parties de cette division, et qu’on n’a fait que nommer sans aucune description.

Celui qui se présente le premier est le pélican, oiseau assez commun sur les bords du Sénégal et de la Gambie. C’est l’onocrotalus des anciens. Les Français du Sénégal lui ont donné le nom de grand gosier. Il a la forme, la grosseur et le port d’une grosse oie, avec les jambes aussi courtes. Ce qui le distingue le plus est un sac qu’il a sous le cou. Lorsque ce sac est vide, à peine s’aperçoit-il ; mais, lorsque l’animal a mangé beaucoup de poissons, il s’enfle d’une manière surprenante, et l’on aurait peine à croire la quantité d’alimens qu’il contient. La méthode du pélican est de commencer d’abord par la pêche. Il remplit son sac du poisson qu’il a pris ; et, se retirant, il le mange à loisir. Quelques voyageurs prétendent que ce sac, bien étendu, peut contenir un seau d’eau. Le Maire lui donne le nom de jabot, et raconte que le pélican avale des poissons entiers de la grosseur d’une carpe moyenne.

On trouve de tous les côtés des faucons aussi gros que nos gerfauts, qui sont capables, suivant le récit des Nègres, de tuer un daim en s’attachant sur sa tête, et le battant de leurs ailes jusqu’à ce que les forces lui manquent. On voit aussi une sorte d’aigles bâtards, et plusieurs espèces de milans et de buzes. La peau d’une espèce particulière de buze jette une odeur de musc comme celle du crocodile.

Vers le Sénégal, on donne le nom d’autruche volante à l’outarde. Cet oiseau est de la taille d’un coq d’Inde ; ses jambes et son cou ressemblent à ceux de l’autruche. Sa tête est grosse et ronde, son bec court, épais, fort. Il est couvert de plumes brunes et blanches ; ses ailes sont larges et fermes. Il a quelque peine à prendre l’essor ; mais, lorsqu’une fois il s’élève, il vole fort haut et fort long-temps.

Près de Boucar, sur le Sénégal, on voit l’oiseau royal qui se nomme en anglais comb bird, ou le peigné. Il est de la grosseur d’un coq d’Inde ; son plumage est gris, rayé de noir et de blanc. Il a de fort longues jambes ; sa hauteur est de quatre pieds. Il se nourrit de poissons. Il marche aussi gravement que les Espagnols, en levant pompeusement sa tête, qui est couverte, au lieu de plumes, d’une sorte de poil doux de la longueur de quatre ou cinq doigts. Cette chevelure descend des deux côtés : la pointe en est frisée ; ce qui a fait donner le nom de peigné à l’animal : mais sa plus grande beauté, est dans sa queue, qui ressemble à celle d’un coq d’Inde. La partie supérieure est d’un noir de jais fort brillant, et le bas aussi blanc que l’ivoire. On en fait des éventails naturels.

On trouve deux sortes de perroquets, les uns petits, tout-à-fait verts ; les autres beaucoup plus gros, avec la tête grise, le ventre jaune, les ailes vertes, et le dos mêlé de gris et de jaune : ceux-ci n’apprennent jamais à parler ; mais les petits ont l’organe clair et agréable, et prononcent distinctement tout ce qu’on prend la peine de leur répéter.

On trouve au long de la rivière le héron nain, que les Français nomment l’aigrette.

La nonette est un oiseau blanc et noir. Il a la tête revêtue d’une touffe de plumes qui a l’apparence d’un voile ; sa taille est celle d’un aigle ; il se nourrit de poissons ; il fréquente les bois, et s’apprivoise difficilement.

Les cormorans et les vautours sont semblables à ceux de l’Europe. Entre ces derniers, il s’en trouve d’aussi gros que les aigles ; ils dévorent les enfans, lorsqu’ils peuvent les surprendre à l’écart.

Près du désert, au long du Sénégal , on trouve un oiseau de proie de l’espèce du milan, auquel les Français ont donné le nom d’écouffe. C’est une espèce d’aigle bâtard, de la forme et de la hauteur d’un coq ordinaire ; sa couleur est brune, avec quelques plumes noires aux ailes et à la queue ; il a le vol rapide, les serres grosses et fortes, le bec courbé, l’œil hagard et le cri fort aigu. Sa proie ordinaire est le serpent, les rats et les oiseaux ; mais tout convient à sa faim dévorante : il n’est point épouvanté des armes à feu. La chair cuite ou crue le tente si vivement, qu’il enlève les morceaux aux matelots dans le temps qu’ils les portent à la bouche.

La demoiselle de Numidie est de la taille du coq d’Inde : son plumage au dos et sur le ventre est d’un violet foncé, et variable comme le tabis, suivant les différentes réflexions de la lumière ; il paraît quelquefois d’un noir luisant, quelquefois d’un violet clair ou pourpre, et comme doré. Froger dit que les plumes de la queue de cet oiseau sont d’un violet ordinaire, et que sur la tête il a deux touffes, l’une sur le devant, d’un beau noir, l’autre couleur aurore ou de flamme : ses jambes et son bec sont assez longs, et sa marche est fort grave ; il aime la solitude et fait une guerre mortelle à la volaille. Sa chair est nourrissante et de bon goût. Cet oiseau, suivant la description que l’académie royale des sciences de Paris en a donnée sous le nom de demoiselle de Numidie, est remarquable par sa démarche et ses mouvemens, qui semblent imités de ceux des femmes, et par la beauté de son plumage. On l’a désigné improprement par le nom de paon d’Afrique ou de Guinée.

On a vu plusieurs de ces oiseaux dans le parc de Versailles, où l’on admirait leur figure, leur contenance et leurs mouvemens. On prétendait trouver dans leurs sauts beaucoup de ressemblance avec la danse bohémienne. Il semble qu’ils s’applaudissent d’être regardés, et que le nombre des spectateurs anime leurs chants et leurs danses.

Dans l’île de Bifèche, près de l’embouchure du Sénégal, on trouve un grand nombre d’oiseaux que les Français appellent pique-bœufs, de la grosseur d’un merle, noirs comme lui, avec un bec dur et pointu. Cet oiseau s’attache sur le dos des bestiaux, dans les endroits où leur queue ne peut le toucher, et de son bec il leur perce la peau pour sucer leur sang. Si les bergers et les pâtres ne veillent pas soigneusement à le chasser, il est capable à la fin de tuer l’animal le plus vigoureux.

L’oiseau qui porte le nom de quatre-ailes le tire moins du nombre de ses ailes, puisqu’il n’en a que deux, que de la disposition de ses plumes. Mais Jobson en vit un qui a réellement quatre ailes distinctes et séparées. Cet oiseau ne paraît jamais plus d’une heure avant la nuit. Ses deux premières ailes sont les plus grandes, les deux autres en sont à quelque distance ; de sorte que le corps se trouve placé entre les deux paires.

Brue remarqua dans le même pays un oiseau d’une espèce extraordinaire, Il est plus gros que le merle : son plumage est d’un bleu céleste fort luisant ; sa queue grosse et longue d’environ quinze pouces : il la déploie quelquefois comme le paon. Un poids si peu proportionné à sa grosseur rend son vol lent et difficile. Il a la tête bien faite et les yeux fort vifs : son bec est entouré d’un cercle jaune. Cet oiseau est fort rare.

Près de la rivière de Paska, au sud de la Gambie, on voit une sorte d’oiseau à gros bec, qui ressemble beaucoup au merle. Sa chair est fort bonne ; son cri est remarquable par la répétition qu’il fait de la syllabe ha, ha, avec une articulation si nette et si distincte, qu’on prendrait sa voix pour celle d’un homme.

Le kourbalos ou martin-pêcheur, se nourrit de poisson. Il est de la taille du moineau, et son plumage est fort varié ; il a le bec aussi long que le corps entier, fort et pointu, armé au dedans de petites dents qui ont la forme d’une scie ; il se balance dans l’air et sur la surface de l’eau avec un mouvement si vif et si animé, que les yeux en sont éblouis. Les deux bords du Sénégal en sont remplis, surtout vers l’île au Morfil, où il s’en trouve des millions. Leurs nids sont en si grand nombre sur les arbres, que les Nègres leur donnent le nom de villages. Il y a quelque chose de fort curieux dans la mécanique de ces nids. Leur figure est oblongue comme celle d’une poire ; leur couleur est grise ; ils sont composés d’une terre dure, mêlée de plumes, de mousse et de paille, si bien entrelacés, que la pluie n’y trouve aucun passage ; ils sont si forts, qu’étant agités par le vent, ils s’entre-heurtent sans se briser ; car ils sont suspendus par un long fil à l’extrémité des branches qui donnent sur la rivière. À quelque distance, il n’y a personne qui ne les prît pour le fruit de l’arbre. Ils n’ont qu’une petite ouverture, qui est toujours tournée à l’est, et dont la disposition ne laisse point de passage à la pluie. Les kourbalos sont en sûreté dans ces nids contre les surprises des singes, leurs ennemis, qui n’osent se risquer sur des branches si faibles et si mobiles, et contre les attaques des serpens.

Il y a sur la Gambie une sorte de chouettes que les Nègres croient sorcières, et pour lesquelles ils ont tant d’aversion, que, s’il en paraît une dans le village, tous les habitans prennent l’alarme et lui donnent la chasse.

Jobson parle du ouake, oiseau qu’on nomme ainsi parce qu’il exprime ce bruit en volant. Il aime les champs semés de riz, mais c’est pour y causer beaucoup de ravage. Il est gros, et d’un fort beau plumage. On admire surtout la forme de sa tête, et la belle touffe qui lui sert de couronne. En Angleterre, elle fait quelquefois la parure des plus grands seigneurs. Il est de la taille du paon : son plumage a la douceur du velours.

Le plus grand oiseau de ces contrées, si l’on en croit Jobson, se nomme la cigogne d’Afrique ; mais il ne tire cet avantage que de son cou et de ses jambes, qui le rendent plus grand qu’un homme : son corps a la grosseur d’un agneau.

Les pintades, les perdrix et les cailles sont très-nombreuses. Ces dernières sont aussi grosses que les bécasses d’Europe. Jobson suppose qu’elles sont de l’espèce de celles qui tombèrent dans le désert pour la nourriture des Israélites.

Enfin on voit une infinité de petits oiseaux dont la couleur est charmante et le chant délicieux ; il en est un qui n’a, dit-on, pour jambes, comme l’oiseau d’Arabie, que deux filets, par lesquels il s’attache aux arbres, la tête pendante, et le corps sans mouvement : sa couleur est si pâle et si semblable à la feuille morte, qu’il est fort difficile à distinguer dans le repos. On a fait le même conte sur l’oiseau de paradis.

Le marsouin d’Afrique est de la grosseur du requin ; on vante la bonté de sa chair : on en fait du lard, mais d’assez mauvais goût.

Les baleines sont d’une grandeur prodigieuse dans toutes leurs dimensions ; elles paraissent quelquefois plus grosses qu’un bâtiment de vingt-six tonneaux : cependant on n’a point d’exemple qu’elles aient jamais renversé un vaisseau, ni même une barque ou une chaloupe ; mais, pour les nacelles des pêcheurs, on n’y est point avec la même sûreté.

Le souffleur ou cachalot a beaucoup de ressemblance avec la baleine, mais il est beaucoup plus petit ; s’il lance de l’eau comme la baleine, c’est par un seul passage qui est au-dessus du museau, au lieu que la baleine en a deux.

Les requins, que les Portugais nomment tuberones, paraissent ordinairement dans les temps calmes. Ils nagent lentement à l’aide d’une haute nageoire qu’ils ont sur la tête ; leur principale force consiste dans leur queue, avec laquelle ils frappent violemment ; et dans leurs scies tranchantes (car on ne peut donner d’autre nom à leurs dents) qui coupent la jambe ou le bras d’un homme aussi nettement que la meilleure hache. Ces terribles animaux sont toujours affamés. Ils avalent tout ce qui se présente ; de sorte qu’on leur a trouvé souvent des crochets et d’autres instrumens de fer dans les entrailles. Leur chair est coriace et de mauvais goût.

On regarde le requin comme le plus vorace de tous les animaux de mer. Labat paraît persuadé que c’est un véritable chien de mer, qui ne diffère de ceux des mers de l’Europe que par la grandeur. On en a vu sur les côtes d’Afrique, où il est fort commun, et même dans les rivières, de la longueur de vingt-cinq pieds et de quatre pieds de diamètre, couverts d’une peau forte et rude. Le requin a la tête longue, les yeux grands, ronds, fort ouverts et d’un rouge enflammé ; la gueule large, armée de trois rangées de dents à chaque mâchoire. Elles sont toutes si courtes, si serrées et si fermes, que rien ne peut leur résister. Heureusement cette affreuse gueule est presque éloignée d’un pied de l’extrémité du museau, de sorte que le monstre pousse d’abord sa proie devant lui ayant de la mordre. Il la poursuit avec tant d’avidité, qu’il s’élance quelquefois jusque sur le sable. Sans la difficulté qu’il a pour avaler, il dépeuplerait l’Océan. Avec quelque légèreté qu’il se tourne, il donne le temps aux autres poissons de s’échapper. Les Nègres prennent ce moment pour le frapper. Ils plongent sous lui, et lui ouvrent le ventre. Il est d’ailleurs assez facile à tromper, parce que sa voracité lui fait saisir toutes sortes d’amorces. On le prend ordinairement avec un crochet attaché au bout d’une chaîne, auquel on lie un morceau de lard ou d’autre viande.

Il est fort dangereux de se baigner dans les rivières qui portent des requins. En 1731, une petite esclave de James-Fort, sur la Gambie, lut emportée tandis qu’elle était à se laver les pieds. Une barque remontant la même rivière en 1731, il y eut un requin assez affamé pour s’en approcher, malgré le bruit qui s’y faisait, et pour se saisir d’une rame qu’il brisa d’un seul coup de dents.

Sur la côte de Juida, où la mer est toujours fort grosse, un canot fut renversé en allant au rivage avec quelques marchandises. Un des matelots fut saisi par un requin, et la violence des flots les jeta tous deux sur le sable ; mais le monstre, sans lâcher un moment sa proie, attendit le retour de la vague, et regagna la mer avec le matelot qu’il emporta.

Si quelqu’un a le malheur de tomber dans la mer, il faut désespérer de le revoir, à moins qu’alors il ne se trouve point de requin aux environs du vaisseau ce qui est extrêmement rare. Si l’on jette un cadavre dans la mer, on voit avec horreur quatre ou cinq de ces affreux animaux qui se lancent vers le fond pour saisir le corps, ou qui, le prenant dans sa chute, le déchirent en un instant. Chaque morsure sépare un bras ou une jambe du tronc ; tout est dévoré, dit-on, en moins de temps qu’il ne faut pour compter vingt. Si quelque requin arrive trop tard pour avoir part à la proie, il semble prêt à dévorer les autres ; car ils s’attaquent entre eux avec une violence incroyable ; on leur voit lever la tête et la moitié du corps hors de l’eau, et se porter des coups si terribles, qu’ils font trembler la mer. Lorsqu’un requin est pris et tiré à bord, il n’y a point de matelot assez hardi pour s’en approcher. Outre ses morsures, qui enlèvent toujours quelque partie du corps, les coups de sa queue sont si redoutables, qu’ils brisent la jambe, le bras ou tout autre membre à ceux qui ne se hâtent pas de les éviter.

Ce qui paraît difficile à accorder avec tant de voracité, c’est ce que les voyageurs disent du requin, qu’il est ordinairement environné d’une multitude de petits poissons qui ont la gueule et la tête plate. Ils s’attachent au corps du monstre ; et lorsqu’il s’est saisi de quelque proie, ils se rassemblent autour de lui pour en manger leur part, sans qu’il fasse aucun mouvement pour les chasser.

On compte dans ce cortége du requin un petit poisson de la grandeur du hareng, qui se nomme le pilote, et qui entre librement dans sa gueule, en sort de même, et s’attache à son dos sans que le monstre lui nuise jamais.

La vache de mer, que les Espagnols appellent manati, et les Français lamentin, est ordinairement longue de seize ou dix-huit pieds sur quatre ou cinq de diamètre. Le lamentin aime l’eau fraîche. Aussi ne s’éloigne-t-il guère des côtes. Comme il s’endort quelquefois la gueule ouverte au-dessus de l’eau, les pêcheurs nègres le surprennent dans cette situation, et lui font perdre tant de sang, qu’il leur devient aisé de le tirer au rivage. La chair de ces animaux est si délicate, qu’elle est comparable au veau de rivière.

On trouve sur les côtes un poisson dont la mâchoire d’en haut s’avance de la longueur de quatre pieds avec des pointes aiguës, rangées de chaque côté à des distances égales. C’est la scie, l’ennemi déclaré de la baleine, qu’elle blesse quelquefois si dangereusement, que celle-ci fuit jusqu’au rivage, où elle, expire après avoir perdu tout son sang. On nomme aussi ce poisson l’espadon, l’épée, ou l’empereur.

Ce nom convient mieux à d’autres animaux marins dont la tête est armée aussi d’un os fort long, mais uni et pointu, qui ressemble à la corne fabuleuse de la licorne. Les gens de mer l’appellent sponton. Il est capable de percer un bâtiment et d’y faire une voie d’eau ; mais il y brise quelquefois son os, qui sert de cheville pour boucher le trou.

Les vieilles, grande espèce de morues, sont d’une singulière abondance au long de cette côte occidentale, surtout près du cap Blanc et de la baie d’Arguin. Il s’en trouve qui pèsent jusqu’à deux cents livres. La chair en est blanche, tendre, grasse, ferme, et se détache en flocons. La peau est grise, épaisse, grasse, couverte de petites écailles. C’est un poisson fort vorace, et que son avidité fait prendre aisément. Comme il a beaucoup de force, il fait des mouvemens prodigieux pour s’échapper.

De tous les animaux qui nagent, il n’y en a point d’une espèce plus surprenante que la torpille (numbfish en anglais), poisson qui a la vertu d’engourdir. Kolbe, qui lui donne le nom de crampe, vérifia par sa propre expérience ce qu’on lit dans plusieurs auteurs, qu’en touchant la torpille avec le pied ou la main, ou seulement avec un bâton, le membre qui prend cette espèce de communication avec l’animal s’engourdit tellement, qu’il devient immobile, et qu’en même temps on ressent quelque douleur dans toutes les autres parties du corps. En un mot, Kolbe éprouva une espèce dé convulsion ; mais, après une ou deux minutes, l’engourdissement diminue par degrés.

Lorsque ce poisson est pris nouvellement, il agit plus souvent et d’une manière plus sensible ; mais, après avoir été quelques heures hors de l’eau, sa vertu languit et diminue par degrés. Kæmpfer croit avoir remarqué qu’elle est plus violente dans la femelle que dans le mâle. On ne peut toucher la torpille femelle avec les mains sans ressentir un horrible engourdissement dans le bras et jusqu’aux épaules. On ne saurait marcher dessus, même avec des souliers, sans éprouver la même sensibilité dans les jambes, aux genoux, et jusqu’aux cuisses. Ceux qui la touchent des pieds sont saisis d’une palpitation de cœur encore plus vive que ceux qui ne l’ont touchée qu’avec la main.

Au reste, cet engourdissement ne ressemble point à celui qui se fait quelquefois sentir dans un membre, lorsque, ayant été pressé long-temps, la circulation du sang et des esprits s’y trouve contrainte. C’est une vapeur subite, qui, passant au travers des pores, pénètre en un moment dans tout le corps, et agit sur l’âme par une véritable douleur. Les nerfs se contractent tellement, qu’on s’imagine que tous les os, surtout ceux de la partie affectée, sont sortis de leurs jointures. Cet effet est accompagné d’un tremblement de cœur et d’une convulsion générale, pendant laquelle on ne se trouve plus aucune marque de sentiment. Enfin l’impression est si violente, que toute la force de l’autorité et des promesses n’engagerait pas un matelot à reprendre le poisson dans sa main lorsqu’il en a ressenti l’effet. Cependant, Kæmpfer rend témoignage qu’en faisant ces observations, il vit un Africain qui prenait la torpille sans aucune marque de frayeur, et qui la toucha quelque temps avec la même tranquillité. Kæmpfer, ayant remarqué un si singulier secret, apprit que le moyen de prévenir l’engourdissement était de retenir soigneusement son haleine ; il en fit aussitôt l’expérience. Elle lui réussit, et tous ses amis à qui il ne manqua point de la communiquer, la tentèrent avec le même succès ; mais, lorsqu’ils recommençaient à laisser sortir leur haleine, l’engourdissement recommençait aussi à se faire sentir.

La tortue verte, ou de mer, est commune, pendant toute l’année, aux îles et dans la baie d’Arguin. Elle n’est pas si grosse que celles des îles de l’Amérique ; mais elle n’est pas moins bonne.

La tortue fait des œufs sur le sable du rivage. Elle marque soigneusement le lieu, et dix-sept jours après elle retourne pour les couver. Elle a quatre pates, ou plutôt quatre nageoires au-dessous du ventre, qui lui tiennent lieu de jambes, mais courtes, avec une seule jointure qui touche au corps. Ces pates ou ces nageoires, étant un peu dentelées à l’extrémité, forment une espèce de griffes qui sont liées par une forte membrane, et fort bien armées d’ongles pointus. Quoiqu’elles aient beaucoup de force, elles n’en ont point assez pour supporter le corps de l’animal, de sorte que son ventre touche toujours à terre. Cependant la tortue marche assez vite lorsqu’elle est poursuivie, et porte aisément deux hommes sur son dos.

Lorsque la tortue a fait sa ponte et couvert ses œufs, elle laisse au soleil à les faire éclore, et les petits ne sont pas plus tôt sortis de l’écaille, qu’il courent à la mer. Les Maures les prennent, soit avec des filets, soit en les tournant sur le dos, lorsqu’ils peuvent les surprendre sur le sable ; car une tortue dans cette situation ne saurait se retourner. Son huile fondue se garde fort bien, et n’est guère inférieure à l’huile d’olive et au beurre, surtout lorsqu’elle est nouvelle.

Sur la langue de terre nommée pointe de Barbarie, à l’embouchure du Sénégal, on trouve un grand nombre de petites crabes que les Français appellent tourlouroux ; on les croit, à tort, d’une nature dangereuse. C’est une fort petite espèce de crabes de terre, qui ressemblent pour la forme à nos écrevisses de mer. Elles ont une faculté surprenante ; c’est de pouvoir se défaire de leurs jambes aussi facilement que si elles ne tenaient au corps qu’avec de la glu : de sorte que, si vous en saisissez une, vous êtes surpris qu’elle vous reste dans la main, et que l’animal ne laisse pas de courir fort vite avec le reste, et, dans la saison suivante, il lui revient une autre jambe ; mais ce qui est fort étrange dans cette espèce de crabes, c’est qu’elles dévorent celles qui sont estropiées ainsi par quelque accident.

Le crocodile, qui est regardé comme la plus grande espèce de lézard, est d’un brun foncé. Sa tête est plate et pointue, avec de petits yeux ronds, sans aucune vivacité. Il a le gosier large et ouvert d’une oreille à l’autre, avec deux, trois ou quatre rangées de dents, de forme et de grandeur différentes, mais toutes pointues ou tranchantes. Ses jambes sont courtes, et ses pieds armés de griffes crochues, longues et pointues ; ceux de devant en ont quatre, et ceux de derrière en ont cinq : c’est avec cette arme terrible qu’il saisit et qu’il déchire sa proie. Il est couvert d’une peau dure, épaisse, chargée d’écaillés et garnie de tous côtés d’un grand nombre de pointes qu’on prendrait pour autant de clous. Plusieurs parties de son corps, telles que la tête, le dos et la queue, dans laquelle consiste sa principale force, sont d’une dureté impénétrable à la balle. Cependant il est facile à blesser sous le ventre et sous une partie du gosier : aussi n’expose-t-il guère ces endroits faibles au danger. Sa queue est ordinairement aussi longue que le reste de son corps : elle est capable de renverser un canot ; mais, hors de l’eau, il est moins dangereux que dedans.

Quoique le crocodile soit une lourde masse, il marche fort vite dans un terrain uni, où il n’est pas obligé de tourner ; car ce mouvement lui est fort difficile. Il a l’épine du dos fort raide et composée de plusieurs vertèbres si serrées l’une contre l’autre, qu’elle est immobile. Aussi se laisse-t-il entraîner par le fil de l’eau comme une pièce de bois, en cherchant des yeux les hommes et les animaux qui peuvent venir à sa rencontre. Il a jusqu’à vingt ou trente pieds de longueur.

Cet animal est terrible jusqu’après sa mort. On rapporte qu’un Nègre, employé par les Français pour en écorcher un, le démusela lorsqu’il fut à la tête, dans la vue de conserver sa peau plus entière. Le crocodile emporta un doigt au Nègre. Ceux qui racontent ce fait assurent pourtant que le crocodile était mort. Il faut donc supposer qu’un reste d’esprits animaux donnait encore à la tête du monstre cette espèce de mouvement dont on a observé des effets dans des têtes d’hommes récemment coupées.

Malgré la férocité du crocodile, les Nègres se hasardent quelquefois à l’attaquer, lorsqu’ils peuvent le surprendre sur quelque basse où l’eau n’a pas beaucoup de profondeur. Ils s’enveloppent le bras gauche d’un morceau de cuir de bœuf, et, prenant leur zagaie de la main droite, ils se jettent sur le monstre, le percent de plusieurs coups au gosier et dans les yeux, et lui ouvrent enfin la gueule, qu’ils l’empêchent de fermer en la traversant de leurs zagaies. Comme il n’a point de langue, l’eau qui entre aussitôt n’est pas long-temps à le suffoquer. Un Nègre du fort Saint-Louis faisait son exercice ordinaire d’attaquer tous les crocodiles qu’il pouvait surprendre. Il avait ordinairement le bonheur de les tuer et de les amener au rivage ; mais souvent il sortait du combat couvert de blessures. Un jour, sans l’assistance qu’il reçut d’un canot, il n’aurait pu éviter d’être dévoré. Atkins fait le récit d’une lutte dont il fut témoin à Sierra-Leone entre un matelot anglais et un crocodile. Le secours des Nègres délivra l’Anglais du danger ; mais il en sortit misérablement déchiré.

Cependant il y a des pays où les crocodiles paraissent beaucoup moins féroces. Près de Lebot, village vers l’embouchure de la rivière de San-Domingo, ils sont si doux et si familiers, qu’ils badinent avec les enfans et reçoivent d’eux leur nourriture.

Tous les voyageurs rendent témoignage que cet animal jette une forte odeur de musc, et qu’il la communique aux eaux qu’il fréquente. Navarette assure qu’on lui trouve entre les deux pates de devant, contre le ventre, deux petites bourses de musc pur. Collins prétend que c’est sous les ouïes.

L’Afrique produit un autre animal amphibie ; c’est l’hippopotame, nom tiré du grec ; on le désigne aussi par celui de cheval marin. Il s’en trouve beaucoup dans les rivières de Sénégal, de Gambie et de Saint-Domingue. Le Nil et toutes les côtes depuis le cap Blanco jusqu’à la mer Rouge n’en sont pas moins remplis. Cet animal vit également dans l’eau et sur la terre. Dans sa pleine grosseur, il est plus gros d’un tiers que le bœuf, auquel il ressemble d’ailleurs dans quelques parties, comme dans d’autres il est semblable au cheval. Sa queue est celle d’un cochon, à l’exception qu’elle est sans poil à l’extrémité. Il se trouve des hippopotames qui pèsent douze ou quinze cents livres.

Outre les dents machelières, qui sont grosses et creuses vers le milieu, il a quatre défenses comme celles du sanglier, c’est-à-dire une à chaque mâchoire, longue de sept à huit pouces, et d’environ cinq pouces de circonférence à la racine. Celles d’en bas sont plus courbées que celles de la mâchoire supérieure ; elles sont d’une substance plus dure et plus blanche que l’ivoire. L’animal en fait sortir des étincelles, lorsque, étant en furie, il les frappe l’une contre l’autre, et les Nègres s’en servent comme d’un caillou pour allumer le feu.

On recherche beaucoup ces grandes dents pour en composer d’artificielles, parce qu’avec plus de dureté que l’ivoire, leur couleur ne se ternit jamais.

Il faut que l’hippopotame ait beaucoup de force dans le cou et dans les reins ; car un voyageur raconte qu’une vague ayant jeté et laissé à sec, sur le dos d’un de ces animaux, une barque hollandaise chargée de quatorze tonneaux de vin, sans compter les gens de l’équipage, il attendit patiemment le retour des flots qui vinrent le délivrer de son fardeau, et ne fit pas connaître par le moindre mouvement qu’il en fût fatigué.

Lorsqu’il est insulté dans l’eau, soit qu’il dorme au fond de la rivière, ou qu’il se lève pour hennir, ou qu’il nage à la surface, il se jette avec fureur sur ses ennemis, et, quelquefois il emporte avec les dents des planches de la meilleure barque. Mais ce qui est encore plus dangereux, c’est que, la prenant par le bas, il la fait quelquefois couler à fond. On en trouve quantité d’exemples dans les voyageurs.

En 1731, un facteur de la compagnie d’Angleterre, nommé Galand, et le contre-maître d’un vaisseau anglais, furent malheureusement noyés dans la Gambie par un accident de cette nature. Sur la rivière du Sénégal, un de ces animaux, ayant été blessé d’une balle, et ne pouvant gagner le côté de la barque d’où le coup était parti, la frappa d’un coup de pied si furieux, qu’il brisa une planche d’un pouce et demi d’épaisseur, ce qui causa une voie d’eau qui faillit faire périr la barque. Celle de Jobson fut frappée trois fois par les hippopotames dans ses différentes navigations de la Gambie ; un de ces animaux la perça d’un coup de dent jusqu’à faire une voie d’eau fort dangereuse. On ne put l’éloigner pendant la nuit que par la lumière d’une chandelle qu’on mit sur un morceau de bois et qu’on abandonna au cours de l’eau. Le même auteur trouva les hippopotames encore plus féroces, lorsque, ayant des petits, ils les portent sur le dos en nageant. Il observe que l’hippopotame s’accorde fort bien avec le crocodile, et qu’on les voit nager tranquillement l’un à côté de l’autre.

Cet animal est plus souvent sur la terre que dans l’eau. Il lui arrive souvent d’aller dormir entre les roseaux, dans les marais voisins de la rivière. Il serait inutile d’employer des filets pour le prendre ; d’un coup de dent il briserait toutes les cordes. Lorsque les pêcheurs le voient approcher de leurs filets, ils lui jettent quelque poisson dont il se saisit, et la satisfaction qu’il ressent de cette petite proie le fait tourner d’un autre côté. On en voit dans les rivières en troupes nombreuses. Ils ne sont pas si communs dans le Sénégal.