Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome III/Première partie/Livre VI/Chapitre III

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CHAPITRE III.

Cap de Bonne-Espérance. Hottentots.

Il y a peu de lieux dans le monde dont on trouve aussi souvent la description dans les relations des voyageurs que celle du cap de Bonne-Espérance, parce que les vaisseaux, n’ayant point d’autre route pour se rendre aux Indes orientales, y touchent fort souvent au passage.

Le cap de Bonne-Espérance, comme on l’a dit dans le premier livre de cet ouvrage, fut découvert pour la première fois, en 1493, sous le règne de Jean ii, par Barthélemi Diaz, amiral portugais.

Dans la suite, il ne paraît pas que le cap ait été visité par les Européens jusqu’à l’année 1600, où les vaisseaux de la compagnie hollandaise des Indes orientales, qui était alors dans son enfance, commencèrent à s’y arrêter dans le cours de leurs voyages. Cependant cette compagnie, qui s’est distinguée depuis avec tant de gloire par son génie pour le commerce et la navigation, ne conçut pas tout d’un coup les avantages qu’elle pouvait tirer d’un établissement au cap de Bonne-Espérance. Ses vaisseaux, à la vérité, continuèrent d’y relâcher en allant aux Indes, ou à leur retour ; mais elle ne pensa point à s’y établir avant les représentations et les instances de Van-Rikbeck, chirurgien d’une flotte qui s’y était arrêtée en 1650, comme on le rapportera dans le cours de cet article.

Il n’est pas aisé de fixer au juste les dimensions du pays qui est habité par les Hottentots. Ses limites sont très-incertaines au nord et au nord-est. Environné de trois côtés par la mer, il peut être regardé comme occupant la partie méridionale de l’Afrique depuis le tropique du capricorne jusqu’au 35e. degré de latitude sud.

Un peu au sud de la baie de Sainte-Hélène sur la côte occidentale, est celle de Saldagna, célèbre dans les relations de tous les voyageurs. Vingt lieues au sud de Saldagna, on arrive à la baie de la Table, qui est séparée de la baie False, au sud, par un isthme sablonneux, large de neuf mille toises. Le cap de Bonne-Espérance forme la pointe occidentale de la baie False, et le cap Falso la pointe orientale. La côte se prolonge ensuite en ligne courbe jusqu’au cap des Aiguilles, qui est la pointe la plus méridionale de l’Afrique.

Kolbe, voyageur allemand qui a donné en 1719 une description du cap de Bonne-Espérance, réduit les nations des Hottentots contenues dans cette partie de l’Afrique au nombre de dix-sept, dont il rapporte les noms : les Gunghemans, les Kokhaquas, les Sussaquas, les Odiquas , les Khirigriquas , les grands Namaquas et les petits, les Khorogauquas, les Kopmares, les Hessaquas, les Souquas, les Dunquas, les Damaquas, les Gauros ou les Gauriquas, les Houteniquas, les Khamtovères et les Heykoms. Le temps a sans doute apporté de grands changemens dans cette nomenclature.

Toutes les nations des Hottentots sont dans l’usage de passer avec leurs huttes et leurs troupeaux d’un endroit de leur territoire à l’autre, pour la commodité des pâturages. L’herbe y croît fort haute et fort épaisse ; mais, lorsqu’elle commence à vieillir, ils la brûlent jusqu’à la racine, et changent de canton pour y revenir dans un autre temps, qui n’est jamais fort éloigné, car les cendres engraissent beaucoup la terre, et les pluies ne manquent pas pour la rafraîchir. L’usage de brûler les herbes est établi de même entre les Hollandais du cap. Ils creusent un fossé autour de l’espace qu’ils veulent brûler, pour arrêter la communication des flammes.

Les Khirigriquas habitent les bords de la baie de Sainte-Hélène. C’est une nation nombreuse, distinguée particulièrement par la force du corps et par une adresse extraordinaire à lancer la zagaie. La belle rivière de l’Éléphant, qui tire son nom de la multitude de ces animaux qu’on voit sur ses bords, traverse le territoire des Khirigriquas. Il est rempli de montagnes dont le sommet est couvert de beaux pâturages, comme elles le sont presque toutes dans le pays des Hottentots. Les terres l’emportent beaucoup pour la bonté sur celles des Sussaquas et des Odiquas. Les vallées sont ornées d’une grande variété de fleurs d’une beauté et d’une odeur extraordinaires ; mais elles servent de retraite à quantité de serpens, entre lesquels on trouve le céras ou le serpent cornu. On y voit aussi des cailloux de différentes formes et de diverses couleurs.

Les Namaquas sont divisés en deux nations : l’une des grands, et l’autre des petits Namaquas ; ceux-ci habitent la côte ; les grands occupent le pays voisin du côté de l’est. Ces deux peuples diffèrent entre eux dans leur gouvernement et dans leurs usages ; mais ils se ressemblent par la force, le valeur et la prudence ; ils sont également respectés de tous les autres Hottentots. Kolbe les représente comme les nègres les plus sensés qu’il ait vus, dans cette région. Ils parlent peu ; leurs réponses sont courtes et réfléchies. Ils peuvent mettre en campagne une armée de vingt mille hommes. Le territoire des deux nations est rempli de montagnes où l’herbe ne peut pénétrer au travers du sable et des pierres qui les couvrent. Les vallées ne sont pas plus fertiles. Il n’y a dans tout le pays qu’un petit bois et une fontaine. La rivière de l’Éléphant qui le traverse est la seule ressource des habitans pour se procurer de l’eau. Les lieux qu’elle arrose sont la retraite d’une infinité de bêtes farouches, surtout d’une sorte de daims mouchetés qui sont propres à ces cantons. Ils sont moins gros que ceux de l’Europe, mais d’une légèreté qui surpasse l’imagination. Leurs taches sont jaunes et blanches. On ne les voit jamais qu’en troupeaux, et quelquefois jusqu’au nombre de mille.

Près la fontaine des Namaquas, on trouve un rocher taillé en forme de donjon ou de forteresse. On le nomme chateau de Méro, du nom d’un capitaine du pays qui se fit un amusement de lui donner cette forme. Mais Kolbe doute qu’un Hottentot puisse avoir été capable d’une entreprise qui demandait autant d’industrie que de travail, surtout dans deux logemens qu’il trouva fort bien imaginés, et qui peuvent contenir un assez grand nombre d’hommes. En un mot, c’est l’ouvrage le plus précieux qui se trouve dans tout le pays des Hottentots.

Dapper dit que la nation des Namaquas est fort nombreuse, et leur donne une taille gigantesque. Les hommes portent une plaque d’ivoire devant leurs parties naturelles, et un cercle de la même matière aux bras, avec quantité d’anneaux de cuivre. Chacun a sa petite selle de bois garnie de cordes qui lui servent à la porter continuellement pour s’asseoir dans toutes sortes de lieux.

Les Houteniquas sont bordés par les Khamtovères ou les Hamtovers, qui possèdent un territoire fort beau et fort uni. Ses prairies et ses bois qui produisent les plus beaux arbres de toute la région des Hottentots, l’abondance de son gibier et de toutes sortes de bêtes sauvages, enfin la multitude de ses rivières, où l’on trouve diverses espèces de poissons d’eau douce, et quelquefois de mer, entre lesquelles on voit souvent paraître le lamantin, en font un séjour également riche et agréable. Kolbe apprit par de bonnes informations, que plusieurs Européens, en traversant les bois, y avaient trouvé des cerisiers et des abricotiers chargés de fruits, sans avoir rencontré un éléphant ni un buffle, quoique ces deux espèces d’animaux soient fort communs dans tous les autres pays des Hottentots ; mais il y a beaucoup d’apparence que les habitans les tuent lorsqu’ils paraissent, ou les chassent de leurs limites. Une troupe de marchands hollandais, qui étaient venus chercher des bestiaux dans cette province, se laissèrent un jour engager dans un bois où les habitans fondirent sur eux avec leurs zagaies et leurs flèches. Ils crurent leur perte inévitable. Cependant, ayant eu le bonheur de se rallier avant d’avoir reçu la moindre blessure, ils firent une décharge qui refroidit l’emportement de leurs ennemis, et qui les força de prendre la fuite. Le jour suivant ces hostilités se terminèrent par un traité d’amitié. Un capitaine des Khamtovères, qui savait quelques mots de hollandais, se remit entre leurs mains avec ce discours. « Nous nous sommes crus supérieurs à toute autre nation par les armes, mais nous reconnaissons que les Hollandais nous ont vaincus, et nous nous soumettons à eux comme à nos maîtres. »

Les Heykoms suivent les Khamtovères au nord-est. Ils habitent un pays fort montagneux, et qui n’a de fertile que ses vallées. Cependant il nourrit un assez grand nombre de bestiaux qui se trouvent fort bien de l’eau saumâtre des rivières et des roseaux qui croissent sur leurs bords. On y voit aussi beaucoup de gibier, et toutes les espèces de bêtes sauvages qui se trouvent autour du Cap ; mais la rareté de l’eau douce rend la vie fort dure aux habitans, et les expose à de fâcheuses extrémités. Un officier de la garnison du Cap étant venu les inviter au commerce et leur proposer un traité d’alliance avec les Hollandais, ils acceptèrent ses offres ; mais pour première faveur ils lui demandèrent un tambour, avec un chaudron et une poêle de fer qu’ils avaient observés dans son équipage. Ces trois présens leur devinrent fort précieux. Quelque temps après, un parti de flibustiers, accoutumés à piller les Hottentots sous de belles apparences de commerce, leur enlevèrent ces instrumens chéris et quantité de bestiaux. Ils n’ont jamais perdu le souvenir de cette injure. Un Européen qui visite leur pays est sûr de leur entendre rappeler leur infortune, et déplorer la perte de leur tambour, de leur chaudron et de leur poêle.

Au delà des Heykoms on trouve la Tierra de Natal, qui est habitée par les Cafres, nation dont la figure et les mœurs n’ont aucune ressemblance avec celles des Hottentots.

On a remarqué plus haut que les Hollandais ne commencèrent à s’établir au Cap qu’en 1650. Van-Rikbeck, chirurgien hollandais, revenant des Indes orientales, avait observé que le pays était naturellement riche et susceptible de culture, les habitans d’un caractère traitable, et le port sûr et commode. Il exposa ses observations devant les directeurs de la compagnie, qui firent équiper aussitôt trois vaisseaux pour une si belle entreprise, sous la conduite du même chirurgien, après l’avoir nommé gouverneur de ce nouvel établissement. En arrivant au Cap, Van-Rikbeck fit un traité avec les habitans, par lequel ils cédaient aux Hollandais la possession de leur pays pour la somme de quinze mille florins en diverses sortes de marchandises. C’est la première fois que les Européens, abordant sur des côtes lointaines, ont pu se persuader qu’un pays appartenait à ses habitans. Van-Rikbeck commença aussitôt à s’y fortifier par la construction d’un fort carré. Il forma dans l’intérieur du pays, à deux lieues de la côte, un jardin qu’il enrichit des semences de l’Europe. La compagnie hollandaise, pour encourager cette colonie naissante, offrit à tous ceux qui voudraient s’y établir soixante acres de terre par tête, avec droit de propriété et d’héritage, pourvu que, dans l’espace de trois ans, ils se missent en état de pouvoir subsister sans secours et contribuer à l’entretien de la garnison. Elle leur accordait aussi, à l’expiration de ce terme, la liberté de disposer de leurs fonds, s’ils n’étaient pas satisfaits de leur marché ou de la qualité du climat.

Des avantages de cette nature attirèrent au Cap un grand nombre d’aventuriers. Ceux qui manquaient de bestiaux, de grains et d’ustensiles, en reçurent à crédit par les avances de la compagnie. On les pourvut aussi de femmes, qui furent tirées des maisons de charité et des communautés d’orphelines. Ces secours firent multiplier si promptement les fondateurs de la colonie, que dans l’espace de peu d’années ils commencèrent à former de nouvelles habitations au long de la côte.

Le pays que les Hollandais possèdent au Cap comprend toute la côte, depuis la baie de Saldagna, au tour de la pointe méridionale de l’Afrique, jusqu’à la baie de Nossel à l’est, et s’étend fort loin dans l’intérieur du pays. La compagnie, dans la vue de s’étendre à mesure que le nombre des habitans pourra croître, a jugé à propos d’acheter aussi, pour la somme de trente mille florins en marchandises, toute la terre de Natal, qui est située entre la terre de Nossel et Mozambique. Une augmentation si considérable a rendu le gouvernement du Cap fort important. L’ancienne possession de la Hollande, sans y comprendre la Tierra de Natal, est divisée en quatre districts : 1°. celui du Cap, où sont les grands forts et la principale ville ; 2°. celui de Stellenbosch et de Drakenstein ; 3°. celui de Zwellendam ; 4°. celui de Graaf-Reynet.

Les montagnes les plus remarquables du district du Cap sont celles de la Table (Tafelberg), du Lion (Leeuwenberg), du Diable (Duivelsberg), et du Tigre. Elles environnent la vallée du même nom où la ville du Cap est située. La plus haute des trois est celle de la Table, que les Portugais Tavao de Cabo. Du centre de la vallée elle regarde le sud, en s’étendant un peu au sud-ouest. Elle a près de six cents toises de hauteur. À quelque distance, le sommet paraît uni comme une table : mais, si l’on y monte, on le trouve inégal et fort raboteux. Quoique fort escarpée, on y monte assez aisément par une grande fente qui est vers le milieu de la montagne. Le pied, jusqu’au tiers à peu près de sa hauteur, est une terre pierreuse couverte de plantes et d’arbrisseaux ; le reste n’est qu’un amas de pierres placées par tas exactement horizontaux jusqu’au sommet. La vallée offre de belles maisons de campagne, des vignobles et des jardins dont les principaux appartiennent à la compagnie. L’un se nomme le Jardin du Bois rond, d’un beau bois de ce nom, près duquel les gouverneurs ont une fort jolie maison de plaisance ; l’autre, Newland, ou terre nouvelle, parce qu’il est nouvellement planté. Ces deux jardins sont arrosés par quantité de sources qui viennent de la montagne, et rapportent un revenu considérable à la compagnie.

Pendant la saison sèche, depuis le mois de septembre jusqu’au mois de mars, et souvent dans le cours des autres mois, on voit pendre au sommet de cette montagne et de celle du Diable une nuée blanche, qu’on regarde comme la cause des terribles vents sud-est qui se font sentir au Cap. Lorsque les matelots aperçoivent cette nuée, ils disent, comme en proverbe, la table est couverte, ou la nappe est sur la table. Aussitôt ils se mettent à l’ouvrage pour se garantir de la tempête.

La montagne du Lion, qui n’est séparée de la Table que par une petite descente, regarde l’ouest et le centre de la vallée, en s’étendant au nord ; elle est baignée par l’Océan. Quelques-uns prétendent qu’elle a tiré son nom de la multitude des lions auxquels elle servait autrefois de retraite. D’autres le tirent de sa forme, qui représente du côté de la mer un lion couché, et la tête levée, comme s’il guettait sa proie ; la tête et les pieds de devant regardent le sud-ouest, et le derrière est tourné à l’est. Dans l’intervalle qui est entre cette montagne et celle de la Table on a bâti une cabane où deux hommes font la garde pour donner avis à la forteresse du Cap de l’approche des vaisseaux. Du sommet de la montagne du Lion, qui est si escarpée qu’on est obligé de faire une partie du chemin avec des échelles de corde, on peut découvrir en mer le plus petit bâtiment à douze lieues de distance. Aussitôt que l’un des deux gardes aperçoit un vaisseau, de ce poste il avertit l’autre par le mouvement d’un bâton, et celui-ci donne le même avis à la forteresse, en tirant une petite pièce de canon et déployant le pavillon de la compagnie. S’il paraît plus d’un vaisseau, il tire pour chacun, et présente autant de fois le pavillon. Le bruit de la pièce va jusqu’au fort lorsque le vent est favorable ; et pour peu que le temps soit clair, le pavillon n’est pas vu moins aisément. D’un autre côté, on donne les mêmes signaux de l’île de Robben à la vue du moindre vaisseau, de quelque nation qu’il puisse être. Cette île est située à l’entrée du port, à trois lieues de la ville du Cap.

La montagne du Diable, nommée aussi montagne du Vent, n’est séparée de celle du Lion que par un ravin. Elle doit vraisemblablement ses deux noms aux vents du sud-est, qui sont annoncés par la nuée blanche dont on vient de parler. Ces terribles vents sortent de cette nuée comme de l’ouverture d’un sac, avec une si furieuse violence, qu’ils renversent les maisons, et causent mille dommages aux vaisseaux qui sont dans le port, sans épargner davantage les fruits et les moissons. La montagne est moins haute et moins large que celles de la Table et du Lion, mais elle s’étend jusqu’au bord de la mer. Elles forment ensemble un demi-cercle, qui renferme la vallée de la Table.

Les montagnes du Tigre, qui tirent ce nom de la variété de leurs couleurs et de leur ressemblance avec la peau du tigre, sont fort basses. La plus éloignée du Cap en est à quatre lieues à l’est de la baie de la Table. Elles passent pour les plus fertiles de cet établissement. On y compte, vingt-deux belles métairies, toutes bien bâties. Elles sont cultivées dans toute leur étendue. Un habitant doit avoir plus de mille brebis et deux ou trois cents gros bestiaux pour être regardé comme un homme aisé, et Kolbe en vit un grand nombre qui en avaient quatre ou cinq fois davantage.

Le district du Cap est arrosé par quelques rivières également agréables et commodes. On a nommé la principale rivière de Sel (Zoutrivier), parce que les eaux de son embouchure se sentent du voisinage de la mer ; mais, plus loin de la côte, elle est fraîche, claire et saine. Après avoir tiré sa source du sommet de la montagne de la Table, elle vient se perdre dans la baie du même nom. Dans son cours elle reçoit plusieurs ruisseaux ; elle arrose un grand nombre de belles terres, de champs à blé, de jardins, de vignobles, et particulièrement le beau jardin de la compagnie.

Derrière la baie de la Table on trouve quantité de belles sources, qui arrosent abondamment les terres voisines.

La ville du Cap s’étend depuis la mer jusqu’à la vallée. Elle est grande et régulière, divisée en plusieurs rues spacieuses, et composée de deux cents maisons, avec des cours et des jardins. Ses édifices sont de brique ; mais la plupart d’un seul étage, par précaution contre les vents d’est, qui les incommodent beaucoup, toutes basses qu’elles sont ; et, par la même raison, les toits sont de chaume. L’église, qui est bâtie de pierre, est simple, mais belle, blanchie au dehors, et couverte aussi de chaume. Vis-à-vis est l’hôpital, grand bâtiment régulier, qui peut recevoir plusieurs centaines de malades.

La forteresse, où le gouverneur fait sa résidence, est un édifice majestueux, fort et de grande étendue, fourni de toutes sortes de commodités pour la garnison. Elle commande non-seulement la baie, mais encore tout le pays circonvoisin. Les officiers de la compagnie y ont leur logement, et l’on y entretient constamment une garnison considérable.

Près de la montagne du Buisson s’élève une belle maison de campagne nommée Constantia, que le gouverneur Vanderstel fit bâtir sous le nom de sa femme, quoiqu’il n’eût pu lui inspirer assez de complaisance pour l’accompagner en Afrique. C’est de ce nom de Constantia que vient celui du vin de Constance, que l’on donne souvent aux vins du Cap.

Le district du Cap est le plus petit, mais le plus peuplé de la colonie. Il se compose de deux parties : l’une est l’isthme sur lequel la ville repose, l’autre est cette bande de terre qui s’étend à l’est et au nord. L’isthme produit le raisin en abondance, une petite quantité de vin excellent, tous les fruits de l’Europe et plusieurs du tropique, des légumes de toute espèce, et de l’orge. L’autre partie donne du froment, de l’orge, des légumes et du vin.

La plus grande partie du district de Stellenbosch et de Drakenstein comprend des montagnes pelées, des collines sablonneuses, des plateaux arides ; mais le reste renferme les plus précieuses portions de la colonie, tant par la fertilité du sol que par la douceur du climat.

La Hollande hottentote est la partie la plus méridionale de ce district, et sans contredit la plus fertile et la plus agréable.

Le quartier de Stellenbosch n’a pas moins de fertilité et d’agrément que la Hollande hottentote. Il est comme environné de montagnes qui portent son nom, qui sont beaucoup plus hautes que toutes celles des cantons voisins.

Le quartier de Drakenstein formait autrefois un district dont on rapporte la fondation à l’année 1675, sous le gouvernement de Simon Vanderstel. Les états-généraux ayant recommandé les protestans français réfugiés en Hollande aux soins et à la protection de la compagnie des Indes, elle en fit transporter un grand nombre au Cap et dans ses autres colonies. Celle du Cap étant déjà bien fournie d’habitans, Vanderstel accorda des terres aux réfugiés dans le canton de Drakenstein : cependant ils ne furent pas les premiers qui s’y établirent. Certains artisans et d’autres ouvriers, la plupart d’extraction allemande, qui a valent rempli leur temps au service de la compagnie, y avaient déjà formé diverses plantations.

Une partie de Drakenstein est extrêmement fertile, quoique montagneuse et remplie de pierres. L’air y est serein et favorable à la santé, l’eau bonne et abondante. Les habitations sont arrosées par des ruisseaux qui, descendant des montagnes, viennent se rendre à une rivière qui coule dans le milieu de la vallée située au milieu de la colonie.

Au sud-est de cette grande vallée il en est une autre plus petite enfermée entre de hautes montagnes : on l’appelle fransche Hœk (le Coin français), parce que c’est là que les réfugiés français se sont établis ; c’est un des plus beaux districts de toute la colonie du Cap. Il l’emporte sur tous les autres par la fertilité du terroir et l’activité des habitans. Les Français y ont apporté la vigne.

Le district de Zwellendam est à l’est des précedens ; il y a quelques terres propres à la culture et aux pâturages, mais beaucoup de plateaux arides. Les bêtes à laine y réussissent mal et y sont peu nombreuses. On y voit de grandes forêts.

L’extrémité la plus orientale de la colonie est occupée par le district de Graaf-Reynet. Il est sujet aux incursions des Bosjesmans et des Cafres. Les habitans sont des espèces de nomades. Ces colons pasteurs préfèrent une indolence complète et une nourriture animale à un léger travail, au pain et aux végétaux salutaires que ce travail leur procurerait. Il est vrai que, dans quelques parties, les campagnes sont quelquefois dévastées par les sauterelles.

Les Hottentots, habitans originaires du pays, ont eu souvent des guerres avec les colons hollandais. Dapper nous apprend qu’en 1659 les Capmans disputaient aux Hollandais la propriété de quelques terres voisines du Cap, et s’efforcèrent de les en chasser. Ils alléguaient en leur faveur une possession immémoriale. Pendant cette querelle, ils tuèrent quantité de Hollandais ; ils enlevèrent leurs bestiaux avec une attention continuelle à choisir pour le combat un temps de pluie et de brouillard, parce qu’ils avaient remarqué que les armes à feu étaient alors moins redoutables. Ils avaient pour chefs Garingha et Nomoa, tous deux braves et expérimentés. Les Hollandais donnaient au second le nom de Doman. Il avait passé cinq ou six ans à Batavia ; et, depuis son retour au Cap, il avait vécu long-temps parmi eux, vêtu à la manière de l’Europe. Mais, ayant rejoint les Hottentots de sa nation, il leur avait découvert les intentions des Hollandais, et leur avait appris à se servir de leurs armes, et sous ces deux guides ils n’entreprirent presque rien sans succès.

La guerre durait depuis trois mois, lorsqu’un jour au matin, dans le cours du mois d’août, cinq Hottentots, conduits par Doman, sortirent pour exercer leurs pillages. Ils commencèrent par enlever quelques bestiaux ; mais, se voyant poursuivis par cinq cavaliers hollandais, ils firent face avec beaucoup de fermeté, et blessèrent trois de leurs ennemis ; enfin les Hollandais en tuèrent deux et blessèrent mortellement le troisième. Doman et le seul compagnon qui lui restait sautèrent dans la rivière pour s’échapper à la nage.

Celui qui demeurait blessé avait eu la gorge percée d’un coup de balle et une jambe cassée, sans compter une profonde blessure à la tête. Il fut transporté au fort : on lui demanda quels étaient les motifs de sa nation pour déclarer la guerre aux Hollandais et pour employer contre eux le fer et le feu. Quoiqu’il ressentît de vives douleurs, il fit lui-même diverses questions en forme de réponse : « Pourquoi, dit-il aux Hollandais, avez-vous semé et planté nos terres ? pourquoi les employez-vous à nourrir vos troupeaux , et nous ôtez-vous ainsi notre propre nourriture ? » Il ajouta que sa nation faisait la guerre pour tirer vengeance des injures qu’elle avait reçues ; qu’elle ne pouvait voir sans indignation, non-seulement qu’il ne lui fut pas permis d’approcher des pâturages dont elle avait été si longtemps en possession, après y avoir reçu les Hollandais par un simple mouvement de complaisance, mais que son pays fût usurpé et partagé entre les ravisseurs, sans qu’ils se crussent obligés à la moindre reconnaissance. Qu’auraient fait les Hollandais, s’ils eussent été traités de même ? Il en concluait que le soin qu’ils apportaient à se fortifier n’avait pour but que de réduire par degrés les Hottentots à l’esclavage. On lui répliqua que sa nation y ayant perdu son pays par la guerre, ne devait rien espérer ni de la paix ni des hostilités pour s’y rétablir. C’est alléguer clairement le droit du plus fort ; et, d’après ce raisonnement, toutes les questions faites aux Hottentots étaient fort déplacées.

Ce nègre se nommait Epkamma. Il mourut le sixième jour. Dans ses derniers discours, il dit aux Hollandais qu’il n’était qu’un Hottentot du commun, mais qu’il leur conseillait de s’adresser à Gogasoa, chef de sa nation, et de l’inviter à venir au fort pour traiter avec lui, et faire rendre à chacun, autant qu’il était possible, ce qui lui appartenait, comme le seul moyen de prévenir quantité de nouveaux désastres. Ce conseil parut si sage, que le commandant hollandais députa deux ou trois de ses gens au prince Gogasoa, et lui fit proposer de venir traiter de la paix dans le fort ; mais cette démarche fut inutile. La guerre continua avec fureur ; malgré toutes les précautions des Hollandais, leurs bestiaux furent enlevés presqu’à la vue du fort, avec tant de promptitude et d’audace, qu’ils ne trouvèrent aucun moyen d’y remédier. La haine s’exerça ainsi pendant près d’une année ; mais cette querelle fut enfin terminée par un heureux événement. Un Hottentot de quelque distinction, nommé Herry par les Hollandais, et Kamsemoga par ses compatriotes, ayant été banni pour quelque crime dans l’île de Cohey, se mit dans un mauvais canot, après avoir passé trois mois au lieu de son exil ; et, suivi d’un seul de ses compagnons, il regagna le continent. Le gouverneur hollandais, qui apprit l’évasion de ces deux hommes, les fit chercher aussitôt par quelques-uns de ses gens. Leur canot fut trouvé à trente milles du fort ; mais les Hollandais ne rapportèrent point d’autre éclaircissement. Au mois de février 1660, on fut surpris de voir entrer volontairement dans le fort Herry, accompagné de Kerry, et de quantité d’autres Hottentots sans armes. Ils amenaient avec eux treize bestiaux gras qu’ils prièrent les Hollandais de recevoir comme un témoignage d’amitié, en leur demandant que l’ancienne correspondance fût rétablie. Le commandant du fort accepta ce présent ; et, la confiance commençant à renaître, on convint que les Hollandais auraient la liberté de cultiver les terres aux environs du fort, dans l’espace de trois heures de marche, mais à condition qu’ils ne s’étendraient pas plus loin. Pour ratifier cette convention, les Hottentots furent traités dans le fort avec du pain, du tabac et de l’eau-de-vie.

Peu de temps après, Gogasoa, général des Gorinhaiquas ou des Capmans, vint au fort avec Kerry , et confirma ce traité.

En 1614, le capitaine Dowton, Anglais, mit à terre au Cap un Hottentot nommé Kori, qui avait été mené en Angleterre l’année d’auparavant avec un Nègre qui était mort dans le voyage. Cet Africain avait été bien traité par le chevalier Thomas Smith, gouverneur de la compagnie des Indes orientales ; mais toutes ses caresses, et des armes de cuivre dont on lui avait fait présent ne l’avaient point empêché de soupirer continuellement dans l’impatience de revoir sa patrie. La compagnie ayant consenti à le renvoyer, il ne fut pas plus tôt descendu au rivage qu’il jeta ses habits pour rentrer dans sa condition naturelle. Cependant la reconnaissance le rendit toujours fort officieux pour les vaisseaux anglais qui abordèrent au Cap.

Hottentot paraît être l’ancien nom de tous ces peuples, car ils n’en connaissent point d’autre. Leur origine est fort obscure et fort incertaine. Ils racontent que leurs premiers pères sont entrés dans leur pays par une porte ou par une fenêtre ; que le nom de l’homme était Noh, et celui de la femme Hinhnoh ; qu’ils furent envoyés par Tikquoa, c’est-à-dire par Dieu même, et qu’ils communiquèrent à leurs enfans l’art de nourrir des bestiaux, avec quantité d’autres connaissances. Ces prétendues connaissances sont donc bien diminuées.

Les enfans des Hottentots apportent au monde une couleur d’olive luisante, qui se ternit dans la suite par l’habitude qu’ils ont de se graisser, mais qui ne laisse pas de s’apercevoir, avec quelque soin qu’ils la déguisent. La plus grande partie des hommes ont cinq ou six pieds de hauteur ; les deux sexes sont bien proportionnés dans leur taille. Ils ressemblent aux nègres par la grandeur des yeux, la platitude du nez et l’épaisseur des lèvres, avec cette différence, qu’on emploie l’art pour leur aplatir le nez dans leur enfance. Leur chevelure est semblable à celle des Nègres, c’est-à-dire courte et laineuse. Les hommes ont les pieds gros et larges. Les femmes les ont petits et délicats. Elles ont (selon quelques voyageurs) au-dessus des parties naturelles une excroissance calleuse, qui sert comme de voile pour les couvrir. L’usage de se couper les ongles, soit des pieds, soit des mains, n’est connu ni de l’un ni de l’autre sexe. On voit peu de Hottentots tortus ou difformes : ils sont robustes, agiles et d’une légèreté surprenante. Un cavalier bien monté suit à peine le pas d’un Hottentot. C’est par cette raison que les gouverneurs hollandais du Cap entretiennent constamment une troupe de cavalerie pour les occasions où la nécessité oblige de les poursuivre. Ils sont tous chasseurs, et d’une habileté si singulière dans l’usage de leurs zagaies, de leurs flèches et de leurs kirris ou de leurs bâtons de rakkoum, qu’avec leurs zagaies ils parent un coup de flèche et de pierre.

Le vice favori des Hottentots est la paresse. Cette passion domine également leur corps et leur esprit. Le raisonnement est pour eux un travail, et le travail leur paraît le plus grand de tous les maux. Quoiqu’ils aient sans cesse devant les yeux le plaisir et l’avantage qu’on tire de l’industrie, il n’y a que l’extrême nécessité qui puisse les réduire au travail. La contrainte ne leur cause pas moins d’horreur, c’est-à-dire que, si la nécessité les force de travailler, ils sont dociles, soumis et fidèles ; mais, lorsqu’ils croient avoir assez fait pour satisfaire à leurs besoins présens , ils deviennent sourds à toutes sortes de prières et d’instances, et rien n’a la force de leur faire surmonter leur indolence naturelle. Un autre vice des Hottentots est l’ivrognerie. Qu’on leur donne de l’eau-de-vie et du tabac, ils boiront jusqu’à ne pouvoir se soutenir, ils fumeront jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus voir, ils hurleront jusqu’à ce qu’ils aient perdu la voix. Les femmes ne sont pas moins livrées que les hommes à cet excès d’intempérance ; mais elles sont plus long-temps à s’enivrer, et, dans les vapeurs de l’ivresse, elles poussent la folie jusqu’au transport. Cette passion désordonnée pour les liqueurs, n’empêche pas qu’on ne puisse en confier à leur garde, car elles n’y toucheront jamais sans une permission formelle ; exemple de fidélité qu’on ne trouvera guère dans tout autre pays. D’ailleurs l’ivrognerie n’est point accompagnée, chez les Hottentots, d’une foule d’autres vices qui en sont inséparables en Europe, tels que l’immodestie et l’incontinence. Ses plus fâcheux excès sont leurs querelles, qui finissent quelquefois par des coups.

On leur reprocha avec raison un usage qui blesse la nature, et qui semble appartenir particulièrement à leur nation. Après la cérémonie qui constitue les Hottentots dans la qualité d’homme, ils peuvent sans scandale maltraiter et battre leurs mères : c’est un honneur pour eux de ne pas les ménager ; et loin de s’en plaindre, les femmes approuvent elles-mêmes cette insolence. Si l’on entreprend de faire sentir aux anciens l’absurdité d’une si odieuse pratique, ils croient résoudre la difficulté en répondant que c’est l’usage des Hottentots.

La coutume d’immoler leurs enfans et leurs vieillards doit paraître encore plus barbare ; mais elle n’est pas plus propre aux Hottentots qu’à d’autres nations de l’Afrique et de l’Asie. Sur la première de ces deux barbaries qui déshonore aussi la Chine et le Japon, les Hottentots n’assignent que l’usage pour leur justification ; mais s’il est question de leurs vieillards, ils prétendent que c’est un acte d’humanité, et qu’à cet âge il vaut bien mieux sortir des misères de la vie par la main de ses amis et de ses parens que de mourir de faim dans une hutte ou de devenir la proie des bêtes féroces.

Au reste, leurs vertus paraissent surpasser leurs vices : ce sont la bienveillance, l’amitié et l’hospitalité. Les Hottentots ne respirent que la bonté et l’envie de s’obliger mutuellement ; ils en cherchent continuellement l’occasion. Quelqu’un implore-t-il leur assistance, ils courent le soulager. Leur demande-t-on leur avis, ils le donnent sincèrement. Voient-ils quelqu’un dans le besoin, ils se retranchent tout pour le secourir. Un plaisir des plus sensibles pour les Hottentots est celui de donner.

À l’égard de l’hospitalité, ils étendent cette vertu jusqu’aux Européens étrangers. En voyageant autour du Cap, on est sûr d’un accueil ouvert et caressant dans tous les villages où l’on se présente ; enfin la bonté des Hottentots, leur intégrité leur amour pour la justice et leur chasteté, sont des vertus que peu de nations possèdent au même degré. On en voit beaucoup qui refusent d’embrasser le christianisme, par la seule raison qu’ils voient régner parmi les chrétiens l’avarice, l’envie, l’injustice et la luxure.

Le langage des Hottentots est dur et peu articulé : un seul mot signifie plusieurs choses, et leur prononciation est accompagnée de tant de vibrations, de tours et d’inflexions de langue, qu’elle ne paraît qu’un bégaiement aux oreilles des étrangers. Pour exprimer les espèces particulières d’oiseaux, ils joignent une épithète au mot kourkour, qui signifie, dans leur langue, oiseau en général. Ainsi, pour désigner un oiseau de rivière, ils disent kamma kourkour. Kolbe juge qu’il est fort difficile, et peut-être impossible pour un étranger d’apprendre jamais leur langue ; et par la même raison, quoiqu’ils apprennent facilement le français et le hollandais, ils le prononcent si mal, qu’ils ne parviennent jamais à se faire bien entendre.



VOCABULAIRE HOTTENTOT.



Hottentot.
Français.
Khanna, Mouton.
Dukatore, Canard.
Kgou, Oie.
Kamma, Eau et liqueur.
Bunqvaa ou ay, Arbre.
Quayha, Âne.
Knomm, Entendre.
Nouou, Oreilles.
Kockan, Oiseau nimmé norhan.
Quaqua, Faisan.
Kirri, Bâton.
Tkaka, Baleine.
Nombba, La barbe.
Herri, Bêtes en général.
Kaa, Boire.
Knabou, Fusil de chasse.
Duriè-sa ou Bubaa, Bœuf.
Quara-ho, Taureau sauvage.
Heka-kao, Bœuf de charge.
Oua ou ounequa, Les bras.
Oun-vi, Beurre.
Quien-kha, Tomber.
Houreo, Chien marin.
Lighani, Chien.
Bihgua, La tête.
Kouquequa, Capitaine.
T-kamma, Cerf.
Hottentot.
Français.
Quao, Le cou.
Kouquil, Pigeon.
Quan, Le cœur.
Athuri, Demain.
Kgoyes, Daim.
Kou, Dent.
Tikquoa, Dieu.
Gounia-Tikquoa, Dieu des dieux.
Kham-ouna, Le diable.
K’omma, Maison.
Koaa, Chat.
Konkuri, Fer.
Koo, Fils.
Kummo, Ruisseau.
Konkekerey, Poule.
Tika, Herbe.
Koetsire, Mot scandaleux.
Thoukou, Nuit obscure.
Tkoumo, Riz.
Koamqua, La bouche.
Khou, Paon.
Gona, Garçon.
Gots, Fille.
Tha-Avoklu, Poudre à tirer.
Khoa-kamma, Singe, babouin.
Kuanebou ou Theuhouou, Étoile.
Kan-kamma, La terre.
Mu, Œil.
Tguassouou ou Hqvussonc, Tigre.
Thouou ou Haaklouou, Vache marine.
Tkaa, Vallée.
Khomma, Le ventre.
Toya, Le vent.
Toka, Loup.
Goudi, Mouton.
Qkui, Un.
K’ham, Deux.
K’hounna, Trois.
Hakka, Quatre.
Koò, Cinq.
Nanni, Six.
Honko, Sept.
Khissi, Huit.
K’hessi, Neuf.
Ghissi, Dix.

Les nombres des Hottentots se réduisent à dix ; lorsqu’ils les ont finis, ils reviennent à l’unité, et recommencent à compter dix. Après avoir compté dix fois dix, ils prononcent deux fois le mot dix, qui signifie cent quand il est ainsi redoublé ; ils continuent de même jusqu’à dix fois dix-dix , c’est-à-dire mille ; et recommencent trois fois le même mot, c’est-à-dire dix-dix-dix : ensuite quatre fois, cinq fois, etc.

L’habillement des Hottentots est singulier : les hommes se couvrent le corps d’une mante ouverte ou fermée, suivant la saison. Les mantes qu’ils appellent krosses, sont faites, pour les riches, de peaux de panthère ou de chat sauvage ; celles du peuple ne sont que de peaux de mouton, dont le côté laineux se tourne en dehors pendant l’été ; elles leur servent de matelas pendant la nuit, et de drap mortuaire dans leur sépulture.

Pendant les chaleurs, tous les Hottentots vont tête nue, ou du moins sans autre couverture que leur enduit de suif et de graisse ; ils en chargent tous les jours leur chevelure, sans prendre jamais soin de les nettoyer, ce qui forme une croûte ou un bonnet de mortier noir ; ils prétendent que ce mastic leur rafraîchit la tête. En hiver ils portent une calotte de peau de chat sauvage ou de mouton, soutenue par deux cordons, dont l’un fait deux fois le tour de la tête et vient se lier avec l’autre sous le menton ; ils se servent aussi de ces calottes dans les temps de pluies.

Les Hottentots ont toujours le visage et le cou nus ; ils suspendent à leur cou un petit sac qui contient leur couteau, s’ils sont assez riches pour s’en procurer un, leur pipe, leur tabac et le daka, petit bâton brûlé par les deux bouts, qu’ils portent comme un préservatif contre les sortilèges. Ces petits sacs, ou ces bourses, sont composés souvent des vieux gants de peau qu’ils obtiennent des Européens.

Comme leurs krosses sont le plus souvent ouverts, on leur voit l’estomac et le ventre nus jusqu’aux parties naturelles, qu’ils couvrent ordinairement d’une peau de chat dont le poil est extérieur ; ils ont les jambes nues, excepté lorsqu’ils gardent leurs bestiaux, car ils les couvrent alors d’une espèce de bas ou botte de cuir. S’ils ont une rivière à passer, ils portent des espèces de sandales de cuir de bœuf ou d’éléphant, taillées d’une seule pièce, et liées avec des courroies.

Dans leurs voyages, les Hottentots portent deux verges de fer ou de bois, qu’ils nomment kirris ou rakkoum. La longueur du kirri est d’environ trois pieds, et son épaisseur d’un pouce : il est sans pointe par les deux bouts ; c’est leur arme défensive ; mais le rakkoum est pointu d’un côté, et peut passer pour une sorte de dard, qu’ils lancent avec une adresse admirable ; jamais ils ne manquent le but : c’est l’arme qu’ils emploient à la chasse.

La différence de l’habillement pour les femmes consiste dans l’habitude de porter des bonnets qui s’élèvent spiralement en pointe sur le haut de la tête, au lieu que ceux des hommes sont contigus à la peau, comme une véritable calotte. Les femmes portent aussi deux krosses, ou deux mantes, qui ne sont jamais fermées par-devant ; de sorte qu’elles n’ont la peau cachée que par un sac de cuir, qu’elles ne quittent ni dans l’intérieur de leur maison ni dehors, et qui leur sert à renfermer leurs alimens, leur daka, leur tabac et leur pipe : elles se couvrent les parties naturelles d’une espèce de tablier nommé koutkros, qui est toujours de peau de mouton, sans laine, et beaucoup plus grand que le koutkros des hommes, mais lié de la même manière ; elles en ont un plus petit qui leur couvre le derrière.

Les Hottentots sont passionnés pour les ornemens de tête. Ils ont pris un goût fort vif pour les boutons de cuivre et pour les petites plaques de même métal, qui n’ont pas cessé jusqu’à présent d’être fort à la mode au Cap. Un petit fragment de glace de miroir est si précieux dans leur nation, que les diamans ne sont pas plus estimés en Europe. Les pendans d’oreilles et les colliers de verre ou de cuivre sont des distinctions qui n’appartiennent qu’aux personnes du premier rang, mais leur méthode est de les porter suspendus à leur chevelure ; ils donnent volontiers leurs bestiaux en échange pour toutes les bagatelles de cette espèce.

Il ne faut pas oublier le principal article, celui dont les hommes, les femmes et les enfans sont également idolâtres : c’est l’usage de se graisser le corps avec du beurre ou de la graisse de mouton mêlée avec la suie de leurs chaudrons ; ils renouvellent cette onction autant de fois qu’elle se sèche au soleil. Comme le peuple n’a pas toujours du beurre frais ou de la graisse nouvelle, on sent de fort loin un Hottentot à son approche ; mais les personnes riches sont plus délicates, et n’emploient que le meilleur beurre. Il n’y a point de partie du corps qui soit exceptée ; ceux qui sont assez riches pour ne pas manquer de graisse en frottent jusqu’à leurs krosses ou leurs mantes de peau. Les différences de cette graisse sont la principale distinction entre les riches et les pauvres. D’un autre côté, ils ont la graisse de poisson en horreur, et non-seulement ils n’en mangent point, mais ils ne peuvent en souffrir sur leur corps.

Kolbe est persuadé que leur unique but a toujours été de se défendre contre les ardeurs excessives du soleil, qui, sans ce secours, aurait bientôt épuisé leurs forces dans un climat si chaud.

La répétition fréquente de leur onction semble confirmer l’opinion de Kolbe, et montre en même temps combien l’instinct des nations les plus sauvages est habile à leur indiquer les moyens de se défendre contre leur climat.

Les Hottentots se nourrissent de la chair et des entrailles de leurs bestiaux et de quelques animaux sauvages, avec des racines et des fruits de différentes espèces. Les hommes, qui ne se contentent point des fruits, des racines et du lait que les femmes leur préparent, ont pour ressource la chasse ou la pêche ; ils chassent toujours en troupes nombreuses. Les entrailles des animaux sauvages ou de leurs bestiaux sont pour eux un mets exquis : ils les font bouillir ordinairement dans le sang des mêmes animaux, en y mêlant du lait, et quelquefois ils les mangent grillés ; mais, avec l’une ou l’autre préparation, ils les avalent à demi crus, ou plutôt ils les dévorent avec une avidité extrême. Les femmes sont chargées de la cuisine, excepté dans le temps de leurs infirmités périodiques, pendant lequel temps l’usage des hommes est de vivre chez leurs voisins ou de préparer eux-mêmes leurs alimens ; ils les font cuire à l’eau comme en Europe. Les heures de leurs repas ne sont jamais réglées ; ils suivent leur caprice ou leur appétit, sans aucune distinction de la nuit ou du jour. Dans le beau temps, ils mangent en plein air. Pendant le vent ou la pluie, ils se tiennent renfermés dans leurs huttes. D’anciennes traditions les obligent à s’abstenir de certains mets, tels que la chair de porc et celle des poissons sans écailles, qui sont également défendues aux deux sexes. Les lièvres et les lapins sont défendus aux hommes et permis aux femmes ; le pur sang des animaux et la chair de taupe sont permis aux hommes et défendus aux femmes.

La malpropreté des Hottentots les expose à toutes sortes de vermine, surtout aux poux, qui sont d’une grosseur extraordinaire ; mais s’ils en sont mangés, ils les mangent aussi ; et lorsqu’on leur demande comment ils peuvent s’accommoder d’un mets si détestable, ils allèguent la loi du talion, et prétendent qu’il n’y a point de honte à dévorer des animaux qui les dévorent eux-mêmes. Ils ne paraissent point embarrassés lorsqu’on les surprend à la chasse des poux avec des tas de cette vermine autour d’eux.

Les Européens du Cap se servent aux champs d’une espèce de soulier de cuir cru, dont le poil est tourné en dehors. Aussitôt qu’ils les quittent, on voit les Hottentots les ramasser avec précipitation. Ils les conservent dans leurs huttes pour les jours de pluie. Si leurs provisions viennent alors à manquer, ils se contentent d’en ôter le poil, et de les faire un peu tremper dans l’eau, puis ils les rôtissent au feu pour les manger.

Quoique les Hottentots ne mangent jamais de sel entre eux, et qu’ils n’aient l’usage d’aucune sorte d’épice pour assaisonner leurs mets, ils aiment beaucoup les assaisonnemens de l’Europe, et mangent avidement toutes les viandes de haut goût, quoiqu’ils aient peine ensuite à se désaltérer. Kolbe observe que ceux qui s’accoutument à nos alimens ne vivent pas si long-temps et ne jouissent pas d’une si bonne santé que le reste de leurs compatriotes.

Les deux sexes ont une passion désordonnée pour le tabac. Un Hottentot aimerait mieux perdre une dent que la moindre partie de cette précieuse plante. Ils jugent mieux de sa bonté que l’Européen le plus délicat. Le tabac fait toujours une partie de leurs gages, lorsqu’ils se louent au service d’un blanc. S’ils manquent de tabac, ils se servent d’une autre plante nommée daka, qui envoie les mêmes vapeurs à la tête. Quelquefois ils les mêlent ensemble, et ce mélange se nomme bouzpesch. La racine de kanna, un des végétaux particuliers à ce pays, est fort estimée aussi des Hottentots, parce qu’elle produit les mêmes effets.

Ils demeurent, comme les Tartares, dans des villages mobiles, qu’ils appellent kraals. Ces habitations ne contiennent jamais moins de


vingt huttes, bâties fort près l’une de l’autre ; et le kraal qui n’a pas plus de cent habitans passe pour un lieu peu considérable. On trouve dans la plupart trois ou quatre cents personnes, et quelquefois cinq cents. Chaque kraal n’a qu’une entrée fort étroite. Les huttes sont rangées en cercle sur le bord de quelque rivière, dans une situation commode, et ressemblent à des fours ; elles sont composées de bâtons, de bois et de nattes. Ces bâtons ne sont pas plus gros que les manches de nos râteaux ou de nos pelles ; mais ils sont beaucoup plus longs. Les nattes, qui sont l’ouvrage de leurs femmes, ne sont qu’un tissu de jonc et de glaïeul, mais si serré, que la pluie n’y peut pénétrer. La forme de ces huttes est ovale : dans leur plus long diamètre, elles ont environ quatorze pieds. L’entrée de ces fours n’a environ que trois pieds de haut sur deux de large ; de sorte que les habitans n’y peuvent entrer qu’en rampant sur les genoux et les mains. Comme il est impossible de se tenir debout dans un lieu si bas, les hommes et les femmes y sont accroupis sur les jarrets, et l’habitude leur rend cette posture aisée. Dans les grandes huttes comme dans les petites, on ne voit jamais résider plus d’une famille, qui est ordinairement composée de dix ou douze personnes de toutes sortes d’âges. Le centre de la hutte est occupé par un grand trou d’un pied de profondeur, qui sert de cheminée ou de foyer. Il est environné de trous plus petits, qui servent de place aux habitans pour s’asseoir, et de lit pour dormir. Chacun a son trou séparé, hommes et femmes, dans lequel ils reposent tranquillement avec leurs krosses ou leurs mantes étendues sur eux. Les krosses de réserve, les arcs et les flèches sont suspendus aux murs. Deux ou trois pots pour les usages de la cuisine, un ou deux pour boire, et quelques vaisseaux de terre pour le beurre et le lait composent tout le reste de l’ameublement. La fumée ne pouvant sortir que par la porte, il n’y a point d’Européen qui soit capable de demeurer dans ces huttes lorsque le feu est allumé. En considérant leurs dimensions, on est surpris que des matériaux si combustibles puissent échapper aux flammes. Chaque hutte est gardée par un chien qui veille à la sûreté de la famille et des bestiaux.

Aussitôt que le pâturage leur manque, ou lorsqu’ils perdent un de leurs habitans par une mort naturelle ou violente, ils changent d’habitation.

Leur principal instrument de musique est le gongom, qui est commun à toutes les nations des Nègres sur cette côte de l’Afrique ; on en distingue deux sortes, le grand et le petit. C’est un arc de fer ou de bois tendu d’une corde de boyau ou de nerf de mouton, qu’on a fait assez sécher au soleil pour la rendre propre à cet usage. À l’extrémité de l’arc on attache, d’un côté, le tuyau d’une plume fendue, en faisant passer la corde dans la fente. Le joueur tient cette plume dans la bouche lorsqu’il manie l’instrument, et les différent tons du gongom viennent des différentes modulations de son souffle. Les Hottentots sont passionnés pour la musique.

Leur manière de danser n’est pas de meilleur goût que leur musique. Les hommes s’accroupissent en cercle, et laissent entre eux quelque distance pour le passage des femmes. Aussitôt que les gongoms commencent à se faire entendre, les femmes battent des doigts sur leurs tambours. Toute l’assemblée chante ho, ho, ho, et frappe des mains. Alors il se présente plusieurs couples pour danser. Mais on n’en laisse entrer que deux à la fois dans le cercle. Ils se placent face à face. En commençant, ils sont éloignés entre eux d’environ dix pas, et cinq ou six minutes se passent avant qu’ils se rencontrent. Quelquefois ils dansent dos à dos ; mais jamais ils ne se prennent par les mains. Chaque danse ne dure guère moins d’une heure.Leur agilité est surprenante, et leurs pas sont nets et dégagés. Pendant ce temps-là toutes les femmes se tiennent debout, les yeux baissés, et chantent ho, ho, ho, en battant des mains. Lorsqu’elles ont besoin d’hommes pour la danse, elles lèvent la tête et secouent les anneaux qu’elles portent aux jambes. Le bruit qu’elles font en frappant du pied ressemble à celui du cheval qui se secoue sous le harnais. Les danseurs fatiguent ordinairement les musiciens, car il faut que chacun danse à son tour.

La chasse est un autre amusement que les Hottentots aiment beaucoup. Ils y font éclater une adresse surprenante, soit dans le maniement de leurs armes, soit dans la vitesse et la légèreté de leur course. Kolbe s’étonne qu’ils ne fassent pas plus souvent un mauvais usage de leur agilité, quoiqu’il leur arrive quelquefois d’en abuser. Il en rapporte un exemple. Un matelot hollandais, en débarquant au Cap, chargea un Hottentot de porter à la ville un rouleau de tabac d’environ vingt livres. Lorsqu’ils furent tous deux à quelque distance de la troupe, le Hottentot demanda au blanc s’il savait courir. « Courir ? répondit le Hollandais ; oui, fort bien. Essayons, reprit l’Africain ; » et, se mettant à courir avec le tabac, il disparut presque aussitôt. Le matelot hollandais, confondu de cette merveilleuse vitesse, ne pensa point à le poursuivre, et ne revit jamais ni son tabac ni son porteur.

On aurait peine à s’imaginer quelle est l’adresse de ces barbares. À cent pas, ils toucheront d’un coup de pierre une marque de la grandeur d’un sou ; et ce qu’il y a de plus étonnant, c’est qu’au lieu de fixer comme nous les yeux sur le but, ils font des mouvemens et des contorsions continuelles ; il semble que leur pierre soit portée par une main invisible. Ils remarquent avec plaisir l’admiration des Européens, et sont toujours prêts à recommencer la même expérience.

Les grandes chasses sont celles où tous les habitans d’un village sortent ensemble, soit pour attaquer quelque bête féroce qui ravage leurs troupeaux, soit pour leur seul amusement. S’ils veulent tuer un éléphant, un rhinocéros, un élan ou un âne sauvage, ils l’environnent et l’attaquent avec leurs zagaies. Leur adresse consiste à ménager si bien leurs coups, que l’un ou l’autre frappent toujours l’animal par-derrière, et dès qu’il se tourne vers celui qui l’a frappé, ils le font tomber couvert de blessures avant qu’il ait pu distinguer ceux qui le frappent. Ils réussissent de même à tuer les lions et les panthères, en se garantissant de la fureur de ces animaux par leur agilité. Le monstre s’élance quelquefois si impétueusement, et le coup de sa griffe paraît si sûr, qu’on tremble pour le chasseur, et qu’on s’attend à le voir aussitôt en pièces ; mais on est surpris de se trouver trompé. Dans un clin d’œil il échappe au danger, et l’animal décharge toute sa rage contre terre. Au même instant il est couvert de blessures par-derrière. Il se tourne, il se précipite sur un autre ennemi, mais toujours en vain ; il rugit, il écume, il se roule de fureur. La promptitude des chasseurs est égale à se garantir de ses griffes, et à s’entr’aider par de nouveaux coups avec autant de vitesse que de résolution. C’est un spectacle dont on ne trouve d’exemple dans aucun autre pays, et qu’on ne saurait voir sans admiration. Si l’animal ne perd pas bientôt la vie, il prend enfin la fuite, en s’apercevant qu’il n’a rien à gagner contre de tels ennemis. Alors les Hottentots lui laissent la liberté de se retirer ; mais ils le suivent à quelque distance, parce que, leurs flèches étant empoisonnées, ils sont sûrs de le voir tomber devant eux et d’emporter sa peau pour fruit de leur victoire.

Les Hottentots ont institué un ordre fort honorable et fort singulier, composé de ceux qui ont tué dans un combat particulier un lion, une panthère, un léopard, un éléphant, un rhinocéros ou un gnou. L’installation se fait avec beaucoup de cérémonie. Après son exploit il se retire dans sa hutte ; les habitans du village lui députent bientôt un vieillard pour l’inviter à se rendre au centre du kraal, où il est attendu avec tous les honneurs qui sont dus à sa victoire. Il se laisse conduire par un guide. Toute l’assemblée le reçoit avec des acclamations. Il s’accroupit au milieu d’une hutte qu’on a préparée pour lui, et tous les habitans se placent autour de lui dans la même posture. Alors le vieux député s’approche et pisse sur lui depuis la tête jusqu’aux pieds en prononçant certaines paroles. Si le député est de ses amis, il l’inonde d’un déluge d’eau, et l’honneur augmente à proportion de la quantité d’urine. Le champion n’a pas manqué de se faire d’avance, avec les ongles, des sillons sur la graisse dont il a le corps enduit, pour recevoir plus immédiatement cette aspersion. Il s’en frotte soigneusement le visage et tout le corps. Kolbe a cru devoir donner à cette institution le nom d’ordre de l’Urine, parce qu’elle n’en porte aucun dans la nation. Après la cérémonie, le député allume sa pipe, et la fait circuler dans l’assemblée jusqu’à ce que le tabac ou le daka soit réduit en cendres. Ensuite, prenant les cendres, il en parsème le nouveau chevalier, qui reçoit en même temps les félicitations de l’assemblée sur l’honneur qu’il a fait au kraal, et sur le service qu’il a rendu à sa patrie. Ce grand jour est suivi pour lui de trois jours de repos, pendant lesquels il est défendu à sa propre femme d’approcher de lui. Le troisième jour au soir, il tue un mouton, reçoit sa femme et se réjouit avec ses amis et ses voisins. Le monument de sa gloire est la vessie de l’animal qu’il a tué. Il la porte suspendue à sa chevelure comme une marque insigne d’honneur. Kolbe ajoute que la mort d’une panthère cause plus de joie aux Hottentots que celle de toute autre bête.

Ils sont d’une adresse incomparable à la nage. Leur manière de nager a quelque chose de surprenant, et qui leur est tout-à-fait propre. Ils nagent le cou droit et les mains étendues hors de l’eau, de sorte qu’ils paraissent marcher sur terre. Dans la plus grande agitation de la mer, et lorsque les flots forment autant de montagnes, ils dansent en quelque sorte sur le dos des vagues, montant et descendant comme un morceau de liège. Leurs pécheurs enveloppent dans leurs krosses ou dans des sacs de cuir les poissons qu’ils ont pris, et nagent ainsi avec leur fardeau sur la tête.

Les ouvertures et les propositions de mariage sont faites par le père ou par le plus proche parent de l’homme, qui s’adresse au plus proche parent de la femme. Il est rare que la demande soit refusée, à moins qu’une famille ne soit déjà liée par quelque autre engagement. Si la jeune fille n’a point de goût pour le mari qu’on lui propose, il ne lui reste qu’une ressource pour éviter d’être à lui ; c’est de passer avec lui une nuit entière, qui est employée, suivant Kolbe, à se pincer, à se chatouiller, à se fouetter. Elle devient libre, si elle résiste à cette dangereuse épreuve ; mais si le jeune homme l’emporte, comme il arrive presque toujours, elle est obligée de l’épouser.

Malgré la passion que les Hottentots ont pour la musique et la danse, ils ne les emploient jamais dans leurs fêtes nuptiales. Ils admettent la polygamie ; mais il est rare, même parmi les riches, qu’on leur voie plus de trois femmes. Ils ne permettent ni le mariage, ni la fornication entre les cousins aux premier et second degrés. Ceux qui sont convaincus d’avoir violé cette loi reçoivent une forte bastonnade, sans aucun égard pour le rang et les richesses.

L’adultère est toujours puni de mort ; mais le divorce est permis, lorsque le mari peut le justifier par de bonnes raisons. Une veuve qui se remarie est obligée de se couper la jointure du petit doigt, et de continuer la même opération aux doigts suivans, chaque fois qu’elle rentre dans les chaînes du mariage.

On fait des réjouissances extraordinaires à la naissance de deux jumeaux mâles. Si ce sont deux filles, l’usage est de tuer la plus laide. Si c’est une fille et un garçon, la fille est exposée sur une branche d’arbre, ou ensevelie vive, avec la participation et le consentement de tout le kraal. On a trouvé plusieurs de ces enfans abandonnés, que les Européens du Cap ont eu l’humanité de faire élever. Mais lorsqu’ils arrivent à l’âge de maturité, ils renoncent aux mœurs, aux vêtemens et à la religion de leurs bienfaiteurs pour se conformer aux usages de leur nation.

Les réjouissances sont beaucoup plus vives pour un premier enfant que pour ceux qui le suivent. Aussi le fils aîné jouit-il d’une autorité presque absolue sur ses frères et ses sœurs.

On s’est persuadé mal à propos en Europe que les Hottentots naissent avec le nez plat. La plupart, au contraire, apportent en naissant un nez de la forme des nôtres ; mais il passe dans la nation pour une si grande difformité, que le premier soin des mères est de les aplatir avec le pouce.

C’est encore un usage général d’ôter un testicule aux garçons vers l’âge de neuf ou dix ans ; mais, dans les familles pauvres, on attend pour cette cérémonie l’occasion de pouvoir subvenir à la dépense. Le jeune homme, après avoir été frotté de graisse fraîche de mouton, est étendu à terre sur le dos, les pieds et les mains liés ; ses amis se couchent sur lui pour le rendre comme immobile. Dans cette situation, l’opérateur lui fait avec un couteau de table une ouverture au scrotum d’un pouce et demi de longueur. Il fait sortir le testicule, et met à la place une petite boule de la même grosseur composée de graisse de mouton et d’un mélange d’herbes pulvérisées ; ensuite il recoud la blessure avec un petit os d’oiseau qui est aussi pointu qu’une alêne ; un nerf de mouton sert de fil. Cette opération se fait avec une adresse qui surprendrait nos plus habiles anatomistes, et jamais elle n’a de fâcheuses suites. Lorsqu’elle est achevée, l’opérateur recommence les onctions avec la graisse du mouton qu’on a tué pour la fête. Il tourne le patient sur le dos et sur le ventre, comme un cochon de lait qu’on se disposerait à rôtir, dit l’auteur. Enfin il pisse sur toutes les parties du corps, et le frotte soigneusement de son urine. Après cette monstrueuse cérémonie, le jeune homme se traîne dans une petite hutte bâtie exprès pour cet usage. Il y passe deux ou trois jours, au bout desquels il sort parfaitement rétabli. Les jeunes Hottentots supportent cette opération avec une patience et une résolution surprenante ; mais ceux qm n’ont point encore passé par les mains de l’opérateur n’ont pas la liberté d’y assister. Les spectateurs se rendent à la maison des parens, et mangent la chair du mouton, qu’ils trouvent préparée. Le bouillon est distribué aux femmes ; mais le malade n’a point de part au festin. Le reste du jour et la nuit suivante sont employés à la danse. Si la famille est riche, le salaire de l’opérateur est un veau ou un mouton.

Quelques auteurs, cherchant la raison d’un usage si bizarre, se sont imaginé qu’il peut servir à rendre les Hottentots plus légers à la course ; et quand on les interroge eux-mêmes, on n’en reçoit pas d’autre explication. Cependant Kolbe apprit de quelques vieillards intelligens que, par une loi fort ancienne, il est défendu aux hommes de leur nation d’avoir aucun commerce charnel avec les femmes tandis qu’ils ont deux testicules, et que cette loi est fondée sur l’opinion qu’un Hottentot dans cet état produit constamment deux jumeaux. Ceux qui se marieraient sans une mutilation si nécessaire se verraient exposés aux railleries du public, et la femme serait peut-être déchirée par toutes les autres personnes de son sexe ; aussi ne manque-t-elle point de se faire garantir l’état de son mari avant de l’épouser. Elle s’en rapporte néanmoins au témoignage d’autrui, parce que la modestie, dit l’auteur, ne lui permet pas de s’en assurer par ses propres yeux.

La jeunesse, parmi les Hottentots, est confiée à la garde des mères jusqu’à l’âge de dix-huit ans. On reçoit alors les garçons au rang des hommes, avec lesquels ils n’ont point auparavant la hardiesse de converser, sans en excepter leur propre père. Tous les habitans s’assemblent, et les hommes s’accroupissent ensemble. Le candidat reçoit ordre de se mettre dans la même posture, mais hors du cercle. Il doit être accroupi sur ses jarrets de manière qu’il reste au moins trois pouces de distance jusqu’à la terre : alors le plus vieux de l’assemblée se lève, demande le consentement des autres pour recevoir le candidat, s’approche de lui, et lui déclare qu’à l’avenir il doit abandonner sa mère, renoncer à la compagnie des femmes et aux amusemens de l’enfance ; en un mot, que dans ses actions et ses discours il doit se conduire en homme. Le candidat, qui n’est point venu sans être bien frotté de graisse et de suie, reçoit immédiatement une inondation d’urine par le ministère de l’orateur. Il paraît que chez ce peuple c’est un ingrédient essentiel à toutes les cérémonies.

La nation des Hottentots est sujette à peu de maladies, et ceux qui s’assujettissent à la diète du pays s’en ressentent rarement. On les voit vivre, suivant le témoignage de Dapper, jusqu’à cent dix, cent vingt et cent trente ans. Kolbe en vit un au Cap qui n’avait pas beaucoup moins de cent ans, et qui se vantait de n’avoir jamais été attaqué d’aucune maladie. Mais ceux qui font usage des liqueurs étrangères abrègent leurs jours et gagnent des maladies qui n’avaient jamais été connues dans leur nation. Les alimens mêmes, assaisonnés à la manière de l’Europe, sont pernicieux pour les Hottentots.

La médecine et la chirurgie sont deux arts qu’ils exercent conjointement, et dans lesquels Kolbe assure que leurs connaissances ne sont pas méprisables. On leur voit faire des cures merveilleuses, ils sont fort versés dans la botanique de leur pays. Il ont de bonnes notions de l’anatomie, de la saignée, des ventouses et des opérations les plus difficiles, telles que l’amputation et l’art de remettre un membre disloqué. Leur adresse est d’autant plus admirable, qu’ils n’ont pour instrumens que des cornets, des couteaux et des os pointus.

Le médecin est la troisième personne de l’état. Les grands kraals en ont deux. On les choisit entre les plus sages habitans pour veiller à la santé du public ; mais ils ne reçoivent jamais de récompense ni d’appointemens comme s’ils étaient assez récompensés par la distinction de leurs fonctions. Il ne manque rien à la confiance et au respect qu’on a pour eux. Comme la nation des Hottentots est sujette à peu de maladies, ils ne sont pas surchargés d’occupations.

Les Européens du Cap ont aussi peu de maladies à combattre, preuve assez claire de la bonté du climat. Les femmes souffrent très-peu dans l’accouchement ; mais, en allaitant leurs enfans, elles sont fort sujettes à des maux de sein. La petite vérole et la rougeole n’ont point ordinairement de suites fâcheuses. Le flux de sang est une espèce de tribut que les étrangers paient au Cap en y arrivant ; mais il se guérit aisément par des remèdes convenables. La maladie la plus commune parmi les Européens du Cap est celle des yeux : elle est surtout fort dangereuse en été, et l’auteur l’attribue aux vents du sud-est, qui sont d’une chaleur extrême, et à la réverbération du soleil contre les montagnes. On n’a jamais entendu parler de la pierre parmi les Européens du Cap.

Aussi long-temps qu’un homme ou une femme sont capables de sortir de leur hutte en rampant pour y apporter une plante, une racine ou un bâton de bois, ils sont traités de leur famille avec beaucoup de tendresse et d’humanité ; mais, lorsque la force les abandonne entièrement, leurs amis et leurs propres enfans les tuent, pour leur éviter de périr de faim, de misère, ou par les griffes des bêtes féroces. Quelque riche que soit un Hottentot, il ne peut éviter ce malheureux sort, s’il survit à ses forces et à son activité. C’est en vain qu’on reproche à ces peuples une pratique si barbare ; ils s’obstinent à la défendre comme une action méritoire et comme une œuvre de piété et de compassion pour délivrer un vieillard des tourmens de la vie, qui deviennent insupportables à cet âge.

Les bestiaux d’un kraal ou d’un village paissent en commun, les grands dans un pâturage, et les petits dans un autre ; mais un simple Hottentot qui n’aurait qu’une seule brebis a droit de la joindre au troupeau public, où l’on en prend le même soin que si elle appartenait au chef du kraal. Les communautés n’ont pas de bergers ou de pâtres d’office. Chacun est obligé à son tour d’exercer cette fonction, c’est-à-dire trois ou quatre à la fois, suivant les circonstances et les besoins. Ils mènent les troupeaux au pâturage entre six et sept heures du matin. Ils les ramènent le soir avant huit heures. Les femmes sont chargées de traire les vaches matin et soir. Pendant toute l’année, ils laissent les taureaux avec les vaches, et les béliers avec les brebis. Cette méthode sert beaucoup à la multiplication : leurs brebis produisent constamment deux agneaux chaque année. Les Européens du Cap, qui ont une méthode opposée, prétendent qu’à la longue celle des Hottentots affaiblit et diminue la race ; mais les Hottentots pensent autrement.

La multitude des bêtes de proie qui infestent le pays oblige les Hottentots à des précautions continuelles pour la sûreté de leurs troupeaux pendant la nuit. Leur méthode ordinaire est de placer leurs jeunes bestiaux dans le centre du kraal. Les vieux sont attachés en dehors contre les huttes, et liés deux à deux par les pieds pour empêcher leur mutinerie. Dans cette situation, ils n’ont pas besoin de sentinelle qui demeure à veiller ; l’approche du moindre danger leur fait pousser de longs mugissemens qui répandent aussitôt l’alarme dans le kraal.

Ils ont une sorte de bœufs qu’ils appellent bakkeleyers, c’est-à-dire bœufs de combat, du mot bakkeley, qui signifie guerre, et dont ils se servent en effet dans leurs guerres, comme les peuples de l’Asie emploient les éléphans. Ces animaux belliqueux leur rendent d’importans services contre les voleurs et les bêtes féroces. Au moindre signe, ils rappellent les autres bestiaux qui s’écartent, et les forcent, comme nos chiens de bergers, de rentrer dans le cercle du troupeau. Il n’y a point de kraal qui n’ait au moins une demi-douzaine de ces fidèles défenseurs. Ils connaissent tous les habitans de leurs villages. Ils ont pour eux une sorte de respect, tel que celui des chiens pour les amis de leur maître. Mais un étranger qui se présenterait sans être accompagné d’un Hottentot du kraal courrait risque d’être fort maltraité, s’il n’avait la précaution d’épouvanter les bakkeleyers en sifflant, ou par la décharge de quelque arme à feu.

Ils ont aussi des bœufs de voiture, qu’ils accoutument de bonne heure à cet exercice en leur faisant passer au travers de la lèvre supérieure, entre les deux narines, un bâton terminé en crochet, pour empêcher qu’il ne glisse. Si l’animal est indocile, ils se servent de ce frein pour lui faire baisser la tête, et la force de la douleur l’assujettit en peu de jours. On ne saurait voir sans admiration avec quelle promptitude il obéit au commandement. La crainte du bâton terrible rend sa diligence et son attention surprenantes. Les bœufs de charge sont en beaucoup plus grand nombre que les bakkeleyers, et servent à porter toutes sortes de fardeaux.

Ils savent tanner les peaux ou les cuirs. Leurs pelletiers exercent aussi le métier de tailleur, et ne manquent point d’adresse dans leur profession : un os d’oiseau leur sert d’aiguille. Leur fil est le petit nerf qui règne le long de l’épine du dos des bêtes, divisé et séché au soleil. Avec cet unique secours, ils emploient moins de temps à faire leurs krosses ou leurs mantes, et les font peut-être mieux que nos plus habiles tailleurs.

Les Hottentots ont des artistes ou des ouvriers en ivoire qui font les bracelets et les anneaux dont ils composent leur parure. Quoique ce travail soit fort ennuyeux, parce qu’ils n’ont pas d’autre instrument qu’un couteau, ils donnent à leur ouvrage une rondeur, un luisant, un poli qui le feraient attribuer au plus habile tourneur de l’Europe.

Tous les Hottentots sont potiers de profession, car chaque famille fait sa poterie et ses autres ustensiles de terre. Leur matière est une sorte de terre glaise dont les fourmis composent leurs habitations, et qu’ils ne tirent en effet que de leurs nids, en y mêlant les œufs des fourmis qu’ils y trouvent dispersés ; ensuite ils la tournent sur une pierre comme un pâté : ils unissent parfaitement le dedans et le dehors avec la main, et donnent à leur vase la forme de l’urne romaine, qui est celle de tous les pots de la nation. Deux jours d’exposition au soleil suffisent pour le sécher. L’ouvrier le sépare alors de la pierre avec un nerf sec qu’il passe entre deux et qui fait l’office d’une scie. Il ne reste qu’à le faire cuire au feu dans un trou qu’on creuse sous terre. Cette dernière opération lui donne une dureté surprenante, avec une couleur de jais qui se soutient merveilleusement, et que les Hottentots attribuent au mélange des œufs de fourmis.

Leurs forgerons sont d’autant plus admirables, qu’ils forgent le fer tel qu’il sort des mines, qui sont en abondance dans toutes les parties du pays, sans y employer d’autre secours que des pierres : ils ouvrent un grand trou sur un terrain élevé. Un pied et demi plus bas, ils en font un autre pour recevoir le métal fondu, qui passe de l’un à l’autre par un canal de communication. Avant de mettre le minéral dans le grand trou, ils font autour de l’ouverture un feu capable de l’échauffer dans toutes ses parties. Ensuite ils y jettent le minéral, sur lequel ils continuent d’entretenir ce feu jusqu’à ce qu’il descende en fusion. Aussitôt qu’il est refroidi, ils le brisent en pièces avec des pierres fort dures ; et, remettant ces pièces au feu, ils n’emploient que des pierres au lieu de marteaux pour en forger des armes et d’autres ustensiles. Ils fondent quelquefois le cuivre par la même méthode ; mais l’usage qu’ils en font est borné à quelques bijoux pour leur parure. Ils le mettent en œuvre, et le polissent avec une industrie surprenante.

Le commerce des Hottentots ne consiste qu’en échanges : ils n’ont point de monnaie courante ni la moindre notion de son utilité.

On ne court aucun risque de voyager avec un Hottentot dans tous les pays voisins du Cap, et l’on est sûr d’être bien reçu et caressé même dans tous les villages. Les Hottentots se piquent d’une fidélité admirable pour tout ce qui est confié à leurs voisins. À la vérité, il se trouve dans les contrées du Cap une sorte de brigands ou de bandits qui vivent de leurs pillages ; mais ils sont en horreur à tous les Hottentots civilisés, qui les tuent comme autant de bêtes féroces, dans quelque endroit qu’ils puissent les rencontrer.

Il serait difficile d’approfondir les notions des Hottentots sur l’Être suprême, et leurs véritables principes de religion. Ils évitent soigneusement toutes sortes d’explications sur cet article ; et leurs réponses, comme celles qu’ils font à toutes les questions qui regardent leurs usages, paraissent autant de déguisemens et de subterfuges. Quelques auteurs en ont pris droit de douter s’ils ont en effet quelque idée de religion. Mais Kolbe assure formellement qu'ils reconnaissent un dieu, créateur de tout ce qui existe. Ils l’appellent Gounga ou Gounga Tekquoa, c’est-à-dire, dieu de tous les dieux. Ils disent de lui : « Que c’est un excellent homme, qui ne fait aucun mal à personne, de qui l’on n’en doit jamais craindre ; et qu’il demeure fort loin au delà de la lune. » Mais il ne paraît pas qu’ils aient aucune espèce de culte pour l’honorer. Quand les questions qu’on leur fait sont pressantes, ils apportent pour excuse une tradition qui leur apprend que leurs premiers parens, ayant offensé ce dieu, ont été condamnés avec toute leur postérité à l’endurcissement du cœur ; de sorte que, s’ils le connaissent peu, ils confessent qu’ils n’ont pas beaucoup d’inclination à le connaître et à le servir mieux.

Ils rendent des adorations à la lune, dans des assemblées qu’ils font la nuit en plein champ. Ils lui sacrifient des bestiaux et lui offrent de la chair et du lait. Ces sacrifices se renouvellent constamment aux pleines lunes. Ils félicitent cet astre de son retour ; ils lui demandent un temps favorable, des pâturages pour leurs troupeaux, et beaucoup de lait. Ils la regardent comme un gounga inférieur qui représente le grand.

Ils honorent aussi, comme une divinité favorable certain insecte de l’espèce des cerfs-volans, qui est particulier à cette région. Sa grandeur est à peu près celle du doigt d’un enfant. Son dos est vert, et son ventre est tacheté de blanc et de rouge. Il a deux ailes et deux cornes. Dans quelques lieux qu’ils puissent l’apercevoir, ils lui adressent les plus grandes marques de respect et d’honneur. Lorsqu’il paraît dans un kraal, tous les habitans s’assemblent pour le recevoir, comme si c’était un dieu descendu du ciel.

Les Hottentots rendent une espèce de culte ou de vénération religieuse à leurs saints, c’est-à-dire aux hommes qui ont acquis de la réputation par leurs vertus et leurs bonnes œuvres. Ils n’ont pas l’usage des statues, des tombes et des inscriptions ; mais ils consacrent à la mémoire de ces héros des bois, des montagnes, des champs et des rivières. Ils ne passent jamais dans ces lieux sans s’y arrêter. Ils y marquent leur respect par un profond silence, et quelquefois par des danses et des battemens de mains. Cette institution n’a rien de barbare. On ne sait pas assez chez les nations civilisées combien il faut parler aux sens, même en morale. Des hommages publics rendus à des monumens visibles, qui rappelleraient le souvenir des grands hommes, avertiraient plus souvent de les imiter, et en inspireraient le désir.

On ne leur a point reconnu la moindre notion d’un état futur, et bien moins l’espérance d’une résurrection. Ils craignent les revenans ou les esprits des morts, et cette crainte les oblige de changer de kraal lorsqu’ils ont perdu quelque habitant. Ils croient que les sorciers et les sorcières ont le pouvoir d’attirer ces esprits ; mais ils paraissent persuadés que les âmes des morts font leur domicile autour des lieux où leurs corps sont enterrés, et l’on ne s’aperçoit point qu’ils redoutent un enfer et des punitions, ou qu’ils espèrent des récompenses dans un état plus heureux.

Tel est le fond de la religion des Hottentots. Ils y sont attachés avec une opiniâtreté inviolable. Si vous entreprenez de leur inspirer d’autres idées par le raisonnement, ils vous écoutent à peine, et quelquefois ils vous quittent brusquement. Il s’en est trouvé quelques-uns qui ont feint d’embrasser le christianisme mais, en perdant leurs motifs, on les a toujours vus retourner à leur croyance. Tous les efforts des missionnaires hollandais du Cap n’ont jamais été capables d’en convertir un seul. Vanderstel, gouverneur du Cap, ayant pris un Hottentot dès l’enfance, le fit élever dans les principes de la religion chrétienne et dans la pratique des usages de l’Europe. On prit soin de le vêtir richement à la manière hollandaise. On lui fit apprendre plusieurs langues, et ses progrès répondirent fort bien à cette éducation. Le gouverneur, espérant beaucoup de son esprit, l’envoya aux Indes avec un commissaire-général, qui l’employa utilement aux affaires de la Compagnie. Il revint au Cap après la mort du commissaire. Peu de jours après son retour, dans une visite qu’il rendit à quelques Hottentots de ses parens, il prit le paru de se dépouiller de sa parure européenne pour se revêtir d’une peau de brebis. Il retourna au fort, dans ce nouvel ajustement, chargé d’un paquet qui contenait ses anciens habits ; et, les présentant au gouverneur, il lui tint ce discours : « Ayez la bonté, monsieur, de faire attention que je renonce pour toujours à cet appareil. Je renonce aussi pour toute ma vie à la religion chrétienne. Ma résolution est de vivre et de mourir dans la religion, les manières et les usages de mes ancêtres. L’unique grâce que je vous demande est de me laisser le collier et le coutelas que je porte. Je les garderai pour l’amour de vous. » Aussitôt, sans attendre la réponse de Vanderstel, il se déroba par la fuite, et jamais on ne le revit au Cap.

Leur prêtre ou leur maître des cérémonies porte le nom de souri, qui signifie maître en leur langue. Le mot de prêtre a signifié long-temps la même chose chez presque toutes les nations.

Les Hottentots ne vivent point sans gouvernement et sans règle de justice. Chaque nation particulière a son chef qui se nomme konquer, et dont l’emploi consiste à commander dans les guerres, à négocier la paix, avec le droit de présider aux assemblées publiques.

Le second officier du gouvernement hottentot est le capitaine du kraal, dont l’emploi consiste à maintenir la paix et la justice dans l’étendue de sa juridiction. Cette charge est héréditaire ; mais, en commençant à l’exercer, le capitaine s’oblige à ne rien changer dans les lois et les anciennes coutumes du kraal. Tout marque chez ce peuple l’attachement le plus constant à ses usages et à la patrie.

Chaque kraal a son tribunal pour les affaires civiles et criminelles, formé, comme on l’a dit, du capitaine et des habitans qui s’assemblent avec lui. Parmi eux, la justice n’a rien à souffrir de la corruption ni du délai. Les deux parties plaident leur propre cause. On juge à la pluralité des voix, sans appel et sans aucune sorte d’obstacle. Dans les matières criminelles telles que le meurtre, le vol et l’adultère, un coupable ne trouve aucun appui dans ses richesses et dans son rang. Le capitaine même n’obtient pas plus de faveur que le moindre habitant du kraal. Quelqu’un est-il soupçonné d’un crime, on en donne aussitôt connaissance à tous les habitans, qui, se regardant comme autant de ministres de la justice, cherchent le coupable et s’en saisissent. S’il prévoit qu’il ne puisse éviter la conviction, il se retire ordinairement parmi les Bojesmans, ou hommes des bois ; car il passerait pour un espion dans les autres villages qu’il voudrait choisir pour asile ; et, sur le moindre avis, il serait remis entre les mains de ceux qui le cherchent. Mais s’il est arrêté, on commence par l’enfermer sous une garde sûre, pour se donner le temps de convoquer l’assemblée. Il est placé au centre du cercle, comme au lieu le plus favorable pour écouter et se faire entendre. Ses accusateurs exposent le crime. On appelle les témoins. Il a la liberté de se défendre, et l’on écoute patiemment jusqu’au dernier mot ce qu’il allègue en sa faveur. Si l’accusation paraît injuste, les juges condamnent l’accusateur à des dédommagemens, qui sont pris sur ses troupeaux. Mais, si le crime est constaté, ils prononcent aussitôt la sentence, qui s’exécute sur-le-champ. Le capitaine du kraal se charge de l’exécution. Il fond sur le coupable avec un transport furieux et l’étend à ses pieds d’un coup de kirri, qui lui casse ordinairement la tête. Toute l’assemblée s’unit pour l’achever, et son corps est enterré au même instant. Mais la famille n’en reçoit aucune tache : le châtiment efface le crime, et la mémoire même du coupable ne reçoit aucun reproche. Au contraire, ses funérailles sont célébrées avec autant de respect que s’il était mort vertueux. Kolbe trouve cette jurisprudence fort supérieure à celle de l’Europe, et il a raison. J’en excepte les funérailles : quoique tous les hommes soient égaux après la mort, il faut toujours flétrir jusqu’à la mémoire du crime. Mais d’ailleurs il y a deux grandes preuves de sagesse dans leurs jugemens, la célérité de l’exécution, qui épargne au coupable les momens affreux qui s’écoulent entre l’arrêt et le supplice ; momens plus cruels que le supplice même ; et l’équité naturelle qui défend de faire rejaillir sur l’innocence l’opprobre qui ne doit appartenir qu’au crime.

À l’égard des héritages, tous les biens d’un père descendent à l’aîné de ses fils, ou passent dans la même famille, au plus proche des mâles. Jamais ils ne sont divisés ; jamais les femmes ne sont appelées à la succession. Un père qui veut pourvoir à la condition de ses cadets doit penser pendant sa vie à leur faire un établissement, sans quoi il laisse leur liberté et leur fortune à la disposition du frère aîné.

Jamais, dans la guerre, les Hottentots ne pillent ou n’insultent les morts. Ils laissent leurs habits, leurs armes et tout ce qui leur appartient à la disposition de leurs concitoyens ; mais ils tuent sur-le-champ les prisonniers. Les déserteurs et les espions n’obtiennent pas plus de grâce ; ou, si la vie leur est conservée, c’est pour essuyer le mépris de ceux dont leur lâcheté ou leur perfidie leur a fait rechercher la protection. À peine obtiennent-ils de quoi vivre après la guerre. Dans tous les traités de paix on s’oblige de part et d’autre à les rendre, et le châtiment de leur infidélité est toujours la mort.

fin du troisième volume.