Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome XII/Seconde partie/Livre VII/Chapitre III

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CHAPITRE III.

Histoire naturelle du Japon.

Les Japonais vantent beaucoup leur climat ; il doit être effectivement fort sain, puisqu’on y vit très-long-temps, que les femmes y sont très-fécondes, et qu’on y est sujet à peu de maladies : le temps néanmoins y est fort inconstant ; l’hiver, l’air y est chargé de neige, et les gelées sont fortes ; en été, surtout dans les jours caniculaires, les chaleurs sont insupportables : les pluies sont fréquentes pendant toute l’année ; mais les plus abondantes tombent aux mois de juin et de juillet, que cette raison a fait nommer sarsuki, ou les mois d’eau. Cependant la saison des pluies n’a pas au Japon cette régularité qu’on observe dans les contrées plus chaudes des Indes orientales : le tonnerre et les éclairs y sont très-fréquens.

L’agitation continuelle de la mer qui environne ces îles, jointe au grand nombre d’écueils dont elle est parsemée, en rend la navigation fort dangereuse. On ne voit nulle part tant de ces trombes ou de ces colonnes d’eau dont nous avons parlé plus d’une fois : les Japonais les prennent pour des dragons d’eau qui ont une longue queue ; aussi les nomment-ils, dans leur langue, tatsmakis, c’est-à-dire dragons jaillissans. Les côtes du Japon ont deux fameux tourbillons qui en augmentent le danger : ces terribles écueils sont un fonds inépuisable d’allusions pour les poëtes et les prédicateurs japonais.

En général, le terroir du Japon est montagneux, pierreux et naturellement peu fertile, mais l’activité et le travail infatigable des habitans leur font tirer des rochers mêmes et des lieux les plus secs tout ce qui est nécessaire à leur subsistance ; d’ailleurs la mer leur fournit abondamment du poisson et toutes sortes de coquillages. L’eau douce ne leur manque pas ; ils ont beaucoup de lacs, de fontaines et de rivières, quelques-unes si rapides, qu’on ne les passe point sans danger, et qu’il n’est pas possible d’y construire des ponts ; aussi la plupart ont-elles leur source dans des montagnes, d’où elles descendent avec d’autant plus d’impétuosité qu’elles sont grossies par les grandes pluies des mois de juin et de juillet. On distingue entre les plus célèbres, 1o. celle d’Usin, qui est large d’un quart de lieue d’Allemagne ; elle se précipite du haut d’une montagne avec tant de rapidité, que, pour la passer à gué, dans le temps même où l’eau monte à peine aux genoux, un voyageur est obligé de faire conduire son cheval par cinq hommes robustes qui connaissent parfaitement son lit ; les accidens y sont néanmoins assez rares, parce que, suivant la loi du pays, les guides sont responsables de la sûreté des passans ; 2o. la rivière d’Omi, qui tire son nom de la province où elle prend sa source, et qui se forma dans l’espace d’une nuit, deux cent quatre-vingt cinq ans avant l’ère chrétienne ; 3o. celle d’Aska remarquable par le changement continuel de son lit. Kœmpfer ne nomme aucune rivière du Japon qui ait un long cours et soit navigable.

On connaît peu de pays aussi sujets aux tremblemens de terre ; ils y sont si fréquens, que les habitans s’en alarment peu, quoiqu’ils soient quelquefois assez violens pour renverser des villes entières. Le peuple attribue ces violentes secousses à une grosse baleine qui se remue sous terre. On fait un récit effrayant des désordres qu’elles causèrent en 1586, depuis la province de Sacaja jusqu’à Méaco. La ville d’Iedo, résidence des empereurs cubosamas, fut presque entièrement abîmée en 1703, et plus de deux cent mille Japonais furent ensevelis sous ses ruines. En 1730, on publia dans toutes les nouvelles de l’Europe que Méaco, ancienne capitale de l’empire, et séjour ordinaire des daïris, avait été renversée dans toute son étendue avec perte d’un million d’habitans. Kœmpfer nomme quelques parties du Japon, telles que les îles de Gotto et la petite île de Suikbusima, qui n’ont jamais senti la moindre secousse : le fait est reconnu. C’est d’ailleurs une chose étonnante que le grand nombre de volcans qu’on voit au Japon. Une petite île voisine de Firando a brûlé pendant plusieurs siècles ; une autre, vis-à-vis de Satsuma, jette continuellement du feu. Dans la province de Findo, sur la cime d’une haute montagne, on voit une large ouverture qui était autrefois la bouche d’un volcan, quoiqu’il n’en sorte plus rien depuis quelques années. Dans la province du Chicugen, près d’un lieu nommé Kuja-Nossa, une mine de charbon qui s’est enflammée par la négligence des ouvriers, n’a pas cessé de brûler depuis. La montagne de Fesi, dans le voisinage de Surunga, fameuse par sa hauteur, par sa forme, qui représente celle d’un chapeau, et par la neige dont elle est toujours couverte, exhalait autrefois des flammes ; elles ont disparu depuis que le feu avait fait une ouverture au côté de la montagne ; mais on voit encore sortir une fumée noire, accompagnée d’une puanteur insupportable ; la terre y est chaude, et même brûlante en divers endroits ; il en sort plusieurs sources d’eau chaude. Le Japon a quantité d’autres volcans, et diverses sortes d’eaux médicinales. Caron, voyageur hollandais, parle de plusieurs sources qui passent sur des couches de divers minéraux ; il en vit une qui sort d’une grotte dont l’entrée a dix pieds d’ouverture. Autant que la vue peut s’étendre dans l’obscurité, on découvre autour de cette grotte des pierres taillées en pointe comme des dents d’éléphant ; l’eau est d’une chaleur tempérée. Il vit une autre fontaine qui ne coule ordinairement que deux fois le jour, l’espace d’une heure à chaque fois ; mais, lorsque le vent souffle de l’est, et qu’il est violent, elle coule à trois ou quatre reprises dans l’espace de vingt-quatre heures ; enfin le même voyageur décrit une autre source qui a quelque chose encore de plus singulier. Elle sort d’une espèce de puits dont les côtés sont garnis de pierres fort grosses et fort pesantes : elle ne coule qu’à certaines heures, mais elle coule avec tant d’abondance et avec un vent si fort, que les pierres en sont ébranlées. La première eau sort à la hauteur de trois ou quatre brasses : sa chaleur surpasse le degré auquel on peut échauffer l’eau commune, et se conserve aussi beaucoup plus long-temps.

Cette multitude de volcans et de bains chauds prouve assez que la terre du Japon renferme beaucoup de soufre ; mais on en a beaucoup d’autres preuves. Kœmpfer connaissait peu de pays où cette substance fût plus abondante. On en tire souvent une si prodigieuse quantité d’une île de la province de Satsuma, qu’elle en a pris son nom. Il n’y a pas plus d’un siècle qu’on a eu la hardiesse d’y aborder : elle passait auparavant pour inaccessible, à cause d’une fumée noire et épaisse qui en sort continuellement, et qui présentait des monstres horribles à l’imagination des peuples voisins. Personne ne doutait que l’île ne fût habitée par des esprits infernaux. Un particulier moins timide demanda la permission d’y entrer. Il choisit cinquante hommes résolus avec lesquels il osa descendre au rivage. Après avoir traversé quelques bois, il trouva un terrain fort uni et si couvert de soufre, que, de quelque côté qu’il marchât, il voyait sortir une épaisse fumée sous ses pieds. L’île fut nommée Ivogasima, c’est-à-dire l’île de soufre ; et depuis cette découverte, elle rapporte chaque année au prince de Satsuma environ vingt caisses d’argent, outre le produit des arbres, qui n’y croissent que sur les côtes. En général, le soufre est une des principales richesses du Japon.

Il se trouve de l’or dans plusieurs provinces de l’empire. C’est une partie considérable du revenu impérial, parce qu’on ne peut ouvrir aucune mine sans la permission du gouvernement, qui se réserve les deux tiers du produit. L’or du Japon se tire ordinairement par la fonte, mais on en trouve aussi dans le sable, en le lavant ; et le cuivre du pays en contient toujours un peu. Les plus abondantes mines de ce précieux métal, et celles dont l’or passait pour le plus pur ont été long-temps les mines de Sado, une des provinces septentrionales de Niphon. On y recueille encore quantité de poudre d’or, sur laquelle il ne se lève aucun droit pour l’empereur. Les mines de Surunga sont aussi très-estimées ; mais les unes et les autres commencent à s’épuiser. On en a découvert de nouvelles auxquelles il est rigoureusement défendu de travailler, dans la vue apparemment de les réserver pour des nécessités pressantes. Le premier essai a fait reconnaître qu’elles rendent six pour cent. Une montagne située sur le golfe d’Okus, dans le district d’Omura, s’étant écroulée dans la mer à la fin du siècle passé, on trouva que le sable du lieu qu’elle avait occupé était mêlé d’or pur. Malheureusement on ne put tirer beaucoup d’avantage d’une si riche découverte. Un grand tremblement de terre, suivi de marées extraordinaires, couvrit la mine de boue et d’argile à la hauteur de plusieurs brasses, et le travail fut abandonné. Dans la province de Chicungo, une autre mine qui donnait beaucoup d’or s’est tellement remplie d’eau, qu’il est devenu impossible d’y travailler : on est persuadé néanmoins qu’en faisant une ouverture dans le rocher qui est à l’entrée, l’eau pourrait s’écouler ; et cette entreprise avait été formée ; mais un orage survenu dans le moment qu’on allait commencer le travail fit juger que la Divinité du lieu ne voulait pas qu’on déchirât le sein d’une terre qui était sous sa protection. De même un torrent sorti tout d’un coup d’une montagne où l’on allait ouvrir une mine d’or, dans l’île d’Amakusa, répandit l’épouvante parmi les habitans, et fit prendre la fuite aux ouvriers.

La province de Bungo a des mines d’argent. Katami, lieu situé au nord du Japon, en a de plus riches encore. L’argent du Japon passe pour le meilleur du monde ; autrefois même on l’échangeait à la Chine, poids pour poids, pour de l’or. Les Japonais ont encore un métal précieux, mais composé, qu’ils nomment sova ou saouas, dont la couleur tire sur le noir, et qui est un mélange de cuivre et d’or. Il n’est pas particulier au Japon, mais on l’y travaille avec un art dont on n’approche point dans les autres contrées de l’Asie ; et lorsqu’il est employé, il ne cède en rien à l’or pour l’éclat et la couleur.

Mais le cuivre est le plus commun des métaux de ces îles, et suffirait seul pour les enrichir. On le tire principalement des provinces de Surunga, d’Alsango et de Kijnokuni. Le plus fin et le plus malléable est celui de Kijnokuni. Celui d’Alsango est si grossier, que, pour l’employer facilement, il faut sur soixante-dix catis, en mêler trente. Celui de Sururiga est non-seulement très-fin et sans défauts, mais il est chargé de beaucoup d’or, et les Japonais séparent mieux ces métaux qu’ils ne faisaient autrefois : les raffineurs de la côte de Coromandel y trouvent moins leur compte. Le laiton est assez rare au Japon, et beaucoup plus cher que le cuivre, parce qu’il ne s’y trouve pas de calamine , et qu’il faut en faire venir du Tonquin, en gâteaux plats qui se vendent fort cher. La province de Bungo produit un peu d’étain si blanc et si fin, qu’il n’est guère inférieur à l’argent ; mais les Japonais n’en font presque aucun usage.

On ne trouve de fer que sur les confins des trois provinces de Nincasaka, de Bitsiu et de Fisen ; mais on l’y trouve en grande abondance. Il est affiné dans les mêmes lieux, et se vend presque aussi cher que le cuivre. La plupart des outils de fer sont à plus haut prix au Japon que ceux qui ne sont que de cuivre, ou même de laiton. Ces deux métaux ne servent que pour les ustensiles, les crochets, les crampons, et d’autres pièces qui entrent dans la construction des navires et des édifices. Pour la cuisine, les pots sont d’une composition de fer, et fort peu épais. Les plus vieux sont les plus estimés, parce qu’il y entre un alliage dont on a perdu le secret. La houille ne manque point au Japon : elle abonde dans la province de Tsikusen, dans les environs de Kuganissu, et dans les provinces septentrionales.

Le sel commun se fait avec l’eau de la mer. On creuse un grand espace de terre qu’on remplit de sable fin, sur lequel on jette de l’eau de mer qu’on laisse sécher. On recommence la même opération jusqu’à ce que le sable paraisse assez imbibé de sel : alors on le ramasse ; on le met dans une cuve, dont le fond est percé en trois endroits ; on y jette encore de l’eau de mer qu’on laisse filtrer au travers du sable ; on reçoit cette eau dans de grands vases, pour la faire bouillir jusqu’à certaine consistance ; et le sel qui en sort est chauffé dans de petits pots de terre jusqu’à ce qu’il devienne blanc. Le Japon n’a pas d’antimoine ni de sel ammoniac ; on n’y connaît pas même leurs qualités ni leurs usages. Le vif-argent et le borax y viennent de la Chine. Kœmpfer y trouva néanmoins deux sortes de borax, qui croissent naturellement, mais si mêlées de parties hétérogènes, que les Japonais ne veulent pas se donner la peine de les séparer. Le mercure sublimé est rare et d’un prix excessif dans leurs îles. Ils en font le principal ingrédient d’une eau mercurielle qu’ils croient souveraine pour la guérison des ulcères, des cancers et d’autres maux. Le cinabre naturel se prend dans plusieurs maladies, et l’artificiel s’emploie dans les couleurs ; l’un et l’autre viennent de la Chine. Le commerce de cette marchandise est entre les mains de quelques particuliers qui jouissent d’un privilège exclusif. Kœmpfer ne dit rien du plomb ; mais Caron assure que le Japon en produit beaucoup.

On trouve dans les montagnes de Tsengaar, situées à l’une des extrémités septentrionales du Japon, différentes espèces d’agates, dont quelques-unes sont d’une rare beauté, bleuâtres, et approchant beaucoup du saphir. On en tire aussi des cornalines et du jaspe. Les côtes de Sikokf sont couvertes d’huîtres et d’autres coquillages qui renferment des perles. Les plus grosses et les plus belles se trouvent dans une sorte d’huître nommée akoia. Elle est à peu près de la largeur de la main, mince, frêle, unie et luisante au-dehors, un peu raboteuse et inégale en dedans, d’une couleur blanchâtre, aussi éclatante que le noir ordinaire, et difficile à ouvrir. On ne voit de ces coquilles qu’aux environs de Satsuma, et dans le golfe d’Omura. Le profit qui en revient aux princes de Satsuma les a portés à défendre qu’elles soient vendues au marché. Elles sont rares : Kœmpfer s’en procura quelques-unes. On leur attribue, dit-il, une propriété fort extraordinaire : si l’on en met quelques-unes dans une boîte, avec un certain fard du Japon, fait d’une autre sorte de coquille, qui se nomme takaraga, on voit naître à côté de chacune une ou deux petites perles qui se détachent d’elles-mêmes au bout de trois ans, temps auquel on les suppose parvenues à leur maturité. Marc-Pol et d’autres voyageurs assurent qu’on trouve au Japon des perles rouges de figure ronde. Kœmpfer décrit cette coquille que les Japonais nomment avabi : elle est d’une seule pièce presque ovale, assez profonde, ouverte d’un côté, par lequel elle s’attache aux rochers et au fond de la mer, et percée d’un rang de trous qui deviennent plus grands à mesure qu’ils s’approchent de sa plus grande largeur. Sa surface extérieure est rude et gluante ; il s’y attache souvent des coraux, des plantes de mer, et d’autres coquilles. Elle renferme une excellente nacre, d’où il s’élève quelquefois des excroissances de perles blanchâtres. Cependant une grosse masse de chair qui remplit sa cavité est le principal attrait qui la fasse rechercher des pêcheurs. Ils ont des instrumens faits exprès pour les détacher des rochers. Le même voyageur décrit d’autres coquilles moins précieuses.

Dans une rivière de la province d’Ietsingo, on trouve de la naphte de couleur rougeâtre, que les Japonais nomment tsutsonoabra, ou terre rouge : elle se tire de certains endroits où l’eau est presque dormante, et l’on s’en sert dans les lampes au lieu d’huile. Les côtes de Satsuma et des îles de Riuku offrent souvent de l’ambre gris ; mais il s’en trouve encore plus sur celles de Khumano ou des provinces de Kijnokuni et d’Isiu. Kœmpfer raconte qu’on le tire principalement des intestins d’une baleine assez commune dans la mer du Japon, et nommée Fiaksiro par les habitans, c’est-à-dire, poisson à cent brasses, parce qu’ils supposent que ses intestins ont cette longueur. Il y est mêlé avec les excrémens de l’animal, qui sont comme de la chaux, et presque aussi durs qu’une pierre. C’est par leur dureté qu’on juge s’il s’y trouvera de l’ambre gris ; aussi le nomme-t-on kusuranofu, nom qui signifie excrément de baleine ; mais ce n’est pas de là qu’il tire son origine. De quelque manière qu’il croisse au fond de la mer, où sur les côtes, il paraît qu’il sert de nourriture à ces baleines, et qu’il ne fait que se perfectionner dans leurs entrailles : avant qu’elles l’aient avalé, ce n’est qu’une substance assez difforme, plate, gluante, semblable à la bouze de vache, et d’une odeur très-désagréable. Ceux qui le trouvent dans cet état, flottant sur l’eau, ou jeté sur le rivage, le divisent en petits morceaux, qu’ils pressent pour lui donner la forme de boule : à mesure qu’il durcit, il devient plus solide et plus pesant. D’autres le mêlent et le pétrissent avec de la farine de cosses de riz, qui en augmente la quantité et relève sa couleur. Il y a d’autres manières de le falsifier ; mais si l’on en fait brûler un morceau, le mélange se découvre aussitôt par la couleur, l’odeur et les autres qualités de la fumée. Les Chinois, pour le mettre à l’épreuve, en raclent un peu dans de l’eau de thé bouillante ; s’il est véritable, il se dissout et se répand avec égalité. Les Japonais n’ont connu que des Chinois et des Hollandais la valeur de l’ambre gris. À l’exemple de la plupart des nations orientales de l’Asie, ils lui préféraient l’ambre jaune.

Les mers du Japon produisent une quantité surprenante de plantes marines, d’arbrisseaux, de coraux, de pierres singulières, d’éponges et de toutes sortes de coquillages, qui égalent en beauté ceux d’Amboine et des îles Moluques. Mais les Japonais en font peu d’estime ; ou si le hasard en fait tomber dans le filet d’un pêcheur, il les porte au temple le plus voisin, pour les offrir à Iebis, qui est le Neptune du Japon, comme un tribut de l’élément auquel cette divinité préside.

Un voyageur qui avait fait un long séjour à la Chine a prétendu qu’il ne se faisait point de porcelaine au Japon, et que celle qui se vend parmi nous, à ce titre, se faisait à la Chine pour les Japonais qui l’y venaient acheter. Il est vrai qu’ils y en achètent beaucoup ; mais il ne l’est pas moins que celle qui porte le nom du Japon se fabrique dans le Fisen, la plus grande des neuf provinces de Sikokf ou du Ximo. La matière est une argile blanchâtre qui se tire en abondance des montagnes voisines d’Urisijno, de Suvota, et de quelques autres endroits de la même province. Quoique cette argile soit naturellement fort nette, elle demande encore d’être pétrie et bien lavée pour devenir transparente ; et ce travail est si pénible, qu’il fait dire, comme un proverbe, que les os humains sont un des ingrédiens dont la porcelaine est composée. On n’a pas d’autres lumières sur la fabrique de cette précieuse vaisselle. Personne n’ignore que l’ancienne porcelaine du Japon est plus estimée que celle de la Chine, et qu’elle paraît mériter cette préférence, surtout par le blanc de lait qui la distingue. Celle d’aujourd’hui n’est pas de la même beauté ; ce qui fait juger que le secret de la préparation s’est perdu. Celle de Saxe approche beaucoup plus de l’ancienne, et celle de Chantilly encore plus : l’une et l’autre la surpassent même par le dessin et par la finesse des traits.

Parmi les végétaux qui sont le plus en usage au Japon, Kœmpfer donne le premier rang au mûrier. Quoique son fruit, noir ou blanc, soit insipide dans ces îles, ce défaut est bien compensé par l’avantage qu’on y tire de ses feuilles pour la nourriture des vers à soie. Il croît dans la plus grande partie du Japon, surtout dans les provinces septentrionales, où quantité de villes et de villages tirent presque uniquement leur subsistance des manufactures d’étoffes de soie. Le kadsi est le mûrier à papier. Quoiqu’il croisse sans culture, on prend soin de le transplanter ; il s’élève avec une vitesse surprenante, et ses branches s’étendent fort loin. De son écorce on fait non-seulement du papier, mais des cordes, de la mèche, du drap, diverses sortes d’étoffes, et d’autres objets.

L’urusi, ou l’arbre du vernis, n’est pas moins admirable par son utilité ; il produit un suc blanchâtre, dont les Japonais se servent pour vernir tous leurs meubles, leurs plats et leurs assiettes. À la table même de l’empereur, la vaisselle et les ustensiles vernissés obtiennent la préférence sur les plus précieux métaux. On distingue une autre espèce d’arbre au vernis, qui a les feuilles plus étroites, et qui se nomme faasi. Il croît sur les collines et les montagnes ; mais son suc n’a pas la même bonté de l’autre, et ne fournit pas la même quantité. Le véritable urusi est une espèce particulière au Japon. Celui d’Iametto est le plus estimé. Kœmpfer observe que l’arbre au vernis qu’on trouve aux Indes est tout-à-fait différent de l’urusi des Japonais.

Le Japon a plusieurs espèces de lauriers. Celui qui porte des baies rouges est le faux cannellier, ou plutôt, à cause de sa viscosité, le cassia lignea. Il ressemble parfaitement au vrai cannellier, non-seulement par sa grandeur, mais encore par sa figure, et la substance des feuilles.

Le kus, ou l’arbre du camphre, est une autre espèce de laurier. Les paysans de la province de Satsuma et des îles de Gotto font le camphre par une simple décoction des racines et du bois de cet arbre, coupés en petits morceaux. Il est à très-vil prix. On peut avoir depuis quatre-vingts jusqu’à cent cattis de camphre bouilli du Japon pour un seul catti de véritable camphre de Bornéo.

Le tsianoki, ou l’arbrisseau du thé, est une des plantes les plus utiles qui croissent au Japon, quoiqu’elle y soit reléguée sur le bord des champs de riz et d’autres lieux, où elle ne peut recevoir de culture. La boisson commune des Japonais est une infusion des plus grandes feuilles de cet arbrisseau. On fait sécher les plus jeunes et les plus tendres ; on les met en poudre, qu’on jette dans une tasse d’eau chaude.

L’arbre qu’on nomme sansio est d’une moyenne grandeur, et muni de pointes ou de piquans. Les Japonais se servent de son écorce et de ses cosses au lieu de poivre et de gingembre ; ils mangent ses feuilles comme celles du richès, autre arbre aromatique qui croît dans leurs îles.

Les figuiers et les châtaigniers sont fort communs dans cet empire.

Le noyer croît principalement dans les provinces du nord. Elles produisent aussi une espèce d’if fort haut que les Japonais nomment kaja, et qui porte des noix renfermées dans une véritable pulpe. Leur grosseur et leur forme sont celles de la noix d’arek. Elles n’ont pas un goût fort agréable lorsqu’elles sont fraîches ; mais elles deviennent meilleures en séchant. Leur huile a des qualités purgatives qui la rendent fort saine ; et le goût d’ailleurs en est presque le même que celui des amandes douces : elle sert aussi pour apprêter les viandes. La fumée des noyaux est le principal ingrédient dont on compose la meilleure encre du Japon.

Deux espèces de chênes, les seules qui croissent au Japon, sont fort différentes des nôtres : les glands de la première, qui est aussi la plus grande, se mangent bouillis ; le fruit du naatme, autre arbre du pays, est d’une bonté singulière, et beaucoup plus gros qu’ailleurs. On ne voit de limoniers au Japon que dans les jardins des curieux ; mais les oranges et les citrons y croissent en abondance.

Les Japonais plantent peu de vignes, parce qu’ils ont reconnu que leur raisin mûrit difficilement. Leurs mûres et leurs framboises ont un goût désagréable. L’insipidité de leurs fraises ne leur permet guère d’y toucher. Ils ont abondamment des pêches, des abricots et des prunes. Les prunes sont de deux sortes, toutes deux différentes des nôtres ; les unes blanches, les autres couleur de pourpre : elles ont des petits grains comme les mûres. On ne cultive au Japon les cerisiers et quelques autres arbres que pour les fleurs ; mais par cette culture elles deviennent aussi grandes que des roses, et sont charmantes au printemps.

Le sapin et le cyprès sont les arbres les plus communs dans les bois et les forêts de toutes ces îles. On en construit les maisons et les vaisseaux ; on en fait des cabinets, des coffres, des boîtes et des cuves : les branches servent de bois de chauffage. D’ailleurs, comme tous les chemins sont bordés de ces arbres, et qu’on en plante dans les lieux sablonneux dont on n’a pas d’autre avantage à tirer, le peuple en ramasse soigneusement les feuilles avec la double utilité de tenir les chemins fort nets, et d’avoir abondamment de quoi se chauffer. Il n’est permis à personne de couper aucun sapin ni aucun cyprès sans la permission du magistrat ; et ceux-mêmes à qui elle est accordée doivent toujours en replanter de jeunes à la place.

Le bambou est très-commun au Japon, et d’un aussi grand usage que dans toutes les Indes.

Le finoki et le suggi sont deux sortes de cyprès, dont le bois, quoique léger et blanchâtre, est d’une si bonne substance, qu’il ne prend jamais l’eau. La cour a quelquefois défendu d’en couper ; mais cet ordre est mal observé dans les provinces éloignées. Le ksamaki, c’est-à-dire, le maki puant, le ssinoki, espèce de chêne, et l’isunoki, ou l’arbre de fer, qui tire ce nom de la dureté extraordinaire de son bois, sont des arbres très-communs, dont la plupart des maisons sont bâties. Le fatznoki, autre arbre qui croît aux environs de la ville d’Ieseri, et la racine du camphrier, fournissent le meilleur bois et le plus rare pour les cabinets, les bureaux et d’autres ouvrages de cette nature. Leurs veines sont d’une extrême beauté.

Il n’y a point de pays qui l’emporte sur le Japon pour l’agrément et la variété des fleurs qui ornent ses champs, ses collines et ses forêts. Les plus belles se transplantent dans les jardins, où l’art et la culture achèvent de leur donner une perfection admirable.

Entre les principales, on nomme le tsubaki, espèce d’arbrisseau dont les fleurs ressemblent aux plus belles roses : il croît dans les bois et les haies. On en distingue tant d’espèces différentes, que, s’il faut en croire les Japonais, leur langue a neuf cents mots pour les exprimer. Le satsuki est un autre arbrisseau qui porte des fleurs de lis, et dont les jardins offrent plus de cent différentes espèces ; mais parmi celles qui viennent sans culture on en admire, deux, l’une violette, et l’autre incarnate, dont Kœmpfer assure que la beauté ne peut s’exprimer. Le sakanadsio est encore un arbrisseau qui porte des fleurs de lis, mais beaucoup plus grandes que celles qu’on vient de nommer : il est plus rare, et l’on en compte trois sortes. Le momidsi est une espèce d’érable qui prend son nom de la couleur violette de ses feuilles : on en distingue deux sortes, dont la différence consiste dans la couleur de leurs feuilles : les unes sont violettes en été, et les autres ne le deviennent qu’en automne ; mais elles sont d’une égale beauté. Les feuilles du fasi changent aussi de couleur, et deviennent violettes en automne.

Il est impossible de représenter la variété des marguerites et des lis du Japon. Les premières, dont une heureuse culture rend les fleurs aussi grandes que les roses, font le principal ornement des maisons et des jardins ; les autres font un jardin naturel des lieux les plus incultes. On n’y voit pas moins de narcisses et de giroflées ; mais Kœmpfer observe que toutes ces fleurs n’ont l’odeur ni si agréable ni si vive que celles de la même espèce qui croissent dans les autres pays, et qu’elles ne les surpassent que par l’éclat de leurs couleurs : il en est de même de la plupart des fruits du Japon ; leur goût n’est pas aussi délicieux, aussi aromatique que celui des fruits de la Chine et des autres contrées de l’Orient.

Les Japonais cultivent autant de chanvre et de coton qu’ils peuvent ménager de terrain pour ces plantes. Le sijto, ou le chanvre sauvage, croît abondamment dans la plupart des lieux incultes : on en fait toutes sortes d’étoffes fines et grossières. La semence de plusieurs plantes produit une huile qui a divers usages dans la médecine et pour les besoins domestiques. Telle est celle du kiri, grand arbre dont les feuilles ressemblent à celles de la bardane : sa semence est semblable à celle de la guimauve. Le daïri porte dans ses armes la feuille de cet arbre avec trois boutons épanouis.

Kœmpfer doute qu’il y ait quelque pays au monde où l’on entende mieux l’agriculture ; ce qu’il attribue, d’un côté, à la multitude des habitans, et de l’autre, au défaut de commerce et de communication avec les étrangers, qui les met dans la nécessité de pourvoir à leurs besoins par leur propre travail. Il n’y a pas un pouce de terre en friche au Japon ; non-seulement le plat pays, qu’on n’emploie jamais en pâturage, mais les montagnes les plus hautes produisent du blé, du riz, des légumes, et une infinité d’herbes nourrissantes ou médicinales. Les terres basses et unies sont labourées avec des bœufs. Les hommes réservent leurs bras pour la culture des lieux d’un accès difficile : tout est fumé et disposé avec un art infini. Il ne manque à ces insulaires, après avoir bien conçu la nécessité de l’art, et l’avoir porté à sa perfection, que de l’avoir ennobli comme à la Chine.

Les Japonais ont une méthode assez singulière pour donner de la fertilité à leurs terres. Ils ont toujours de grands amas de fiente et de toutes sortes d’immondices ; ils brûlent de vieilles nippes qu’ils y joignent, ils y emploient même des coquilles d’huîtres. Ce mélange produit un excellent engrais. On a déjà remarqué qu’avant d’ensemencer une terre, ils la mesurent, et que cette opération se renouvelle à l’approche de la moisson ; ensuite ils supputent ce que la récolte doit leur rapporter. Ces conjectures sont ordinairement d’une justesse surprenante, et garantissent les seigneurs des tromperies de leurs fermiers. Les propriétaires ont six dixièmes de tous les fruits de leurs terres, et les quatre autres sont pour ceux qui les cultivent. Les fermiers du domaine impérial ne donnent que quatre dixièmes aux intendans de l’empereur ; les six autres leur appartiennent. Si quelqu’un défriche une terre qui n’est point à lui, il jouit de toute la récolte pendant les deux ou trois premières années ; mais dans les baux on a toujours égard à la bonne ou mauvaise qualité du terroir, et la loi porte que, si quelqu’un laisse passer une année sans cultiver sa terre, il en perd la propriété.

On cultive particulièrement au Japon ce qui se nomme gokof, ou les cinq fruits de la terre. C’était anciennement la seule nourriture d’un pays où la religion défend l’usage de la viande ; mais, soit dispense ou relâchement, cette règle est aujourd’hui fort mal observée. Les cinq fruits sont le riz, l’orge et le froment, et deux sortes de fèves. Le riz du Japon, surtout une espèce qui est la plus commune dans les provinces septentrionales, l’emporte beaucoup sur celui des Indes ; il est d’une blancheur de neige, et si nourrissant, que les étrangers qui n’y sont pas faits en doivent user avec modération. On le mange cuit à l’eau. Ce qui reste au delà des provisions annuelles est employé à faire une bière qui se nomme saki. Le riz se sème dans la saison des pluies, et ce travail est le partage des femmes. On le sème dans toutes les terres qui paraissent propres à le recevoir, et dont on n’est pas forcé à faire un autre usage. Les plus convenables à cette culture sont les terres basses et plates qui peuvent être percées de canaux pour les arroser. La province de Fisen est une des plus fertiles en riz, et produit le meilleur ; aussi les campagnes y sont-elles coupées de toutes parts par des canaux tirés des rivières, et quantité d’écluses donnent la facilité de les inonder entièrement.

Quoique l’orge soit principalement destiné à la nourriture des chevaux et du bétail, on ne laisse pas de l’employer quelquefois à l’apprêt des viandes, et d’en faire des gâteaux : les pauvres en font même du pain. Il en croît au Japon une espèce dont les épis prennent la couleur de pourpre en mûrissant. Le froment est à vil prix, et ne s’emploie qu’à faire des gâteaux.

Les raves croissent facilement au Japon, et sont d’une grosseur extraordinaire. De toutes les productions, c’est peut-être celle qui fournit le plus à la nourriture des habitans ; mais comme ils fument la terre avec les excrémens humains, elles ont une odeur si forte, que les Européens ont peine à les supporter.

On voit croître sans culture une infinité d’autres plantes dans les champs, sur les montagnes, dans les marais, dans les lieux les plus stériles, et sur les côtes de la mer. Il y en a très-peu dont les racines, les feuilles, les fleurs ou les fruits ne servent de nourriture aux habitans. Cette facilité à manger tout ce que la nature prend soin de leur offrir, les expose quelquefois à de fâcheuses méprises ; mais ils ont l’art de faire perdre à plusieurs plantes leurs qualités vénéneuses. Ainsi du koniokf, qui est une dangereuse espèce de gouet, ils font une bouillie assez douce et de fort bon goût. En faisant infuser les racines de la fougère, qu’ils nomment varabi ou ren, ou de la fève d’Égypte, que quelques-uns nomment fleur de tarate, et d’une autre racine qu’ils appellent kasne, ils en tirent une farine qui s’emploie dans l’apprêt des viandes, et qu’on mange aussi seule, après l’avoir fait dissoudre dans l’eau. De toutes les plantes qui croissent dans la mer, il n’y en a presque pas une que les Japonais ne mangent ; ce sont les femmes des pêcheurs qui les préparent et qui les vendent. Leur adresse est extrême à les tirer du fond de la mer, en plongeant jusqu’à trente et quarante brasses de profondeur.

On peut voir dans l’histoire du Japon de Kœmpfer, et dans son ouvrage latin qui a pour titre, Amœnitates exoticæ, un détail fort étendu de toutes les plantes du Japon ; mais le plan de cet Abrégé ne nous permet pas de faire sur chaque pays une botanique complète.

Les animaux domestiques doivent multiplier beaucoup dans un pays où le dogme de la métempsycose fait respecter leur vie. On trouve au Japon le cheval, le taureau ; le chien et le chat. On n’y voit ni ânes, ni mulets, ni chameaux, ni éléphans. Les Portugais y avaient porté des moutons et des chèvres, qui avaient passablement multiplié ; mais les Japonais, ne trouvant aucune utilité à les nourrir, parce qu’ils n’osent en manger la chair, et qu’ils ne savent pas en travailler le poil et la laine, les ont laissé devenir sauvages.

Les chevaux japonais sont petits ; mais il s’en trouve qui ne le cèdent ni en beauté ni en vitesse à ceux de Perse. Les meilleurs viennent des provinces de Satsuma et d’Oxu. Les taureaux et les vaches servent uniquement pour l’agriculture et le charroi. On ne connaît au Japon ni le beurre, ni l’usage du lait. On y trouve deux sortes de taureaux : les premiers diffèrent peu des nôtres ; les seconds sont des buffles d’énorme grosseur, qui ont une bosse sur le dos comme les chameaux, et qui ne servent que pour le transport des marchandises. On nourrit quelques porcs dans la province de Fisen, mais uniquement pour les vendre aux Chinois, qui les y ont portés. Quoique la transmigration des âmes soit reçue à la Chine comme au Japon, les Chinois observent moins scrupuleusement les maximes, et mangent volontiers de la chair de porc.

Depuis le règne de l’empereur Tsinajos, qui occupait le trône des cubosamas du temps de Kœmpfer, il y avait plus de chiens au Japon qu’on n’en avait jamais vu dans cet empire, et peut-être plus que dans aucun pays du monde. Quoiqu’ils eussent chacun leur maître, ils se tenaient dans les rues, où ils étaient fort incommodes aux passans. Dans chaque rue, on était obligé, par un ordre particulier de l’empereur, d’entretenir un certain nombre de ces animaux, et de les nourrir. On y avait bâti de petites loges pour leur servir de retraite lorsqu’ils étaient malades, et pour les y traiter avec beaucoup de soin. Ceux qui venaient à mourir devaient être portés sur le sommet des montagnes, lieu fixé pour leur sépulture ; il était défendu, sous de grosses peines, de les insulter ou de les maltraiter. C’était un crime capital de leur ôter la vie, quelque désordre qu’ils pussent causer. Les plaintes devaient être portées à leurs maîtres, qui avaient seuls le droit de les punir. Cette étrange attention à les conserver venait d’une idée superstitieuse de l’empereur, qui était né sous le signé céleste auquel les Japonais donnent le nom de chien. Voici à ce sujet un conte japonais : « Le maître d’un chien mort le portait au sommet d’une montagne pour l’enterrer. Fatigué du poids, il se mit à maudire le jour de la naissance de l’empereur, et l’ordre ridicule qui causait tant d’embarras à toute la nation. Son compagnon lui conseilla de se taire, quoiqu’il ne condamnât point son impatience et ses plaintes ; mais, dans la nécessité d’obéir à la loi, il lui dit qu’au lieu de se livrer aux imprécations, il devait remercier les dieux de ce que l’empereur n’était pas né sous le signe du cheval, parce que son fardeau eût été bien plus pesant. »

Les Japonais n’ont point de lévriers, ni d’épagneuls, ni d’autres races de chiens pour la chasse ; cet exercice n’étant pas fort en usage dans un pays si rempli d’hommes et si mal pourvu de gibier, ceux qui en ont le goût n’y emploient que des chiens ordinaires. Ils ont une espèce particulière de chats dont on vante beaucoup la beauté. Leur couleur est blanchâtre, avec de grandes taches noires et jaunes, et leur queue fort courte. Ils ne font pas la guerre aux souris ; leur unique usage est de servir à l’amusement des femmes, qui se plaisent à les caresser.

Les quadrupèdes sauvages du Japon sont les lièvres, les daims, les sangliers, que quelques sectes permettent de manger en certains temps de l’année ; les singes, les ours, les tanukis, les chiens sauvages, les itutz, les renards, les rats et les souris.

L’île de Mijosima est célèbre par une espèce particulière de daims qui sont fort doux et naturellement apprivoisés. Les lois du pays défendent de les tuer, et font un devoir aux habitans d’enterrer ceux qui meurent près de leurs maisons. Un Japonais qui manquerait à cette obligation serait condamné à quelques jours de travail pour les temples ou pour le public.

Les singes du Japon sont extrêmement dociles, mais le nombre n’en est pas grand. Leur couleur est d’un brun obscur ; ils ont la queue courte, le visage et le dos rouges et sans poils. Kœmpfer en vit un auquel on donnait cent six ans : c’est beaucoup. Les provinces du nord ont quelques ours, mais fort petits. On y voit aussi des chiens sauvages qui ont le museau grand et ouvert. Le tanuki est un animal d’une espèce très-singulière ; sa couleur est d’un brun obscur, et son museau ressemble à celui d’un renard : il n’est pas fort gros. Kœmpfer le prend pour une espèce de loup. L’itutz et le tin sont deux animaux de couleur roussâtre, qui ne seraient pas différens, si le tin n’était plus gros que l’autre. Ils vivent si familièrement sous le toit des maisons, qu’on peut les mettre au rang des animaux domestiques. Ils font la guerre à la volaille et au poisson. Toutes ces îles sont remplies de rats et de souris. Les habitans, apprivoisent de gros rats, et leur apprennent à faire divers tours d’adresse, surtout à Osaka, qui est comme le rendez-vous de tous les charlatans de l’empire. Les renards ne sont guère moins communs : le peuple les croit animés par le diable ; ce qui n’empêche pas les chasseurs de les tuer, parce qu’on fait de leur poil d’excellens pinceaux pour écrire et pour peindre. On ne voit dans aucune île du Japon ni tigres, ni lions, ni panthères, ni d’autres espèces de grands animaux féroces.

Entre les insectes, celui qu’on nomme fourmi blanche passe pour le plus nuisible : c’est un petit ver délié et blanc comme la neige, à l’exception de la tête et de la gorge, qui sont d’un brun obscur. Les Japonais le nomment do-toos, c’est-à-dire perceur, nom qui lui convient parfaitement, car il perce tout ce qu’il rencontre ; et s’il peut entrer dans un magasin, il détruit en peu de temps les meilleures marchandises. Le seul préservatif qu’on ait découvert jusqu’ici contre ces dangereux insectes, est de répandre du sel sur tout ce qu’on veut dérober à leurs morsures. Ils sont en guerre continuelle avec les autres fourmis ; et lorsqu’une des deux espèces s’est emparée de quelques lieux, il ne faut pas craindre que l’autre puisse s’y loger. Les fourmis blanches ne peuvent supporter l’air, et, pour se transporter d’un endroit dans un autre, elles se bâtissent le long des chemins des voûtes et des arcades qui tiennent à la terre : elles marchent avec une vitesse incroyable, et souvent tout est ravagé avant qu’on ait pu s’apercevoir de leur arrivée. Quelques-uns attribuent des effets si prompts à l’acrimonie de leurs excrémens ; mais Kœmpfer assure que quatre pincettes recourbées et tranchantes dont leur museau est armé, suffisent pour causer tous les désordres dont on les accuse. Il rapporte que, s’étant une fois couché assez tard, il aperçut le lendemain sur sa table des traces de leur route, et qu’en y jetant les yeux de plus près, il découvrit un trou de la grosseur du petit doigt, qu’elles avaient fait dans l’espace de quelques heures à l’un des pieds montans de la table ; un autre en travers de la table même, et un troisième au milieu de l’autre pied en descendant, par lequel elles rentraient dans le plancher. On ne peut supposer que leurs excrémens aient assez d’âcreté pour un effet si prompt ; mais il y a beaucoup d’apparence que c’est la matière dont ces petits animaux composent leurs voûtes.

Les lézards du pays ne diffèrent pas des nôtres. On y voit peu de serpens. Le fitakuts ou fibakari, qui est un des plus remarquables, a la tête plate et les dents aiguës. Sa couleur est verte ; il a pris son nom de la longueur du jour ou de l’espace de temps que le soleil demeure sur l’horizon, parce que ceux qui en sont mordus meurent avant le coucher de cet astre. Les soldats en mangent la chair, dans l’opinion qu’elle a la vertu d’échauffer leur courage.

Dans les jours consacrés à la mémoire d’une personne morte, il n’est pas permis à ses parens ni à ses amis de tuer un oiseau ni le moindre animal. Pendant l’année du deuil de l’empereur, il est défendu dans tout l’empire de tuer ou de porter au marché aucune créature vivante.

Les oiseaux sauvages sont devenus si familiers dans les îles du Japon, qu’on en pourrait mettre plusieurs espèces au rang des animaux domestiques. Le principal est le tsuri ou la grue, qu’une loi particulière réserve pour le divertissement ou l’usage de l’empereur. Cet oiseau et la tortue passent pour des animaux d’heureux augure, opinion fondée sur la longue vie qu’on leur attribue, et sur mille récits fabuleux. Les appartemens de l’empereur et les murailles des temples sont ornés de leurs figures. Jamais le peuple ne nomme une grue sans y joindre le titre d’o-tsurisama, c’est-à-dire monseigneur la grue. On en distingue de deux sortes ; l’une aussi blanche que l’albâtre, l’autre grise ou couleur de cendre.

On distingue deux sortes d’oies sauvages qui ne se mêlent jamais ; les unes blanches comme la neige, avec les extrémités des ailes fort noires ; les autres d’un gris cendré, toutes si communes et si familières, qu’elles se laissent facilement approcher. Quoiqu’elles fassent beaucoup de dégât dans les campagnes, il est défendu de les tuer sous peine de mort, pour assurer le privilége de ceux qui achètent ce droit. Les paysans sont obligés d’entourer leurs champs de filets pour les défendre de leur ravage. Entre plusieurs espèces de canards, le plus commun, qui se nomme kinmodsui, est d’une beauté si rare, que les étrangers qui ne l’ont vu qu’en peinture ne peuvent s’imaginer qu’il existe réellement. Son plumage forme des nuances admirables ; mais le rouge domine autour du cou et de la gorge. Il a la tête couronnée d’une magnifique aigrette.

Les faisans du Japon sont d’une extrême beauté, surtout une espèce particulière qui se distingue par l’éclatante variété de ses couleurs, et par une admirable queue qui n’a pas moins de deux ou trois pieds de longueur. Les bécassines sont fort communes. Quelques sectes en mangent, et se permettent aussi les faisans, les oies et les canards. On ne connaît qu’une espèce de pigeons sauvages, qui ont le plumage noir et bleu, et qu’on éloigne soigneusement des maisons, parce que l’expérience a fait connaître que leur fiente prend feu aisément. On voit des cigognes au Japon pendant toute l’année. Les meilleurs faisans viennent des provinces septentrionales ; mais on les nourrit moins pour le vol que par curiosité pour leur grandeur. Les éperviers ne sont pas ici moins communs que dans toutes les Indes orientales.

Le fotetenis est un oiseau nocturne d’un goût exquis, et qu’on ne sert même sur les tables des grands que dans des occasions extraordinaires.

Les Japonais ont des abeilles qui font de la cire et du miel, mais en petite quantité.

Entre les papillons, on en distingue un fort grand nommé jamma-tsio, ou papillon de montagne, qui est tout-à-fait noir, ou d’une agréable variété de couleurs. Le komuri est une grosse mouche de nuit, très-belle, tachetée de diverses couleurs, et tout-à-fait velue.

De plusieurs escarbots d’une rare beauté, on en admire un fort gros, qui ressemble beaucoup à la mouche de fumier. Il est luisant, noir ; il a des cornes recourbées et larges, dont la plus grande est placée sur le nez, comme celle du rhinocéros, et la plus petite sort de l’épaule. Cet animal marche avec peine et vit sous terre. On appelle sebi, et quelquefois semi, une autre espèce d’escarbot de couleur brune, qui fournit aux naturalistes la matière de plusieurs observations. On en compte trois sortes : le plus gros, nommé kuma-sebi, a la figure et la grosseur de ces mouches qui ne volent que le soir en Europe ; mais il est sans ailes. Au printemps, il sort la nuit de dessous terre, où il se tient pendant tout l’hiver. Ses pates déliées lui servent à s’attacher aux branches des arbres, aux feuilles et à tout ce qu’il peut saisir ; bientôt il crève, et son dos se fend dans sa longueur, pour faire place à une autre mouche qui s’y trouvait renfermée, et qui ressemble aussi à un escarbot, mais qui paraît d’abord plus grande que sa prison : quelques heures après, cette mouche s’envole en bourdonnant. Lorsqu’elle rompt l’étui qui l’enfermait, et qu’en même temps elle déploie ses ailes, elle fait un bruit aigu et perçant, que les Japonais croient entendre à la distance d’un mille. Kœmpfer assure du moins que les bois et les montagnes retentissent du bruit de ces petits animaux. Ils disparaissent dans les jours caniculaires. On prétend qu’ils rentrent dans la terre pour y subir une nouvelle métamorphose, et reparaître l’année d’après. C’est ce que le même voyageur n’eut pas occasion de vérifier ; mais il parle avec certitude de leur chant, qui commence lentement et d’un ton bas, et qui, augmentant ensuite par degrés en vitesse et en force, baisse encore en finissant. Ce bruit lui parut ressembler à celui du fuseau d’un boutonnier. Il commence au lever du soleil, et finit à midi.

Parmi les mouches de nuit, on en voit une très-rare, à peu près de la longueur du doigt, déliée, ronde, avec quatre ailes, dont deux sont transparentes et cachées sous les deux autres, qui sont luisantes, comme si elles avaient été polies et embellies d’un charmant mélange de taches et de lignes bleues et dorées. Cet insecte est d’une beauté si singulière, qu’on se fait un plaisir d’en conserver entre les bijoux les plus curieux. Elle a fait naître aux poètes japonais l’idée d’une fable qui explique l’ardeur inconsidérée avec laquelle on voit les mouches se brûler à la chandelle. Ils racontent que toutes les autres mouches de nuit sont devenues amoureuses de cet insecte, et que pour se délivrer de leurs importunités, il leur ordonne malicieusement, sous prétexte de mettre leur constance à l’épreuve, de lui aller quérir du feu. Les mouches, ne consultant que leur passion, lui obéissent aveuglément, et courent contre le premier feu qu’elles rencontrent, où elles ne manquent pas de se brûler.

Les côtes de chaque île abondent en toutes sortes de plantes marines, de poissons, d’écrevisses et de coquillages. Il n’y en a presque point qui ne serve de nourriture aux habitans ; quelques-uns sont d’une bonté qui ferait honneur aux meilleures tables. On comprend sous le nom général de vokais les poissons, les écrevisses et les coquillages.

Le plus utile de tous les poissons de ces mers est le kudsuri ou la baleine. On en pêche sur toutes les côtes de l’empire, particulièrement sur celles de Khumano et de toute la partie méridionale de la grande île de Niphon, autour des îles de Tsussima et de Gotto, et sur les côtes d’Omura et de Nommo. Elles se prennent ordinairement avec le harpon, comme au Groënland ; mais les bateaux des Japonais semblent plus propres à cette pèche que les nôtres ; ils sont petits, étroits ; un des bouts se termine en pointe fort aiguë, et chacun porte dix rameurs, qui les font voguer avec une vitesse incroyable. La pêche commence au mois de décembre. Dans une seule année on a pris jusqu’à deux cent soixante-quatorze baleines aux îles de Firando et de Gotto.

Les Japonais en connaissent plusieurs sortes, qui ne diffèrent pas moins de nom que de figure et de grosseur. Celle qui se nomme sebio est la plus grosse : on en tire beaucoup plus d’huile que des autres. Sa chair d’ailleurs est si bonne et si saine, que les pêcheurs attribuent la force de leur santé, malgré la rigueur du froid et les fatigues de leur profession, à l’usage qu’ils en font continuellement. L’avo-sangi, ou la kokadsura, est une petite baleine de couleur grise et cendrée, dont la figure est un peu différente de celle du sebio. La nangass a communément depuis vingt jusqu’à trente brasses de long : elle peut demeurer deux ou trois heures sous l’eau, avantage qu’elle a sur les autres baleines, qui sont obligées de s’élever à tout moment sur la surface des flots pour respirer. La sotrokadsura, c’est-à-dire la baleine des aveugles, a reçu ce nom parce qu’on lui voit sur le dos la figure d’un byvu, espèce de luth, qui est l’instrument ordinaire des aveugles du Japon. Sa longueur est rarement de plus de dix brasses.

Dans tous ces monstrueux animaux il n’y a rien qui ne soit de quelque utilité, à l’exception de l’os de l’épaule. La peau, que la plupart ont noire, la chair, qui est rouge et semblable à celle du bœuf, les intestins, que leur longueur fait nommer fiacksiro, c’est-à-dire longs de cent brasses, et toutes les parties internes se mangent différemment apprêtées. De la graisse on tire de l’huile, en la faisant bouillir. On mange même le sédiment qui reste, après l’avoir fait bouillir une seconde fois. À l’égard des os, on fait bouillir dans leur fraîcheur ceux qui sont d’une substance cartilagineuse, pour les manger aussi. Des parties nerveuses et tendineuses, blanches et jaunes, on fait des cordes qui sont principalement d’usage dans les manufactures de coton et pour les instrumens de musique. Enfin des os de la mâchoire, des nageoires et des autres os d’une substance plus solide, on fait diverses sortes de petits ouvrages, particulièrement de belles balances qui servent à peser l’or et l’argent.

Le furube est un poisson venimeux ; et les Japonais qui sont las de vivre choisissent souvent ce poisson pour terminer leurs jours, plutôt qu’une corde ou un poignard. Il cause d’abord l’évanouissement, ensuite des convulsions, qui finissent par un violent crachement de sang, après lequel on expire.

Le cheval marin, ou le chien marin des mers du Japon, est un phoque. Toutes ses parties se mangent, sans exception. Il se pêche souvent dans le golfe d’Iedo, entre la ville de ce nom, et Kamekura.

Le tai, que les Hollandais des Indes nomment steenbraessem, est regardé des Japonais comme le roi des poissons, et passe parmi eux pour un animal d’heureux augure, parce qu’il est consacré à Iebis, dieu de la mer. Rien n’approche de l’éclat de ses couleurs tandis qu’il est dans l’eau. C’est un mélange de rouge et de blanc. Sa femelle n’a qu’un petit nombre de taches rouges. Il a la forme de la carpe ; mais il est si rare, qu’il ne se vend pas moins de mille cobangs.