Adieu Cayenne !/Rio de Janeiro à l’ombre

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Les Éditions de France (p. 186-193).

XIX

RIO DE JANEIRO À L’OMBRE


Le voyage dura treize jours.

Enfin ce fut Rio. C’était tellement joli que je ne pouvais m’imaginer qu’il y eût des prisons dans un endroit pareil !

La baie.

L’agent 29 traduit son enthousiasme par des coups de poing que je reçois dans le dos, amicalement.

Une vedette pique sur l’Itabera ; elle amène la police.

La vedette est pour nous. Nous descendons. M. Luiz me précède. L’agent 29, la main gauche sur l’étui éblouissant de son revolver, me suit pour mieux me protéger. En route !

Nous atteignons le quai.

Et allez ! voilà les photographes qui croissent et multiplient. Crac ! Crac !

On me pousse dans les locaux de la police maritime. Les journalistes m’y attendent.

Ils me montrent vingt journaux où ma photo s’étale, et sur quatre, sur cinq colonnes : O caso Dieudonné. (Le cas Dieudonné.) Recordacoes da terra dos morts. (Souvenirs de la terre des morts.) Dieudonné viclima da justicia dos homens. Une caso de erro judiciario, Dieudonné sera innocente.

Qu’est-ce qui se passe ? Je me le demande. Je n’ai pas parlé depuis que je suis au Brésil. Je n’ai cherché que silence et oubli, et voilà que je deviens un sujet d’actualité à grosse manchette !

Faz favor ! disent vos confrères en voulant m’entraîner. Ils me crient : « Vous êtes innocent ! »

— Merci ! messieurs, merci !

Tous veulent une déclaration.

Sans l’agent 29, je n’en sortais pas. Mon brave ami me dégage. Une auto est devant la porte. Elle nous emmène, M. Luiz Zignago, l’ami et moi.

Nous filons vers le ministère de la Justice.

Que me veut le ministre ?

Nous voici devant le bâtiment. Un bel escalier, ma foi ! Un huissier géant. Quel salon !

Le géant vient nous prendre, il pousse une porte : le ministre est là.

Il me regarde. Mon commissaire lui conte les détails de l’affaire. Le ministre écoute, prend des notes. Je comprends que M. Zignago plaide ma cause et demande que l’on ne me mette pas en prison. Le ministre lève les bras comme impuissant. Pendant ce temps, debout à côté de moi, l’agent 29 sent toute l’importance de sa mission. Il est sourd de tant de gloire !

Le ministre me fait un sourire et nous congédie. Nous sommes dehors. L’agent 29 s’éponge.

— Hélas ! je dois vous conduire à la Centrale. L’ambassade de France a demandé votre extradition. Le ministre est pris entre l’opinion publique d’ici et des nécessités d’ordre international.

— Tant pis ! monsieur Luiz.

Nous voilà à la Centrale.

Mes amis me remettent au chef de la police.

Nous avons les larmes aux yeux. L’agent 29 me laisse toutes ses cigarettes. M. Luiz promet de veiller sur moi. On s’embrasse, et c’est l’adieu !

Identification. Anthropométrie. Bureaux, escaliers, couloirs. Bureau, bureau, bureau ! Cellule d’attente. Une heure après : panier à salade.

Ainsi fais-je ma première grande promenade à travers Rio de Janeiro. Elle aboutit à la casa de Detencâo. Encore !

Je monte un escalier de fer. Au premier étage, on m’arrête devant la cellule 41. Quatre et un font cinq ! Mauvais chiffre ! Le cinq m’a toujours été néfaste.

La cellule a vingt mètres carrés. Ils sont dix-sept là-dedans, qui me dévisagent. Les riches ont des paillasses et des couvertures. Je fais comme les pauvres ; je sors de grands journaux de ma poche. C’est intéressant, les journaux de quarante pages, quand on est en prison, vous savez !

— Il y a plus à lire.

— Ce n’est pas cela. On les étend sur les dalles, c’est épais ; cela vous préserve mieux du froid ! J’arrange mes souliers en traversin. Je me couche.

Première nuit !

Deux Allemands, trois Espagnols, cinq Portugais, un Polonais, cinq Brésiliens et un Français (moi), telle est la case à mon réveil. J’étais bien abandonné.

Un des Allemands m’avait prêté la traduction française d’un roman russe. Ce que l’on y mangeait, dans ce livre ! On y mangeait à toutes les pages. « Ah ! me disais-je, que ne suis-je là-bas ! »

Le sixième jour, je vois arriver un monsieur, Me Fessy-Moyse, avocat du consulat français. Il faut vous dire que j’avais écrit à notre ambassade. Dans ma lettre, je disais : « Vous demandez que je me rende aux autorités françaises et vous m’avez fait enfermer dans une prison brésilienne ; comment en sortir pour déférer à votre désir ? De plus, vous devez connaître, monsieur l’ambassadeur, les habitudes pénitentiaires du pays. Ici, le prisonnier se nourrit par ses propres moyens. Personnellement, comme moyens, je n’ai que celui de mourir de faim. »

Me Fessy-Moyse m’apporte cinquante milreis de la part de M. Conty. Il ajoute cinquante milreis de sa poche. Il obtient que je sois mis dans une cellule du rez-de-chaussée.

J’ai de l’argent. J’achète les journaux. Ils sont remplis de mon affaire. Regardez seulement les titres ; vous aurez une idée de ce qui se passait : Le Brésil a-t-il le droit de livrer Dieudonné ? Nous devons libérer Dieudonné. La Gazeta dos Tribunâes est plus violente. Elle prend officiellement mon parti. L’article est signé J. V. Pareto junior.

Le soir de ce même jour, à trois heures, deux messieurs se font ouvrir ma cage.

— Je suis Pareto junior, avocat, dit l’un d’eux. Et voilà M. Beaumont, directeur de la Gazeta dos Tribunâes. Nous venons, au nom de la conscience brésilienne, nous constituer vos défenseurs. Je demanderai pour vous l’habeas corpus au Suprême Tribunal fédéral !

J’en pleurai.

Le lendemain 2 août, deuxième visite. Ma cellule devient un salon, il ne me manque que des chaises et un piano. C’est le consul de France, en personne, M. Henri Brun.

— Je vous annonce officiellement que le gouvernement français ne demande plus votre extradition.

Un consul de France dans ma cellule avec une bonne nouvelle à la bouche, voilà de nouveau que le merveilleux entre dans ma vie ! Une heure après :

Vous êtes libre, vient me dire le directeur de la prison.

Mon gardien ajoute : « Au revoir, professor ! » Je suis devenu professeur !

Attendez, il y a encore autre chose. Mon compagnon de cellule est superstitieux. « Donne-moi ta ceinture, me dit-il ; avec elle, tu t’es sauvé du naufrage, tu as réussi la deuxième évasion et maintenant tu sors de la Cadeïa. Donne-la au frère qui n’a jamais eu de chance. » Je la lui donnai.

Ceci vous explique pourquoi un quart d’heure plus tard, ahuri, égaré, je me trouvais dans la rue, au milieu d’une capitale inconnue, tenant mon pantalon à deux mains !