Advis de Guillaume de la Porte, hotteux ès halles de la ville de Paris

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Advis de Guillaume de la Porte, hotteux ès halles de la ville de Paris.

vers 1618



Advis de Guillaume de la Porte,
hotteux ès halles de la ville de Paris
.
Sans lieu ni date, in-8.

Le vaudeville des bouchers et le reglement faict pour la police publié1 m’a donné subject de tracer ces lignes, pour vous declarer que, pensant apporter du remède, vous courés au mal. La raison en est parceque vous voulez paroistre de grands œconomes, et vous n’estes qu’abecedaires de maisons. D’où vient que, voulant retrancher le mal, vous le fomentés et le faictes pululler ? Que si vous aviez consulté toutes sortes de qualités de personnes, ne vous attachant tant au pourpre2, qui n’a le plus souvent que l’apparence ou l’appuy de l’argent, sans doute vous auriés faict tout autre reglement. Qui est celuy qui ne recognoisse le signalé defaut sur le prix du mouton, veu que chacun sçait qu’il y a grande disproportion du moindre au meilleur ? À vostre compte, le plus gras mouton ne vaudroit que seize sols davantage que le plus chetif3, veu qu’il y a mouton de neuf livres et autres de trois livres. Pour le veau, pareille raison. Ma cousine la Moignotte, que Dieu veulle conserver et luy restablir la santé ! estant fermière de la grande ferme de Paré, elle avoit douze vaches, dont l’une avoit nom la Bourelière, laquelle faisoit des veaux aussi puissants que des bœufs du Poitou. Je vous laisse à penser quelle perte elle eust receu de les vendre à six livres, et le grand profit de vendre des avortons à pareil prix de six livres. Ces considerations, et autres que je veux deduire cy-après, font que je ne puis approuver ce reglement. Et d’autant qu’estant bourgeois de Paris, je faicts partie d’icelle, il me semble qu’au peril de la famine qui nous menace, je doibs dire mon opinion, pour estre receue ainsi qu’on le verra bon estre. Que si quelqu’un me debat mon droict de bourgeoisie, Pierre de la Porte et Guillemette des Rosières, surnommée Dix-sept-demi-septiers, mes père et mère, vous leveront ceste difficulté et vous diront qu’ils ont porté les crochets et la hoste vingt ans, servants à porter viandes et fruicts des halles. Je vous laisse à penser si j’ay quelque memoire du vineux mestier qui fait dire la verité. Ma qualité prouvée, venons au subject qui se presente. Toute ville, republique ou royaume se maintient principalement de bled, vin, chair et bois : c’est pourquoy les bien reglées ont donné toute liberté de trafiquer à toutes sortes de personnes sans y imposer aucune dace4 ny impost, afin que l’affluence y apporte vilité de prix, ce qui est très certain par l’abord des marchands, qui ne trafiquent que sur l’esperance du gain. Je sçay que le malheur du temps a apporté des subsides sur lesdits vivres ; mais lesdits subsides ne sont suffisans pour faire telle cherté qu’on s’en puisse plaindre, et je m’asseure que quelque jour nostre bon prince et roy retranchera en partie lesdits subsides : car je m’asseure que, Gondy et Jamet5 à present estant morts, on ne verra plus tant de partisans composés d’Italiens et d’Espagnols, que je desirerois les uns estre placés au pol arctique, les autres au pol antarctique. Dios me libre de tal gente ! Je ne parle des femmes desdits païs, car elles passent en la famille des maris.

Il est donc necessaire de donner liberté aux marchands forains de vendre leurs troupeaux et marchandises le prix qu’ils pourront, parceque, si vous leur faictes delivrer leur marchandise à perte, sans doubte ils n’y retourneront pour la seconde fois : je m’en raporte à la Verdure de Juvisi, s’il veut venir perdre sur chaque chartée de veaux dix-neuf livres qu’il perdit vendredy dernier.

Il est utile de donner permission à tous maistres bouchers et compagnons ou autres vendre viandes en destail, afin de n’estre subject à un nombre6.

Il est à propos de vendre les viandes à la livre, et le prix d’icelles en soit faict au rabais, ainsi qu’il se practique en Languedoc, Gascogne et autres provinces.

Davantage (avec permission de MM. les bouchers), parceque je vois plusieurs bonnes maisons où il faut quantité de moutons, d’autres familles qui se peuvent passer d’un quartier, et qu’ils se pourroient plaindre, soit de la maigreur des viandes, soit sur la difficulté d’avoir un quartier de derrière, que l’on appelle, en Musarabie7, trasero, pour eviter à cet inconvenient, je voudrois faire dresser des escorcheries au dessus et au dessoubs de nostre ville de Paris8, et près icelles quelques halles, où les marchands forains, deux fois la sepmaine, pourroient venir vendre leur bestail, les manants et habitans de nostre ville, ou leurs domestiques pour eux, se joignant deux, trois, plus ou moins, se transporteroient ausdits lieux et feroient achapt de leur necessité, et à l’instant feroient tuer leur mouton ou plusieurs, moyennant trois ou quatre sols qu’ils donneroient à des compagnons bouchers, qui seroient bien aises de faire ce profict. En après, le mouton pesé, l’on regarderoit la montance de chaque livre, et chacun puis après prendroit sa provision. C’est un mesnage qui se faict en plusieurs endroits de l’Europe, sur lequel vous faictes le tiers de profict. Je le sçay par experience. Ma mère Guillemette me disoit bien qu’en voyant le monde on voit du pays, et qu’à ne voir que des charbons on ne cognoist que des tisons.

Or, d’autant que l’abondance est la mère de vilité, je voudrois, pour y parvenir, faire defences de tuer des aigneaux, sur peine du fouet9, despuis le premier jour de janvier jusques au dernier juillet. Vous faictes, en ce faisant, profiter les troupeaux, accroistre les fumiers des laboureurs, qui s’abonissent par la fiante de ces animauls, qui par après multiplient les grains à foison par l’amendement que l’on faict aux soles et jachères. Vous empeschés les bergers de vendre les dits agneaux : vous retranchez la perte des troupeaux que l’on donne à moitié.

Pareil remède sur les veaux et autres espèces de vivres, lesquels ne voyent à peine la lumière par la friandise de ce temps.

Je voudrois faire defenses aux marchands de bled residans à Paris de serrer du grain dans Paris outre leur provision : car ils enlèvent le bled de deux ou trois marchés à bas pris pour vous le vendre puis après cherement. Je portois un jour à monsieur Criton du pain de la hale, et il montroit une oraison grecque à ses escoliers, escripte contre des marchands traficquans en bled, residans à Athènes10, de la qualité susdicte ; et les dits escoliers, à cause que je portois du pain, ils me prenoient pour l’un de ces monopolistes, et me vouloient lapider ; et si le dit sieur ne fut venu, leur donnant à entendre que je n’estois marchand blatié grec11, c’estoit faict de Guillaume de la Porte ! Il sera bien fin qui me fera vivre avec ces toques de malice !

Pour le bois, j’observerois les reglemente anciens, à peine de contravention de la perte de la marchandise contre les marchans, et de privation et de confiscation des offices des officiers, qui, en leur presence, voyent enfraindre la taxe de la ville ; à quoy pour remedier, il y auroit des poteaux dans lesquels il y auroit une table (ce que les Arabes appellent Arauzel)12 contenant la taxe de la ville, afin qu’un chascun fut adverti du prix de la marchandise13.

Seroit fait defences d’acheter des bois, n’estoit pour estre promptement coupés et vendus à la saison, afin d’eviter aux monopoles. Il y a plusieurs bourses qui s’assemblent et enlèvent les bois, et les gardent un, deux, trois ans, jusques à cherté, et n’en font venir qu’à la derobée. Je vous donne advis qu’il y a un marchand d’Auxerre qui, sous la bourse d’un nommé Giman, bourgeois de Paris, a enlevé tout le marin14 du pays de Morvan. Je vous laisse à penser s’il faudra passer par ses mains si le bois tortu chemine droit15 ; mais je m’asseure que monsieur le lieutenant general d’Auxerre y donnera bon ordre. Le commencement de la santé est de cognoistre la maladie, el comienso de la salud, es conocer la dolencia del enferma.

Messieurs les maistres des forests, vous ne serez negligens de faire planter à la place des bois de haute futaye que l’on abat.

Je voudrois faire defendre aux cabaretiers d’asseoir en leurs tavernes fors pain et vin16, et ce à personnes estrangers seulement.

Il y a un tas de gueules enfarinées qui n’ont pour leur dieu que la Pomme de pin, la Croix blanche, le Petit saint Anthoine17, le cuisinié de monsieur de Bethune, que l’on dit à la Bastille, avec mille autres de ce poil, sans comprendre les logis où l’on traicte à deux, trois et quatre escus pour teste. Quelle abysme de despense ! Et le vice chatouille tellement les hommes qu’il n’y a fils de bonne mère qu’il n’y porte sa chandelle. Si compère Gaultier arrive, il faut le recevoir en un cabaret. Là, on trouve toute sorte de vins d’Orleans, de Beauce, Gascogne, d’Espagne, de Ciudad Real, Perogomez, Frontignan ; là, vous ne pouvés desirer aucun genre de viande qu’il ne vous soit servi. La colation ou dessert seconde l’entrée, tellement que vous estes servi plus qu’en roy. Au partir de là, pour faire chère entière, il faut aller voir les dames, ou plustost la verole.

Je me proposois vous toucher quelques remèdes, mais il m’est souvenu que monseigneur de Verdun (que chascun ne sauroit assez admirer, pourestre les louanges inferieures à ses vertus) est à present premier president au parlement de Paris, premier parlement de France18. Ma plainte suffit ; la paix qu’il a establie entre les mondains de Toulouse, y rendant la justice en qualité de premier president, asseure qu’il la donnera aux enfans de Paris, ou plustost à la confusion du siècle corrompu. Nous estions perdus (mes concitoiens) si nous n’eussions recouvert l’Hercule de nostre pays. Desjà j’avois faict resolution de vendre ma hotte et ma bonne casaque de toille, ayant perdu l’esperance de gagner ma vie aux halles pour tirer des coups de pistolets aux portes en tirant pays pour aspirer la qualité de gondolier à Venise. À Dieu, jusques al veder.

L’an de grace 161119, le 2. jour de may, et de Guillaume de la Porte20, de nostre aage le 27.




1. Nous ne savons quel est ce règlement de police concernant la boucherie ; peut-être est-ce celui du 30 mai 1618. V. Traité de la police, t. 2, liv. 5. — Nous n’en trouvons pas qui se rapproche davantage de la date de cette pièce.

2. C’est-à-dire à la puissance.

3. En 1600, le prix d’un beau mouton étoit de 4 livres. (Dupré de Saint-Maur, Essai sur les monnoies, année 1600.)

4. Taxe.

5. Partisans italiens qui alors accaparoient toutes les affaires. V. la pièce précédente, Rencontre de maître Guillaume et de Piedaigrette. Jamet n’est autre que le fameux Zamet, mort en 1614.

6. On voit que l’idée de demander la liberté du commerce de la boucherie n’est pas chose nouvelle.

7. C’est le nom qu’on donnoit à la partie de l’Espagne chrétienne placée sous la domination des Arabes.

8. L’établissement des tueries sur la rivière, au dessous de Paris, avoit souvent été demandé. On l’avoit même ordonné par arrêt du 7 septembre 1366 (Traité de la police, t. 2, liv. 5) ; mais jamais l’ordonnance n’avoit pu avoir d’exécution. (Mélanges d’une grande bibliothèque, Hh., p. 16–17.)

9. Charles IX en 1563, Henri III en 1577, avoient fait défense de vendre la chair des agneaux ; mais leurs ordonnances ne furent pas exécutées, et il fallut les faire revivre en 1714, après beaucoup de réclamations du genre de celle qu’on formule ici.

10. Ce discours est celui de Lysias contre les marchands de blé. V., sur cette très intéressante oraison, le livre d’Auguste Bœckh, Économie politique des Athéniens, trad. par Laligant, t. 1, p. 138–141.

11. Les blastiers étoient ces marchands qui alloient acheter du blé dans les greniers de la campagne et qui le revendoient aux marchés des villes. Il y avoit à Paris une communauté de marchands blastiers sous saint Louis, qui leur donna des statuts. (Traité de la police, t. 2, liv. 5, ch. 2.) Plus tard, leur commerce déchut, et ils ne furent plus considérés que comme simples regrattiers et grainiers. (Id., t. 6, liv. 5.) On agita même la question de l’utilité de leur commerce, et l’on fut sur le point de le défendre. (Id., Ibid.)

12. Chez les Chinois il y a une table pareille dressée sur la place publique, et indiquant, en outre du prix des vivres, celui des remèdes qui se vendent chez les apothicaires.

13. On trouve le commencement d’exécution d’un projet pareil dans l’ordonnance de mars 1577, par laquelle il étoit ordonné à l’hôtelier d’écrire sur la principale porte de son auberge le taux de tout ce qui se prenoit chez lui, le manger, le boire et le coucher. Deux ans après, une ordonnance du 21 mars compléta la première en réglant le tarif de toutes les denrées à consommer. C’est cette ordonnance qui se trouve mise en chanson dans la Fleur des chansons nouvelles (édit. Techener, p. 6–11).

14. Bois merrain, bon surtout pour les tonneliers, les treillageurs et les menuisiers.

15. Si la vigne donne.

16. C’étoit le droit des cabaretiers et taverniers « de vendre vin, donner à manger ou souffrir qu’on mange dans leur maison. » Colbert lui-même n’osa l’enfreindre : V. sa lettre à M. de Miromesnil du 16 octobre 1681, Correspondance administrative de Louis XIV.

17. On connoît la célébrité du cabaret de la Pomme-de-Pin, situé dans la Cité, près de l’église de la Madeleine et presqu’à l’entrée du pont Notre-Dame. Celui de la Croix blanche se trouvoit près du cimetière Saint-Jean, dans la petite rue, aujourd’hui détruite, à laquelle il avoit donné son nom. Le cabaret du Petit-Saint-Antoine s’appeloit ainsi à cause de la maison de chanoines près de laquelle il étoit situé dans la rue Saint-Antoine. V. notre Histoire des hôtelleries et cabarets, t. 2, p. 304, 333.

18. Messire Nicolas de Verdun avoit succédé en 1616 à M. Achille du Harlay dans la charge de premier président du parlement de Paris, qu’il occupa jusqu’en 1627. V. Blanchard, Eloges de tous les premiers présidents, 1645, in-8, p. 81.

19. Il faut lire 1621.

20. Je serois tenté de croire que pour cette pièce, où il est tant question du commerce de la boucherie, le nom de Guillaume de la Porte a été pris en souvenir de Guheri de la Porte, qui au XIIIe siècle fit don aux religieux de Saint-Martin de la maison où fut établie la grande boucherie de l’Apport-Paris.