Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/A Mme de B

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A MADAME DE B.


QUADRAINS.


Je voy’ tant de beautez, je sens tant de douceurs
Dont la clarté m’embraz’ & le doux m’empoisonne,
Que tantost à mes cris la liberté je donne,
Tantost je les retrains pressé dans mes douleurs.

Ce qui est de plus rare en toute la Nature,
Ce qui est de plus beau & plus delicieux,
Ce qui est de plus pur soubz la voute des Cieux
N’est qu’un foible miroir d’une beauté si pure.
Ce qui est soubz le Ciel de plus rare & plus beau
Rende foy & hommage aux beautez que j’adore :
Astres luisans & clairs, soleil plus clair encore,
Cachez vostre lueur, approchez mon flambeau !
Vous n’estes qu’instrumens de ma belle lumiere,
Pour esclairer au monde & en ces plus bas lieux,
Empruntans vostre feu du feu pur de ses yeux,
Prenans vostre vigueur de sa force premiere.
Mais ces rayons divins de ma belle clarté
Sçavent trop bien blesser, messagers de son ire ;
Ces yeux doux & cruels, causes de mon martyre,
Cachent soubz leur douceur trop de severité.
C’est doncque vous, douceurs, qui faictes que j’endure,
Serenes qui pipez par vos douces chansons
Le nocher harassé ravi des moites sons,
Luy vendans son plaisir d’une peine si dure.
Marastres qui couvrez l’aconite de miel,
Monstres qui la douceur changez en vostre rage,
Insatiables mains souillees du carnage
De vos enfans succans soubz le baume le fiel !
Douce, claire & friand’ est l’eau que le malade
Tire à traits regrettez, douce la mortell’ eau
Qui met le sang en fange & le corps au tumbeau
Par l’enflammé venain d’un boutefeu dipsade.
Plus doux est le sommeil qui nous meine à la mort :
Blanc est le lis, le laict, & doux ce qui desguise
Le poison respiré qui dedans nous espuise
L’humeur le plus suptil par son suptil effort.
Beautez à ma beauté en rien accomparables,
Fuyez, vaines douceurs, d’auprez de ma douceur,

Ne fuyez, cruaultez, causes de mon malheur,
Approchez, vrays tesmoins de cruaultez semblables.
Le laict n’a plus de lustre en voyant vostre teint,
Auprez de vostre taint le lis en noir se change,
Prez de vostre douceur l’ambre perd sa louange,
Du sommeil la douceur par la vostre s’estaint.
Et combien de fois plus est douce vostre grace
Que la Serene douc’ & habile à charmer,
Que le miel ni que l’eau ; combien peut animer
Cett’ argentine voix cette celeste face !
Helas ! que de beautez qui ont pipé mes yeux,
Helas ! que de douceurs, que de douces merveilles
Ont surpris mes esprits espris par les oreilles,
Saisissans tous mes sens par si divers milieux !
Mais mon espoir trompé desmenti par l’espreuve
A veu vostre beau sein d’aconite noirci,
Ce sein plus blanc que neige estre froid tout ainsi,
Et en ses chants divins rien que ma mort ne treuve.
Ces yeux ; ces deux fambeaux, se sont faicts cruels feux,
Cette voix n’est qu’un ris de ma sanglante paine,
Mais ces feux, ínstrumens de ma perte certaine,
S’alentissent un peu par l’effort de mes pleurs [sic].
Ce poison ensucré de vos douces paroles
Qui m’a faict avaler doucement mon malheur,
Ce miel qui rend friand & souesve ma douleur
Ne me peut plus tromper d’esperances frivoles :
Je vois & si je sens s’escouler mon humeur,
Ores suis demi mort, ores demi de vie,
Et mon ame en souffrant est de plaisir ravie
Et ce souffrir luy est son souverain bonheur ;
Doux luy sont les efaicts d’une cause si belle :
Sousriant je me plains, n’appelant point torment
La peine que j’endure & mon vouloyr dement
La douleur qui me point pour t’aimer, ma rebelle.

Je mesprise celuy qui n’est point amoureux :
La joye sans aimer est une chose sainte,
Toute felicité, si on n’aime, est estainte,
Et ainsi pour souffrir je souffre bienheureux.
Amour oste tout soin & un seul qui nous blesse
Nous ravit à nous meme & nous rend tout à luy,
Il faict, comme il luy plaist, le plaisir & l’ennuy
Qui me cause cent mors absent de ma maistresse.
Il faut donq’ obéir à ses estroictes loix,
Se laisser surmonter au mal qui me surmonte :
Puis je sçay que ma dame altiere ne fait conte
Des grands plus eslevez, des Princes ni des Roix.
Mes veux iront mourir ou meurent les celestes :
L’or y a pleu, cett’ or n’[y] a point eu de pris.
Le fouldre à menacer n’a receu que mespris,
Le cigne y a perdu ses chants doux & funestes.
Voyez mon cœur en feu tout noyé de ses pleurs,
Voyez vos cruaultez paintes en mon visage,
Voyez d’un qui n’est plus la pitoyable image,
L’image de mes maux, celle de vos rigueurs.
Enfin dans un Ætna mon Amour consummee
Me donne le tombeau du Grec ambitieux,
Mont qui seiche la mer, mont qui rend de ses feux
En braize les Enfers & les Cieux en fumee.