Ainsi parlait Zarathoustra (édition 1898)/Notes

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Traduction par Henri Albert.
Société du Mercure de France et Naumann (p. 463-469).



NOTES.


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L’idée de Zarathoustra remonte chez Nietzsche aux premières années de son séjour à Bâle. On en retrouve des indices dans les notes datant de 1871 et 1872. Mais, pour la conception fondamentale de l’œuvre Nietzsche, lui-même indique l’époque d’une villégiature dans l’Engadine en août 1881, où lui vint, pendant une marche à travers la forêt, au bord du lac de Silvaplana, comme « un premier éclair de la pensée de Zarathoustra », la pensée de l’éternel devenir et de l’éternel retour des choses. Il en prit note le même jour en ajoutant la remarque : « Au commencement du mois d’août 1881 à Sils Maria, 6000 pieds au-dessus du niveau de la mer et, bien plus haut encore, au-dessus de toutes les choses humaines » (Note conservée). Depuis ce moment cette idée se développa en lui : ses carnets de notes et ses manuscrits des années 1881 et 1882 en portent de nombreuses traces et La gaya scienza qu’il rédigeait alors contient cent indices de l’approche de quelque chose d’incomparable ». Le volume mentionne même déjà (dans l’aphorisme 341) la pensée de l’éternel retour des choses, et, à la fin de sa quatrième partie (dans l’aphorisme 342, qui dans la première édition qui terminait l’ouvrage), « faisait luire, comme le dit Nietzsche lui-même, la beauté diamantine des premières paroles de Zarathoustra ».

La première partie fut écrite dans « la baie riante et silencieuse » de Rapallo près de Gênes, où Nietzsche passa les mois de janvier et février 1883. « Le matin je suis monté par la superbe route de Zoagli en me dirigeant vers le sud, le long d’une forêt de pins ; je voyais se dérouler devant moi la mer qui s’étendait jusqu’à l’horizon ; l’après midi je fis le tour de toute la baie depuis Santa Margherita jusque derrière Porto fino. C’est sur ces deux chemins que m’est venue l’idée de toute la première partie de Zarathoustra, avant tout Zarathoustra lui-même, considéré comme type ; mieux encore, il est venu sur moi » (jeu de mot sur er fiel mir ein et er überfiel mich). Nietzsche a plusieurs fois certifié n’avoir jamais mis plus de dix jours à chacune des trois premières parties de Zarathoustra : il entend par là les jours où les idées, longuement mûries s’assemblaient en un tout, où, durant les fortes marches de la journée, dans l’état d’une inspiration incomparable et dans une violente tension de l’esprit, l’œuvre se cristallisait dan son ensemble, pour être ensuite rédigée le soir sous cette forme de premier jet. Avant ces dix jours il y a chaque fois un temps de préparation, plus ou moins long, immédiatement après la mise au point du manuscrit définitif ; ce dernier travail s’accomplissait aussi avec véhémence et accompagné d’une « expansion du sentiment » presque insupportable. Cette « œuvre de dix jours » tombe pour la première partie sur la fin du mois de janvier 1883 : au commencement de février la première conception est entièrement rédigée, et au milieu du mois le manuscrit est prêt à être donné à l’impression. La conclusion de la première partie (De la vertu qui donne) « fut terminée exactement pendant l’heure sainte où Richard Wagner mourut à Venise » (13 février).

Au cours d’un « printemps mélancolique » à Rome, dans une loggia qui domine la Piazza Barbarini, « d’où l’on aperçoit tout Rome et d’où l’on entend mugir au-dessous de soi la Fontana », le « Chant de Nuit » de la deuxième partie fut composé au mois de mai. La seconde partie elle-même fut écrite, de nouveau en dix jours, à Sils Maria entre le 17 juin et le 6 juillet 1883 : la première rédaction fut terminée avant le 6 juillet et le manuscrit définitif avant le milieu du même mois.

« L’hiver suivant, sous le ciel alcyonien de Nice, qui pour la première fois rayonna alors dans ma vie, j’ai trouvé le troisième Zarathoustra. Cette partie décisive qui porte le titre : Des vieilles et des nouvelles Tables fut composée pendant une montée des plus pénibles de la gare au merveilleux village maure Eza, bâti au milieu des rochers — ». Cette fois encore « l’œuvre de dix jours » fut terminée fin janvier, la mise au net au milieu du mois de février.

La quatrième partie fut commencée à Menton, en novembre 1884 et achevée, après une longue interruption, de fin janvier à mi-février 1885 : le 12 février le manuscrit fut envoyé à l’impression. Cette partie s’appelle d’ailleurs injustement « quatrième et dernière partie » : « son titre véritable (écrit Nietzsche à Georges Brandès), par rapport à ce qui précède et à ce qui suit, devrait être : La tentation de Zarathoustra, un intermède ». Nietzsche a en effet laissé des ébauches de nouvelles parties d’après lesquelles l’œuvre entière ne devait se clore que par la mort de Zarathoustra. Ces plans et d’autres fragments seront publiés dans les œuvres postumes.

La première partie parut en mai 1883 chez E. Schmeitzner à Chemnitz sous le titre : « Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre pour tout le monde et personne » (1883). La seconde et la troisième partie parurent en septembre 1883 et en avril 1884 sous le même titre, chez le même éditeur. Elles portent sur la couverture, pour les distinguer, les chiffres 2 et 3. — La première édition complète de ces trois parties parut à la fin de 1886 chez E. W. Fritsch à Leipzig (qui avait repris quelques mois avant le dépôt des œuvres de Nietzsche), sous le titre : Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre pour tout le monde et personne. En trois parties (sans date).

Nietzsche fit imprimer à ses frais la quatrième partie chez C. G. Naumann à Leipzig en avril 1885, à quarante exemplaires. Il considérait cette quatrième partie (le manuscrit portait : « pour mes amis seulement et non pour le public ») comme quelque chose de tout à fait personnel et recommandait aux quelques rares dédicataires une discrétion absolue. Quoiqu’il songeât souvent à publier aussi cette partie il ne crût pas devoir le faire sans remanier préalablement quelques passages. Un tirage à part de cette partie, imprimé en automne 1890, lorsque eut éclaté la maladie de Nietzsche, fut publié en mars 1892 chez C. G. Naumann, après que tout espoir de guérison eut disparu et par conséquent tout possibilité pour l’auteur de décider lui-même de la publication. En juillet 1892 parut chez C. G. Naumann la deuxième édition de Zarathoustra, la première qui contint les quatre parties. La troisième édition fut publiée chez le même éditeur en août 1893.

La présente traduction a été faite sur le sixième volume des Œuvres complètes de Fr. Nietzsche, publié en août 1894 chez C. G. Naumann à Leipzig par les soins du « Nietzsche-Archiv ». Les notes bibliographiques qui précèdent ont été traduites d’après l’appendice que M. Fritz Koegel, a donné à cette édition.

Conformément au désir exprimé par le « Nietzsche-Archiv » de Weimar nous avons donné une version aussi littérale que possible de l’œuvre de Nietzsche, tachant d’imiter même, autant que possible, le rythme des phrases allemandes. Les passages en vers sont également en vers rimés ou non rimés dans l’originale.

Nous avons renvoyé à cette place quelques notes relatives à la traduction :

page 8, ligne 6. du b. : Je vous enseigne le Surhumain — Uebermensch, übermenschlich. Nous avons substantivé l’adjectif surhumain, les termes de surhomme, superhomme qui ont été employés quelquefois, ne nous semblant pas propres à être introduits dans la langue française. Un des chapitres des Modern Painters de John Ruskin s’intitule « of the Superhuman Ideal » (vol. II, chap. V). Cet « idéal superhumain » que Ruskin cherche dans l’art correspond à peu près à cet autre idéal de Surhumanité que Nietzsche voudrait introduire dans la vie pour y amener l’homme, C’est donc bien à tort que M. Jean Izoulet a donné le titre de Les Sur-Humains à sa traduction des Representative Men d’Emerson, en indiquant spécialement que les « types » du penseur américain sont « à beaucoup d’égards les « surhommes » de Nietzsche ». Les grands hommes dont parle Emerson correspondent tout simplement aux « hommes supérieurs » de la quatrième — » partie de Zarathoustra — ces hommes supérieurs qui ne sont que la promesse du Surhumain. Dans la préface italienne du Triomphe de la Mort, préface qui n’a pas été traduite en français, M. Gabriel d’Annunzio évoque cette ombre du Surhumain, comme une vision de l’avenir : « Noi tendiamo l’orecchio alla voce del magnanimo Zarathustra, o Genobiarca ; e prepariamo nell’arte con sicura fede l’avvento del Uebermensch, del Superuomo »

page 34 : Les hallucinés de l’Arrière-Monde — die Hinterweltler, ceux qui croient à l’existence d’un monde transcendantal.

page 115, ligne 1. du b. : Tout ce qui est immuable — n’est que symbole ! — contrepartie des vers de Goethe à la fin du second Faust : « Tout ce qui passe — n’est que symbole ».

page 139, ligne 2. du b. : tarantelle — Tarantel, le même mot signifie en allemand tarantelle et tarentule.

page 168 : De l’immaculée Connaissance — jeu de mot sur Erkennmis (connaissance) et Empfängnis (conception).

page 178, ligne 14. du h. : l’indescriptible a été réalisé — allusion au vers de Goethe dans le second Faust : « Das Unbeschreibliche, hier ist’s gethan ».

page 247, ligne 7. du h. : tristes envieux — Neidbolde und Leidholde.

page 250, ligne 4. du h. : ... ici l’esprit devient jeu de mot ? il se fait jeu en de repoussant calembours ! — Wortspiel, Wort-Spülicht. (Tout ce chapitre est plein de jeux de mots qui, pour la plupart, sont intraduisibles.)

page 250, ligne 3. du b. : jeu de mot sur Mond (lune) et Mondkalb (être difforme).

page 290, ligne 6. du h. : jeu de mot sur rein (pur) et Schwein (porc).

page 294, ligne 7. du h. : paresse, pourrie — Faulheit, faulig (faul signifie paresseux et pourri).

page 299, ligne 6. du h. : jeu de mot sur Eheschliessen (conclure un mariage) et Ehebrechen (rupture, adultère).

page 299, ligne 11. du h. : brisé les liens du mariage — Ehebrechen (commettre adultère) et durch die Ehe gebrochen (brisé par le mariage).

page 311, ligne 3. du h. : jeu de mot sur besser (meilleur) et böser (plus méchant).

page 334, ligne 1. du h. : Pech (poix) signifie au figuré : malchance, malheur.

page 335, ligne 9. du b. : jeu de mot sur Gründling (goujon) et Abgrund (profondeur).

page 386, ligne 13. du b. : jeu de mot sur Suchen nach meinem Heim (recherche de ma demeure) et Heimsuchung (épreuve).

page 417, ligne 9. du h. : jeu de mot sur Distelkopf (tête de chardon) et Tiftelkopf (tête fêlée).

page 417, ligne 12. du b. : jeu de mot sur Schwarzsichtig (qui voit noir) et Schwärsüchtig (qui est ulcéré).

[Le volume tout entier est rempli d’allitérations, d’assonances, et d’associations par analogie que nous n’avons pu rendre qu’approximativement.]

Henri Albert.