Album, 2e trim. 1830/02

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Album.

— Lorsque M. Prévost nous montra ses panoramas sur des toiles circulaires ; lorsqu’en suite MM. Daguerre et Bouton offrirent à notre curiosité leur diorama sur une toile horizontale, nous pensâmes que si nos progrès généraux devaient apporter des améliorations à ces conceptions, ce ne pouvait être que sur le perfectionnement du genre ; mais nous n’aurions jamais pu croire qu’on parviendrait à rendre horizontal ce qui était circulaire, et vice versâ. Eh bien ! ce problème a été résolu par M. Mazzara. Sa vue d’Alexandrie réunit le double avantage de présenter un long horizon et en même temps ce cercle possible que nos regards embrasseraient si nous étions placés au lieu où l’auteur suppose le spectateur…

Nous venons de visiter le Musée Cosmopolite de M. Mazzara[1] : on y fait à peu de frais un voyage plein d’intérêt. Çà et là sur la route se présentent, par des percées latérales, les sites pittoresques ou remarquables qu’on aurait visités dans un trajet réel, et les dangereux phénomènes dont on aurait pu être le témoin. Le terme de ce voyage est un belvéder élégant, d’un effet étonnant, et d’où, par une large ouverture artistement laissée entre des rideaux cramoisis, l’œil ébloui plane sur la ville d’Alexandrie, brillante de soleil.

M. Mazzara a choisi l’angle de la terrasse qui couronne un bazar, et d’où la ville, ses abords, le ruban de fortifications qui la protége, la rade et les lieux remarquables du rivage, présentent l’ensemble le mieux appliqué. Reculant par la pensée dans la direction de son point de vue, il place le spectateur à un point imaginaire d’où ce vaste tableau est enrichi de l’intérieur du bazar même, et cette heureuse idée lui a procuré l’avantage d’offrir des détails de localités pittoresques, et dont au-delà de ce bazar l’œil ne pouvait saisir que l’ensemble. Il est à observer que dans ce tableau rien n’a été sacrifié à l’effet. L’art du peintre n’a pu qu’à l’aide d’un profond sentiment de vérité tirer parti de cette nature dévorée de lumière et sans végétation, de ces constructions amoncelées, qui ne se composent pas, comme on dit en peinture, et dont l’ensemble est entièrement privé de ce pittoresque convenu qui se présente comme première condition dans le choix d’un sujet. La conscience hardie avec laquelle ce tableau a été conçu, et le talent apporté à son exécution, en ont fait une preuve, à la fois nouvelle et incontestable, de l’importance du vrai trop peu considéré en peinture, et que tant de préjugés remplacent. Ce tableau est frappant d’effet et ne l’est par aucun des moyens convenus. On ne comprend pas comment cette vue d’Alexandrie a été peinte.

L’homme du monde n’y voit pas un tableau, mais une magique image, et pour lui l’effet qu’il éprouve tient autant au mérite de la peinture qu’aux dispositions du lieu dans lequel elle lui est offerte. On n’avait des localités orientales que l’idée confuse qu’une description rapide peut en avoir laissée dans l’imagination ; on n’avait des traits de cette grande physionomie qu’un aperçu incertain ; et cependant ici on reste convaincu qu’il est impossible que ce portrait ne soit pas ressemblant.

Le rare bonheur avec lequel l’auteur a rendu la nature décèle le pinceau d’un grand maître, et révèle le talent de M. Isabey. On a peine à concevoir un espace entre la chose et l’œuvre, ce qui laisse l’opinion indécise entre le mérite des données qui ont pu amener à ce résultat et celui de les avoir ainsi comprises… Il faut être seul pour jouir davantage du charme répandu sur cette vue. Il semble que par un pouvoir surnaturel on est arrivé inopinément près de la ville, qu’on surprend ses forts, ses édifices, ses maisons, qu’invisible, comme avec l’anneau d’Angélique, on est là témoin de tout ce qui se fait.

L’historien peut y suivre les pas du temps : il retrouve les débris de la ville du grand conquérant et les vestiges des embellissemens dus à Ptolémée Philadelphe et à son fils Évergète. Les obélisques de l’épouse d’Antoine sont là pour rappeler le nom de Cléopâtre, et les restes des Lagides servent d’intermédiaire aux époques pour arriver à ces redoutes élevées par les soldats du nouvel Alexandre. Il regarde avec intérêt le fort de Cafarelli, et croit entendre une voix qui fit trembler le monde dire à ses soldats :

« Kléber ! marchez à l’ennemi, grands comme ces géans dont vous foulez la cendre. Je donne pour sépulture à mes soldats la terre d’Alexandre ou le tombeau de Pompée. Allez ! ceux de nous qui survivront coucheront dans le camp de César, près du palais des Pharaons. »

Le poète et le peintre peuvent y puiser des inspirations, au milieu des souvenirs de tous les âges, sous le ciel de l’Égypte, dans une atmosphère inconnue à nos climats et entourés d’objets diaphanes et brillans. La miraculeuse vérité de cette vue est telle que le jeune duc de Bordeaux croyait à la possibilité de descendre dans cette cour de bazar. M. Mazzara a dû toucher la toile pour prouver au prince que ce n’était qu’un effet de perspective.

Tout le monde voudra voir Alexandrie, et si M. Mazzara continue son voyage en Afrique, nous irons chercher les lieux témoins des anciennes victoires de nos soldats, et sans doute aussi ceux consacrés par des succès nouveaux.

M.

— Une circonstance fortuite nous a fourni l’occasion de parcourir le Musée Dioclétien[2], qui sera bientôt ouvert au public. Dans l’étonnement où nous sommes encore de la vue de tant de chefs-d’œuvre, nous nous garderons bien de porter un jugement prématuré sur cette exposition. Nos yeux sont trop éblouis de ce premier aspect, pour exprimer tout ce que de nouvelles visites plus calmes et plus prolongées nous révèleront de beautés et de richesses. Nous nous bornerons donc à citer ce qui nous a le plus frappé dans cette visite rapide.

Nous avons distingué dans le grand salon un tableau tournant, peint d’un côté par Sebastien del Piombo, et de l’autre par Jean Van Eyck de Bruges ; ce tableau, unique dans son genre, est posé sur une rose des vents. Puis une femme et deux enfans soufflant des bulles de savon. Ces trois têtes ravissantes sont dues au pinceau de Greuze.

Dans le second salon, un portrait magnifique, par le Titien. Un saint Vincent de Paule, par Moralès. La Vierge au voile, de Raphaël, etc.

Dans le troisième salon, plusieurs Rembrandt remarquables et un tableau représentant Hercule et ses travaux, dont l’effet nous a paru merveilleux.

Nous engageons les amateurs à aller visiter cette étonnante collection, et à s’arrêter aussi devant un Guido, qui, par un tour de force extraordinaire, a représenté un Christ en raccourci, comme si la toile eût été horizontale. Ils s’arrêteront, sans que nous les en avertissions, devant de magnifiques Rubens, des Jules Romain, des Dominicain, des Corrége, des Carrache, des Carlo Dolce, des Vellasquez, etc.

Ce que nous venons de dire doit suffire pour les vrais amateurs. Encore quelques jours, et l’on verra si nous avons jugé trop favorablement une exposition qui nous paraît dirigée avec goût et magnificence.

— Nous l’avons déjà dit, on est heureux, au milieu des questions palpitantes de la politique, de reposer sa tête et son cœur sur les œuvres de ces ames chaleureuses et pensives qui passent, sans regarder la foule qui se presse au forum… Les imaginations brillantes et méditatives, les cœurs purs et aimans ont besoin d’autres émotions que celles provoquées par la lutte toujours agitée des passions publiques.

La poésie de l’ame est fille du ciel et amie de la paix, soit qu’elle se trouve dans les écrits de Châteaubriand ou dans ceux de Lamartine. Il faut bénir ce don de l’Éternel ; il adoucit nos mœurs, calme nos souffrances, rend l’homme meilleur et charme la solitude du cœur.

Voici venir de nouveaux chants, de nouvelles harmonies. Celles-ci sont pour les ames pieuses ou pour celles brisées par le malheur : elles apprendront à souffrir, à gémir avec l’auteur ; mais elles retrouveront aussi chez lui cette douce consolation, ce sentiment d’espérance, de repos et d’avenir que Dieu nous réserve dans sa mystérieuse bonté.

Ce nouvel ouvrage de M. de Lamartine[3] contient des morceaux remarquables. Nous recommandons à nos lecteurs le Rossignol, la Réponse à M. Victor Hugo, Melly ou la Terre natale, le Premier Amour, etc. Cette dernière harmonie surtout nous paraît d’un ordre supérieur, soit par la gracieuse mélancolie dont elle est empreinte, soit par l’admirable simplicité de sa diction.

— Pope, en Angleterre, et Cesarotti, chez les Italiens, se sont essayés à Homère, et le temps, ce grand niveleur des renommées, a sanctionné les suffrages des deux nations. Il restait la même place à prendre dans notre littérature ; et ce n’est pourtant pas faute de tentatives : car, à Rochefort et à Lamotte ont succédé Dobremès, Saint-Ange, Beaumanoir et M. Aignan, dont la traduction seule, grâce à quelques beaux passages, a survécu. Sans être découragé par tant d’efforts infructueux, M. Bignan[4] s’est à son tour lancé dans la carrière, et il a soumis le rythme libre et énergique du poeta sovrano à la cadence timide et contrainte du vers français. Si une profonde étude de son modèle, une vive intelligence de ses naïves et poétiques beautés suffisent pour assurer la victoire, certes M. Bignan l’a remporté sur ses devanciers. L’essai sur l’épopée homérique atteste de longues et laborieuses veilles, et ce travail de l’érudit sera, nous n’en doutons point, consulté avec fruit par tous ceux qui voudront se former une opinion sur la mystérieuse création du vieux barde grec. Mais que de difficultés offrait une traduction ! comment espérer de lutter avec une langue monotone, lourde sous une apparence de légèreté, contre

Un langage sonore aux douceurs souveraines,
Le plus beau qui soit né sur des lèvres humaines !

Ces difficultés, M. Bignan les a plus d’une fois surmontées. Son vers toujours nombreux et facile a souvent réfléchi avec bonheur les sublimes inspirations de son redoutable antagoniste. Souvent aussi nous avons admiré avec quelle souplesse de talent M. Bignan a su passer des détails naïfs de la simplicité antique aux vigoureux récits de combats, aux énergiques apostrophes des guerriers et aux fureurs d’Achille égal aux Dieux. C’était déjà un grand mérite que de se prendre à si rude jouteur, et ce n’est pas le seul que nous nous plaisons hautement à reconnaître dans M. Bignan.

Lit…

— Nous avons déjà parlé des services rendus par le Voleur à la presse et aux journaux des provinces de la France. Un nouvel exemple tout récent vient corroborer notre opinion. On trouve, dans le numéro du 30 juin, une lettre de M. Henri Berthoud, rédacteur de la Gazette de Cambrai, qui justifie tout ce que nous avions pensé de l’influence du Voleur, qui est classé aujourd’hui parmi nos plus intéressans écrits périodiques : 3,000 abonnés sont venus fortifier ce journal, et répondre à ses jaloux détracteurs. Nous annoncerons avec plaisir les deux volumes de Chroniques, Nouvelles, etc., de M. Henri Berthoud dont le Voleur nous a révélé le talent.


— Depuis plusieurs années, des réparations intérieures ont fait interdire au public l’accès des Catacombes de Paris, et rien ne fait présager que de long-temps encore ces vastes galeries souterraines soient ouvertes aux visiteurs. Nous croyons pouvoir, à cet égard, offrir un dédommagement aux personnes qui désireraient se faire une idée exacte de ces lieux, en leur signalant l’ouvrage de M. le vicomte Héricart de Thury, directeur général des travaux publics de cette ville, intitulé Description des Catacombes de Paris[5]. On y trouvera reproduites, dans une peinture fidèle et animée, les puissantes émotions que fait naître l’aspect même de cet asile de la mort. L’ouvrage, précédé de recherches historiques très-étendues sur les Catacombes des anciens[6], se termine par des extraits pris au hasard dans les registres des Catacombes de Paris, et nous pouvons affirmer que cette dernière partie, par la profondeur ou la bizarrerie des pensées qui s’y rencontrent, n’est pas la moins curieuse. Nous ajouterons que cette publication est entièrement épuisée. Les amis des sciences attendent avec impatience que l’auteur puisse trouver quelque loisir pour en faire paraître bientôt une édition nouvelle.


— Les différences de style de la langue italienne, et les difficultés graduelles qui en résultent, font rechercher aux personnes qui commencent à étudier cette langue les ouvrages en prose les plus faciles, et souvent elles sont réduites à choisir des traductions d’auteurs français. Nous croyons devoir, sous ce rapport, leur signaler un joli opuscule, ayant pour titre : Cenni pel miglioramento della prima educazione de’ fanciulli, etc., par Mme  Bianca Milesi Moïon[7]. Écrit d’une manière aussi pure que correcte par une des femmes les plus distinguées et les plus aimables que possède l’Italie, il est destiné à donner des conseils sur l’éducation du jeune âge. Ce petit volume sera lu avec fruit par les personnes qui commencent à s’exercer dans la langue du Tasse, et avec plaisir par celles qui la possèdent déjà. On annonce qu’il doit paraître une traduction française des Cenni. Nous sommes persuadés qu’elle se trouvera bientôt entre les mains de toutes les femmes dont l’étude est de diriger les premiers pas de l’enfance.


— M. de Speck, baron de Sternbourg, vient de nous adresser un ouvrage intitulé : Promenade à Lützschena, terre qu’il possède près de Leipsig. Nous y avons remarqué avec plaisir que M. de Speck ne cesse pas d’être utile à son pays par ses travaux agricoles et industriels[8].


— Lorsqu’un journal réunit le double avantage d’offrir des articles scientifiques et littéraires rédigés avec goût et discernement, sans négliger pour cela les articles politiques, on est heureux de le signaler au public. Aussi nous n’hésitons pas un moment à recommander le Temps comme possédant ces avantages indispensables à un bon journal, et qu’il paraît avoir bien compris.

Nous ne doutons point qu’il ne s’écartera jamais de la modération qui doit être aujourd’hui une vertu parlementaire.


— (Contraste.) En Wurtemberg, où la superficie est évaluée à 637 lieues carrées, couvertes d’un million et demi d’habitans, le gouvernement accorde annuellement 800,000 fr. d’encouragement à l’agriculture.

En France, où la superficie est évaluée à 20,528 lieues carrées, couvertes de 30 millions d’habitans, le gouvernement accorde 70 à 80,000 fr. d’encouragement à l’agriculture.

Ainsi, en Wurtemberg, on accorde environ 1,000 fr. par lieue carrée et 3 fr. 75 c. en France.


— Nous puisons cet article dans le Cultivateur, journal des progrès agricoles. Chaque jour voit s’accroître l’importance et l’utilité de ce recueil qui est venu remplir le vide qui existait pour l’instruction agricole mise à la portée de tout le monde.

Les hautes capacités qui président à sa rédaction, la modicité de son prix (12 fr. par an), en ont fait un guide indispensable à tout ce qui possède ou qui cultive le sol de notre belle France.

On s’abonne à Paris, rue Taranne, no 10.


  1. Rue de Provence, no 18.
  2. Rue Neuve-des-Mathurins no 1.
  3. Harmonies poétiques et religieuses, par Alph. de Lamartine, 2 vol. Paris, Chez Gosselin, rue Saint-Germain-des-Prés.
  4. Traduction de l’Iliade en vers français, précédée d’un Essai sur l’épopée homérique, par M. Bignan. Paris, Belin-Mandar, 2 vol in 8o ; 1830.
  5. 1 vol. in-8o. Paris, chez Bossange et Masson, rue de Tournon, no 6.
  6. Catacombes d’Égypte, de la Grèce, de la Perse, de l’intérieur de l’Afrique, de la Tartarie, de Rome, de Sicile, d’Espagne, des Gaules et de France, de l’Angleterre, d’Allemagne, de Suède, des deux Amériques, etc., etc.
  7. 1 vol. in-18. Milano, Stella e figli. Nous avons déjà annoncé avec éloge un autre ouvrage, traduit de l’anglais par madame Milesi Moïon, ayant pour titre : Prime Lezioni de Maria Edgeworth.
  8. Spaziergang nach Lützschena und dessen umgebungen. Leipzig. Gedruckt bei b. g. Teubner 1830.