Album, 3e trim. 1830/01

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Vie de plusieurs personnages célèbres des temps anciens et modernes[1]. — Plus généralement répandu à toutes les époques que le goût de l’histoire, celui des biographies particulières qui nous rapprochent des hommes célèbres, et nous dévoilent leur intérieur, semble avoir pris de nos jours une nouvelle extension, et cette circonstance est facile à expliquer. Aucune période n’avait vu, avant les trente dernières années qui viennent de s’écouler, un aussi grand nombre d’individus parvenir, par toutes sortes de voies, à une célébrité spontanée. Il était naturel de chercher à connaître et leurs titres et leur point de départ ; et de là cette vogue des biographies qui, après avoir exploré notre époque, se sont généralisées. Quoi qu’il en soit, c’est à ce goût général partagé par M. Walckenaër, membre de l’Institut, qu’est dû l’ouvrage que nous avons sous les yeux. Il est le résultat de la réunion d’articles composés pour accompagner diverses éditions d’auteurs, ou pour la Biographie universelle, et auxquels le savant académicien donne plus d’extension. Le second volume, consacré aux modernes, nous a paru devoir plus particulièrement mériter l’intérêt des lecteurs.

L…

Mémoires curieux, anecdotes secrètes, histoires inédites ; par A. Châteauneuf[2]. — Il y a des scènes piquantes dans ces mémoires, des documens sur des noms illustres ignorés jusqu’à ce jour, et des renseignemens précieux qui dévoilent l’insolence de petits êtres qui se sont crus de grands personnages, parce que la faveur et leur bassesse les avaient élevés. L’auteur les a remis à leur place ; c’est aux familles des grands hommes, des artistes de distinction dont M. Châteauneuf est l’historien, à savoir dignement l’apprécier. Il y a de tout dans cet ouvrage historique, des pages sérieuses et d’autres plaisantes : nous allons en citer une de ces dernières.

« Ludovic de Piles, rejeton de la famille de Fortia, était aimé de Louis xiii ; il tua un jour en duel le fils de Malherbe ; ce poète se vengea par une satire. Voyageant avec son frère, il entra, à Valence, dans une hôtellerie. On leur dit qu’il ne restait que du pain et des œufs. Cependant ils remarquent une broche bien garnie, souper réservé à quatre officiers. — « Mais il y a des viandes pour huit ; ne pouvez-vous prier ces messieurs de partager ce repas avec deux voyageurs mourant de fatigue et de faim ? » L’hôte va, et revient avec un refus. Ludovic n’en dormit pas, et put entendre de son lit les railleries des quatre convives. Cependant il part. À un quart de lieue il dit à son frère : « J’ai oublié ma bourse ; je te rejoindrai à la dînée. » Il éveille les quatre officiers : «  Je suis, leur dit-il, un des voyageurs à qui vous avez refusé peu poliment de céder le superflu d’un grand souper. Je n’ai rien à dire. Il n’en est pas de même des propos que j’ai entendus : j’en demande raison à tous les quatre. » Ils descendent, et Ludovic met l’épée à la main tour à tour avec les quatre officiers, qu’il tue sur la place ; il rejoint son frère, et ne lui parle de rien. Celui-ci, dès son arrivée à Paris, fait une visite au cardinal Mazarin, qui lui dit d’un air de mystère : « Ludovic est-il ici ? – Oui, monseigneur. – Est-ce qu’il a perdu la tête, après ce qui lui est arrivé à Valence ? – Quoi donc ?

— Vous n’en savez rien ? – Non, en vérité. – Vous ne savez pas qu’il a tué quatre officiers ? – Je ne l’ai pas quitté de tout le voyage. – Je vous le dis, moi, et j’en suis sûr. – Ah ! mon Dieu, je me rappelle,…. il m’a quitté pour aller chercher sa bourse. – Eh bien ! c’était pour ce duel : dites-lui de ne pas se montrer avant d’être assuré que cette affaire n’aura pas de suite. »

M. Châteauneuf est auteur de plusieurs autres ouvrages intéressans, entre autres de l’Histoire des grands capitaines, qui ont commandé en chef les armées de la république et de l’empire, dont on fait le plus grand éloge. Nous avons lu des aricles de louanges bien méritées, adressés à l’auteur par MM. de Boufflers, Esménard l’aîné, Palissot, Fontanes, Salgues, Jondot, Malte-Brun, etc. Après des noms comme ceux-ci, de quel poids seraient les nôtres ! Dans le petit nombre des ouvrages de cet auteur que nous avons lus, nous avons remarqué une énergie de pensées remarquable, une plume exercée et surtout une grande franchise de critique… C’est tout naturel !… M. Châteauneuf, après trente-cinq années de travaux, a été négligé des ministres ; il s’est plaint d’eux, et ne les a jamais importunés. Il a donc, pour écrire, toute l’indépendance que les faveurs ministérielles ravissent aux écrivains qui les reçoivent.

E.

Françoise de Rimini, drame en cinq actes et en vers ; par M. Gustave Drouineau[3]. — Deux auteurs, avant M. Drouineau, s’étaient essayés sur ce sujet. Silvio Pellico, poète italien, et M. Constant Bérier, dont la pièce obtint quelque succès, il y a trois ou quatre ans, à l’Odéon. M. Drouineau a emprunté quelque chose au premier ; mais il faut le dire à sa louange, tout ce qui est de son invention est bien supérieur à ce qu’il a pu calquer sur le poète italien. On peut en juger par cette scène dramatique qui termine le troisième acte. — Bertold, duc de Rimini, a ordonné un tournoi pour célébrer le retour de Paolo, son frère. Un instant on l’a cru blessé, et Françoise s’est éloignée avant que la lutte ne fût terminée ; elle était trop émue ! Paolo revient victorieux ; c’est pour Bertold une occasion de confirmer les horribles soupçons qu’il a conçus ; il insiste pour que ce soit Françoise elle-même qui décerne l’écharpe au vainqueur, et lui donne le baiser, prix de la victoire. Françoise troublée refuse ; mais Bertold le veut ; il avait déjà tout compris !… Cette scène, essentiellement dramatique, est toute de l’auteur. Il est donc à regretter qu’il n’ait pas demandé davantage à son imagination !… Résumons-nous. Les deux premiers actes sont froids ; il y a un peu trop de mysticité, même pour cette époque. On trouve une belle scène au premier acte, de belles pages au quatrième ; ce sont des scènes d’intérieur touchantes, des événemens domestiques, comme dit l’auteur, des chagrins comme il en est entré dans le cœur de bien des femmes !… enfin il y a de la passion vraiment sentie et de la vérité dans le dernier acte, peut-être un peu trop de déclamation !

Quoi qu’il en soit, on ne se permettra pas, sans doute, d’adresser à M. Drouineau le reproche mal fondé que l’on a fait à cette nouvelle école, déjà si féconde en beaux talens, d’outrager la mémoire de nos grands maîtres. Écoutez M. Drouineau dans la préface de son drame : « Jeunes gens que nous sommes, dit-il, inclinons-nous devant les grands génies qui nous ont dotés d’un théâtre si riche, si beau, si admirablement régulier ! Hommage à Molière, à Corneille, à Racine, à Voltaire, noms que tout Français ne devrait pas prononcer sans un tressaillement d’admiration et d’orgueil. Ne l’oublions point : autrefois, avant d’entrer dans la lice, les athlètes saluaient les statues de leurs devanciers placées sous des portiques, et ne les insultaient pas. »

E. de M…

Musée Cosmopolite. — Allez voir Alger au musée cosmopolite de M. Mazzara[4], si vous voulez bien comprendre tous les mouvemens de notre armée de terre et de notre marine, depuis son entrée dans la baie de Sidi-el-Feruch, jusquà sa marche glorieuse au fort de l’Empereur. Vous n’y remarquerez pas seulement une page d’histoire, car le tableau, par le mérite seul de son exécution et la vérité de ses effets, vaut la peine d’être vu. Regardez Alger d’abord, ne vous occupez d’Alexandrie qu’ensuite ; car si vous commenciez par ce dernier, peut-être trouveriez-vous le premier un peu terne et n’y reconnaîtriez-vous pas ce soleil brûlant, et cette atmosphère diaphane du ciel d’Afrique, dont Alexandrie nous présente un effet, tandis que c’est Alger qui s’éveille encore voilé par les vapeurs de la mer et les brumes du matin.

E. M.

Éthelgide ou le cinquième siècle, roman historique ; par madame Dieudé-Defly[5]. – L’action de ce roman, comme l’indique le titre, commence vers 450. Mérovée régnait alors sur les Francs de la seconde Belgique, Valentinien iii gouvernait faiblement l’empire d’Occident, et les Romains occupaient encore le centre de la Gaule : mais incapables de résister aux Francs, ils étaient devenus leurs alliés.

C’est de 450 à 456, époque marquée par l’invasion d’Attila ; le sac de Rome, par Genseric ; l’expulsion des Suèves par Théodoric ii, et la révolte des Francs contre Childéric Ier, que l’auteur a mis en action ses personnages.

Ce dernier prince est le héros du roman. On sait que ce monarque, qui était le plus beau et le plus vaillant guerrier de son siècle, fut d’abord chassé par ses sujets, qui mirent à sa place Ægidius ; mais celui-ci s’étant rendu odieux par sa tyrannie, il fut à son tour renversé du trône, où Childéric remonta à sa place. Quelques-uns des personnages appartiennent donc à l’histoire ; les autres sont de pure invention.

L’ouvrage, du reste, annonce une instruction et des connaissances historiques qu’il est rare de trouver dans une femme, et les notes placées à la fin de chaque volume prouvent que madame Dieudé avait non-seulement étudié l’histoire du temps qu’elle retrace, mais qu’elle connaît aussi bien l’histoire ancienne et moderne, et quelques langues étrangères.

Le style de l’ouvrage est pur. Les scènes d’amour y sont peintes avec une réserve remarquable ; elles traînent quelquefois en longueur, mais elles sont toujours vraies. Il y a des passages vigoureux et fortement touchés : en un mot, l’auteur a su rendre son héros intéressant au milieu même de ses désordres et tirer parti d’une époque barbare qui semblait dépourvue d’évènemens propres à émouvoir la sensibilité du lecteur. Toutefois nous nous permettrons quelques observations.

Childéric nous semble pour cette époque un peu trop civilisé dans ses manières et son langage. Nous trouvons aussi que l’auteur a fait son héroïne d’une vertu trop rigide. Éthelgide, en effet, épouse un certain Brithennès. Au bout de quelque temps de mariage, il part pour l’armée, et bientôt Éthelgide apprend la fausse nouvelle de sa mort. Il y a déjà plus de trois ans qu’elle croit l’avoir perdu, lorsque son père Arbogaste donne l’hospitalité à Leutharis, lequel Leutharis n’est autre que Childéric fils de Mérovée, qui, retenu chez Arbogaste par une blessure, parvient dans cet intervalle, et sous ce nom supposé, à se faire aimer d’Éthelgide et de son père, au point qu’en mourant le vieillard consent à leur union. Mais la douleur qu’éprouve Éthelgide d’avoir perdu son père retarde leur mariage. Dans cet intervalle arrive Brithennès, que l’on croyait mort. Mue alors par un sentiment qui devait être inconnu dans ces temps barbares, Éthelgide, qui est païenne, qui doit avoir suivi les mœurs de son temps alors fort relâchées, et à qui les lois romaines apportées dans les Gaules permettaient le divorce, préfère un homme qu’elle connaît à peine, à Childéric qui s’est enfin fait connaître, qu’elle aime, et qui lui apporte une couronne.

Sauf cette légère invraisemblance, l’ouvrage est fort distingué dans son genre ; il mérite d’être connu, et quand on l’aura lu, on verra que nous ne l’avons pas jugé trop favorablement.

Temple anté-diluvien. — C’est une grande question que celle de savoir si le monde est beaucoup plus ancien qu’on ne l’a cru pendant long-temps. D’après l’ère des brachmannes, l’âge du monde est calculé à 3,892,858 ans ; d’autres calculs le font remonter encore plus haut, tandis qu’il en existe qui ne lui donnent que 5,558 ans. Certaines traditions placent un espace immense entre le déluge et la naissance de Jésus-Christ, tandis que selon le texte samaritain, il n’aurait eu lieu que 3044 ans avant Jésus-Christ.

Au surplus notre dessein n’est pas de nous immiscer dans ces débats ; nos yeux sont encore couverts d’un voile obscur, que le temps, de savantes recherches, ou le hasard peut-être feront disparaître un jour. Et qui n’hésiterait à décider une telle question, quand le savant Cuvier, dans son cours d’histoire naturelle, s’appuyant sur des faits et des documens qui paraissent incontestables, cherche à prouver que l’apparition de l’homme sur la terre ne remonte pas au delà de trois mille ans avant l’ère chrétienne ? Nous ne donnerons donc point notre avis sur un sujet d’une aussi haute importance.

Le déluge, au contraire, n’est plus aujourd’hui un objet de doute pour personne : tout s’accorde de plus en plus pour démontrer la vérité d’une grande catastrophe : tout s’accorde pour prouver que cette catastrophe a détruit des montagnes, éteint des races monstrueuses, transporté leurs débris dans des régions lointaines, en un mot qu’elle a labouré le globe. Reste à savoir si quelques constructions immenses et d’une grande solidité, n’auraient pas pu résister à ce bouleversement général.

Tel est le sujet d’un ouvrage de M. Mazzara[6], intitulé Temple anté-diluvien, dit des Géans. Il en a découvert les ruines dans l’île de Calypso, aujourd’hui Gozo, près de Malte, durant un voyage qu’il fit en Afrique en 1827.

Quand on a vu les gravures de M. Mazzara qui nous représentent les vastes débris de ce temple, et qu’on en a lu l’explication, une foule d’idées se présentent à l’imagination ; doit-on conserver cette pensée de l’éducation première qui nous montre tout anéanti par le déluge ? Faut-il croire que ce temple existait avant l’effroyable cataclysme ? Qu’y aurait-il donc d’impossible à ce qu’une construction immense, comme devait l’être ce monument, eût pu résister en partie au séjour des eaux sur la terre ? Nous disons, en partie, car il n’en reste plus que des masses informes et des rochers entassés les uns sur les autres. En quelques endroits néanmoins on trouve des pierres travaillées et placées avec assez de précision pour indiquer le travail de l’homme.

Au reste, pour donner une idée de l’ouvrage de M. Mazzara, nous allons extraire du texte quelques-unes de ses réflexions : « Pour partir d’une époque non contestée, dit-il, admettons que le monde n’existe que depuis 5,588 ans. Le déluge a eu lieu, selon cette manière de compter, l’an du monde 1656 ; Noé, à cette époque, possédait déjà assez de connaissances pour construire l’arche qui dû surnager pendant trois-cent-soixante-quinze jours au milieu du plus vaste océan. Cent cinq ans après, toutes les familles réunies sont en état d’élever la tour de Babel ; deux cent quarante ans après le déluge fut creusé le lac Mœris, et onze cent quarante-quatre ans après le même événement furent construites les deux grandes pyramides de Memphis. Ces étonnantes productions nous montrent clairement que, si dans cet espace de temps ceux qui vinrent après le déluge purent arriver à de tels résultats, nous n’avons aucun droit de contester aux anté-diluviens des notions suffisantes pour avoir élevé un simple temple. Les premiers hommes ne furent pas étrangers au sentiment d’adoration de la Divinité ; ils lui présentèrent leurs offrandes et lui élevèrent des autels.

» Le séjour des eaux à la surface du globe, pendant trois cent soixante-quinze jours est-il donc suffisant pour avoir détruit tous les ouvrages des hommes ? Non ! Par quels moyens donc notre temple situé au sommet d’une montagne insulaire, pourrait-il avoir été comblé, si ce n’est par une inondation générale ? Les eaux, s’étant retirées, ont déposé, dans l’intérieur de l’édifice, des limons auxquels les murs ont servi de barrière en fermant les issues ; le temps a insensiblement découvert les faces extérieures ; mais la main seule des hommes pouvait en déblayer l’intérieur. »

« Ce ne sont donc point les rêves d’une imagination fantastique, et bien moins encore le désir du merveilleux qui ont porté l’auteur à faire remonter si haut dans l’histoire du monde l’origine de ce temple. La contemplation des restes des premiers âges, leur comparaison avec les monumens que nous a légués l’antiquité, les traditions de l’histoire, les limites, la nature, la situation et l’aspect du sol qui supporte ces ruines, tout confirme l’idée d’une ancienneté primitive, et tout semble nous dire que ce temple a précédé le déluge…

« Mais, par une destinée commune à tout ce qui existe, il semble que ce temple ne se soit montré que pour courir à une ruine complète. Au milieu d’une population ignorante, chaque jour les pierres taillées en sont enlevées pour les moindres besoins, et ses masses informes sont brisées pour servir de barrières qui retiennent les terres sur la pente des rochers.

« L’auteur a donc regardé comme un devoir de faire connaître ces restes précieux au monde savant qui accueille toujours favorablement jusqu’aux moindres découvertes. Heureusement, si ces vestiges, dignes d’un si haut intérêt, doivent à ses efforts leur conservation et l’attention des hommes éclairés ! »

P.



  1. 2 vol. in-8o.
  2. Levavasseur. Palais-Royal, 1830.
  3. Timothée Dehay, libraire, rue Vivienne, no 2 (bis). Paris, 1830.
  4. Rue de Provence, no 18.
  5. Gagniard, éditeur, quai Voltaire, no 15
  6. Paris, chez l’auteur, rue de Provence, no 18, Engelmann et compagnie, rue du Faubourg-Montmartre, no 6, Mongie aîné, libraire, boulevard des Italiens, no 10.