Aline et Valcour/Lettre LXI
LETTRE LXI.
Après tout l’intérêt que j’ai pu faire naître en votre ame sensible, m’en refuserez vous, Aline, la nouvelle preuve que j’ose implorer ?… Vous devinez ce que je demande, votre cœur animé du même désir, sait aisément pressentir la grace instante que je sollicite… Cette faveur me fut refusée l’an passé, je m’en souviens avec douleur ; mais daignez y réfléchir Aline, les circonstances où je vous laisse cette fois-ci, sont bien différentes de celles où nous étions alors ; je me méfie de ce calme apparent ; je n’ai osé le dire, mais il me semble que ce nouveau délai s’accorde bien légèrement ; cette tranquillité promise est-elle supposable avec toutes les précautions que l’on prend ? avec les indignités qu’on se permet, et si l’on n’avait pas envie de presser, dresserait-on tant de batteries pour éloigner tous les obstacles ? Ah ! puissent mes pressentimens se trouver faux, mais je frémis en m’éloignant ; je ne puis vous le cacher, et plus mes craintes sont affreuses, plus est violent le désir de vous voir… Si nous allions être trompés tous ! si les odieuses manœuvres de cet homme cruel, allaient m’enlever tout ce que j’idolâtre !… cette funeste idée n’entre dans mon cœur que comme un fer ardent qui le déchire… elle n’y pénètre qu’avec le frisson de la mort… que je vous voye avant… Aline que je vous parle encore une fois de mon amour… content d’être plaint de vous, heureux d’emporter votre cœur… je pourrai mieux du moins supporter votre absence ; c’est avec le sang qui a coulé pour vous, que je trace en pleurant ce désir effréné de mon ame… si vous me refusez… Aline… je m’éloignerai, il le faut ; mais je ne vous reverrai jamais… Croyez-le, quelque chimérique que vous puissiez trouver cette idée, elle m’absorbe, et je ne puis l’empêcher de naître. En un mot, il faut que je vous voye, le besoin que j’en ai est tel, que pour la première fois de ma vie, je ne sais pas même si je vous obéirois, à supposer que vous me défendissiez votre présence. Oui j’aimerois mieux vous désobéir et vous voir, que de mourir en vous obéissant… Elle m’est chère cette vie cruelle depuis que vous y avez pris tant d’intérêt. Ô mon Aline ! voyez votre amant à vos pieds, implorer en les arrosant de larmes, la grace instante de vous voir une minute, voyez-le palpitant encore sous le fer de l’auteur de vos jours, attendre de cette faveur seule le dédommagement de ses maux… Où voulez-vous que j’aille sans vous avoir vue ? Affaibli par mon désespoir, égaré par mon amour, que deviendrais-je, hélas ! sans le soulagement que j’attends, ou vous ne m’avez jamais aimé ou vous l’obtiendrez de votre mère ; c’est à toutes deux que je le demande, et c’est toutes deux que je veux embrasser ou mourir.