Amours, galanteries, intrigues, ruses et crimes des capucins et des religieuses/07

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Tome 1. Chapitre VII.



CHAPITRE VII.

Même monastère de Paris.
LES SECRETS DU CABINET NOIR.

Le Père Jérôme gardien, et le Père Durolet.


Un soir, après vêpres, le père Jérôme, gardien des capucines de la maison de Paris, sortit avec le père Durolet, qui avait prononcé ses vœux depuis peu. Ils rencontrèrent deux jolies personnes, qui les conduisirent sans grand mystère dans un petit appartement, rue St-Honoré, près de l’église St-Roch, dont elles avaient la clef. Le père Jérôme fut étonné de le trouver tenu avec beaucoup plus de propreté qu’il ne l’avait jamais vu jusqu’alors. Au lieu des gravures dignes de l’Arétin, les images des bienheureux ; sur des tables où il avait feuilleté autrefois des livres plus que gais, se trouvaient la Bible, les Semons du père Bourdaloue et l’Armée chrétienne. — Et que diable ! je me croirais chez une dévote, dit le gardien, si je ne savais pas à n’en pouvoir douter qui vous êtes. — Nous avons pris ce parti, reprit Rosalie, pour nous mettre à l’abri de toutes les recherches ; et d’ailleurs, nous nous croyons assez jolies pour n’avoir pas besoin d’objets capables d’allumer l’imagination. — Tu as raison, dit le père en lui appliquant un baiser fort tendre. Durolet crut qu’il était de la politesse d’en faire autant à sa compagne, qui la valait bien. — Ah ça, petite, il faut nous avoir une collation digne de tes convives, car mon neveu est aussi bon vivant que moi. En disant cela, il jette un louis sur la table, et Nicette (c’était le nom de celle qu’il paraissait que Sa Révérence cédait au jeune profès) alla chez le traiteur voisin et fit apporter une poularde, des maquereaux, des petits pois, des fraises, des fruits d’amour, du vin de champagne et des liqueurs. Le repas fut fort gai, et Durolet vit bientôt que la partie serait complète.

T. 1.                                                                                                  P. 107.
Amours, galanteries, intrigues, ruses et crimes des capucins et des religieuses, 1788, Figure Tome 1 P. 107.
Amours, galanteries, intrigues, ruses et crimes des capucins et des religieuses, 1788, Figure Tome 1 P. 107.

On était dans les premiers jours du mois de mai ; l’appartement était peu éclairé, et des jalousies le rendaient plus sombre. Les bons pères avaient bu très-amplement de champagne et différents autres vins. Deux lits d’une propreté extrême et qui paraissaient excellents les invitaient au repos. Le père Jérôme dit à Rosalie de fermer les rideaux, et les voilà en moins de rien déshabillés par les mains des grâces, qui les invitèrent à prendre place auprès d’elles. Ils veillèrent, plus par politesse pour elles que par plaisir, environ un quart d’heure, et, entraînés par la fumée du vin, ils s’endormirent profondément. À peine étaient-ils ensevelis dans les bras de Morphée que nos donzelles se glissèrent doucement hors du lit, s’habillèrent à petit bruit et s’en allèrent, Sur les neuf heures du soir, comme ils l’ont su depuis (car ils n’avaient pas compté les heures dans un très-bon lit, dont les draps frais et parfumés rafraîchissaient la peau des deux bons pères), mademoiselle Burlet, respectable dévote, qui était la véritable maîtresse du logis, entre dans sa chambre et va donner dans la table qui était au milieu, la renverse et entend le bruit des bouteilles et des verres qui tombent et se cassent, ainsi que les assiettes et les plats. — Qu’est-ce que cela, mon doux Jésus ? Comment ! ma sœur est sortie sans ôter notre couvert ? Pourquoi donc alors n’est-elle pas venue au sermon avec moi ? — Elle marche avec précaution, va à une petite armoire qui était contre sa cheminée, en tire un briquet et allume une bougie. Quelle fut sa surprise de trouver sur le plancher les débris de la collation, mais surtout cinq ou six bouteilles vides ! Que vois-je ! qui a pu boire ce vin ? Voilà encore quatre chaises autour de la table. Comment ! ma sœur m’a fait un semblable mystère. Ah ! je ne suis pas surprise qu’elle m’ait engagée à aller passer la soirée chez madame Aleanus, parce qu’elle irait chez notre vieille tante qui demeure à la porte St-Antoine. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce qu’elle voudrait se marier ? Boire entre quatre six bouteilles de vin ! manger une poularde ! C’est inconcevable ; elle a perdu l’esprit. Ah ! qu’elle ne croie pas que je souffre une pareille inconduite, moi, sa sœur aînée, obligée devant Dieu et devant les hommes de répondre d’elle. On sait que la gente dévote prétend être chargée des fautes de tout ce qui les entoure et s’occupe peu des siennes. En disant cela, elle écumait d’une sainte colère, et son œil (car la pauvre fille en avait perdu un par la petite vérole) était étincelant. Si sa sœur était rentrée à cet instant, elle aurait bien pu lui arracher les deux yeux, mais elle médita une autre vengeance. Rien n’est si amer que le fiel des dévots.

Elle regarda à sa pendule, et voyant qu’il était près de dix heures, qu’ainsi sa sœur ne tarderait pas à rentrer, elle se déshabilla promptement, fléchit un moment le genou devant son oratoire, poussa les verrous, souffla sa chandelle et alla droit au lit. Elle voulut ouvrir la couverture, mais le gardien la remonta sur ses épaules ; ce mouvement lui parut extraordinaire ; elle porta ses mains, et sentant une figure humaine, elle crut que c’était sa sœur. Croyant alors s’être trompée de lit, elle alla à l’autre ; mais à peine eut-elle porté sa main pour ôter la couverture, que le jeune Durolet, qui avait moins célébré Bacchus que son confrère et qui se ressouvenait confusément des charmes de Nicette, qu’il se reprochait de n’avoir pas mieux fêtée, se saisit du bras de la dévote, qui fit alors un cri. — Quoi ! ma Nicette, que veut dire cet effroi ? viens, réparons des moments perdus. — Ciel ! qu’est-ce que j’entends ? s’écria mademoiselle Burlet, qui vous a mis là, homme ou diable ? — Mais c’est toi, petite friponne. — Moi ? ah ! vous osez dire. Ma sœur, ma sœur, mais réveillez-vous donc, ma sœur. — Mais non, Nicette, laissez-la dormir. Mon oncle dort aussi, chacun s’arrange comme il peut ; mais pense que moi je n’ai que vingt-quatre ans, et que mon oncle en a cinquante. Viens, chère amie, profite du moment des plaisirs que ma jeunesse peut t’offrir. En disant cela, il attirait la dévote doucement à lui. Celle-ci ne cessait de crier à tue-tête : ma sœur, ma sœur ; et on peut dire que c’était son bon ange qui lui donnait la force de crier, car elle se sentait si émue de crainte, de plaisir, qu’elle aurait volontiers gardé le silence. Cependant, elle criait toujours plus fort : ma sœur, ma sœur, de sorte qu’enfin le prieur se réveilla. — Que diable fais-tu donc à Nicette, s’écria-t-il avec une voix de tonnerre, pour qu’elle appelle sa sœur ? — Jésus, Maria ! dit en tremblant mademoiselle Burlet, ils sont deux, peut-être trois ; je suis perdue. — Mais non, tu ne l’es pas, ma petite, puisque je te tiens dans mes bras. Tu as donc fait un mauvais rêve ? — Ah ça, taisez vous, reprit le père gardien, car je veux dormir. Eh ! mais, où es-tu donc, Rosalie ? Par un hasard assez singulier, Rosalie était aussi le nom de la sœur de la dévote. — Rosalie ! s’écria cette digne fille ; quoi, suppôt de l’enfer, ma sœur est couchée avec vous ! — Et pourquoi ne le serait-elle pas ? mais elle est folle celle-là ; il me semble que quand on vient chez vous, douce prêtresse de la déesse de Cythère, ce n’est pas pour dire son chapelet. — Ah ! ciel, qu’entends-je, est-il possible ? Rosalie couchée avec un homme ! — Mais tu perds l’esprit, mon enfant, reprenait Durolet en faisant de nouveaux efforts pour attirer notre sainte sur son lit… ah ! laisse ta sœur avec mon oncle ; je te le répète, tu n’auras pas la plus mauvaise part. — Mais enfin, ange des ténèbres, aurez-vous bientôt fini vos horribles tentations ? Ah ! sainte Brigitte, venez à mon secours. — Va, nous n’en avons pas besoin, l’amour nous suffit.

Pendant ces débats, mademoiselle Rosalie Burlet revint avant dix heures, comme elle l’avait dit à sa sœur, et mettant la clef dans la serrure, elle est étonnée de ne pouvoir ouvrir, d’autant plus qu’elle entendait parler dans la chambre. — Ma sœur, ma sœur, s’écrie-t-elle, ouvrez-moi donc. — Est-ce toi, Rosalie ? — Ah ! mon Dieu, oui, c’est moi. — Ah ! voilà l’énigme, dit le moine, la coquine aura profité de mon sommeil pour aller à quelque rendez-vous. Je m’en vais lui ouvrir. Il se jeta au bas du lit, tandis que Durolet tenait toujours par les mains l’obstinée dévote ; mais qu’on se figure l’étonnement de l’autre sœur en voyant, à la lueur de sa petite lanterne de papier, un homme en chemise venir lui ouvrir la porte. — Ah ! Jésus Maria ! que vois-je ? au secours ! au voleur ! et aussitôt toute la maison d’accourir. Le gardien, tout aguerri qu’il était à ces aventures, sentit que celle-ci pouvait avoir des inconvénients, car il ne pouvait douter qu’on allât chercher le commissaire ; il aurait bien voulu se sauver, mais bientôt il fut entouré de toutes les commères, et Rosalie Burlet, qu’il vit n’être pas la très-complaisante Rosalie, lui demanda ce qu’il faisait et de quel droit il se trouvait chez elle. Mais lui, se retournant, ne put s’empêcher de rire, voyant Marianne et non Nicette, que Durolet n’avait point lâchée. Les voisines éclairaient la laideur effroyable de celle que Durolet avait si fortement pressée par de vains transports ; celle-ci frémit du tour que le diable avait pensé lui jouer. — Pardon, pardon, mademoiselle, je vois que je me suis trompé. — Ah ! ah ! dit la dévote, qui se trouvait en force, vous êtes des voleurs, des coquins, des misérables, qui m’avez volée, et qui eussiez fait bien pis, peut-être, sans l’arrivée de ma sœur. — Oh ! vous avoir volée, je vous assure que non. Mais, parbleu, l’aventure est comique. Nous sommes venus faire ici un souper, coucher avec deux filles charmantes ; et en vérité, ce n’est ni vous ni votre sœur. — Mais voyez les impertinents, répond Rosalie Burlet, qui, malgré sa dévotion, n’était pas sans prétention. — Les moines voulaient alors s’en aller, et cherchaient leurs habits sans pouvoir les trouver. Le gardien avait vingt-cinq louis dans sa poche, une montre, une tabatière d’or ; tout avait disparu. — Ah ça, dit-il, qui de nous est volé, c’est bien certainement nous, car nous ne sommes pas venus en chemise, et c’est tout ce qui nous reste. — Oui, à présent, dites que c’est nous qui avons pris vos habits. — Si ce n’est pas vous, ce sont vos associés. — Pendant ce temps-là, le commissaire Duverger entra. — Qu’est-ce que tout ce bruit ? Eh ! mais ce sont mesdemoiselles Burlet, dont j’ai infiniment connu le père. — Eh ! monsieur, voyez ce qui nous arrive ; et elles lui racontèrent leur douloureuse aventure. Durolet, à l’arrivée du commissaire, se tapit dans ses draps. Le gardien, fièrement en chemise au milieu de la chambre, ressemblait au père Jean par son audace. — Monsieur le commissaire, nous sommes deux nouveaux débarqués ; nous avons rencontré deux filles très-jolies, qui nous ont engagés à venir chez elles ; nous les avons très-imprudemment suivies ; comme nous avions passé trois nuits dans la diligence, nous étions fatigués, nous nous sommes couchés, et pendant notre sommeil ces coquines nous ont tout enlevé, et il se trouve que mesdemoiselles Burlet sont rentrées chez elles, à ce qu’elles disent. — Et c’est très-certain, s’écria tout le troupeau femelle. — Cela peut être, mais nous n’en sommes pas moins dévalisés. — Vos noms ? dit le commissaire. — Paulet, Jacques-Martin, marchands de bois à Rouen. — Vos papiers ? — Allez les demander, dit Jérôme, à celles qui ont pris nos habits. — Je commence à démêler le mystère, dit le magistrat ; vous êtes, mesdemoiselles, nouvellement emménagées ici ? — Il y a quinze jours. — Les princesses qui y demeuraient avant vous auront gardé une clef. — Voilà le fin mot, dit le propriétaire. — Mademoiselle, pardon de la peur que nous vous avons causée, mais nous en sommes bien punis, puisque nous avons perdu nos habits, notre argent et nos bijoux. Mais, monsieur le commissaire, dites que l’on fasse avancer un fiacre, et nous laisserons dormir ces demoiselles. — Le commissaire, voyant que personne ne portait d’autres plaintes, y consentit, et ils se rendirent dans un petit appartement qu’ils avaient cul de-sac du Coq, où ils reprirent leurs habits et ils rentrèrent au couvent.


FIN DU PREMIER VOLUME.