Ampère (Arago)/08

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Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences2 (p. 42-49).
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TRAVAUX MATHÉMATIQUES D’AMPÈRE.


Un homme tel qu’Ampère met l’amour-propre de son biographe à de fréquentes épreuves. Il m’a fallu tout à l’heure reculer devant des recherches psychologiques dont l’importance et la profondeur, j’en ai fait l’aveu sincère, m’eussent certainement échappé ; et voilà que déjà je suis forcé de reconnaître qu’une analyse intelligible et en langage vulgaire des travaux de notre confrère sur les mathématiques pures est au-dessus de mes forces. Toutefois, comme dans ces travaux figurent les Mémoires qui, après la mort de Lagrange, en 1813, ouvrirent à notre ami les portes de l’Académie, ils doivent être mentionnés ici, ne fût-ce que par leurs titres.

L’esprit aventureux d’Ampère se porta toujours avec prédilection vers les questions que les efforts infructueux de vingt siècles ont réputées insolubles ; il ne se plaisait, si l’expression m’est permise, qu’entouré des précipices de la science. Aussi, je l’avouerai, je n’étais pas médiocrement étonné de ne le trouver nulle part aux prises avec la quadrature du cercle. Cette inexplicable lacune dans la jeunesse de notre confrère vient d’être remplie. Une note manuscrite de M. le secrétaire de l’Académie de Lyon m’apprend que le 8 juillet 1788, Ampère, âgé alors de treize ans, adressa à ce corps savant un travail relatif au célèbre problème dont je viens de faire mention. Plus tard, mais cependant dans la même année, il soumit à l’examen de ses compatriotes un Mémoire analogue intitulé : De la rectification d’un arc quelconque de cercle plus petit que la demi-circonférence. Ces deux Mémoires ne nous sont pas parvenus. S’il faut en croire la note manuscrite qui m’a été remise, le jeune Ampère non-seulement ne jugeait pas le problème insoluble, mais il se flattait de l’avoir à peu près résolu.

Des scrupules que j’honore, sans avoir pu les partager, me demandaient le sacrifice de cette anecdote. Le sacrifice eût été assurément bien léger, et, toutefois, je n’ai pas cru devoir le faire. Les faiblesses scientifiques des hommes supérieurs sont une source d’enseignement tout aussi utile, tout aussi profitable, que leurs succès, et le biographe n’a pas le droit de les couvrir d’un voile. Est-il d’ailleurs bien certain qu’il y eût ici quelque chose à excuser, à dissimuler ; qu’un géomètre puisse avoir à rougir des efforts qu’il a tentés, dans son enfance ou même dans l’âge mûr, pour carrer géométriquement le cercle ? Pour soutenir une semblable thèse, il faudrait ne pas se rappeler que l’antiquité nous présente, comme fort occupés de ce célèbre problème, Anaxagore, Meton, Hippocrate de Chio, Archimède, Apollonius ; qu’à ces grands noms, les modernes peuvent ajouter ceux de Snellius, de Huygens, de Gregory, de Wallis, de Newton ; enfin que, parmi les personnages dont la quadrature du cercle a mis la sagacité en défaut, je veux dire qu’elle a entraînés dans des erreurs manifestes, il en est plusieurs qui, sous d’autres rapports, ont rendu aux sciences des services réels : par exemple, J. B. Porta, l’inventeur de la chambre obscure ; le Père Grégoire de Saint-Vincent, jésuite, à qui l’on doit la découverte des propriétés remarquables des espaces hyperboliques terminés aux asymptotes ; Longomontanus, l’astronome, etc., etc.

Si l’on s’est préoccupé de l’idée que, pour justifier leurs efforts, les quadrateurs citeront désormais avec quelque avantage les tentatives d’un enfant de treize ans, je répondrai sans hésiter, car mes fonctions académiques m’ont mis souvent en rapports directs et personnels avec la secte, que les autorités ne sont absolument rien à ses yeux ; qu’elle s’est depuis longtemps radicalement séparée de tout ce qui porte ou a porté-le titre de géomètre ; qu’Euclide lui-même, dans ses principaux théorèmes, dans celui du carré de l’hypoténuse par exemple, leur paraît fort sujet à caution.

Si une manie, j’ai presque dit si une fureur, qui se manifeste surtout au printemps, comme l’expérience l’a prouvé, pouvait jamais être justiciable de la logique, il faudrait, pour la combattre avec succès, distinguer plus soigneusement qu’on ne l’a fait jusqu’ici, les aspects divers sous lesquels le problème de la quadrature du cercle doit être envisagé. Un exemple de guérison, dont j’ai été moi-même témoin, me donnerait quelque confiance dans ce mode de traitement.

Le premier en date de tous les Mémoires mathématiques d’Ampère imprimés depuis son arrivée à Paris, est relatif à une question de géométrie élémentaire. Ce Mémoire, présenté à l’Académie de Lyon en 1801, parut dans le cahier de la Correspondance de l’École polytechnique du mois de juillet 1801. Il suffira de quelques mots pour caractériser le but qu’Ampère se proposait.

Il y a dans la géométrie élémentaire une proposition tellement évidente, qu’on peut à bon droit la regarder comme un axiome. En voici l’énoncé :

Si deux lignes situées dans le même plan sont parallèles ; en d’autres termes, si, prolongées indéfiniment, elles ne doivent jamais se rencontrer, une troisième ligne formant un angle avec la première des deux parallèles, et partant d’un de ses points, ira nécessairement couper la seconde.

Personne assurément n’élèvera de doute sur ce théorème ; cependant tous les efforts des plus célèbres géomètres, des Euclide, des Lagrange, des Legendre, etc., pour ajouter à son évidence naturelle par voie de démonstration proprement dite, ont été infructueux.

La géométrie des corps solides avait offert, jusqu’à ces derniers temps, une proposition dont la vérité était tout aussi manifeste, et que, néanmoins, on ne savait pas démontrer : je veux parler de l’égalité de volume des polyèdres symétriques.

Deux polyèdres obliques ont une même base située sur un plan horizontal ; mais l’un est tout entier au-dessus de ce plan, l’autre tout entier au-dessous. Leurs faces sont semblables et de même longueur ; en outre, elles se correspondent exactement quant aux inclinaisons rapportées à la base commune. Pour dire la même chose en moins de mots, l’un des deux polyèdres étant considéré comme un objet, l’autre serait son image réfléchie sur le plan de la base commune, si ce plan était un miroir.

Le Mémoire d’Ampère a pour but de démontrer l’égalité de ces deux polyèdres, et l’on peut affirmer que ce point de la science géométrique ne laisse, plus rien à désirer.

En 1803, M. Ampère adressait à l’Institut un travail très-élégant, qui n’a vu le jour que beaucoup plus tard (en 1808), intitulé : Mémoire sur les avantages qu’on peut retirer, dans la théorie des courbes, de la considération des paraboles osculatrices.

Nous trouvons un Mémoire d’Ampère, à la date du 26 floréal an ii. Il a été imprimé dans le tome Ier du recueil des savants étrangers de l’Académie des sciences. Voici son titre : Recherches sur l’application des formules générales du calcul des variations aux problèmes de la mécanique.

Les formules générales de l’équilibre, données par l’immortel auteur de la Mécanique analytique, ont une forme analogue à celle des équations que le calcul des variations fournit pour la détermination des maxima et des minima des formules intégrales. Ampère crut que cette similitude de forme, déjà remarquée par Lagrange, lui donnerait les moyens d’éviter, dans la solution des questions de statique, les fastidieuses intégrations par parties. L’analogie ne se trouva pas aussi complète qu’on avait pu le croire au premier aperçu. Les formules ordinaires ont besoin d’être transformées quand on veut les employer à la solution de problèmes de mécanique. Ampère donne ces transformations, et les applique à l’ancien problème de la chaînette.

Ce problème, qui consistait à déterminer la courbe que forme une chaîne uniformément pesante et inextensible, quand on l’attache à deux points fixes, est célèbre à plus d’un titre. Galilée chercha inutilement à le résoudre. Sa conjecture que la courbe cherchée pouvait être une parabole se trouva fausse, malgré tous les paralogismes que les Pères Pardies et de Lanis accumulèrent pour en prouver l’exactitude au singulier adversaire qui leur opposait des épreuves mécaniques. En 1691, Jacques Bernoulli jeta de nouveau ce même problème dans le monde scientifique, sous forme de défi. Trois géomètres seulement eurent la force de relever le gant : Leibnitz, Huygens et Jean Bernoulli, qui dès cette fois, pour le dire en passant, laissa poindre les premières traces de sa jalousie contre son maître, son bienfaiteur et son frère, montrant ainsi que l’amour de la gloire peut devenir la plus intraitable, la plus injuste, la plus aveugle des passions. Les quatre illustres géomètres ne se contentèrent pas de donner la véritable équation différentielle de la courbe, ils signalèrent encore les conséquences qui s’en déduisent. Tout autorisait donc à croire que le sujet était épuisé ; mais on se trompait. Le Mémoire d’Ampère renferme, en effet, des propriétés nouvelles et très-remarquables de la chaînette et de sa développante. Ce n’est pas un faible mérite, Messieurs, de découvrir des lacunes dans un sujet exploré par les Leibnitz, les Huygens et les Bernoulli. Ajoutons que l’analyse de notre confrère réunit l’élégance à la simplicité.

Ampère donna en outre une nouvelle démonstration du théorème de Taylor, et calcula l’expression finie des termes qu’on néglige lorsqu’on arrête la série à un terme quelconque.

Chargé de l’enseignement mathématique à l’École polytechnique, Ampère ne pouvait manquer de chercher une démonstration du principe des vitesses virtuelles, dégagé de la considération des infiniment petits. Tel est l’objet d’un Mémoire qui fut imprimé en 1806, dans le 13e cahier du Journal de l’École.

Pendant sa candidature à la place que la mort de Lagrange, arrivée en 1813, avait laissée vacante, Ampère présenta à l’Académie, d’abord : Des considérations générales sur les intégrales des équations aux différences partielles ; et ensuite : Une application de ces considérations à l’intégration des équations différentielles du premier et du deuxième ordre. Ces deux Mémoires offraient la preuve très-surabondante que l’analyse, dans ce qu’elle offre de plus difficile, lui était très-familière.

Nommé académicien, Ampère ne devint pas inactif : il s’occupa des applications de l’analyse aux sciences physiques. Parmi ses productions, nous citerons :

La démonstration de la loi de Mariotte, lue à l’Académie le 24 janvier 1814 ;

La démonstration d’un théorème nouveau, d’où l’on peut déduire toutes les lois de la réfraction ordinaire et extraordinaire, lue à l’Académie le 27 mars 1815 ;

3° Un Mémoire sur la détermination de la surface courbe des ondes lumineuses dans un milieu dont l’élasticité est différente suivant les trois dimensions, lu à l’Académie des sciences le 26 août 1828.