Anandria, ou Confessions de Mademoiselle Sapho, éd. 1789

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Anandria, ou Confessions de Mademoiselle Sapho, 1789, Bandeau
Anandria, ou Confessions de Mademoiselle Sapho, 1789, Bandeau

CONFESSIONS
DE
MADEMOISELLE SAPHO.

Je ſuis née au village de Villiers-le-bel ; mon pere eſt un laboureur qui vit aſſez bien en travaillant, lui, ſa femme & ſes enfans : pour moi, les occupations de la campagne m’ont toujours répugné. Pendant que l’on étoit aux champs, on me laiſſoit à la maiſon prendre ſoin du ménage, & je le prenois ſouvent très-mal, ce qui me faiſoit gronder & maltraiter. Mon caractere me porte uniquement à la coquetterie. Dès mon enfance je goûtois un plaiſir vif à me mirer dans les ruiſſeaux ; dans les fontaines, dans un ſeau d’eau. Quand j’allois chez M. le Curé, je ne pouvois quitter le miroir : j’étois auſſi fort propre pour mon compte, je me lavois ſouvent le viſage ; je me décraſſois les mains ; j’arrangeois mes cheveux & mon bonnet de mon mieux ; j’étois enchantée quand j’entendois dire autour de moi par quelqu’un : Elle eſt jolie, elle ſera charmante. Je paſſois la journée entiere à ſoupirer après le Dimanche, parce qu’on me donnoit ce jour-là une chemiſe blanche, un juſte[1] brun, qui me prenoit bien la taille, & faiſoit reſſortir la blancheur de ma peau ; des ſouliers neufs, une petite dentelle à mon béguin. Quand je pouvois mettre la croix d’or de maman, ſa bague, ſes boucles d’argent, j’étois comblée. Du reſte, oiſiveté complette ; la promenade, la courſe, la danſe. J’étois parvenue ainſi à ma quinzième année ; j’étois grand’fille, & tous mes défauts avoient cru avec l’âge. Il s’en développa bientôt de nouveaux ; je devins laſcive ſingulierement. Sans ſavoir ni ce que je faiſois, ni ce que je voulois, je me mettois nue dès que j’étois ſeule ; je me contemplois avec complaiſance, je parcourois toutes les parties de mon corps, je careſſois ma gorge, mes feſſes, mon ventre ; je jouois avec le poil uni qui ombrageoit déjà le ſanctuaire de l’amour ; j’en chatouillois légérement l’entrée ; mais je n’oſois y faire aucune intromiſſion ; cela me paroiſſoit ſi étroit, ſi petit, que je craignois de me bleſſer. Cependant je ſentois dans cette partie un feu dévorant ; je me frottois avec délice contre les corps durs, contre une petite ſœur que j’avois, & qui, trop jeune pour travailler, reſtoit avec moi. Un jour, ma mere revenue du champ de meilleure heure, me ſurprit dans cet exercice ; elle entra en fureur ; elle me traita comme la derniere des malheureuſes : elle me dit que j’étois un mauvais ſujet, qui ne ſeroit jamais propre à rien ; une dévergondée, qui déshonoreroit une famille ; une proſtituée, qu’il falloit envoyer au Couvent de la Gourdan. Ces épithetes dont je n’entendois pas le ſens, ne me parurent injurieuſes que parce qu’elles furent accompagnées de juremens, & de coups ſi violens, que je pris la réſolution de quitter la maiſon paternelle & de m’enfuir.

Mad. Gourdan avoit en effet, dans ce tems-là, une maiſon de campagne à Villiers-le-Bel, où elle venoit rarement, mais où elle envoyoit ſes filles malades, celles qu’il falloit accoucher en particulier, celles qu’elle vouloit receler ; du reſte, une maiſon propre à tous les uſages ſecrets, à toutes les opérations clandeſtines de ſon métier. Elle étoit en conſéquence écartée, iſolée, entourée de bois, d’un accès difficile ; on n’y parloit à la porte que par une petite grille, & tous ces dehors, aſſez ſemblables à ceux d’un monaſtere, s’accordoient pour moi (ignorant encore ce qui s’y pratiquoit) à la dénomination de Couvent que les payſans, par dériſion, lui donnoient généralement. Je ne connoiſſois même les véritables que par oui-dire, & ſimplement comme des priſons qui me faiſoient horreur. Il n’en étoit pas de même du couvent de Madame Gourdan ; j’en voyois les novices ſortir très-parées, riant, chantant, danſant, ſur-tout ne faiſant rien de la journée ; car elles ſe répandoient ſouvent dans le village : elles y venoient acheter du laitage, des fruits, & payoient bien cher, ce qui les rendoit agréables. Je réſolus de ſuivre le conſeil de maman, & d’eſſayer de celui-là. Je cachai mon deſſein ; je m’efforçai même de me rendre plus utile, & attendis le jour où je ſaurois que Mad. Gourdan ſeroit à ſa maiſon. Elle y eut affaire quelque tems après ma ſcene avec maman : je courus chez elle le lendemain matin, & lui fis part de ma vocation. Elle m’avoit lorgné depuis pluſieurs mois, à ce qu’elle m’a depuis aſſuré ; elle me reçut avec joie, me dit que je lui convenois fort ; que j’étois d’une figure à faire fortune ; mais qu’elle ne pouvoit me prendre ſans le conſentement de mes parens. Je me mis à pleurer, & à lui expoſer que je n’oſerois jamais leur en parler. Alors, sûre de ma diſcrétion ; „ Eh bien, dit-elle, vous avez raiſon, ne leur dites mot. Je pars demain matin à onze heures ; devancez-moi ; trouvez-vous, comme par hazard, ſur ma route ; je vous prendrai dans mon carroſſe & vous emmenerai à Paris. Du reſte, vous n’avez beſoin d’aucun paquet ; vous ne manquerez de rien avec moi. „ Je la remerciai, l’embraſſai de tout mon cœur, & exécutai de point en point ce qu’elle m’avoit preſcrit. Elle avoit pris de ſon côté, les précautions néceſſaires à ſa ſûreté[2] : Elle avoit renvoyé ſon carroſſe à vuide : elle avoit emprunté celui d’un Prélat reſpectable, qui étoit venu dans ce lieu pour éviter le ſcandale ; elle s’étoit embarquée ſeule dedans ; elle m’avoit dépoſé au fauxbourg Saint-Laurent, dans l’appartement d’un garde du corps, ſon ami, qui étoit à Verſailles ; là elle s’étoit miſe dans un fiacre, & étoit rentrée chez elle de façon à ne laiſſer aucun veſtige de mon enlévement, & à ſe ſouſtraire à toutes les recherches. Auſſi quelque ſoupçon qu’eût mon pere, quelque diligence qu’il mît à me pourſuivre, il ne put rien découvrir, & n’a dû enſuite qu’au hazard ce qu’il n’avoit pu obtenir des plus hautes protections & de la police la plus vigilante ; mais ces pourſuites intriguerent ma conductrice, au point qu’elle fut pluſieurs jours, ſans oſer me faire venir chez elle, ſans venir ou oſer envoyer où j’étois. Elle s’y rendit enfin un ſoir.

Cependant j’étois reſtée entre les mains de la gouvernante du garde du corps, duegne sûre, qui m’avoit choyée de ſon mieux, m’avoit fait manger & coucher avec elle, & m’avoit apparemment ſi bien viſitée durant mon ſommeil, qu’au moment où Mad. Gourdan parut, j’entendis qu’elle lui dit à l’oreille : „ Vous avez trouvé un Pérou dans cet enfant ; elle eſt pucelle ſur mon honneur, ſi elle n’eſt pas vierge ; mais elle a un clitoris diabolique ; elle ſera plus propre aux femmes[3] qu’aux hommes ; nos tribades renommées doivent vous payer cette acquiſition au poids de l’or. „

Mad. Gourdan ayant vérifié le fait, écrivit ſur le champ à Mad. de Furiel, que tout le monde connoit au moins de réputation, pour la prévenir de ſa découverte. J’ai conſervé une copie de cette lettre. La voici :

Madame,

„ J’ai découvert pour vous un morceau de Roi ou plutôt de Reine, s’il s’en trouvoit quelqu’une qui eût votre goût dépravé ; car je ne puis qualifier autrement une paſſion trop contraire à mes intérêts ; mais je connois votre généroſité, qui me fait paſſer par-deſſus la rigueur que je devrois vous tenir. Je vous avertis que j’ai à votre ſervice le plus beau clitoris de France, en outre une franche pucelle de quinze ans au plus. Eſſayez-en ; je m’en rapporte à vous, & je ſuis perſuadée que vous ne croirez trop pouvoir m’en remercier. Au reſte, comme vous ne lui aurez pas fait grand tort, ſi elle ne vous convient pas, renvoyez-la moi, & ce ſera encore un pucelage excellent pour les meilleurs gourmets. „

„ Je ſuis avec reſpect &c. „

Madame de Furiel m’envoya chercher avec la même diligence me fit conduire à ſa petite maiſon. La femme de chambre, qui étoit venue me prendre miſtérieuſement en brouette, me fit entrer d’abord dans une eſpece de chaumiere, en ſorte que je crus être retournée au village. Nous traverſâmes enſuite une cour, où, quoiqu’il y eût une porte charretiere, des écuries, des remiſes, je vis auſſi des étables, une laiterie, des poules, des dindons, des pigeons, ce qui s’accordoit aſſez à mon idée. Je fus enfin détrompée quand on eut ouvert une petite porte, & que j’apperçus un ſuperbe jardin de forme ovale, entouré de peupliers fort hauts, qui en déroboient la vue à tous les voiſins. Au milieu étoit un pavillon ovale auſſi, ſurmonté d’une ſtatue coloſſale, que j’ai ſu depuis être celle de la déeſſe Veſta. On y montoit par neuf dégrés, qui l’entouroient de toutes parts. Je trouvai d’abord un veſtibule éclairé de quatre torcheres : des deux côtés étoient deux baſſins, où des Nayades, de leurs mamelles, fourniſſoient de l’eau à volonté ; à gauche étoit un billard, & à droite un cabinet de bains, où l’on me fit entrer. On m’apprit que je ne verrois point la maîtreſſe du lieu, que je n’euſſe reçu les préparations néceſſaires pour paroître en ſa préſence. En conſéquence, on commença par me baigner : on prit la meſure des premiers vêtemens que je devois avoir. Pendant le ſouper ma conductrice m’entretint uniquement de la dame à qui j’allois appartenir, de ſes charmes, de ſes graces, de ſes bontés, du bonheur dont je jouirois avec elle, du dévouement abſolu que je lui devois. J’étois ſi étonnée, ſi étourdie des objets nouveaux qui me frappoient de toutes parts, que je ne dormis pas de la nuit.

Le lendemain on me mena chez le dentiſte de Mad. de Furiel, qui viſita ma bouche, m’arrangea les dents, les nettoya, me donna d’une eau propre à rendre l’haleine douce & ſuave. Revenue, on me mit de nouveau dans le bain. Après m’avoir eſſuyée légérement, on me fit les ongles des pieds & des mains : on m’enleva les corps, les durillons, les calloſités ; on m’épila dans les endroits où des poils folets mal placés pouvoient rendre au tact la peau moins unie ; on me peigna la toiſon que j’avois déjà ſuperbe, afin que dans les embraſſemens, les touffes trop mêlées n’occaſionnaſſent pas de ces croiſemens douloureux, ſemblables au plis de roſe qui faiſoient crier les Sybarites. Deux jeunes filles de la jardiniere, accoutumées à cette fonction, me nettoyèrent les ouvertures, les oreilles, l’anus, la vulve ; elles me pétrirent voluptueuſement toutes les jointures à la maniere des Germains[4] pour les rendre plus ſouples. Mon corps ainſi diſpoſé, on y répandit des eſſences à grands flots : puis on me fit la toilette ordinaire à toutes les femmes : on me coëffa avec un chignon très-lâche ; des boucles ondoyantes ſur mes épaules & ſur mon ſein, quelques fleurs dans mes cheveux : enſuite on me paſſa une chemiſe faite dans le coſtume des tribades ; c’eſt-à-dire, ouverte par devant & par derriere depuis la ceinture juſqu’en bas ; mais ſe croiſant & s’arrêtant avec des cordons : on me ceignit la gorge d’un corſet ſouple & léger ; mon intime[5], & le jupon de ma robe, pratiqués comme ma chemiſe, prêtoient la même facilité. On termina par m’ajuſter une polonoiſe d’un petit ſatin couleur de roſe, dans laquelle j’étois faite à peindre. Par mon caractere donné, vous jugez quel dut être ma joie, quel raviſſement lorsque je me vis ainſi. J’étois embellie des trois quarts ; je ne me reconnoiſſois pas moi-même ; je n’avois pas encore éprouvé autant de plaiſir ; car j’ignorois l’eſpece de celui qu’alloit me procurer Mad. de Furiel. Au ſurplus, quoique légérement vêtue, & au mois de mars, où il fait encore froid, je n’en éprouvai aucun, je croyois être au printems ; je nageois dans un air doux, continuellement entretenu tel par des tuyaux de chaleur qui régnoient tout le long des appartemens.

Quand Mad. de Furiel fut arrivée, on me conduiſit à elle par un couloir, qui communiquoit du quartier où j’étois, à un boudoir, où je la trouvai nonchalamment couchée ſur un large ſopha. Je vis une femme de 30 à 32 ans, brune de peau, haute en couleur, ayant de beaux yeux, les ſourcils très-noirs, la gorge ſuperbe ; en embonpoint, & offrant quelque choſe d’hommaſſe dans toute ſa perſonne. Dès qu’on m’annonça, elle lança ſur moi des regards paſſionnés, & s’écria : „ Mais on ne m’en a pas encore dit aſſez ; elle eſt céleſte ! puis, radouciſſant la voix, approchez mon enfant, venez vous aſſeoir à côté de moi. Eh bien ! comment vous trouvez vous ici ? Vous y plairez-vous ? Cette maiſon, ce jardin, ces meubles, ces bijoux, tout cela ſera pour vous ; ces femmes ſeront vos ſervantes, & moi je veux être votre maman. En échange de tant de choſes, de ſoins & d’amour, je ne vous demande que de m’aimer un peu. Allons, dites-moi : vous ſentez-vous diſpoſée ? Venez me donner un baiſer… „ Sans proférer une parole, & pénétrée de reconnoiſſance, je me jette à ſon col & l’embraſſe. „ Oh ! mais, petite imbécille, ce n’eſt pas comme cela qu’on s’y prend : voyez ces colombes qui ſe becquetent amoureuſement ! „ Elle me fait en même tems lever les yeux vers le ceintre de la niche où nous étions, garni d’une guirlande de fleurs en ſculpture, où étoit en effet ſuſpendu ce couple laſcif, ſymbole de la tribaderie. „ Suivons un ſi charmant exemple ! „ Et en même tems elle me darde ſa langue dans la bouche. J’éprouve une ſenſation inconnue qui me porte à lui en faire autant : bientôt elle gliſſe ſa main dans mon ſein, & s’écrie de nouveau : „ Les jolis tetins ! comme ils ſont durs ! c’eſt du marbre ; on voit bien qu’aucun homme ne les a fouillés de ſes vilains attouchemens. „ En même tems elle chatouille légérement le bout, & veut que je lui rende le plaiſir que je reçois ; puis de la main gauche, déliant mes rubans, mes cordons de derriere : „ Et ce petit cul, a-t-il eu ſouvent le fouet ? Je parie qu’on ne le lui a pas donné comme moi ? „ Puis elle m’applique de légeres claques au bas des feſſes près le centre du plaiſir, qui ſervent à irriter ma lubricité ; alors, elle me renverſe ſur le dos, & s’ouvrant un paſſage en avant, elle entre en admiration pour la troiſieme fois. „ Ah ! le magnifique clitoris ! Sapho n’en eut pas un plus beau ; tu ſeras ma Sapho. „ Ce ne fut plus qu’une fureur convulſive des deux parts, que je ne pourrois décrire. Après une heure de combats, de jouiſſance, irritant mes deſirs ſans les ſatisfaire, Mad. de Furiel, qui vouloit me réſerver pour la nuit, ſonna. Deux femmes de chambre vinrent nous laver, nous parfumer, & nous ſoupâmes délicieuſement.

Pendant le repas elle m’apprit que cette petite maiſon qui lui appartenoit, étoit en quelque ſorte devenue ſacrée par ſon uſage ; qu’on l’avoit convertie en un temple de Veſta regardée comme la fondatrice de la ſecte Anandryne[6], ou des tribades, ainſi qu’on les appelle vulgairement.

„ Une tribade, me dit-elle, eſt une jeune pucelle, qui n’ayant eu aucun commerce avec l’homme, & convaincue de l’excellence de ſon ſexe, trouve dans lui la vraie volupté, la volupté pure, l’y trouve toute entiere, & renonce à l’autre ſexe, auſſi perfide que ſéduiſant. C’eſt encore une femme de tout âge, qui, pour la propagation du genre humain, ayant rempli le vœu de la nature & de l’état, revient de ſon erreur, déteſte, abjure des plaiſirs groſſiers, & ſe livre à former des éleves à la déeſſe. „

„ Au reſte, n’eſt pas admis qui veut dans notre ſociété. Il y a, comme dans toutes, des épreuves pour les poſtulantes. Celles pour les femmes[7], ſont ſur-tout très-pénibles, & ſur dix il en eſt à peine une qui ne ſuccombe pas. Quant aux filles, ce ſont les meres qui en jugent dans l’intimité de leur commerce, qui ſe les attachent, & qui en répondent. Vous m’avez déjà paru digne d’être initiée à nos myſteres ; j’eſpere que cette nuit me confirmera dans la bonne opinion que j’ai conçue de vous, & que nous menerons long-tems enſemble une vie innocente & voluptueuſe. „

„ Rien ne vous manquera. Je vais vous faire faire des robes, des ajuſtemens, des chapeaux ; vous acheter des diamans, des bijoux : vous n’aurez qu’une ſeule privation ici ; c’eſt qu’on ne voit point d’hommes : ils n’y peuvent entrer ; je ne m’en ſers à rien, même pour le jardin. Ce ſont des femmes robuſtes que j’ai formées à cette culture, & jusqu’à la taille des arbres. Vous ne ſortirez qu’avec moi ; je vous ferai voir ſucceſſivement les beautés de Paris : je vous menerai ſouvent au ſpectacle dans mes loges, aux bals, aux promenades. „

„ Je veux former votre éducation ; ce qui, vous rendant plus aimable, vous ſauvera de l’ennui d’être ſouvent ſeule. Je vous ferai apprendre à lire, à écrire, à danſer, à chanter. J’ai des maîtreſſes dans tous ces genres à ma diſpoſition ; j’en ai dans les autres, à meſure que vos goûts ou vos talens ſe développeront. „

Telle fut à peu près la converſation de Mad. de Furiel, qui précéda notre coucher, & qui ne fut interrompue que par des remerciemens, des embraſſades, des careſſes qui l’enchanterent, & préluderent à d’autres plus intimes.

La nuit fut laborieuſe, mais ſi raviſſante pour moi, que, fatiguée, haraſſée, le matin épuiſée, j’appétois encore. Mad. de Furiel plus ſage, qui me réſervoit pour le grand jour de ma réception, ceſſa la premiere. Elle me fit apporter un conſommé, & avant de me quitter, ordonna qu’on prît de moi le plus grand ſoin. Elle m’envoya ſucceſſivement ſa lingere, ſon ouvriere en robes, ſa marchande de modes, ſa marchande à la toilette, & je ne tardai pas à être pourvue de tout ce qu’il me falloit pour débuter avec éclat dans le monde. Ainſi revêtue des agrémens que le luxe & l’art pouvoient ajouter à mes attraits, je fus conduite à l’opéra par ma protectrice, qui reçut de ſes conſœurs des complimens ſans fin. Quant aux hommes, j’entendois qu’ils diſoient dans les corridors, lorſque je paſſai pour m’en aller : Mad. de Furiel a de la chair fraiche, c’eſt du neuf vraiment ; quel dommage que cela tombe en de ſi mauvaiſes mains ! Elle affectoit de me parler pour que je n’entendiſſe pas ces exclamations, & m’entraîna bien vite dans ſon caroſſe.

Le jour de mon initiation aux myſteres de la ſecte Anandrine, avoit été fixé au lendemain, & j’y fus admiſe en effet avec tous les honneurs. Cette cérémonie extraordinaire étoit trop frappante pour ne m’en être pas reſſouvenue dans ſes moindres détails, & certainement c’eſt l’épiſode le plus curieux de mon hiſtoire.

Au centre du temple, eſt un ſallon ovale, figure allégorique qu’on obſerve fréquemment en ces lieux ; il s’éleve dans toute la hauteur du bâtiment, & n’eſt éclairé que par un vitrage ſupérieur, qui forme le ceintre, & s’étend autour de la ſtatue dominant extérieurement, & dont je vous ai parlé. Lors des aſſemblées, il s’en détache une petite ſtatue, toujours repréſentant Veſta, de la taille d’une femme ordinaire ; elle deſcend majeſtueuſement, les pieds poſés ſur un globe, au milieu de l’aſſemblée, comme pour y préſider.

Autour de ce ſanctuaire de la déeſſe, regne un corridor étroit, où ſe promenent pendant l’aſſemblée deux tribades, qui gardent exactement toutes les portes & avenues. La ſeule entrée eſt par le milieu, où ſe préſente une porte à deux battans ; du côté oppoſé ſe voit un marbre noir, où ſont gravés en lettres d’or des vers dont je vous ferai bientôt le récit. A chacune des extrêmités de l’ovale eſt une eſpece de petit autel qui ſert de poële qu’allument & entretiennent en dehors les gardiennes. Sur l’autel, à droite en entrant, eſt le buſte de Sapho, comme la plus ancienne & la plus connue des Tribades ; l’autel à gauche, vacant juſques-là, devoit recevoir le buſte de Mlle d’Eon, cette fille la plus illuſtre entre les modernes, la plus digne de figurer dans la ſecte Anandrine ; mais il n’étoit point encore achevé, & l’on attendoit qu’il ſortit du cizeau du voluptueux Houdon. Autour, & de diſtance en diſtance, on a placé ſur autant de gaîne, les buſtes des belles filles grecques chantées par Sapho comme ſes compagnes. Au bas ſe liſent le nom de Theleſyle, Amythone, Cydno, Mégare, Pyrrine, Andromede, Cyrine, &c… Au milieu s’éleve un lit en forme de corbeille à deux chevets, où repoſent la Préſidente & ſon éleve : autour du ſallon, des carreaux à la turque, garnis de couſſins, où ſiege en regard, & les jambes entrelacées, chaque couple, compoſé d’une mere & d’une novice, ou en termes myſtiques, de l’incube & de la ſuccube. Les murs ſont recouverts d’une ſculpture ſupérieurement travaillée, où le cizeau a retracé en cent endroits, avec une préciſion unique, les diverſes parties ſecretes de la femme, telles qu’elles ſont décrites dans le tableau de l’amour conjugal, dans l’Hiſtoire naturelle de M. de Buffon, & dans les plus habiles naturaliſtes. Voilà une exacte deſcription du ſanctuaire ; je crois n’avoir rien omis. Voici maintenant celle de ma réception.

Toutes les tribades en place, & dans leurs habits de cérémonie, c’eſt-à-dire, les meres, avec une lévite couleur de feu & une ceinture bleue ; les novices, en lévite blanche avec une ceinture couleur de roſe ; du reſte la tunique ou chemiſe, & les jupons fendus & recouverts : on vint nous avertir, Mad. de Furiel & moi, que l’on étoit prêt à nous recevoir ; c’eſt la fonction d’une des tribades gardiennes. Mad, de Furiel étoit déjà dans ſon coſtume : moi j’étois, au contraire, très-parée & dans l’habit le plus mondain.

En entrant je vis le feu ſacré, conſiſtant en une flamme vive & odorante, s’élançant d’un réchaud d’or, toujours prête à diſparoître, & toujours rallumée par les aromates pulvériſés, qu’y jette ſans interruption le couple chargé de cette fonction, extrêmement pénible par l’attention continuelle qu’elle exige. Arrivée aux pieds de la Préſidente, qui étoit Mademoiſelle Raucourt :[8], Mad. de Furiel dit : „ Belle Préſidente, & vous cheres compagnes, voici une poſtulante : elle me paroît avoir toutes les qualité requiſes. Elle n’a jamais connu d’homme, elle eſt merveilleuſement bien conformée, & dans les eſſais que j’en ai faits, je l’ai reconnue pleine de ferveur & de zele : je demande qu’elle ſoit admiſe parmi nous ſous le nom de Sapho. „ Après ces mots nous nous retirâmes pour laiſſer délibérer. Au bout de quelques minutes, l’une des deux gardiennes vint m’apprendre que j’avois été, par acclamation, admiſe à l’épreuve. Elle me déshabilla, me mit abſolument nue, me donna une paire de mules ou de ſouliers plats, m’enveloppa d’un ſimple peignoir, & me ramena de la ſorte dans l’Aſſemblée, où la Préſidente étant deſcendue de la corbeille avec ſon éleve, on m’y étendit & l’on retira le peignoir. Cet état, au milieu de tant de témoins, me parut inſupportable, & je frétillois de toutes les manieres pour me ſouſtraire aux regards, ce qui eſt l’objet de l’inſtitution, afin qu’aucun charme n’échappe à l’examen : d’ailleurs, dit un de nos plus aimables poëtes[9].

L’embarras de paroître nue,
Fait l’attrait de la nudité.

C’eſt ici le moment de vous apprendre quels ſont les vers que je vous ai promis, & que vous attendez à coup sûr avec impatience. Ils contiennent une énumération détaillée de tous les charmes qui conſtituent une femme parfaitement belle, & ces charmes y ſont calculés au nombre de trente. On ne dit point au reſte le nom de leur auteur, qui certainement n’étoit pas du ſexe,& tribade du moins. Il n’eſt qu’un philoſophe froid, capable d’analyſer ainſi la beauté. Au reſte ces vers, très originaux dans leur genre, ne m’ont point échappé de la tête. Les voici[10] :

Que celle prétendant à l’honneur d’être belle,
De reproduire en ſoi le ſuperbe modele

D’Hélene, qui jadis embraſa l’univers,
Etale en ſa faveur trente charmes divers !
Que, la couvrant trois fois, chacun par intervalle,
Et le blanc & le noir & le rouge mêlés
Offrent autant de fois aux yeux émerveillés,
D’une même couleur la nuance inégale.
Puis que neuf fois envers ce chef-d’œuvre d’amour,
La nature prodigue, avare tour à tour,
Dans l’extrême oppoſé, d’une main toujours sûre,
De ſes dimenſions lui trace la meſure.
Trois petits riens encore, elle aura dans ſes traits,
D’un enſemble divin les contraſtes parfaits.

Que ſes cheveux ſoient blonds, ſes dents comme l’ivoire ;

Que ſa peau d’un lys pur ſurpaſſe la fraîcheur :

Tel que l’œil, les ſourcils, mais de couleur plus noire.

Que ſon poil des entours releve la blancheur.
Qu’elle ait l’ongle, la joue & la levre vermeille ;
La chevelure longue & la taille, & la main ;

Ses dents, ſes pieds ſoient courts ainſi que ſon oreille ;

Elevé ſoit ſon front, étendu ſoit ſon ſein :
Que la nymphe ſur-tout, aux feſſes rebondies,
Préſente aux amateurs formes bien arrondies ;
Qu’à la chûte des reins, l’amant ſans la bleſſer,
Puiſſe de ſes deux mains fortement l’enlacer ;
Que ſa bouche mignonne & d’augure infaillible,
Annonce du plaiſir l’accès étroit, pénible ;
Que l’anus, que la vulve & le ventre aſſortis,
Soient doucement gonflés & jamais applatis.
Un petit nez plait fort ; une tête petite,

Un tetin repouſſant le baiſer qu’il invite ;
Cheveux fins, levre mince, & doigts fort délicats
Complettent ce beau tout qu’on ne rencontre pas.

C’eſt d’après ce tableau de comparaiſon qu’on procede à l’examen ; mais comme depuis Hélene, il ne s’eſt point trouvé de femme qui ait réuni ces trente grains de beauté, on eſt convenu qu’il ſuffiroit d’en avoir plus de la moitié, c’eſt-à-dire au moins ſeize. Chaque couple vient ſucceſſivement à la diſcuſſion, & donne ſa voix à l’oreille de la Préſidente qui les compte & prononce. Toutes furent en ma faveur, & après avoir reçu ſucceſſivement l’accolade par un baiſer à la florentine, je fus ramenée, & l’on me donna le vêtement de novice, dans lequel je parus avec Mad. de Furiel. Alors, me jettant aux pieds de la Préſidente, je prêtai entre ſes mains le ſerment de renoncer au commerce des hommes, & de ne rien révéler des myſteres de l’aſſemblée, puis elle ſépara en deux moitiés un anneau d’or, ſur chacune deſquelles Mad. de Furiel & moi écrivirent reſpectivement notre nom avec un poinçon ; elle rejoignit les deux parties en ſigne de l’union qui devoit régner entre mon inſtitutrice & moi, & me mit cet anneau au doigt annulaire de la main gauche. Après cette cérémonie, nous fûmes prendre notre place ſur le carreau qui nous étoit deſtiné, afin d’entendre le diſcours de vêture que devoit ſuivant l’uſage m’adreſſer la Préſidente. Ce morceau d’éloquence eſt trop précieux pour ne le pas rapporter ici dans ſon entier.

Apologie de la ſecte Anandrine, ou Exhortation a une jeune tribade.
Femmes, recevez-moi dans votre ſein, je ſuis digne de vous.

Ces paroles ſont tirées de la ſeconde lettre aux femmes, par Mlle d’Eon.

C’eſt ainſi que n’aguere s’écrioit celle dont vous voyez le buſte pour la premiere fois offert à vos hommages ; cette fille, l’honneur de ſon ſexe, la gloire du ſiecle, & par la réunion de ſes talens divers, peut-être la plus illuſtre qui ait jamais exiſté, qui exiſtera jamais ; la plus digne ſur-tout de figurer ici, d’occuper une prééminence que je ne dois qu’à l’indulgence de l’aſſemblée. Ce tendre épanchement, cet élan rapide, cette bouillante ardeur, ces mouvemens impétueux qui ramenent Mlle d’Eon vers ſon ſexe, ſont d’autant plus honorables pour lui, que, traveſtie en homme dès le berceau, crue homme, éduquée en homme, ayant vécu continuellement avec des hommes, elle en a contracté les goûts, les allures, les habitudes ; elle en a conquis, pour ainſi dire, tous les talens, tous les arts, toutes les vertus, ſans ſe ſouiller d’aucun de leurs vices : inveſtie de leur corruption, elle a toujours conſervé la pureté de ſon origine. Au college dans les feſtins, dans les parties de plaiſir les plus licencieuſes ; à la Cour, au milieu des camps, & quelquefois obligée de partager ſa couche avec un ſexe étranger, elle a réſiſté à tant de tentations dangereuſes, & juſqu’à ce qu’elle pût avoir une compagne, a trouvé en elle-même une jouiſſance préférable à celles dont l’attrait puiſſant l’aiguillonnoit ſans ceſſe. Graces vous en ſoient rendues, ô déeſſe auguſte, qui préſidez à nos myſteres ! Et vous, ma chere enfant, à qui cette exhortation s’adreſſe principalement, puiſſiez-vous profiter d’un ſi grand exemple ! Echappée dès votre tendre jeuneſſe, aux ſéductions des hommes, goûtez le bonheur de vous trouver réunie au ſein de vos pareilles, bonheur après lequel Mlle d’Eon, commandée par les circonſtances, a ſoupiré ſi long-tems en vain.

Au reſte, la ſecte anandrine n’eſt pas comme tant d’autres, qui ne ſont fondées que ſur l’ignorance, l’aveuglement & la crédulité ; plus on en étudie l’hiſtoire & les progrès, plus on augmente pour elle de vénération, d’intérêt & d’attachement. Ainſi donc, je vous en ferai voir d’abord l’excellence ; puis (on pratique mal ce qu’on ne connoît pas bien : la lettre tue & l’eſprit vivifie ;) je veux augmenter votre zele en l’éclairant, en vous apprenant l’importance & l’étendue de vos devoirs : enfin la récompenſe au bout du terme, eſt ordinairement ce qui ſoutient l’athlete dans la carriere. Je vous en propoſe une, non pas, comme tant d’autres, propre à ſatisfaire uniquement l’orgueil, l’avarice, la vanité, mais à remplir votre cœur tout entier ; c’eſt le plaiſir. Je vous peindrai ceux que nous goûtons. Telle eſt la diviſion naturelle de ce diſcours.

O Veſta ! divinité tutélaire de ces lieux, remplis-moi de ton feu ſacré ; fais que mes paroles aillent ſe graver en traits de flamme dans le cœur de la novice qu’il s’agit d’initier à ton culte : puiſſe-t-elle s’écrier avec autant de ſincérité & d’ardeur que Mlle d’Eon ! Femmes, recevez-moi dans votre ſein, je ſuis digne de vous.

Premiere Partie.

L’excellence d’une inſtitution ſe détermine principalement par ſon origine, par ſon objet, par ſes moyens, par ſes effets.

L’origine de la ſecte anandrine eſt auſſi ancienne que le monde. On ne peut douter de ſa nobleſſe, puiſqu’une déeſſe en fut la fondatrice ; & quelle déeſſe ! la plus chaſte, dont l’élément, qui purifie tous les autres, eſt le ſymbole. Quelque contraire que cette ſecte ſoit aux hommes, auteurs des loix, ils n’ont jamais oſé la proſcrire ; même le plus ſage, le plus ſévere des Législateurs l’a autoriſée. Lycurgue avoit établi à Lacédémone une école de tribaderie, où les jeunes filles paroiſſoient nues ; & dans ces jeux publics, elles apprenoient les danſes, les attitudes, les approches, les enlacemens tendres & amoureux ; les hommes aſſez téméraires pour y porter les regards, étoient punis de mort. On retrouve cet art réduit en ſyſtême, & décrit avec énergie dans les poéſies de Sapho, dont le nom ſeul réveille ce que la Grece avoit de plus aimable & de plus enchanteur. A Rome, la ſecte anandrine recevoit dans la perſonne des veſtales des honneurs preſque divins. Si nous en croyons les voyageurs, elle s’eſt étendue dans les pays les plus éloignés, & les Chinoiſes ſont les plus fameuſes tribades de l’univers. Enfin cette ſecte s’eſt perpétuée ſans interruption juſqu’à nos jours ; point d’état, où elle ne ſoit tolérée, point de religion où elle n’exiſte, ſauf la juive & la muſulmane. Chez les Hébreux, le célibat étoit odieux, & les femmes frappées de ſtérilité étoient déshonorées ; mais cette nation, toute terreſtre & groſſiere, n’avoit pour but que de croître & de multiplier, et les Juifs devinrent un ſi vilain peuple, que Dieu fut obligé de le renier. Quant à la religion muſulmane, on peut regarder encore les ſerrails qu’elle favoriſe, comme une tribaderie mitigée.

Il eſt vrai que l’objet de cette inſtitution, chez les Turcs, eſt moins de propager le culte de notre déeſſe, que d’exciter la brutalité du maître de tant de belles eſclaves renfermées enſemble pour ſes plaiſirs. On raconte que le Grand Seigneur actuel, lorſqu’il veut procéder à la formation d’un héritier de l’Empire, fait ainſi raſſembler toutes ſes femmes, dans un vaſte ſallon du ſerrail deſtiné à cet uſage, & appellé, par cette raiſon, la piece des Tours. Les murs en ſont peints à freſque, & toutes les figures de femmes de grandeur naturelle y repréſentent les poſtures, les attitudes, les accouplemens et les grouppes les plus laſcifs. Les Sultanes ſe déshabillent nues, ſe mêlent, s’entrelacent, réaliſent & diverſifient, ſous les yeux du deſpote blazé, ces modeles qu’elles ſurpaſſent par leur agilité. Quand, l’imagination bien allumée par ce ſpectacle, il ſent ſe ranimer ſes feux engourdis, il paſſe dans le lit de la favorite préparée à le recevoir, & opere des merveilles. En Chine, les vieux Mandarins ſe ſervent du même ſecours, mais d’une maniere différente. Aux ordres de l’époux les actrices y ſont accouplées dans des bancs à jour ; là, mollement ſuſpendues, elles ſe balancent & s’agitent ſans avoir la peine de ſe remuer, & le paillard, les yeux ardens, ne perd rien de ces ſcenes lubriques Juſqu’à ce qu’il entre lui-même en action. En ce ſens, même chez les Juifs maudits, la tribaderie fut introduite. Sans cet uſage, qu’auroit fait Salomon de ſes trois mille concubines ? & ſuivant les anecdotes ſecretes de quelques Rabbins plus véridiques, le Roi Prophète, le ſaint Roi David, ne ſe ſervoit des jeunes Sunamites, qu’il mettoit dans ſon lit, que pour ranimer ſa chaleur prolifique, en les faiſant tribader par deſſus ſon corps. Mais il faut l’avouer, cette deſtination, ce mêlange d’exercices mâles profanoit une ſi belle inſtitution. C’eſt en Grece, c’eſt à Rome, c’eſt en France, c’eſt dans tous les Etats catholiques, qu’on en ſaiſit l’objet en grand & dans ſon véritable eſprit. Dans les ſéminaires de filles établis par Lycurgue, le vœu de virginité n’étoit pas perpétuel ; mais elles s’y épuroient le cœur de bonne heure, & habitant uniquement entre elles, juſqu’à ce qu’elles ſe mariaſſent, elles y contractoient une délicateſſe de ſenſations, après laquelle elles ſoupiroient encore même dans les bras de leurs époux ; &, quittes de leur rôle qui les appelloit à la maternité, elles revenoient toujours à leurs premiers exercices. Rien de ſi beau, rien de ſi grand que l’inſtitution des Veſtales à Rome. Ce Sacerdoce s’y montroit dans l’appareil le plus auguſte : garde du Palladium, dépôt & entretien du feu ſacré, ſymbole de la conſervation de l’Empire : quelles ſuperbes fonctions ! Quel brillant deſtin ! Nos monaſteres du ſexe dans l’Europe moderne, émanation du college des Veſtales, en ſont le ſacerdoce perpétué, mais n’en préſentent plus malheureuſement qu’une foible image, par le mêlange de pratiques minutieuſes & de formules puériles. D’un autre côté, les Vierges n’y ſont point aſſujetties au ſervile méchaniſme de l’entretien d’un feu matériel ; leur rôle vraiment ſublime eſt de lever ſans ceſſe des mains pures vers le ciel, pour en attirer les bénédictions ſur l’Empire. Si leur ferveur s’éteint par une paſſion criminelle vers l’homme, dont la preuve ſont les ſuites trop palpables d’une défloration évidente, elles ne ſont pas punies de mort, mais ſubiſſent des peines canoniques plus terribles, vu leur rafinement & leur durée. Comment donc, malgré les périls qui l’environnent, l’établiſſement s’eſt-il ſoutenu ? Par ces moyens ſimples, faciles, efficaces, attrayans.

Une jeune novice eſt-elle tourmentée d’un prurit libidineux de la vulve ? Elle a dans ſa propre organiſation de quoi l’appaiſer ſur le champ ; la nature l’y conduit machinalement, comme dans toutes les autres parties du corps, où elle lui fait porter les doigts, afin, par un agacement ſalutaire, d’en ſupprimer ou ſuſpendre les démangeaiſons. Lorſque, par cet exercice fréquent, les conduits irrités & élargis ont beſoin de ſecours plus ſolides ou plus amples, elle les trouve dans preſque tout ce qui l’environne, dans les inſtrumens de ſes travaux, dans les uſtenciles de ſa chambre, dans ceux de ſa toilette, dans ſes promenades & juſques dans les comeſtibles. Par une heureuſe confidence, oſe-t-elle bientôt faire part de ſes découvertes à une camarade auſſi ingénue qu’elle ? Toutes deux s’éclairent, s’aident réciproquement ; elles s’attachent l’une à l’autre, elles ſe deviennent néceſſaires, elles ne peuvent plus s’en paſſer ; elles ne ſont qu’une ame & qu’un corps. Alors la vie aſcétique leur paroit préférable à toutes les vanités du ſiecle ; les haires, les cilices, ces inſtrumens de pénitence ſont convertis en inſtrumens de volupté ; les jours de diſcipline générale & publique, ſi effrayans pour les gens du monde, qui ne s’attachent qu’au nom, deviennent, par ces accouplemens multipliés, des orgies auſſi délicieuſes que les nôtres ; car la flagellation eſt un puiſſant véhicule de lubricité, & c’eſt ſans doute des couvens que cet exercice eſt paſſé dans les écoles des courtiſannes qui l’enſeignent à leurs éleves, comme un agent victorieux, propre à reſſuſciter au plaiſir les vieillards & les libertins anéantis.

Quoi qu’il en ſoit, doux art de la tribaderie ! tes effets ſont tels que la Nonnette quitte pour toi, biens, amis, parens, pere, mere ; qu’elle renonce aux propriétés les plus riches, aux jouiſſances les plus recherchées, aux affections les plus impérieuſes, les plus innées dans le cœur de l’homme, aux plaiſirs de l’hyménée ſi vantés, & qu’elle trouve dans toi la félicité ſuprême. Oh ! que tes charmes ſont grands, que tes attraits ſont puiſſans ! puiſque tu diſſipes les ennuis du cloître, tu rends la ſolitude raviſſante, tu transformes cette priſon odieuſe en palais de Circé & d’Armide.

En voilà ſuffiſamment, ma chere fille, pour vous faire connoître l’excellence de la ſecte anandrine. Je ne veux pas trop fatiguer votre attention ; il eſt tems de vous en apprendre les devoirs, objet le plus eſſentiel de ce diſcours.

Seconde Partie.

Point d’inſtitution humaine qui n’ait pour objet ou l’utilité ou l’agrément ; qui ne procure des avantages, ou ne donne des jouiſſances : il en eſt qui réuniſſent les deux, & c’eſt le comble de la ſecte anandrine, enviſagée ſous le point de vue ſublime, où je vous l’ai préſentée, dans la fondation du college des Veſtales & des colleges religieux du ſexe, qui lui ont ſuccédé & ſont en honneur aujourd’hui dans notre rite. Il faut l’avouer, notre ſociété, dont il s’agit en ce moment, ma chere fille, n’a pas ce dégré de mérite ; elle n’a pour principal & unique but que le plaiſir ; mais, pour l’obtenir, il y a une marche, des moyens, des obligations, ou, pour tout dire en un mot, des devoirs à remplir. Les uns tendent à la conſervation de la ſociété, car ſans elle, les effets manqueroient ; les autres à en maintenir l’harmonie, car dans le trouble & le déſordre on ne jouit point, ou l’on jouit mal ; les derniers à l’étendre & à la propager, car rien de bien fait ſans ce goût, cette ferveur, ce zele, qui, ſemblable à l’élément dont vous avez l’image ſous les yeux, toujours en activité gagne & abſorbe tout ce qui l’environne. Reprenons & développons ces trois vérités, afin de vous les bien inculquer dans la mémoire & dans le cœur.

Hommage d’abord à la fondatrice de notre culte, à Veſta, dont la ſtatue conſtamment préſente à nos aſſemblées & ſuſpendue ſur nos têtes, eſt le garant de ſa protection toujours ſubſiſtante, de ſa vengeance toujours prête à éclater contre les prévarications & les infidélités. Invoquons-la ſouvent, non par de vaines prieres, mais par des ſacrifices & des libations. Point d’intempérie de langue : ſageſſe, réſerve à l’égard de ce qui ſe paſſe dans nos aſſemblées ; diſcrétion, ſilence parfait ſur les myſteres de la déeſſe, pour ne point éveiller la jalouſie & l’envie ; ſoumiſſion abſolue à ſes loix, qui vous ſeront expliquées, ſoit par celle occupant ma place dans les aſſemblées, ſoit par la mere aux ſoins de laquelle vous êtes confiée, & qui eſt chargée de vous diriger dans la vie privée ; mais ſur-tout guerre vive & déclarée, guerre perpétuelle aux ennemis de notre culte, à ce ſexe volage, trompeur & perfide, ligué contre nous, travaillant ſans relâche à détruire notre établiſſement, ſoit à force ouverte, ſoit ſourdement, & dont les efforts & les ruſes ne peuvent être repouſſés que par le courage le plus intrépide, que par la vigilance la plus infatigable.

Au reſte, il ne ſuffit pas qu’un édifice ſoit établi ſur des fondemens ſolides & durables, qu’il ſoit écarté des élémens deſtructeurs, & défendu contre les dangers qui peuvent le menacer ; il faut encore qu’il offre aux regards de belles proportions, un accord, un enſemble, le grand mérite des chefs-d’œuvres d’architecture. Il en eſt de même de notre édifice moral : la tranquillité, l’union, la concorde, la paix en doivent faire le principal appui, l’éloge aux yeux des profanes ; qu’ils ne voient en nous que des ſœurs, ou plutôt, qu’ils y admirent une grande famille, où il n’y a d’autre hiérarchie que celle établie par la nature même pour ſa conſervation, & néceſſaire à ſon régime. La bienfaiſance envers tous les malheureux doit être une vertu découlant de nos mœurs douces & liantes, de notre cœur aimant par eſſence ; mais c’eſt à l’égard de nos conſœurs, de nos éleves, qu’elle doit ſe déployer. Communauté entiere de biens ; qu’on ne diſtingue pas la pauvre de la riche ; que celle-ci ſe plaiſe, au contraire, à faire oublier à celle-là qu’elle fut jamais dans l’indigence. Lorſqu’elle la produit dans le monde, qu’on la remarque à l’éclat de ſes vêtemens, à l’élégance de ſa parure, à l’abondance de ſes diamans & de ſes bijoux, à la beauté de ſes courſiers, à la rapidité de ſon char ; qu’en la voyant on la reconnoiſſe, on s’écrie : c’eſt une éleve de la ſecte anandrine ! voilà ce que c’eſt que de ſacrifier à Veſta ! c’eſt ainſi que vous en attirerez d’autres, que vous ferez germer dans le cœur de vos pareilles, qui l’admireront, le deſir, en l’imitant, de jouir de ſon ſort.

Ce zele expanſif pour la propagation du culte de la déeſſe, doit principalement dévorer une tribade véritable ; elle voudroit que tout ſon ſexe, ſi c’étoit poſſible, participât au même bonheur qu’elle ; du moins telles ſont toutes celles que j’enviſage ici, & dont une énumération rapide contribuera, ma chere fille, à votre édification, plus que tout ce que je pourrois ajouter ſur cette matiere.

Vous voyez d’abord deux femmes de qualité, philoſophes[11], s’arrachant à l’éclat & aux honneurs de la Cour, aux attraits plus enchanteurs des hautes ſciences, qu’elles cultivent avec tant de goût & de ſuccès, pour venir dans nos aſſemblées, imiter la ſimplicité de la colombe, cet oiſeau ſi cher à Venus, ſi ardent dans ſes combats.

A côté d’elles eſt la femme d’un magiſtrat, ſi-non célebre, au moins fameux, pendant pluſieurs années[12] ; mais qui, dédaignant de s’aſſocier à la renommée de ſon mari, s’arrachant aux careſſes conjugales, aux délices de la maternité, s’eſt élevée au-deſſus de tout reſpect humain, afin de ſe livrer, avec plus de recueillement & ſans relâche, au culte de notre ſociété & à ſes travaux.

Sa voiſine eſt une Marquiſe[13] adorable, luttant avec elle d’enthouſiaſme pour la ſecte anandrine ; bravant tous les préjugés, franchiſſant dans les brûlans accès de ſa nymphomanie, ce que les indévots à notre culte appellent toutes les bienſéances, toute honnêteté publique, toute pudeur ; comme le maître des dieux, ſubiſſant même quelquefois les métamorphoſes les plus obſcures[14] pour faire des proſélytes à la déeſſe.

Celle, dont le front eſt ceint d’une double couronne de myrthes & de lauriers, eſt la Melpomene moderne, l’honneur du théâtre françois[15], qui, depuis près de trois luſtres qu’elle s’en eſt retirée, y a laiſſé un vuide non encore rempli & peut-être irréparable. Aujourd’hui, chargée de l’inſtitution du fils d’un Souverain[16], elle voit à ſes pieds les Grands de cette Cour. Trop inſtruite par une longue expérience, par des maladies cruelles, du danger du commerce des hommes, elle en dédaigne & les hommages & les ſoupirs. Sous prétexte de former ſon pupille, elle partage ſon tems entre le ſéjour de la Germanie & de cette capitale : elle vient ſe délaſſer de ſes importantes occupations dans notre ſein, avec une ferveur toujours nouvelle.

Nous poſſédons encore ſa digne émule, la Melpomene de la ſcene lyrique[17] ; grande actrice, elle étoit en outre cantatrice délicieuſe ; elle nous paſſionnoit par les accens de ſa voix enchantereſſe : eſprit enjoué & malin, elle répand avec autant de facilité que de graces, les bons mots, les ſaillies, les ſarcasmes. Entourée de ce que la ville & la Cour avoient de plus ſéduiſant, elle a ſuccombé à ſon tour. Aujourd’hui c’eſt une brebis égarée, rentrée au bercail de la déeſſe : dans la maturité de l’âge, elle cherche à faire oublier les égaremens de ſa jeuneſſe.

Vous paſſerois-je ſous ſilence, illuſtre étrangere[18], & l’amitié qui nous lie m’empêcheroit-elle de vous rendre juſtice, de publier comment vous avez préféré aux bienfaits, à l’amour d’un Prince, frere d’un grand Roi[19] les affections plus douces & plus vives de votre ſexe ? Vous avez repouſſé ſes embraſſemens auguſtes pour mes embraſſemens.

Vous ne ſerez point oubliée, novice prématurée[20], qui profitant des grands exemples qui vous étoient offerts, avez marché à pas de géant dans la carriere, & avant l’âge avez mérité de monter au premier degré.

Je crois, ſans amour-propre, pouvoir me citer après tant d’autres, & ne ſeroit-ce pas faire injure au choix de l’aſſemblée, ſi, nommée par elle pour la préſider, je m’avouois ſans talent & ſans capacité ? On ſait le ſacrifice que je viens de faire tout récemment[21], pour me livrer toute entiere au penchant qui m’a toujours dominée, & dont je fais gloire.

Tels ſont, ma chere fille, les grands modeles que vous avez à imiter. Vous y ſerez encore mieux encouragée, quand je vous aurai fait la peinture des plaiſirs qu’on goûte dans notre ſociété.

Troisième Partie.

Par la malheureuſe condition de l’eſpece humaine, nos plaiſirs ſont pour l’ordinaire paſſagers & trompeurs : ils ſont au moins futiles, vains & courts. On les pourſuit, on les obtient avec peine, on en jouit avec inquiétude, & ils entrainent le plus ſouvent après eux des ſuites funeſtes. A ces caracteres on reconnoit principalement ceux que l’on goûte dans l’union des deux ſexes. Il n’en eſt pas de même des plaiſirs de femme à femme : ils ſont vrais, purs, durables & ſans remords. On ne peut nier qu’un penchant violent n’entraine un ſexe vers l’autre ; il eſt néceſſaire même à la réproduction des deux ; & ſans ce fatal inſtinct, quelle femme de ſang-froid pourroit ſe livrer à ce plaiſir, qui commence par la douleur, le ſang & le carnage ; qui eſt bientôt ſuivi des anxiétés, des dégoûts, des incommodités d’une groſſeſſe de neuf mois ; qui ſe termine enfin par un accouchement laborieux, dont les ſouffrances ſont la meſure, & le point de comparaiſon de celles dont on ne peut calculer ou exprimer l’excès ; qui vous tient pendant ſix ſemaines en danger de mort, & quelquefois eſt ſuivi, durant toute une longue vie, de maux cruels & incurables. Cela peut-il s’appeller jouir ? Eſt-ce là un plaiſir vrai ? Au contraire, dans l’intimité de femme à femme, nuls préliminaires effrayans & pénibles, tout eſt jouiſſance : chaque jour, chaque heure, chaque minute, cet attachement ſe renouvelle ſans inconvénient : ce ſont des flots d’amour, qui ſe ſuccedent comme ceux de l’onde, ſans jamais ſe tarir ; ou, s’il faut s’arrêter dans ce délicieux exercice, parce que tout a un terme, & qu’à la fin le phyſique ceſſe de répondre aux épanchemens de deux ames ſi étroitement unies, on ſe quitte à regret, on ſe recherche, on ſe retrouve, on recommence avec une ardeur nouvelle, loin d’être affoibli, irrité par l’inaction.

Les plaiſirs de femme à femme ſont non-ſeulement vrais, mais encore purs & ſans mêlange. Indépendamment des maux phyſiques, précédant, accompagnant & ſuivant les plaiſirs de cette eſpece entre homme & femme, d’où l’on peut leur refuſer juſtement la qualification de vrais, il eſt des maux que j’appelle moraux, parce qu’ils affectent l’ame ſpécialement, qu’ils troublent & empoiſonnent ces jouiſſances. Je ne parle pas des combats continuels impoſés dans nos mœurs à une jeune fille, pour recéler, diſſimuler ſa paſſion ; pour repouſſer les careſſes d’un homme aimable, qu’elle provoqueroit, qu’elle agaceroit, entre les bras de qui elle ſe précipiteroit ſi elle cédoit à l’impulſion de ſon cœur. Je ſuppoſe, ce qui n’arrive que trop frequemment, qu’elle ait ſuccombé ; la voilà dans les raviſſemens, dans les extaſes : ne faut-il pas qu’elle uſe de ſtratagême, afin d’éviter la fin même de la nature, la conception ? Si elle s’oublie une ſeconde, il eſt trop tard, elle porte dans ſon propre ſein le témoin de ſa faute, un accuſateur qui la confond. Que de ſoins, que d’inquiétudes, que de tourmens, ſi elle veut dérober ce fatal myſtere ! & faſſe le ciel, qu’afin d’éviter le déshonneur, elle ne ſoit pas forcée de recourir au plus affreux des crimes !

Je ſais que, dans l’hyménée, ces inconvéniens ſont ſupprimés ; mais il en entraîne d’autres : le plus grand & le plus inévitable, c’eſt le dégoût du mari. La facilité, la répétition de la jouiſſance de l’objet le plus enchanteur, raſſaſient l’homme à la longue, à plus forte raiſon quand il eſt époux, c’eſt-à-dire, attaché par un lien indiſſoluble, & que le plaiſir eſt pour lui un devoir. C’eſt ce qu’avouoit un de nos agréables[22] les plus vantés, qui croyoit ne perſiffler qu’en Petit-maître, & parloit en Philoſophe. Poſſeſſeur d’une femme, au printems de l’âge, réuſſiſſant tous les attraits, toutes les graces, tous les talens, toutes les vertus, lorſqu’on lui reprochoit de la délaiſſer pour des proſtituées, il répondoit : Rien de plus vrai ; mais elle eſt ma femme.

Sans doute il eſt des conſolateurs & des conſolations pour une pareille Ariadne. Les plaiſirs furtifs & défendus n’en ſont que plus attrayans ; encore faut-il que le mari ne ſoit pas un de ces eunuques au milieu du ſerrail, n’y faiſant rien & nuiſant à qui veut faire[23], que la jalouſie ne s’en mêle pas ; autrement c’eſt un enfer. Cette paſſion peut exiſter auſſi entre tribades : elle eſt même inſéparable de l’amour ; mais quelle différence, puiſqu’elle ne ſert chez nous qu’à l’aiguiſer, & tourne preſque toujours au profit de la jouiſſance ! Oui, c’eſt ce ſentiment qui donne à nos plaiſirs une ſolidité, une durée, dont ceux des hommes ne ſont pas ſuſceptibles.

En effet, imaginons la femme la plus chérie & la mieux fêtée de ſon époux ou plutôt de ſon amant ? A chaque careſſe qu’elle en reçoit, elle doit craindre que ce ne ſoit la derniere, au moins y eſt-elle un acheminement. Les baiſers décolorent le viſage, les attouchemens flétriſſent la gorge, le ventre perd ſon élaſticité par les groſſeſſes ; les charmes ſecrets ſe délabrent par l’enfantement. Par quelle reſſource la beauté ainſi dégénérée, rappellera-t-elle l’homme qui la fuit ? Je me trompe, il lui eſt toujours attaché : il n’a point ceſſé de l’aimer, le cœur brûle encore pour elle ; mais la nature s’y refuſe ; elle eſt dans la langueur, dans la froideur, dans l’engourdiſſement : tout l’hommage qu’il peut rendre à ſon amante, c’eſt de ne lui être point infidele, c’eſt de ne point chercher à retrouver ailleurs ſes facultés. Cruel état pour tous deux ! Perſpective affligeante pour l’amour-propre d’une femme, qui, ſeule, quand je ne connoîtrois pas les caprices, la fauſſeté, les trahiſons, les noirceurs des hommes, me feroit renoncer à jamais à leur commerce !

Chez les tribades, point de ces contradictions entre les ſentimens & les facultés : l’ame & le corps marchent enſemble ; l’une ne s’élance pas d’un côté, tandis que l’autre ſe porte ailleurs. La puiſſance ſuit toujours le deſir. De là, ſans doute, ſans approfondir davantage la cauſe de notre conſtance, recevant & donnant toujours du plaiſir, pourquoi changer ? Car, il faut l’avouer & être juſte, l’inconſtance découle de la conſtitution, de l’eſſence même de l’individu viril. Il eſt ſouvent néceſſité de quitter ; la diverſité des objets lui eſt d’une reſſource infinie : il double, il triple, il quadruple, il décuple ſes forces : il fait avec dix femmes ce qu’il lui ſeroit impoſſible de faire avec une. Cependant il foiblit inſenſiblement ; l’âge le mine & l’uſe. Il n’en eſt pas de même de la tribade, chez qui la nymphomanie s’accroît en vieilliſſant. C’eſt une fureur : elle devient alors de ſuccube, incube ; c’eſt-à-dire de patiente, agente. Elle monte au grade de mere, & forme une éleve à ſon tour. Ce choix mérite beaucoup de ſoin. Eſt-il fait, a-t-elle trouvé l’objet qui lui convient, cette autre moitié d’elle-même, à laquelle elle s’unit bientôt par ſympathie, elle ne l’abandonne plus ; elle veille ſur elle avec cette jalouſie douce & inquiete, que donne ordinairement la crainte de perdre un bien unique & précieux, & qui tient plutôt de la tendreſſe maternelle, que de cette paſſion effrénée des hommes. Auſſi ce ſentiment chez une tribade, bien loin d’éloigner d’elle ſon éleve, la lui attache de plus en plus & rend leur amour imperturbable. Mais des plaiſirs ainſi continués ſont encore ſans aucun remords, & c’eſt là le comble de la félicité. Comment en aurions-nous ? Le plaiſir de la tribaderie nous eſt inſpiré par la nature : il n’offenſe point les loix ; il eſt la ſauve-garde de la vertu des filles & des veuves ; il augmente nos charmes, il les entretient, il les conſerve, il en prolonge la durée ; il eſt la conſolation de notre vieilleſſe ; il ſeme enfin également de roſes ſans épines, & le commencement & le milieu & la fin de notre carriere. Quel autre plaiſir peut être aſſimilé à celui-là ? Hâtez-vous, ma chere fille, de le goûter ; puiſſiez-vous après l’avoir reçu longtems, long-tems le communiquer auſſi, & toujours répéter avec le même goût : Femmes ! conſervez-moi dans votre ſein : je ſuis digne de vous. „

Après le diſcours, la déeſſe remonta & diſparut ; l’on retira les poſtes, les gardiennes, les Thuriferes : on laiſſa s’éteindre le feu & l’on paſſa au banquet dans le veſtibule. Cependant les profanes ne pouvoient y venir pour ſervir, & ſon paſſoit les uſtenciles de table, les plats, les vins &c. par des tours où les novices les prenoient & faiſoient le ſervice. Au deſſert l’on but les vins les plus exquis, ſur-tout des vins grecs ; on chanta les chanſons les plus gaies & les plus voluptueuſes, la plupart tirées des opuſcules de Sapho ; enfin, quand toutes les tribades furent en humeur & ne purent plus ſe contenir, on rétablit les poſtes ; on ralluma le feu, & l’on paſſa dans le ſanctuaire pour en célébrer les grands myſteres & faire des libations à la déeſſe, c’eſt-à-dire qu’alors commença une véritable orgie…

Depuis près de quinze mois je réſidois dans la petite maiſon de Mad. de Furiel : j’y étois entretenue dans l’appareil du luxe le plus propre à ſatisfaire la vanité, ma paſſion favorite ; d’ailleurs, je nageois dans tous les délices, dans tous les plaiſirs : mon éducation étoit fort avancée, non-ſeulement par rapport aux premiers élémens, mais encore dans les arts d’agrément, Je ne parlois plus le langage du village ; je couſois, je brodois, je faiſois de la tapiſſerie, du filet ; je danſois avec grace, je chantois proprement ; je pinçois de la harpe. Ces occupations diverſifiées rempliſſoient mes loiſirs, & les jours couloient rapidement. Il ne me manquoit rien en apparence ; je me croyois la plus heureuſe des femmes, lorſqu’une aventure bizarre me fit connoître la félicité ſuprême, & me plongea bientôt dans un abyme de maux.

La fameuſe Bertin, marchande de modes de Mad. de Furiel, avoit ordre de me fournir tous les ajuſtemens de ſon reſſort, & notre correſpondance étoit fréquente. Une demoiſelle de boutique affidée, alloit & venoit entre nous. Celle-ci profitoit de ſes courſes, pour ſe rendre, à la dérobée, chez ſon amant : c’étoit un coëffeur, nommé Mille, très joli garçon, tout jeune, d’une taille moyenne, & qu’à ſa fraîcheur, à ſon coloris vermeil, on auroit pris volontiers pour une fille. Dans ſes viſites, il étoit naturel que ſa maîtreſſe l’entretînt de l’objet qui lui procuroit la félicité d’avoir avec lui des entrevues fréquentes : elle lui en parla ſi ſouvent, & avec tant d’éloges de ma figure & de mes charmes, qu’elle lui alluma l’imagination, & qu’il devint amoureux de moi ſur la ſeule deſcription. Sa paſſion ſe fortifia tellement, qu’il n’y put tenir, & réſolut de juger par lui-même de celle qu’il ne connoiſſoit encore qu’en idée. Il s’y prend adroitement : il fait porter ſa curioſité moins ſur moi que ſur ma façon d’être, que ſur le local que j’habitois : il propoſe à cette ouvriere, un jour qu’elle aura quelque mode à m’apporter, de le laiſſer ſe traveſtir ſous ſes habits, & de la lui confier. Sa maîtreſſe, bien fêtoyée juſques là, ne conçoit aucun ſoupçon, & dupe de cette tournure, elle y conſent. Quelques jours après, Mlle Bertin l’ayant chargée d’un chapeau pour moi, elle va trouver Mille, elle lui arrange ſa baigneuſe, ſon manteau de lit & tous les autres acceſſoires féminins néceſſaires à ſon déguiſement, puis il prend à deux mains le carton énorme qui contenoit le chapeau, & part, tandis qu’elle ſe met dans ſon lit pour l’attendre. Il arrive ; on l’introduit auprès de moi. A ſon aſpect : je témoigne ma ſurpriſe de voir un nouveau viſage. La prétendue fille de modes me répond que ſa camarade eſt malade & qu’elle eſt chargée de ſon département. Au ſurplus, elle ſe félicite de l’événement : elle a vu bien des dames, bien des demoiſelles, elle en voit tous les jours ; mais jamais rien d’auſſi charmant : c’eſt à juſte titre qu’on appelle le lieu où j’habite un temple, puiſque je ſuis une divinité. La louange eſt le poiſon de l’homme, à plus forte raiſon de la femme, & le mien par deſſus tout. Cette oraiſon, prononcée du ton affectueux d’une dévote qui ſeroit au pied de l’autel, me plut ſinguliérement. Je prenois du chocolat : j’ordonnai qu’on en apportât une ſeconde taſſe pour ſon déjeûner, & je me mis à cauſer avec l’ouvriere que je trouvois pleine d’eſprit & de ſenſibilité.

Dans le courant de la converſation elle me parla en ces termes :

„ Vous me paroiſſez, Mademoiſelle, jouir du ſort le plus fortuné, tel que vous le méritez ; cependant je trouve qu’il manque une choſe eſſentielle à votre félicité. Je ſuis fâchée de vous voir ſevrée du commerce des hommes. Aſſurément je n’aime point ce ſexe, je n’ai jamais eu la moindre intimité avec aucun être mâle ; je n’en ai nullement le goût, & je ne penſe pas qu’il me vienne ; mais on peut faire autre choſe que de coucher avec eux. Enfin, c’eſt la moitié du genre humain pour laquelle nous ſommes faites. Pourquoi vous priver de tant d’hommages que vous recevriez d’eux ? Votre amour propre ne ſeroit-il pas ſatisfait de voir à vos genoux tous ces roués aimables, dont abondent & la Cour & la ville ; de venger, par vos dédains, les autres femmes crédules dont ils abuſent tous les jours ? “ Et ſur ce que je lui répondis en riant qu’elle ne diſoit pas vrai, qu’elle m’avoit l’air d’une grande libertine. „ Non, continua t-elle, je vous parle comme ſi j’étois aux pieds de mon Confeſſeur, je n’ai point d’amant, je ſuis conformée même de façon à ne pouvoir guere goûter le commerce des femmes. Entre nous autres, nous n’avons rien de caché : ſi vous voulez, je vous montrerai quelque choſe de fort extraordinaire. Je ſouhaiterois bien que vous m’eſtimaſſiez digne d’être attachée à vous, ou comme ouvriere, ou comme coëffeuſe, ou comme femme de chambre : comptez que vous n’aurez jamais été ſi bien ſervie. „

Cette liberté, cette aiſance de la part d’une ſubalterne, que je voyois pour la premiere fois, qui m’auroient indignée peut-être contre une autre, me plurent dans celle-ci, ſans doute par une ſympathie ſecrete, dont je reſſentois déja les effets ſans en connoître la cauſe, ſurtout quand, s’approchant de moi, me prenant les mains, les careſſant, les baiſant, elle m’ajoute : „ Allons, laiſſez-vous toucher ; ſoyez ma petite maîtreſſe, ma ſouveraine ; recevez moi ſous votre loi ; “ je me ſentis dévorée d’un feu bien plus violent que tout ce que j’avois éprouvé juſqu’alors ; mais, ne paroiſſant encore que céder à la curioſité, je vais à la porte, je ferme le verrouil & lui dis en revenant : Voyons donc cette merveille, ce que vous ſavez faire. „ Elle joue un moment de timidité ; elle rappelle l’intervalle qu’il doit y avoir entre une ouvriere & moi ; elle s’étonne elle même de ſon effronterie : il ne faut l’attribuer qu’à l’excès de la paſſion que lui ont tout à coup inſpiré mes charmes : puis, bientôt devenue plus hardie, elle couvre ma gorge de ſes baiſers, prend ma main & la porte doucement à… „ Monſtre, m’écriai-je, tu es un homme, & je ſuis perdue. „ Cependant ma main, retenue par une force magnétique, ne lâchoit point priſe ; même pour arrêter la ſienne qui faiſoit des progrés & me rendoit les titillations raviſſantes que je procurois au téméraire, en ſorte que nous conſommâmes tous deux réciproquement notre ſacrifice enſemble, mais avec un tel ſpaſme de ma part, que j’en reſtai en ſyncope. Ayant bientôt repris ſa premiere vigueur, il profite de mon état pour entrer dans la route du vrai bonheur, & me livrer un aſſaut ſi terrible, que la douleur me rappella à la vie, J’allois crier, lorſque le plaiſir fait expirer ma plainte ſur mes levres. Quand, après pluſieurs extaſes répétées preſque coup ſur coup, j’eus le loiſir de me reconnoître & de parler, je voulus ſavoir à qui j’avois eu à faire, & comment il avoit ourdi cette intrigue. N’oſant m’avouer quel il étoit, Mille me fit une hiſtoire : il ſe dit fils de Mad. de Furiel. M’ayant apperçue pluſieurs fois dans le carroſſe de ſa mere aux boulevards & dans ſa loge aux ſpectacles, il s’eſt ſenti jaloux d’elle ; il eſt devenu amoureux fol de moi : ne ſachant ni comment m’entretenir, ni comment me voir, inſtruit de l’impoſſibilité de parvenir à moi ſous ſa forme ordinaire, il a imaginé de corrompre quelqu’une de mes ſurveillantes. Ayant encore échoué, il s’eſt retourné du côté des ouvrieres de mon ſervice, & il bénit l’amour de lui avoir ſuggéré ce ſtratagême qui lui a réuſſi complétement. Il eſtime toutefois prudent que l’agente de ſon ſuccès l’ignore : il va lui dire que j’ai été inexorable, & qu’il perd tout eſpoir. je dois, de mon côté, ne faire aucun reproche à la demoiſelle & garder le plus profond ſilence. Il va ſe faire faire des habits de femme, & il s’introduira déſormais de lui-même, aux heures & de la maniere que je lui indiquerai. Je ne puis qu’approuver ces ſages réſolutions, & je le quitte, non ſans lui témoigner mon deſir de le revoir bientôt.

Mon premier ſoin fut de prétexter une incommodité, afin de me ménager quelques jours de repos, & par des lotions doucement aſtringentes, de dérober à la connoiſſance de Mad. de Furiel les veſtiges des ravages que le monſtre m’avoit cauſés. A ce ſoin dut bientôt en ſuccéder un autre non moins eſſentiel : j’eus des vomiſſemens, des malaiſes, tous les ſimptômes de la groſſeſſe ; des ſuppreſſions ſur-tout, impoſſibles à cacher à mes femmes, qui en rendirent compte à Mad. de Furiel, & l’alarmerent ſur mon état : mais le plus difficile étoit de ſoutenir deux copulations, dont l’une m’étoit devenue également inſipide & fatigante, par les efforts de l’autre trop attrayante, à laquelle ſe livroient avec emportement toutes mes facultés. Vous concevez que ces divers incidens ne pouvoient que préparer une femme ſi clairvoyante, à la découverte d’un myſtere qui devoit éclater tôt ou tard.

De ſon côté, Mille, fort embaraſſé à ſon retour, de témoigner à ſa maîtreſſe ſa reconnoiſſance telle qu’il en avoit la coutume, & telle qu’elle l’attendoit, fut obligé d’avoir recours à quelque menſonge, & de la laiſſer ſortir du lit comme elle y étoit entrée. Elle ſe conſola dans l’eſpoir que cela iroit mieux une autre fois. Même anéantiſſement ; elle ne put plus douter de ſon refroidiſſement, & que ce refroidiſſement ne vînt de quelque autre allure. Il s’agit de la découvrir. Ses ſoupçons ne portoient nullement ſur moi, depuis ma réticence abſolue, d’après ce que lui avoit dit ſon amant, d’après la perſuaſion où elle étoit qu’il n’étoit venu chez moi qu’une fois & ſur-tout d’après le peu d’analogie qu’il devoit y avoir entre un coëffeur & une demoiſelle auſſi richement entretenue. Sans le hazard elle auroit donc été long-tems à eſpionner. Un matin qu’elle venoit m’apporter quelques modes, elle voit de loin ſortir une fille, reſſemblant beaucoup à Mille. Celui-ci ne pouvoit la diſtinguer dans ſa Théreſe. Elle veut s’éclaircir : elle ſuit par derriere la fille déguiſée ; elle ſe confirme dans ſon idée, lorſqu’elle la voit entrer dans la rue, dans la maiſon, dans la chambre de Mille. Elle frappe, on ne répond point ; elle regarde par le trou de la ſerrure, elle le voit occupé à ſe déshabiller. Elle frappe plus fort ; il répond qu’on attende un moment. Enfin il ouvre. Quelle ſurpriſe lorſqu’il trouve ſa maîtreſſe ! il rougit ; il lui demande excuſe ; mais il ne ſavoit qui c’étoit. Il ſort de ſon lit ; il a été incommodé toute la nuit ; il n’a eu que le tems de paſſer une robe de chambre. Elle n’eſt plus dupe de tous ſes menſonges, dont elle connoît la fauſſeté ; elle trouve d’abord ſur lui-même, ſur ſa chemiſe, des indices de ſon infidélité ; elle furete enſuite, & reproduit à ſes yeux l’habillement qu’il vient de quitter & dépoſant trop bien contre lui ; elle fait ſemblant encore d’ignorer d’où il ſort. Elle veut le ſavoir, elle ne lui accordera ſa grace qu’à ce prix. Toute cette recherche étoit accompagnée d’un torrent d’injures, d’invectives, de menaces qui effraient ; il avoue tout pour en être quitte. Elle n’a plus rien à apprendre, elle ſort redoublant de fureur, & lui ſouhaite, pour dernier adieu, que Mad. de Furiel inſtruite de ſa perfidie, lui en paie inceſſament le ſalaire, & le faſſe aſſommer dans les bras de ſa conquête. Elle ne s’en tient pas à ce pronoſtic ; ayant laiſſé à l’infidèle quelques jours de repentir, ſans qu’il en profite, elle ſe rend chez Mad. de Furiel, & l’inſtruit de ce qui ſe paſſe. Cette dénonciation, jointe à ce qui avoit précédé, eſt un coup de lumiere pour celle-ci, qui ne doute plus d’être ma dupe ; mais elle en veut acquérir la preuve plus certaine. Elle avoit eu ſoin de ſe faire donner le ſignalement le plus exact de ce garçon traveſti en fille. Elle s’en informe aux ſurveillantes, dont le rapport eſt parfaitement ſemblable. Elle donne ordre, la premiere fois que cette fille viendra, de la laiſſer paſſer ſans aucune difficulté ; mais de venir l’avertir ſur le champ. L’occaſion ne tarda pas à ſe préſenter d’obéir à Mad. de Furiel : on court l’inſtruire ; elle arrive. Nous étions enfermés dans mon boudoir ; elle en fait enfoncer les portes. Nous avions eu le tems de nous remettre en poſture décente ; mais trop d’indices nous trahiſſoient ; notre ſilence, notre ſtupeur ſur-tout, nous ne pouvions articuler une parole. Elle s’adreſſe à moi & s’écrie : „ Malheureuſe, voilà donc comme tu tiens tes engagemens, tes ſermens ? voilà comme tu reconnois mes ſoins, tu payes mes bienfaits, tu me rends amour pour amour ! ingrate, as-tu pu t’oublier à ce point ? Et dans quels lieux ? Dans des lieux où tout auroit dû te rappeller à la reconnoiſſance, & te reprocher ton crime ; où tu ne pouvois faire un pas, porter un regard, étendre ta main, au loin, de près autour de toi, ſur toi, ſans rencontrer des marques de ma foibleſſe & des preuves de ta perfidie ! Comment n’as-tu pas craint que cette ottomane même, théâtre infâme de tes plaiſirs, ne s’animât tout-à-coup, ne ſe ſoulevât d’indignation, pour rejeter de ſon ſein celle qui la ſouilloit, qui la preſſoit par une proſtitution abominable, dont jusques-là elle n’avoit jamais été le témoin & la complice ?… Au reſte, c’eſt ma faute. Que pouvois-je attendre d’une fille, née de la boue, dont l’ame auſſi baſſe que ſon origine, devoit néceſſairement s’en reſſentir. „ Alors elle ſe tut, oppreſſée par la vivacité de ſon apoſtrophe ; elle verſa des pleurs, non de tendreſſe, mais de déſeſpoir & de rage. Cependant j’étois revenue de ma premiere frayeur, & lui dis : „ Madame, je ne ferai point de menſonge ici. Je ne déſavouerai pas ma faute, trop prouvée, que vous appellez un crime, Si c’en eſt un, c’eſt celui de la nature, c’eſt le vôtre, vous ſavez par votre propre expérience, qu’on ne peut ſe ſouſtraire à ſon penchant, que les promeſſes ni les ſermens ne peuvent rien contre elle ; que tôt ou tard elle reprend ſon empire ; mais je me défendrai du crime plus réel d’ingratitude. Ce ſentiment n’eſt point dans mon cœur, il eſt loin de moi. Je ſuis pénétrée de vos bontés ; je m’en ſouviendrai toute ma vie ; je voudrois les payer de mon ſang, & ſi mes ſervices vous ſont agréables, je conſens à vous les rendre juſqu’à mon dernier ſoupir, à être votre eſclave : mais c’eſt tout ce que je puis faire, & je renonce autrement à tous vos bienfaits. Au ſurplus vous voyez que je n’ai point fait un choix indigne, & dont vous ayiez à rougir. C’eſt le ſort de mon ſang de s’enflammer pour vous : j’ai paſſé des bras de la mere dans ceux du fils… Mon fils ! qu’entends-je ? répond avec fureur Mad. de Furiel, jetant un regard terrible ſur Mille. Eſt-ce que le ſcélérat auroit eu l’impudence d’imaginer une pareille fable ? Mon fils ! un vil coëffeur… ! „ A ces mots Mille, ſentant qu’il n’y avoit plus à reculer, que tout le myſtere étoit dévoilé, ſans lui répondre, ſe précipite à mes genoux, convient de ſa ſupercherie, m’en demande pardon, la rejette ſur la crainte de me déplaire par un nom obſcur & ſa profeſſion d’artiſan ; cherche ſon excuſe dans ſon amour, & ſe croit pardonné puiſqu’il m’a plu. Frappée de cette découverte, je n’avois pas encore ouvert la bouche, mais mon ſilence ne pouvoit s’interprêter que favorablement. Mad. de Furiel, au comble de la rage, continue & termine de la ſorte : „ Je pourrois vous faire infliger ſur le champ la punition que vous méritez tous deux ; mais vous êtes des créatures trop mépriſables à mes yeux, pour que je m’abaiſſe à la vengeance. Qu’on la dépouille de tout ce qui m’appartient ; qu’on lui rende ſes habits de payſanne ; qu’on la mette à la porte avec ſon greluchon, & qu’elle aille bientôt obtenir ailleurs la correction réſervée à ſes pareilles. „ On exécute les ordres de ma bienfaitrice, je ne me déconcerte point, & d’un grand ſang-froid je prens Mille ſous le bras. „ Allons, mon ami, lui dis-je, je te pardonne ta ruſe & la perte de ma fortune ; tu as de quoi m’en dédommager ; tu vaux mieux que tout ce qu’on m’ôte. Sortons au plutôt de cette moderne Sodôme, avant que la foudre du ciel tombe & l’écraſe. „

Le coëffeur me conduit à ſon appartement ; il m’y recueille, il prend ſoin de moi. Cela va le mieux du monde pendant quelques jours, & peut-être aurions-nous vécu long-tems heureux enſemble, ſans la fille de mode, ſa premiere maîtreſſe. Outrée de perdre le fruit de ſa méchanceté, de voir qu’elle a tourné contre ſes propres vues, & au lieu de nous ſéparer, nous a réunis plus étroitement, ſa jalouſie s’accroît au point de venir ſouvent nous faire des ſcenes, des algarades qui alarmoient les voiſins de Mille. Ils me prennent pour une catin des rues ; ils en portent des plaintes au Commiſſaire, & une belle nuit on vient m’arracher du lit de mon amant, pour me conduire à Saint-Martin.

Je ne vous peindrai point en détail, cette priſon conſacrée aux femmes de mauvaiſe vie, ſéjour auſſi horrible que dégoûtant. Il ſuffira de vous la repréſenter comme la ſentine de tous les vices, le théâtre de toutes les impudicités, où ſe débitent toutes les ordures, toutes les groſſiéretés, tous les juremens, tous les blaſphêmes de la débauche la plus crapuleuſe, & par fois la plus énergique. Heureuſement ce n’eſt qu’un dépôt, un lieu de paſſage, pour aller à ce que nous appelions la grande maiſon, c’eſt à dire l’hôpital général. Il n’eſt ſans doute aucun de vous, Meſſieurs, qui n’ait lu le court & magnifique éloge qu’en fait Mad. Gourdan, dans le chef-d’œuvre d’éloquence érotique qu’on a jugé digne d’être tranſmis à la poſtérité : il faut toutefois beaucoup rabattre de ſon enthouſiaſme. Ce lieu de correction, quoi qu’elle en diſe, tout auſſi abominable que le premier, ne ſeroit pas moins ſuſceptible de corruption & au phyſique & au moral, ſi d’une part, il n’étoit plus vaſte & plus aéré, & ſi, de l’autre, un Miniſtre patriote n’avoit imaginé, d’appliquer au travail tant de mains criminelles, & en préſervant de l’oiſiveté ces malheureuſes captives, de faire tourner à l’avantage commun leur punition. Le Lieutenant général de police actuel, non moins homme d’Etat, a perfectionné ce plan que M. de Malesherbes n’avoit pu qu’ébaucher, & les ſalles immenſes de l’hôpital, dont l’air peſtilentiel eût autrefois corrompu la vertu la plus pure, ſi elle y fût entrée, ſont devenues ; des laboratoires, ſinon édifians, au moins utiles. Au reſte, comme j’étois groſſe, ainſi que j’en fis la déclaration, qu’il fut aiſé de vérifier, on me mit dans un quartier ſéparé. J’y fus traitée fort doucement ; j’y accouchai ; l’on me ſoigna très-bien juſqu’à mon parfait rétabliſſement, & l’on me renvoya : en ſorte que je ſortis heureuſement de cette priſon, preſque ſans la connoître que par oui-dire, Mais je n’avois pas le ſol ; je n’avois point de hardes, rien à mettre en gages pour faire de l’argent, & je ne ſavois où donner de la tête, ſur-tout quand après avoir été chez Mille, j’appris que, tourmenté par ſa mégere, & pour ſe ſouſtraire à ſes perſécutions, il s’étoit engagé avec un Seigneur étranger, & étoit parti pour la Ruſſie. Il avoit vendu tous ſes effets & les miens ; il n’avoit pas daigné me donner le moindre ſecours, s’informer de moi, & m’avoit laiſſée dans le dénuement le plus abſolu. Je compris alors, mais trop tard, la vérité de ce que m’avoit dit ma bienfaitrice, de la légéreté, de l’inconſtance, de la perfidie, de la ſcélérateſſe des hommes ; je réſolus bien de ne m’attacher à aucun de ma vie. Cependant il falloit exiſter, & je ne vis d’autre reſſource que d’aller demander un aſyle à Mad. Gourdan. Je ne connoiſſois guere encore Paris ; je ne ſavois point la demeure ni la rue de cette femme célebre ; mais je m’imaginois que tout le monde devoit le ſavoir, & j’interrogeois tous les paſſans. Les uns ne me répondoient point, d’autres me rioient au nez ; les dévotes faiſoient des ſignes de croix. Une d’elles, après cette ſimagrée, m’enviſage, me prend la main & me dit „ Mon enfant, vous n’êtes pas faite pour aller là. J’ai pitié de votre ingénuité, béniſſez la providence, & remettez vous en mes mains. Je vous placerai mieux qu’en pareil lieu. Venez chez moi d’abord, & faites moi votre confeſſion. „ Je la ſuivis non loin d’ici, dans la rue du Bacq, près des miſſions étrangeres, où étoit ſon domicile. Je ſuis naturellement franche ; d’ailleurs je n’avois point eu le tems d’arranger une hiſtoire ; j’étois preſſée par le beſoin. Je pris confiance en cette femme, & lui racontai de point en point tout ce qui m’étoit arrivé, dont au fond je n’avois nullement à rougir, puiſque j’avois été entraînée dans mes divers déréglemens par une fatalité preſque inévitable. De ſon côté, elle avoit des raiſons pour être indulgente, & ne voyoit pas avec peine, par tout ce que je lui apprenois, que je n’en étois que plus propre à la deſtination qu’elle vouloit me donner.

Elle me dit à ſon tour, qu’elle s’appelloit Mad. Richard ; qu’elle étoit veuve & ſans enfans, que ſon époux avoit été loueur de chaiſes à l’égliſe des miſſions étrangeres, d’où elle avoit eu occaſion d’aller dans la maiſon, de faire connoiſſance avec ces Meſſieurs ; que, pour mieux s’inſinuer auprès d’eux, elle avoit pris le parti de jouer le rôle de dévote ; qu’elle s’étoit attachée à l’un de ces gros bonnets & étoit devenue ſa pénitente ; qu’ayant eſſayé dans une confeſſion, d’éprouver ce que la chair pourroit ſur lui, ſous prétexte de lui expoſer ſes ſcrupules de la maniere dont ſon mari opéroit l’œuvre avec elle, c’étoit avec une vraie ſatisfaction qu’elle avoit reconnu qu’il n’étoit pas inſenſible ; ce qui l’encouragea, quoiqu’il l’eût beaucoup grondée cette fois, & lui eût enjoint d’être déſormais plus réſervée & d’abréger pareils détails, à redoubler la ſeconde fois de laſciveté dans ſa deſcription. Celle-ci, plus adroite, rouloit ſur une infidélité commiſe envers ſon mari, en cédant enfin aux inſtances d’un galant, dont les ſéductions, l’avoient fait ſuccomber. Elle s’apperçut que ce péché ne déplaiſoit point tant au grave perſonnage, dans le cœur duquel ſe gliſſoit déja, malgré lui, l’eſpoir d’être quelque jour auſſi heureux ; il la réprimanda pourtant encore, mais avec moins de ſévérité, l’appellant ſa chere pénitente, & l’exhortant à venir ſouvent au tribunal de la pénitence, pour extirper ce malheureux penchant, qui l’entraînoit vers l’homme. Après avoir, par ces heureuſes tentatives, ébranlé la vertu du miniſtre de Jeſus-Chriſt, elle réſolut de lui porter le dernier coup. Il s’agit d’un ſonge voluptueux. Ce n’eſt plus une fornication, un ſimple adultere, c’eſt un ſacrilege, un inceſte ſpirituel ; avec un Prêtre, avec un Religieux, avec ſon… elle n’oſe achever, tant elle eſt effrayée de l’énormité de ſon crime, quoiqu’il n’ait point été réaliſé & n’ait eu lieu qu’en rêve. Pour le coup, il oublie ſon rôle, ou plutôt il en uſe dans toute ſon étendue ; il veut ſavoir avec qui ; il la preſſe, il lui ordonne de la part de Dieu, qu’il repréſente, de de n’avoir rien de caché. Enfin elle ſe rend à la volonté du ciel… C’eſt avec ſon confeſſeur qu’elle croyoit être couchée, c’eſt avec lui… Cet aveu étoit trop artificieuſement préparé pour ne pas produire ſon effet. Il jette le trouble tout à-la-fois dans le cœur & l’ame du directeur ; il en perd la tête ; il balbutie, il ne ſait ce qu’il dit, ni ce qu’il fait ; la chair ſe révolte avec une impétuoſité qu’il n’avoit pas encore éprouvée, il cherche machinalement à la dompter, il s’agite, il tombe dans une frénéſie délicieuſe ; ſa chair ſe tait, mais il rougit de ſa victoire ; il n’a rien de plus preſſé que de ſe débarraſſer de la pénitente par une prompte abſolution, & d’aller enſevelir ſa honte dans ſa cellule.

Celle-ci n’avoit rien perdu de ce qui ſe paſſoit : elle conçoit qu’il ne s’agit plus que de faire naître l’occaſion d’un tête à tête avec lui, pour compléter ſa ſéduction ; qu’il faut profiter du moment où ſon imagination eſt exaltée. Elle prétexte une maladie. On étoit dans la quinzaine de Pâques : elle envoie ſon mari prier ſon Confeſſeur de vouloir bien venir l’entendre. Il arrive en diligence ; elle étoit au lit, dans une grande propreté. Il l’interroge avec un vif intérêt ſur ſon état. Elle n’en ſait rien elle-même : ce ſont des vapeurs, c’eſt une mélancolie profonde, une langueur générale, ou plutôt c’eſt un feu ſecret & dévorant. Ce n’eſt plus un ſonge, c’eſt une réalité continue : elle eſt atteinte d’une paſſion violente, qu’elle combat en vain, & cependant paſſion d’autant plus folle, que, dans le cas même où la grace l’abandonneroit, où le démon l’emporteroit, ce ſeroit ſans eſpoir de retour de la part de celui qui en eſt l’objet ; perſonnage grave, éminent en vertu, & qui ne daigneroit pas jeter les yeux ſur elle. Elle ſe retourne en même tems ; elle offre à ce témoin, qui ne perdoit rien, une gorge raviſſante & qu’elle a en effet aſſez belle, puis le regardant avec tendreſſe, elle continue ; „ Oui, vous voyez en moi, mon Pere, la plus coupable des péchereſſes : c’eſt au tribunal de la pénitence même, c’eſt en dépoſant mes iniquités, que je m’en couvrois de nouveau, que je puiſois un amour ſacrilege inceſtueux. Ah ! que ne puis-je quitter les habits de mon ſexe, prendre un habit religieux, aller vivre auprès de lui, le ſervir & ne le point quitter, & repaître au moins ſans ceſſe mes regards du plaiſir de contempler ſa face vénérable : car il a l’air majeſtueux comme vous, le regard benin & doux, la voix onctueuſe & touchante ; je crois le voir & l’entendre…, Malheureuſe ! qu’ai-je dit ! Hélas ! vous ſeriez inexorable comme lui… „ La déclaration de Phedre n’étoit pas plus directe & plus preſſante ; celle-ci fut plus heureuſe… „ Tu l’emportes, ma Richard, s’écrie le ſaint homme ; tu triomphes de cinquante ans d’auſtérités & de vertu… Tu me damnes ; mais quoi ! n’éprouvé-je pas depuis que je te connois, des maux au deſſus de ceux qu’on reſſent en enfer ? ne peux-tu pas me faire goûter des plaiſirs au deſſus des béatitudes du paradis ; ou plutôt, n’eſt ce pas l’être ſuprême qui manifeſte ici ſa volonté ? N’eſt-ce pas lui qui nous a donné cette ſympathie mutuelle, qui nous eſt venue ſans nous, que nous avons en vain combattue, & ſupérieure à tous nos efforts ? Sans doute il ne nous punira pas de ſon propre ouvrage. C’eſt lui qui parle ; ſes voies ſont impénétrables ; livrons-nous à ſon inſpiration, reçois-moi dans tes bras ; que je te rende & la ſanté & la vie ; uſe de ce remede ſans remords. Va ! le ſcandale eſt le ſeul mal de ces ſortes d’unions : qu’un voile impénétrable dérobe la nôtre aux profanes & aux jaloux ! „ A ces mots il ſe rue ſur elle avec une fureur indicible. Elle lui rend juſtice ; elle croit avoir eu ſon pucelage ; il ſembloit abſolument neuf au commerce des femmes, & n’en avoit la théorie que par ce qu’il en avoit appris en confeſſion ou dans les caſuiſtes. Elle fut obligée de le mettre dans la route du bonheur ; mais auſſi, quand il y fut, quelle extaſe, quel raviſſement ! il avoit cinquante ans de moins : il réitera pluſieurs fois, dans la même journée. Le lendemain, le ſurlendemain il la confeſſa encore.

Ce commerce duroit depuis près d’un mois, & ſon talent ne décroiſſoit point : elle ne ſait s’il prenoit dans ſes alimens de quoi le ſoutenir ; c’eſt très-vraiſemblable. Quoi qu’il en ſoit, cela ne pouvoit durer : une fievre inflammatoire s’empara de ce vieillard, & il ſuccomba en peu de jours. Elle devint en même tems veuve de deux manieres. Son mari qui étoit ivrogne, ſe caſſa la tête en revenant de la guinguette, & la débarraſſa de lui ; mais le ſaint homme lui manquoit. Il avoit de bons bénéfices, & elle en auroit pu tirer parti. Elle n’en eut pas le tems. Elle étoit de nouveau intriguée ſur quel autre Confeſſeur jeter ſon plomb pour le remplacer, lorſque la providence vint à ſon ſecours.

Un jour elle voit entrer dans ſa chambre un confrere du défunt, un grand chapeau, c’eſt-à-dire, un béat dans toute la force du terme, qui étoit chargé des conſciences & des aumônes de la plupart des dévotes, de haut parage du quartier. Elle le connoiſſoit de vue : elle lui avoit même parlé quelquefois par occaſion ; mais il lui avoit toujours déplu par ſon extérieur. C’étoit un échalas ; maigre, ſans contenance, d’une figure blême, have, pénitente, qui la repouſſoit. Il étoit l’ami du défunt : il avoit reçu ſes derniers ſoupirs & ſes remords en confeſſion, ce qui lui avoit donné une connoiſſance détaillée de ſon intrigue avec Mad. Richard, & fait naître le deſir d’en tirer parti ; mais, afin de ne pas ſe compromettre, & de ſonder avant le terrein à ſon aiſe, il avoit pris une tournure très-honnête. Il lui forge une hiſtoire ainſi qu’il lui a depuis avoué : il ſuppoſe que ſon confrere a fait un teſtament, par lequel il laiſſe tout ſon bien à la maiſon ; mais à la charge de quelques legs particuliers, entre autres de vingt-cinq louis en faveur de Mad. Richard, pour raccommodage de ſes colliers, ſurplis ; & en même tems le caffard étale un rouleau d’or ſur la table. L’effroi qu’il lui avoit inſpiré par ſa préſence, ſe calme à cet aſpect : : bientôt ils entrent en pourparler, ils s’arrangent, & le défunt eſt oublié. Les aumônes des Ducheſſes pleuvent en abondance chez la loueuſe de chaiſes, qui s’arrondit à merveille.

La maiſon des Miſſions étrangeres, dont les chefs, répandus chez les grands Seigneurs du faubourg Saint-Germain, ne laiſſent pas que d’avoir un certain crédit par les femmes ſous leur direction & par leurs entours, eſt ſujette à une circulation continuelle de prédicateurs, d’écrivains eccléſiaſtiques, de jeunes Abbés de condition, de gros bénéficiers, d’Evêques. L’hypocrite connoît beaucoup de ces derniers. C’eſt un intrigant adroit, qui, dans ſa ſphere obſcure, ne pouvant pas jouer un rôle par lui-même, a l’amour propre de ſe rendre néceſſaire à ces Meſſieurs : il leur procure au beſoin des Sermons, des Mandemens, des Grands-vicaires, des Bénéfices & même des filles, quand il les connoît à fond, & en eſt bien ſûr. C’eſt Mad. Richard qui a ce département. Elle me dit qu’elle ſeroit peut-être bien-tôt chargée de pourvoir de maîtreſſe en regle un Prélat : qu’elle avoit jeté les yeux ſur moi ; mais qu’auparavant il falloit connoître mon ſavoir-faire, ou me donner des inſtructions ; que d’ailleurs elle étoit ſurchargée de fatigue, depuis la perte d’une éleve que lui avoit enlevé un jeune égrillard, & qu’elle avoit beſoin que je la ſecondaſſe juſqu’à ce que je fuſſe mieux placée. Entrant alors dans une petite diſſertation ſur notre état, dont les principes ſolides & les vues fines ne m’ont point échappé, elle me dit :

„ Ne croyez pas qu’il faille traiter notre métier avec les dévots comme avec les gens du monde. A l’exception des vieillards & des libertins trop uſés, il faut infiniment plus d’art & de talent auprès des premiers qu’auprès de ceux-ci, chez qui la paſſion, ou le goût au moins, précede pour l’ordinaire la jouiſſance, la rend plus délicieuſe & en fait preſque tous les frais. Il n’en eſt pas de même d’un caffard, paillard honteux, à qui chaque perſonne du ſexe offerte ſucceſſivement à ſes regards, plaît tour-à-tour, parce qu’il n’en eſt aucune qui n’éveille ſes ſens : la circonſtance ſeule détermine ſes approches ; mais ce n’eſt qu’en couchant avec lui qu’une courtiſanne experte peut lui faire naître le deſir d’y coucher encore, ſe l’attacher & le fixer. Il faut pendant les courts momens qu’elle le poſſede, qu’elle lui enflamme l’imagination pour les longs intervalles de l’abſence, & que, toujours préſente devant lui par le ſouvenir des plaiſirs qu’elle lui a fait goûter, il en appete de nouveaux & déſeſpere d’en rencontrer ailleurs de ſemblables. Au contraire, dans la ſociété, une femme qui a rendu un cavalier amoureux d’elle, qui peut ne le pas quitter, le voit ſans ceſſe, a mille moyens de ſoutenir & perpétuer la ſéduction ; ſoit en prenant un aſcendant impérieux ſur ſon eſclave, qui lui ôte toute faculté, toute volonté ; ſoit en l’écartant adroitement des lieux ou des objets qui pourroient le faire changer ; ſoit en lui procurant des jouiſſances étrangeres, qui l’occupent & le diſtraient, juſqu’à ce que l’appétit charnel le rappelle véritablement dans ſon ſein. Obſervons en outre, que les dévots, les Prêtres, les Cénobites, les Princes de l’Egliſe, travaillés du démon de la chair, ſont plutôt vieillis & épuiſés que les gens du monde ; ce qu’on attribue à leurs macérations, & ce qui eſt la ſuite du fréquent uſage de l’onaniſme, auquel ils ſont ſujets, faute de femmes, ou crainte de ſe compromettre. Cet exercice ſolitaire, par la facilité de s’y livrer, tourne bientôt en habitude : il devient un beſoin ; mais, au grand détriment de l’individu, puiſqu’un ſeul acte lui cauſe plus de déperdition de ſubſtance, que pluſieurs jouiſſances partagées. Auſſi l’onaniſte, tranſporté dans les bras d’une femme, eſt-il fort difficile à amuſer. Accoutumé à toutes les gradations, toutes les nuances du plaiſir, qu’il prend, qu’il diverſifie, file, ſuſpend ou précipite à ſon gré, il lui faut une prêtreſſe, s’oubliant elle-même, ſe modifiant comme ſa victime, il faut qu’elle étudie & devine, pour ainſi dire, chaque perception voluptueuſe de ſon ame : qu’elle ſuive la lubricité de ſes mouvemens, feigne d’en recevoir l’extaſe quelle lui procure, & de ſacrifier avec lui.

„ Cet art, ſi raffiné chez les anciens, à ce que j’ai appris d’un ſavant clerc, membre de l’Académie des Belles-Lettres, auquel j’ai eu affaire, & perdu ou du moins dégradé durant le tems d’ignorance & de barbarie, devient en vogue plus que jamais dans ce ſiecle de lumiere & de philoſophie. Non moins de quarante mille impures l’exercent dans la capitale ; mais parmi ce nombre il en eſt peu qui ſe diſtinguent : depuis un demi-ſiecle on n’en compte guere que quatre parvenues à une certaine célébrité ; la Florence & la Paris, qui mortes, depuis pluſieurs années, vivent encore par leur renommée, & la Gourdan & la Briſſon, qui profeſſent aujourd’hui cet art avec beaucoup d’éclat, qui voient paſſer ſucceſſivement chez elles preſque tout Paris, depuis le courtaut de boutique juſqu’au Prince du ſang, & depuis le frere quêteur des Capucins juſqu’à l’Eminence la plus circonſpecte. „

„ La manueliſation, aidée ou réciproque, eſt ſur-tout à l’uſage des perſonnes graves, que vous verrez ici. Obligés d’envelopper leurs foibleſſes du plus profond myſtere, ils craignent qu’un enfant mal-adroitement jeté en moule, ou quelque maladie honteuſe, dont les ſymptômes ne peuvent guere ſe cacher, ne les décélent. Cette derniere conſidération détermine à uſer de la même recette beaucoup de ſéculiers, perſuadés que le mal ſyphilitique ne ſe gagne que par le contact vénéneux des parties, organes de la génération. „

„ Le cours de tribaderie que vous avez fait, ma chere Sapho, vous a ſans doute rendue très-propre à l’autre exercice, lorsque vous en aurez reçu les documens ; car vous ne pouvez en avoir acquis beaucoup avec un jeune amant fougueux, ne recherchant qu’une jouiſſance rapide, toujours ardent à la concluſion, parce qu’il étoit toujours prêt à recommencer. Vous aurez affaire ici à des hommes d’âge mur, chez qui le grand feu du tempérament ſe trouve amorti, & l’imagination doit ſuppléer aux facultés. „

„ Il faut d’abord vous apprendre la langue du métier, dont l’uſage nous eſt indiſpenſable. & de la plus grande importance. Le terme propre, placé à propos, produit ſouvent plus d’effet, frappe, émeut, éguillone plus vivement les ſens, que l’image galante, qu’y ſubſtitue, par une longue circonlocution, une belle parleuſe. Je vous donnerai enſuite la définition de chaque mot que vous n’entendez pas, & enfin, je vous indiquerai l’application de diverſes pratiques de notre état. „

Je ne transcrirai point le dictionnaire de mots abſolument nouveaux pour moi que Mad. Richard me fit apprendre par cœur ; ils étoient accompagnés de commentaires ſi obſcènes, que je les ſupprime en entier, faute de pouvoir les rendre ſupportables. Tous ces détails peuvent être excellens dans la chaleur de la débauche, mais deviennent inſipides & dégoûtans dans le ſang-froid de la narration. Je paſſe à la péroraiſon de la harangue de Mad. Richard.

„ Au reſte, une légere pratique vous rendra bientôt plus habile que le plus long catéchiſme. Il en eſt de notre métier comme de certains jeux de cartes, dont il faut ſavoir les regles générales ; mais auxquelles on déroge ſouvent ; au Reverſis, au Wisk, au Trois-ſept : c’eſt ſur le tapis qu’on apprend ce qu’il faut faire. La maniere de jouer des adverſaires, détermine celle dont on doit uſer. Il en eſt de même du putaniſme ; (car pourquoi rougir de nommer une profeſſion qu’on ne rougit pas d’exercer) c’eſt l’âge, le caractere, le goût d’un amant, qui doivent décider de la nature du plaiſir à lui procurer. Il faut être très complaiſante avec certains hommes ; d’autres, pour entrer en humeur, exigent de l’impétuoſité, de l’emportement, de la fureur : il en eſt avec qui l’on doit affecter de la réſerve, de la pruderie : ceux-là veulent du tendre, & ſe plaiſent à filer le ſentiment ; ceux-ci aiment qu’une pute ſe montre telle qu’elle eſt, & faſſe ſon métier franchement.

Après ſon inſtruction, Mad. Richard m’ajouta. „ Ce qui doit vous donner quelque confiance en mes diſcours, ou plutôt vous convaincre de l’excellence de mes préceptes, c’eſt ce que vous me voyez. Aſſurément je ne ſuis rien moins que jeune ; mon embonpoint ſeulement empêche mes rides de paroître & en cache quelques-unes. Je n’ai jamais été jolie : j’ai le front gravé de petite vérole, je n’ai nulle nobleſſe dans la figure ou dans la taille ; j’ai la jambe groſſe, le bras & la main mal ; je n’ai pour moi que trois choſes, la gorge encore aſſez ferme, une bouche aſſez bien meublée, & des yeux très-luxurieux. Je ne pourrois entrer d’aucune maniere en parallele avec vous ; j’aurois l’air de votre mere ; & cependant, de la plupart de ceux qui viennent ici, ſur-tout des gens mûrs, ayant, ce ſemble, plus beſoin que d’autres d’être excités par les graces de la figure & par la fraîcheur de la jeuneſſe, il y en a peu, qui ne me préféraſſent. Dès ce ſoir ; ſi vous voulez, vous en aurez l’expérience. „ En effet, ſur la brune, l’on frappe à la porte. J’y cours ; j’ouvre. J’apperçois un vieux caffard : d’abord décontenancé à ma vue, il baiſſe les yeux, & d’un ton benin me demande ſi Mad. Richard y eſt. Sur ma réponſe, il entre ; & ſuivant le mot du guet, il parle de ſes collets, de ſes ſurplis, de ſes aubes. MMad. Richard l’ayant raſſuré, nous nous aſſeyons & il cauſe ; puis bientôt il lui dit à l’oreille que je ne lui conviens pas. Elle me fait ſigne, & je ſors, ou plutôt, ſuivant notre convention, je fais ſemblant de ſortir, & me gliſſe dans un petit cabinet, d’où je pouvois voir tout leur manege, & prendre une leçon dont les poſtures de l’Arétin ne donnent pas d’idée.

Le béat me croyant partie, j’entends qu’il confirme à Madame Richard ce que le geſte de celle-ci m’avoit indiqué ; c’eſt que je ne lui inſpire rien ; c’eſt qu’il la préfere à toutes les beautés les plus raviſſantes, parce qu’elle ſeule a le talent de le ranimer, de lui faire ſentir ſon exiſtence, de le rendre encore homme. Il s’exprimoit dans d’autres termes que ceux-ci. Imaginez-vous le langage du libertin de corps de garde le plus déterminé ! Quel contraſte avec l’air hypocrite ſous lequel il s’étoit préſenté ! Cependant ſa divinité, non moins riche en expreſſions ſonores, quelle articule d’un ton ferme & véhément, après l’avoir excité par ce préambule, auquel elle méloit les premieres embraſſades, les careſſes préliminaires, lui ordonne de ſe déshabiller. Elle ſe met nue en même tems, puis ouvre une armoire, d’où elle tire une double cuiraſſe de crin, parſemée en dedans d’une infinité de petites pointes de fer arrondies par le bout : elle le revêt ſur la poitrine & ſur le dos de cet inſtrument de pénitente, converti en inſtrument de luxure. Elle en attache les deux parties de chaque côté, par des cordons du même tiſſu ; puis elle adapte à celle qui couvre l’eſtomac, une chaîne de fer, qu’elle paſſe ſous les teſticules, qui ſe trouvent ſoutenus par une eſpece de bourſe occupant le milieu de la chaîne. Cette bourſe eſt de crin encore, mais à claire-voie, de maniere à ne point empêcher les attouchemens de ſa main ſur ces ſources du plaiſir. Quant à la chaîne, elle vient ſe rattacher de l’autre part. Enfin elle lui met à chaque poignet un bracelet du même genre que la cuiraſſe. Je ne connoiſſois point cet appareil, & je n’en aurois jamais ſoupçonné l’effet. Je n’en pus douter quand je vis ce Prêtre paillard ainſi armé entrer en érection, quoique foiblement. Alors Mad. Richard prend des verges, & le flagellant d’importance ſur les cuiſſes, ſur les feſſes & ſur les reins, lui fait faire pluſieurs fois le tour de la chambre ; à chaque pas qu’il fait, ſon ſang, agité par les frottemens de la cuiraſſe, ſe porte aux parties de la génération & le diſpoſe à l’œuvre de la chair : cependant il n’en a point encore aſſez ; & comme ſœur Félicité & ſœur Rachel, ces fameuſes convulſionnaires, qui, lorſqu’on les aſſommoit de coups de buche, n’en recevoient jamais trop, il en demande encore davantage, & palpe avec tranſport, dans ſa lubricité, tout ce que lui préſente la vaſte corpulence de Mad. Richard. Celle-ci, par ce puiſſant exercice, après avoir ſuffiſamment aiguillonné la chair chez le reſſuſcité qui commence du moins à donner ſigne de vie, ſe couche ſur ſon lit avec lui. Du bout des doigts lui titille légérement les tetons, dont les boutons paſſoient au travers des œilleres pratiquées exprès dans la cuiraſſe : elle y porte enſuite l’extrêmité de la langue, avec un prurit infiniment voluptueux. Il n’eſt point d’engourdiſſement qui tienne à de ſemblables careſſes, & ſans toucher aux parties de la génération, ce que l’on évite avec le plus grand ſoin, elles prennent enfin une telle vigueur, un deſir ſi violent du coït, qu’il faut y ſatisfaire ou y ſuppléer en provoquant la nature par les frottemens différens, ſuivant le genre de plaiſir que cherche le Miché[24] Celui-ci aimoit la jouiſſance complette ; mais il étoit jaloux de la réciprocité : il vouloit connoître par lui-même s’il avoit le bonheur d’exciter quelque émotion. Il falloit que Mad. Richard, accoutumée à cette fantaiſie, jouât la comédie, qu’elle pouſſât des ſoupirs, l’interpellât par des exclamations amoureuſes, en un mot parût appéter auſſi ardemment que lui. C’étoit un corps vivant accouplé à un cadavre : n’importe, elle ſe contrefaiſoit à merveille, & parut s’épancher en même tems avec une luxure incroyable & qu’elle étoit bien éloignée d’éprouver. Nous en rîmes bien quand nous nous retrouvâmes ſeules enſemble. Au ſurplus, à bon entendeur, il ne faut que demi mot : cette leçon m’en valut cent, & mon inſtitutrice eut bientôt lieu de connoître mon ſavoir-faire & d’en être ſurpriſe. Parfaitement convaincue que je ne pourrois que lui faire honneur, Mad. Richard, n’héſite point à me montrer au Prélat auquel elle me deſtinoit : bien plus, ce qui eſt fort rare en pareil cas, très perſuadée que la jouiſſance ne contribuera qu’à m’attacher davantage Sa Grandeur, elle lui propoſe un eſſai. Il en eſt ſi content, ſi enchanté, qu’il ſe détermine à m’entretenir ; il ne ſe flattoit pas de trouver dans le même objet tant de jeuneſſe & de charmes réunis à des talens auſſi conſommés dans l’art des voluptés. Il donne un gros pot de vin à l’entremetteuſe, il s’empare de moi & me met ſous la clef ; le terme n’eſt pas trop fort : il étoit jaloux comme un tigre. Il me logea dans une petite maiſon du fauxbourg Saint-Marceau, qui étoit une miniature, extrêmement bien meublée, mais tout-à-fait écartée, uniquement entourée de jardins & de couvens. Il rempliſſoit par-là ſon double objet, & de me ſouſtraire au commerce & aux regards, pour ainſi dire, de tous les humains, & de ſe ménager la facilité de s’introduire chez moi ſans ſcandale & ſans bruit, à telle heure & comme bon lui ſembleroit. En outre, il ne vouloit point que j’euſſe auprès de ma perſonne de domeſtique, mâle ſur-tout : une coëffeuſe à mes ordres, tous les matins, ajuſtoit mes cheveux & me ſervoit de femme de chambre. Une vieille venoit faire mon ménage, mettre mon pot au feu & s’en alloit l’après-diner : elle ne revenoit que le ſoir très-tard, à l’heure indiquée, lorſque Monſeigneur ne couchoit pas avec moi, parce que je lui avois déclaré que j’aurois trop peur, que je ne pouvois ainſi paſſer la nuit toute ſeule dans une maiſon. Je me trouvois donc dans une captivité infiniment plus gênante que celle où m’avoit tenue Mad. de Furiel, & je doute que j’euſſe pu ſupporter long-tems cette ſolitude. Un incident très-extraordinaire, car je ſuis née, ce ſemble, pour les événemens bizarres, vint encore renverſer ce commencement de nouvelle fortune.

Monſeigneur, par ſon hypocriſie & ſa haute naiſſance, parvenu de bonne heure à l’Epiſcopat, dès qu’il avoit été ſur le ſiege, s’étoit laiſſé aller à la fougue de ſon tempérament. Il avoit choiſi des Grands-vicaires, jeunes égrillards comme lui, de ſon goût, & moins deſtinés à le ſeconder dans la régie de ſon Dioceſe que dans ſon libertinage. S’occupant peu de convertir, ils ne cherchoient, au contraire, qu’à pervertir les perſonnes du ſexe qu’ils en jugeoient dignes : ils dépuceloient les filles, débauchoient les femmes, ils étoient le fléau des meres & des époux : ils répandoient la terreur dans tout le canton. Ce train de vie dura auſſi long-tems que Mgr reſta ſur ce ſiege. Nommé depuis à une autre prélature, blaſé ſur les plaiſirs de l’amour & uſé de débauches, il a profité de cette circonſtance pour changer de vie. L’ambition s’eſt éveillée chez lui ; il brigue aujourd’hui les plus hautes dignités de ſon ordre, même la pourpre. En conſéquence il s’eſt réformé : il affiche plus de régularité, & n’a ſourdement qu’une ſimple maîtreſſe, afin de ſatisfaire aux beſoins de la nature, quand ils renaiſſent encore. Je vous rends ſa propre confeſſion, & voilà ce qui l’avoit engagé à ſolliciter l’entremiſe de Mad. Richard & à m’entretenir.

Quatre de ſes Grands-vicaires qui étoient à Paris, confondus de ce changement, ne pouvoient ſe le perſuader : ils ne le croyoient point véritable, & avoient ſoupçon de quelque myſtere. Afin de s’en éclaircir, ils réſolurent d’épier Monſeigneur, ſéparément chacun de leur côté ; de ſuivre ſes allures & de découvrir ce qui en étoit. Ils convinrent que le premier qui ſauroit quelque choſe en inſtruiroit les autres. L’un d’eux connoiſſoit un exempt de police. Avec de l’argent on fait tout ce qu’on veut : il en eut bientôt les mouches à ſes ordres, qui éventerent ma retraite & lui conterent mon hiſtoire entiere. Alors il raſſembla ſes confreres étonnés de ſon intelligence & de ſa fineſſe : ils furent enchantés de la juſteſſe de leurs conjectures ; mais pour punir Monſeigneur de ſa diſſimulation, ils arrêterent qu’il falloit lui ſouffler ſa maîtreſſe, ou du moins partager ſa couche. Quel ſeroit ce fortuné mortel ? On ne peut deſirer ce qu’on ne connoît pas : il falloit commencer par s’introduire auprès de la belle, par reconnoître ſi elle méritoit les éloges qu’on en faiſoit ; enſuite chacun, ſuivant que le cœur l’inſpireroit, pouſſeroit ſa pointe auprès d’elle.

Ces Lévites, ſouvent déſerteurs du ſervice des autels pour celui des femmes, accoutumés à courir les bonnes fortunes, à hanter les mauvais lieux, ſe reſpectoient cependant aſſez pour ne pas compromettre leur robe : ils ſe déguiſoient alors en cavaliers : ils prennent ce traveſtiſſement d’autant plus néceſſaire en cette occaſion, que dans le cas où ils ne réuſſiroient pas, ils ne craignoient rien de mon indiſcrétion auprès de leur Evêque, dépayſé par un tel coſtume. Ils ſe rendent en carroſſe à ma porte, un jour qu’ils ſavoient Monſeigneur à Verſailles, & étoient bien ſûrs qu’il n’en reviendroit pas de ſitôt. Je ſuis effrayée de leur deſcente. Quatre plumets, dont je ne connoiſſois aucun, m’intimident : je crains qu’ils ne veuillent faire tapage, & je ſuis forcée de leur faire beaucoup d’honnêtetés & d’accueil. Je ſuis bientôt raſſurée ; mais ils m’embarraſſent bien autrement, quand ils m’apprennent toute mon hiſtoire, & ſur-tout quel eſt mon entreteneur. Je tombe de mon haut, je ſuis confondue. Bientôt la converſation prend une tournure gaie & plaiſante : ils me propoſent de remplacer Monſeigneur dont ils connoiſſent l’inſuffiſance, & m’offrent le choix entre eux. Je les aurois volontiers pris au mot, & tous quatre ſur le champ ; mais il falloit me contenir vis-à-vis de pareils étrangers. Je n’en réſolus pas moins de ſatisfaire ma fantaiſie ; mais de m’y prendre plus adroitement. Tandis que nous rions, que nous folâtrons enſemble, je les tire ſucceſſivement à l’écart, & donne à chacun un rendez-vous ſéparé ; je les prie en même tems de me garder le ſecret, même vis-à-vis de leurs camarades. Je comptois plus ſur leur amour-propre que ſur ma défenſe, du moins juſqu’au moment où ils auroient joui, & cela me ſuffiſoit. En effet, chacun deſirant mettre à fin ſon aventure avant de s’en vanter, rit intérieurement de la duperie des autres, &, en s’en allant, ſe récrie ſur mon honnêteté à laquelle il ne s’attendoit pas : il me cite comme un dragon de vertu, dont il n’eſt pas poſſible d’approcher, comme un phénomene unique entre les courtiſannes.

Afin de mieux juger des talens rapprochés & comparés de ces galans, entre leſquels il s’agiſſoit d’élire un Coadjuteur à Monſeigneur, je leur avois aſſigné rendez-vous pour la même ſoirée, chacun à une heure de diſtance l’un de l’autre. Le premier devoit venir à ſept heures, le ſecond à huit heures, le troiſieme à neuf & le dernier à dix. Le Prélat, qui ſoupoit réguliérement à l’Archevêché, ne pouvoit jamais me ſurprendre avant onze heures. Je ne doutois pas, qu’au moins pour cette fois, on ne fût exact : à l’aſſignation préciſe ; ainſi je reſtai parfaitement tranquille.

En effet, ſept heures ſonnantes arrive le premier. C’étoit un blondin d’une fort jolie figure, d’un ton mielleux, d’une converſation ſéduiſante : il étoit très-careſſant, & s’arrêtoit longtems aux préliminaires, & ne pouvant répéter le plaiſir, le filoit de ſon mieux. Il avoit à peine fini lorſqu’on ſonna. Ce cas étoit prévu ; je l’avois même préféré pour éviter l’inconvénient plus grand, que ces camarades ſe rencontraſſent & ſe reconnuſſent Je cachai celui qui étoit expédié dans une garde-robe, dont une petite porte donnoit dans mon anti-chambre, & lui indiquai comment, en ſe coulant derriere un paravent placé exprès, il pouvoit facilement gagner l’eſcalier. J’ouvre enſuite & faiſant ſigne à celui que j’introduis de garder le ſilence, je le mene dans mon appartement. Là je lui rends compte à voix baſſe, de la raiſon de ce myſtere, que je fonde ſur l’appréhenſion qu’il n’ait été apperçu de quelque Eſpion de Monſeigneur & ſuivi dans l’eſcalier. Je reſſors comme pour vérifier ce ſoupçon, mon objet étoit de favoriſer l’évaſion du précurſeur en cas qu’il ne ſût pas encore parti dans ce moment. J’entends la porte ſe refermer ; je ne doute plus de ſon départ & je rentre. Point du tout, le curieux impertinent avoit bien pouſſé la porte, mais du dedans, il étoit revenu dans ſa cachette, afin d’obſerver les manœuvres du Prélat en poſture & de s’en amuſer. Sa curioſité redouble en levant le coin du rideau d’une porte vitrée, lorſqu’au lieu d’un Evêque, il voit un cavalier. Bientôt il reconnoît la voix de ſon camarade, & n’a garde de quitter en un auſſi bel inſtant.

Celui-ci étoit un brun, aſſez laid, mais bien bâti, vigoureuſement corſé, tout muſcles, tout nerfs, dans la force de l’âge, & preſſé d’aller au fait, parce qu’il ſe ſentoit en état de recommencer. Il double, il triple, il quadruple ma jouiſſance : il y ſeroit encore, ſi je n’avois eu la prudence de l’arrêter, non ſans lui promettre inceſſamment un autre rendez vous. C’étoit bien mon projet de lui tenir parole ; j’y étois intéreſſée autant & plus que lui, ſi les circonſtances n’euſſent dérangé notre liaiſon, & ne m’euſſent privée d’un de ces Hercules rares aujourd’hui, & qu’on ne rencontre plus guere que dans l’Egliſe. Quoi qu’il en ſoit, il fallut nous ſéparer à l’heure indiquée, c’eſt-à-dire à neuf heures, lorſque le troiſieme ſe préſenta. Mêmes précautions pour cacher le ſecond galant, le ſouſtraire aux recherches du jaloux, & lui ménager, ainſi qu’au premier, le moyen de s’en aller ſans éclat ; avec la différence qu’il fut bien ſurpris de trouver dans le cabinet un rival, qui heureuſement le raſſura ſur le champ, ſe fit connoître, lui apprit comment il ſe rencontroit là, l’engagea de reſter & de voir le dénouement de tant de paſſades.

Par le portrait que je vous ai eſquiſſé des deux premiers galans, vous avez pu juger combien ils différoient entre eux. Le troiſieme étoit un original d’une eſpece plus particuliere encore. Il avoit plus d’amour-propre que d’amour ; il ſe faiſoit une grande gloire de groſſir la liſte de ſes conquêtes : il la portoit toujours avec lui : il me la montra. J’y lus les noms de femmes de qualité, de financières, de bourgeoiſes : il m’aſſura qu’il étoit blaſé ſur ces ſortes de bonnes fortunes ; qu’il ne ſe ſoucioit plus de femmes prétendues honnêtes ; que la plupart, ſans tempérament, n’ayant un amant que par imitation, par mode, par air, étoient des jouiſſances fort inſipides ; qu’il falloit en revenir aux putes… Par cet aveu flatteur il piquoit mon émulation : je déployai à ſon égard toutes les reſſources de l’art que m’avoit appris mon inſtitutrice, & il convint que je ſavois amuſer à merveille : exercice aſſez mauſſade pour moi ; mais il étoit généreux : je me fis un devoir de le ſatisfaire, ſauf à ne pas y revenir. Maltraité pluſieurs fois de mes ſemblables pour avoir été trop loyal, ce libertin étoit obligé d’uſer de toutes ſortes de ſtratagêmes, & de s’en tenir à l’image du plaiſir, de peur que la réalité ne lui en fit recueillir les fruits amers & cuiſans ; d’ailleurs d’un génie cauſtique & préſomptueux. Le reſte de notre converſation ſe paſſa à s’égayer ſur le compte de ſes camarades qu’il croyoit ſes dupes. Il ignoroit que deux l’écoutoient, & que lorſqu’il rioit à leurs dépens, ils prenoient à plus juſte titre leur revanche. Il fut bien ſot quand la venue du dernier m’obligea de le congédier de la même maniere qu’eux, & qu’il les rencontra nez-à-nez. La curioſité l’emporta ſur le reſſentiment, & tous trois ſe tapirent, ne doutant plus que ce quatrieme ne fût leur confrere.

En fait de diſputes métaphyſiques, morales, phyſiques même, autant de têtes, autant d’avis ; on en pourroit dire de même en amour ; autant d’athletes, autant de caprices divers. Le dernier que j’avois réſervé pour la fin, comme celui ſur lequel je comptois le plus, étoit un Provençal, qui avoit le goût de cette nation, fort déſagréable au ſexe. Il l’avoit contracté dès le college, s’y étoit fortifié au ſéminaire, & ne l’avoit pas perdu au milieu des orgies féminines. Je l’avois fort bien jugé : il avoit tout l’extérieur d’un ſatyre, & c’étoit un monſtre en réalité. J’en attendois des prodiges. Après avoir beaucoup tourné autour de moi, il me fit ſa déclaration d’une eſpece vraiment galante, & dit que, depuis la Venus aux belles feſſes[25], on n’avoit certainement rien vu de ſi divin. Je compris, & lui reprochai la dépravation de ſon goût. Il ſe juſtifia par un axiome reçu généralement dans tous les lieux de débauche : que tout eſt le vaſe legitime dans une femme[26]. A l’appui de ce propos de libertins, il me proteſta très-ſérieuſement, qu’il pourroit ajouter des déciſions de caſuiſtes recommandables[27]. Il me parut plaiſant qu’un militaire citât de pareilles autorités, & à qui ? Je me récriai enſuite ſur l’énormité de l’introducteur, qui me cauſeroit des douleurs effroyables. Il me raſſura par un proverbe provençal, qu’avec de la ſalive & de la patience on venoit à bout de tout.[28] Alors la curioſité me prit : je voulus éprouver ſi l’agent dans un pareil exercice, recueilloit en effet beaucoup de plaiſir ; s’il refluoit dans le voiſinage, & ſi la patiente en pourroit goûter quelqu’un. Il s’y prit en homme intelligent & qui n’étoit pas à ſon coup d’eſſai : il nageoit dans les délices, il étoit ravi ; il s’extaſioit, ſe pâmoit, & moi je n’éprouvois que des deſirs, des irritations vaines. Je voulois m’en débarraſſer : mes efforts ne ſervoient qu’à lui donner plus de pied. Ce priape inſatiable, collé ſur moi, ne déſemparant point de ſa place, répétoit ſes ſacrifices preſque coup ſur coup… A la fin je ſaiſis un moment de relâche, & m’en débarraſſai en le qualifiant de l’épithète qui lui convenoit, en maudiſſant l’abus qu’il faiſoit de ſes talens, en proteſtant bien que ma porte lui ſeroit pour toujours cloſe… Nos débats duroient encore, lorſque Monſeigneur vint fermer la marche de cette journée. Je fus obligée de traiter ce vilain avec les mêmes égards que j’aurois eu, pour le greluchon le plus favoriſé. Je n’avois pas eu le loiſir de me rajuſter : il me ſert de valet de chambre, & quand le déſordre où il m’avoit mis eſt un peu réparé, je lui indique ſa marche pour ſortir, & cours au devant du Prélat. Un entreteneur n’eſt point fait pour attendre ; celui-ci avoit pris de l’humeur. Son caractere ombrageux ſe manifeſte par une querelle violente. Les femmes, quand elles ont tort, n’en crient ordinairement que plus haut ; c’eſt ce que je fais, & ſi fort que je l’oblige de baiſſer le ton. Il veut me careſſer : je le repouſſe & me plains à mon tour de l’eſclavage où il me tient. Je lui dis qu’il ne connoît point mon ſexe ; qu’il devroit ſavoir que les obſtacles ne ſont propres qu’à l’irriter, & qu’il n’eſt grille ni verroux qui réſiſtent aux deſirs d’une femme amoureuſe. J’ajoute : „ quoique vous me teniez en chartre privée, ſi je m’étois mis dans la tête de vous cocufier, vous le ſeriez quatre fois pour une en un jour… „ Cette ſaillie, articulée d’un ton ferme, élevé, & de colere, qui ſe trouvoit ſi juſte en ce moment, entendue du cabinet leur donna une envie de rire ſi violente, qu’ils ne purent y tenir & éclaterent. Quel fut mon étonnement, & quelle fut la frayeur du Prélat ! Il s’imagine que c’eſt un complot formé contre lui, que ce ſont des coupe-jarrets apoſtés pour le voler : il perd la tête, il veut s’enfuir. Moi, je reſte immobile un moment ; puis une lumiere à la main vais viſiter le cabinet. Je n’y vois perſonne ; mais la couliſſe rendoit dans l’antichambre ouverte, je ſuis la trace des perfides, & trouve un ſpectacle formant la carricature la plus groteſque. Monſeigneur & ſes Grands Vicaires ſe rencontrent en même tems à la porte ; il ſe perſuade de plus en plus du mauvais deſſein qu’on a qu’on veut l’arrêter : il ſe jette à genoux aux pieds des aſſaſſins prétendus, offre ſa bourſe & demande grace pour ſa vie. Ceux-ci le relevent en riant de plus belle : ils lui diſent que c’eſt à eux à prendre cette poſture, qu’ils ſont ſes ſerviteurs les plus zélés & les plus reſpectueux : ils le prient de leur pardonner cette eſpiéglerie, dont il leur a donné l’exemple & daigné être quelquefois le complice, qui devient au ſurplus très-heureuſe, puiſqu’elle ſert à lui déſiller les yeux, à lui faire découvrir la fauſſeté d’une femme qu’il comble de biens, qui ſe joue de lui & le trompe auſſi vilainement. J’arrive en ce moment au milieu d’eux, & d’après leur converſation, découvre un myſtere dont je ne pouvois me douter. Je reconnois tous les maſques qui me peignent ſi bien. Monſeigneur, un peu revenu de ſa terreur, à l’aide de la bougie, malgré leur traveſtiſſement, dont il avoit été pluſieurs fois le témoin, voit enfin à qui il a affaire : il me comble, m’accable de reproches, d’invectives, d’horreurs. Les autres les répetent en chorus. Inveſtie de cette prêtraille, je ne ſais que devenir & que répondre. Je m’apperçois que la porte étoit dégagée, je m’y précipite & gagne la rue ; je cours devant moi ſans ſavoir où je vais. Je monte dans le premier fiacre que je rencontre, & me fais conduire chez Mad. Gourdan ; car je la regardois toujours comme mon réfuge dans ma détreſſe. Elle me reconnoît ; elle m’accueille & me fait conter mon hiſtoire : elle me dit qu’il ne faut pas ainſi jeter le manche après la coignée : que je dois, dès le lendemain matin, retourner à ma maiſon. J’arrive & vois un écriteau qui porte ; maiſon à louer préſentement. J’entre ; je ne trouve que les quatre murailles & ma femme de ménage, qui me dit qu’elle a ordre de reſter là tout le jour pour montrer les lieux : que, dès le grand matin, on avoit payé le propriétaire, & qu’un tapiſſier étoit venu enlever les meubles comme lui appartenant. Je retourne inſtruire maman de cette vilainie du Prélat : elle me fait lui écrire, & me dicte une lettre de bonne encre, à laquelle, afin de ne pas ſe compromettre, il ne répond point : mais il m’envoie mon ancienne ménagere, pour me déclarer de ſa part, que, s’il m’arrive de me porter à l’éclat dont je le menace, il me fera enfermer à la ſalpêtriere. C’eſt alors que Mad. Gourdan, par ſes protections, voulant éviter tout malheur de cette eſpece, m’a fait inſcrire ſurnuméraire à l’opéra. Depuis elle a mis en jeu les Prélats, ſes amis, qui ont négocié auprès du mien. Les pourparlers ont été longs ; il étoit outré ; il ne vouloit s’exécuter en rien ; mais lorſque ma groſſeſſe a été certaine, on a tellement fait valoir cette circonſtance, qu’il m’a envoyé cent louis, dont s’eſt emparée Mad. Gourdan, ſous prétexte de mon entretien, de ma penſion, de mes couches futures. Du reſte, nous ſommes les meilleures amies du monde : elle m’appelle ſon enfant ; je lui gagne beaucoup d’argent, dont elle ne me rend qu’une très-petite part ; mais elle m’aſſure que lorſque je ſerai délivrée de mon fardeau, elle me procurera un bon entreteneur, & me remettra une troiſieme fois dans le chemin de la fortune. J’eſpere bien en mieux profiter. Malheur aux dupes qui tomberont dans mes filets !

FIN.
  1. Terme de village en France, qui reviens à celui de caſaquin.
  2. Madame Gourdan étoit d’autant plus intéreſſée à ne pas donner priſe ſur elle en cette circonſtance, que les Magiſtrats avoient, peut-être pour la premiere fois, à ſon occaſion, diſtingué deux genres de maquerelles ; celles qui débauchent de jeunes perſonnes innocentes, & celles qui fourniſſent aux hommes ſeulement des filles déjà débauchées. Ses partiſans à la Tournelle vouloient que la punition d’être promenée ſur un âne, le viſage tourné du côté de la queue, ne dût être infligée qu’aux premieres ; ou plutôt que la loi ne reconnût véritablement pour maquerelles que celles-là. C’eſt par cette tournure ſubtile, que Mad. Gourdan a été ſouſtraite au châtiment.
  3. Mad. Gourdan étoit à toutes mains ; Elle fourniſſoit des filles aux hommes & des hommes aux femmes ; il paroît par-là qu’elle produiſoit auſſi aux tribades des ſuccubes. On appelle ainſi les patientes dans les combats amoureux de femme à femme.
  4. Charlatan, quelque tems à la mode à Paris, & qui prétendoit guérir ſes malades en leur pétrifiant les membres.
  5. Jupon fait de mouſſeline, appellé intime, parce qu’il colle exactement ſur le corps.
  6. Ce mot vient du grec & veut dire en françois Anti-homme.
  7. Voici en quoi conſiſte ce genre d’épreuves.

    On enferme la poſtulante dans un boudoir, où eſt une figure de Priape dans toute ſon énergie, on y voit des groupes d’accouplemens d’hommes & de femmes, offrant les attitudes les plus variées & les plus luxurieuſes. Les murs peints à freſque ne préſentent que des images du même genre, que des membres virils de toutes parts : des livres, des portefeuilles, des eſtampes analogues, ſe trouvent ſur une table.

    Au pied de la ſtatue eſt un réchaud, dont le feu & la flamme ne ſont entretenus que de matieres ſi légeres & ſi combuſtibles, que, pour peu que la poſtulante ait une minute de diſtraction, elle court riſque de laiſſer éteindre le feu, ſans pouvoir le rallumer ; en ſorte que lorſqu’on vient la chercher, on voit ſi elle n’a point reçu d’émotion forte, qui indique encore en elle du penchant pour la fornication à laquelle elle doit renoncer.

    Ces épreuves, au ſurplus, durent trois jours de ſuite pendant trois heures.

  8. Célebre actrice de la comédie françoiſe.
  9. Le cardinal de Bernis, dans ſes quatre ſaiſons ou quatre parties du jour.
  10. Ces vers ſont imités ou paraphraſés d’un poëte latin, appellé Jean de Neviſan, qui vivoit au ſeizieme ſiecle, & a compoſé un poëme intitulé, Silva nuptialis. Voici le morceau original que l’on ſera bien aiſe ſans doute de comparer :

    Triginta hæc habeat quæ vult formoſa videri
    Fœmina ! ſic Helenam fama fuiſſe refert.
    Alba tria & totidem nigra ; & tria rubra puella ;
    Tres habeat longas res, totidemque breves,
    Tres craſſas, totidem graciles tria ſtricta, tot ampla ;
    Sint ibidem huic famæ, ſint quoque parva tria.
    Alba cutis, nivei dentes, albi que capilli :
    Nigri oculi, cunnus, nigra ſupercilia,
    Labra ; genæ atque ungues rubri. Sit corpore longa,
    Et longi crines ; ſit quoque longa manus.
    Sintque breves dentes, auris, pes, pectora lata,
    Et clunes ; diſtent ipſa ſupercilia,
    Cunnus & os ſtrictum ; ſtringunt ubi ſingula ſtrictæ.
    Sint venter, cunnus, vulvaque turgidula.
    Subtiles digiti, crines & labra puellis,
    Parvus ſit naſus, parva mamilla, caput ;
    Cum nullæ aut raræ ſint hæc, formoſa vocari.
    Rara puella poteſt, nulla puella poteſt.

  11. Mad. la Ducheſſe de Urbsrex & Mad. la Marquiſe de Terracenés.
  12. M. de Furiel a été Procureur-général pendant toute la durée du Parlement Maupeou, & l’on peut ſe rappeller combien il a fait parler de lui.
  13. Mad. la Marquiſe de Techul.
  14. On a vu quelquefois Mad. de Téchul ſe traveſtir en femme de chambre, en coëffeuſe, en cuiſiniere, pour parvenir auprès des objets de ſa paſſion.
  15. Mlle Clairon.
  16. Un Prince d’Allemagne, un Margrave.
  17. Mlle Arnould.
  18. Mlle Souck, Allemande.
  19. Mlle Souck étoit entretenue par un frere du Roi de Pruſſe.
  20. Mlle Julie, jeune tribade, formée par Mlle Arnould & Mlle Raucourt.
  21. Mlle Raucourt venoit de quitter M. le Marquis de Bievre, non ſans l’avoir plumé conſidérablement. Il lui avoit aſſuré une rente viagere de 12000 liv. ce qui la faiſoit appeller par ce Seigneur calambouriſte, l’ingrate Amaranthe. (l’ingrate à ma rente.)
  22. M. de Monville.
  23. C’eſt un eunuque au milieu du ſerrail,
    Qui n’y fait rien & nuit à qui veut faire.

    Tout le monde connoit l’épigramme de Piron qui finit ainſi.

  24. Il a fallu conſerver ce terme de Mlle Sapho, comme d’une énergie difficile, ou plutôt l’impoſſible à rendre autrement. Il exprime, de la façon la plus mépriſante, la vileté du rôle que joue, dans les mauvais lieux, un homme qui n’y reçoit du plaiſir qu’en proportion de l’argent qu’il donne. Les filles appellent bon Miché celui qui paye bien ; mauvais Miché celui qui paye mal ; ſot Miché, celui qui n’a pas le ton ou les allures du lieu où il ſe trouve.
  25. Fameuſe ſtatue que tout le monde, connoit.
  26. Cet apophtegme, dans ſa véritable énergie, porte : tout eſt c** dans une femme.
  27. Entre autres du Jéſuite Sanchès, De matrimonio.
  28. Ce proverbe au naturel eſt qu’avec de la ſalive & de la patience, un provençal en******** une mouche.