Annales de l’Empire/Édition Garnier/Louis II

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LOUIS II,
quatrième empereur.

856. Après la mort de ce troisième empereur d’Occident, il s’élève de nouveaux royaumes en Europe. Louis l’Italique, son fils aîné, reste à Pavie avec le vain titre d’empereur d’Occident. Le second fils, nommé Lothaire comme son père, a le royaume de Lotharinge, appelé ensuite Lorraine : ce royaume s’étendait depuis Genève jusqu’à Strasbourg et jusqu’à Utrecht. Le troisième, nommé Charles, eut la Savoie, le Dauphiné, une partie du Lyonnais, de la Provence, et du Languedoc. Cet État composa le royaume d’Arles, du nom de la capitale, ville autrefois opulente et embellie par les Romains, mais alors petite et pauvre, ainsi que toutes les villes en deçà des Alpes. Dans les temps florissants de la république et des Césars, les Romains avaient agrandi et décoré les villes qu’ils avaient soumises ; mais, rendues à elles-mêmes ou aux barbares, elles dépérirent toutes, attestant, par leurs ruines, la supériorité du génie des Romains.

Un barbare, nommé Salomon, se fit bientôt après roi de la Bretagne, dont une partie était encore païenne ; mais tous ces royaumes tombèrent presque aussi promptement qu’ils furent élevés.

857. Louis le Germanique commence par enlever l’Alsace au nouveau roi de Lorraine. Il donne des priviléges à Strasbourg, ville déjà puissante lorsqu’il n’y avait que des bourgades dans cette partie du monde au delà du Rhin. Les Normands désolent la France. Louis le Germanique prend ce temps pour venir accabler son frère, au lieu de le secourir contre les barbares. Il le défait vers Orléans. Les évêques de France ont beau l’excommunier, il veut s’emparer de la France. Des restes des Saxons et d’autres barbares, qui se jettent sur la Germanie, le contraignent de venir défendre ses propres États.

Depuis 858 jusqu’à 865. Louis II, fantôme d’empereur en Italie, ne prend point de part à tous ces troubles, laisse les papes s’affermir, et n’ose résider à Rome.

Charles le Chauve de France et Louis le Germanique font la paix, parce qu’ils ne peuvent se faire la guerre. L’événement de ce temps-là qui est le plus demeuré dans la mémoire des hommes concerne les amours du roi de Lorraine, Lothaire : ce prince voulut imiter Charlemagne, qui répudiait ses femmes et épousait ses maîtresses. Il fait divorce avec sa femme nommée Teutberge, fille d’un seigneur de Bourgogne. Il l’accuse d’adultère. Elle s’avoue coupable. Il épouse sa maîtresse nommée Valrade, qui lui avait été auparavant promise pour femme. Il obtient qu’on assemble un concile à Aix-la-Chapelle, dans lequel on approuve son divorce avec Teutberge[1]. Le décret de ce concile est confirmé dans un autre à Metz, en présence des légats du pape. Le pape Nicolas Ier casse les conciles de Metz et d’Aix-la-Chapelle, et exerce une autorité jusqu’alors inouïe. Il excommunie et dépose quelques évêques, qui ont pris le parti du roi de Lorraine. Et enfin ce roi fut obligé de quitter la femme qu’il aimait, et de reprendre celle qu’il n’aimait pas.

Il est à souhaiter sans doute qu’il y ait un tribunal sacré qui avertisse les souverains de leurs devoirs, et les fasse rougir de leurs violences[2] : mais il paraît que le secret du lit d’un monarque pouvait n’être pas soumis à un évêque étranger, et que les Orientaux ont toujours eu des usages plus conformes à la nature, et plus favorables au repos intérieur des familles, en regardant tous les fruits de l’amour comme légitimes, et en rendant ces amours impénétrables aux yeux du public.

Pendant ce temps les descendants de Charlemagne sont toujours aux prises les uns contre les autres, leurs royaumes toujours attaqués par les barbares.

Le jeune Pepin, arrière-petit-fils de Charlemagne, fils de ce Pepin, roi d’Aquitaine, déposé et mort sans États, ayant quelque temps traîné une vie errante et malheureuse, se joignit aux Normands, et renonça à la religion chrétienne ; il finit par être pris et enfermé dans un couvent où il mourut.

866. C’est principalement à cette année qu’on peut fixer le schisme qui dure encore entre les Églises grecque et romaine. La Germanie ni la France n’y prirent aucun intérêt. Les peuples étaient trop malheureux pour s’occuper de ces disputes qui sont si intéressantes dans le loisir de la paix.

Charles, roi d’Arles, meurt sans enfants. L’empereur Louis et Lothaire partagent ses États.

C’est la destinée de la maison de Charlemagne que les enfants s’arment contre leurs pères. Louis le Germanique avait deux enfants, Louis, le plus jeune, mécontent de son apanage, veut le détrôner : sa révolte n’aboutit qu’à demander grâce.

867-868. Louis, roi de Germanie, bat les Moraves et les Bohêmes par les mains de ses enfants. Ce ne sont pas là des victoires qui augmentent un État, et qui le fassent fleurir. Ce n’était que repousser des sauvages dans leurs montagnes et dans leurs forêts.

869. L’excommunié roi de Lorraine va voir le nouveau pape Adrien à Rome, dîne avec lui, lui promet de ne plus vivre avec sa maîtresse ; il meurt à Plaisance à son retour.

Charles le Chauve s’empare de la Lorraine, et même de l’Alsace, au mépris des droits d’un bâtard de Lothaire, à qui son père l’avait donnée. Louis le Germanique avait pris l’Alsace à Lothaire, mais il la rendit ; Charles le Chauve la prit, et ne la rendit point.

870. Louis de Germanie veut avoir la Lorraine, Louis d’Italie, empereur, veut l’avoir aussi, et met le pape Adrien dans ses intérêts. On n’a égard ni à l’empereur ni au pape. Louis de Germanie et Charles le Chauve partagent tous les États compris sous le nom de Lorraine en deux parts égales. L’Occident est pour le roi de France, l’Orient pour le roi de Germanie. Le pape Adrien menace d’excommunication. On commençait déjà à se servir de ces armes, mais elles furent méprisées. L’empereur d’Italie n’était pas assez puissant pour les rendre terribles.

871. Cet empereur d’Italie pouvait à peine prévaloir contre un duc de Bénévent, qui, étant à la fois vassal des empires d’Orient et d’Occident, ne l’était en effet ni de l’un ni de l’autre, et tenait entre eux la balance égale.

L’empereur Louis se hasarde d’aller à Bénévent, et le duc le fait mettre en prison. C’est précisément l’aventure de Louis XI avec le duc de Bourgogne.

872-873. Le pape Jean VIII, successeur d’Adrien II, voyant la santé de l’empereur Louis II chancelante, promet en secret la couronne impériale à Charles le Chauve, roi de France, et lui vend cette promesse. C’est ce même Jean VIII (qui ménagea tant le patriarche Photius, et qui souffrit qu’on nommât Photius avant lui, dans un concile à Constantinople.

Les Moraves, les Huns, les Danois, continuent d’inquiéter la Germanie, et ce vaste État ne peut encore avoir de bonnes lois.

874. La France n’était pas plus heureuse. Charles le Chauve avait un fils nommé Carloman, qu’il avait fait tonsurer dans son enfance, et qu’on avait ordonné diacre malgré lui. Il se réfugia enfin à Metz dans les États de Louis de Germanie, son oncle. Il lève des troupes ; mais ayant été pris, son père lui fit crever les yeux, suivant la nouvelle coutume.

875. L’empereur Louis II meurt à Milan. Le roi de France, Charles le Chauve, son frère, passe les Alpes, ferme les passages à son frère Louis de Germanie, court à Rome, répand de l’argent, se fait proclamer par le peuple roi des Romains, et couronner par le pape.

Si la loi salique avait été en vigueur dans la maison de Charlemagne, c’était à l’aîné de la maison, à Louis le Germanique, qu’appartenait l’empire ; mais quelques troupes, de la célérité, de la condescendance, et de l’argent, firent les droits de Charles le Chauve. Il avilit sa dignité pour en jouir. Le pape Jean VIII donna la couronne en souverain ; le Chauve la reçut en vassal, confessant qu’il tenait tout du pape, laissant aux successeurs de ce pontife le pouvoir de conférer l’empire, et promettant d’avoir toujours près de lui un vicaire du saint-siége pour juger toutes les grandes affaires ecclésiastiques. L’archevêque de Sens fut en cette qualité primat de Gaule et de Germanie, titre devenu inutile.

Certes les papes eurent raison de se croire en droit de donner l’empire, et même de le vendre, puisqu’on le leur demandait et qu’on l’achetait, et puisque Charlemagne lui-même avait reçu le titre d’empereur du pape Léon III ; mais aussi on avait raison de dire que Léon III, en déclarant Charlemagne empereur, l’avait déclaré son maître ; que ce prince avait pris les droits attachés à sa dignité ; que c’était à ses successeurs à confirmer les papes, et non à être choisis par eux. Le temps, l’occasion, l’usage, la prescription, la force, font tous les droits.

On a conservé et on garde peut-être encore à Rome un diplôme de Charles le Chauve, dans lequel il confirme les donations de Pepin ; mais Othon III déclara que toutes ces donations étaient aussi fausses que celles de Constantin.


  1. Voyez tome XI, pages 324-325.
  2. Voyez page 242.