Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 11/Astronomie, article 2

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Observation de la même éclipse à Montpellier ;

Par M. Gergonne.
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Assis, depuis trois ans, sur les débris d’un observatoire ruiné, qui pourtant, durant un siècle, n’avait pas été sans quelque éclat et sans quelque utilité ; habitant un appartement au nord dans le quartier le plus bas d’une ville bâtie sur un terrain très-inégal ; il m’aurait été impossible non seulement d’observer, mais même de voir l’éclipse si je n’étais sorti de chez moi. Un de mes amis voulut bien mettre à ma disposition une petite terrasse d’où l’on pouvait suivre le soleil depuis heures et demie du matin jusqu’à son coucher ; mais où je ne pouvais établir mes pendules, que d’ailleurs je l’aurais pas eu le temps de régler. Je vis donc bien qu’il faudrait absolument renoncer au luxe des secondes, ne pouvant employer là qu’une montre ordinaire que je porte depuis ans et qui marche assez bien. Je fis transporter sur cette terrasse un petit quart de cercle garni d’un niveau à bulle d’air et d’une lunette achromatique d’un pied de longueur, et donnant les minutes.

Quelques jours auparavant, j’avais calculé les circonstances de l’éclipse, en poussant l’approximation aux secondes de degrés et de temps, et les rejetant ensuite du résultat final. Voici l’annonce que j’avais adressée au journal du département.

1.o Commencement de l’éclipse à environ à droite de l’extrémité supérieure du diamètre vertical du soleil, à
2.o Croissant horizontal, à
3.o Plus grande phase de à
4.o Fin de l’éclipse, à environ à gauche de l’extrémité supérieure du diamètre vertical du soleil, à

Pour savoir à peu près à quoi m’en tenir, j’avais eu le matin la précaution de régler ma montre au lever du soleil, annoncé pour chaque jour, dans l’annuaire du département. Mais, dès heures et demie, je prenais des hauteurs correspondantes qui devaient m’apprendre, à moins d’une minute près, la différence entre le midi de ma montre et le midi vrai de Montpellier. Mes résultats, corrigés de cette différence, ont été tels qu’il suit :

1.o Commencement de l’éclipse, à
2.o La forme arrondie des cornes du croissant, effet naturel de l’irradiation, de la diffraction et peut-être aussi de l’imperfection des lunettes, m’a permis d’observer assez exactement l’époque où les deux courbures étaient tangentes au fil horizontal de la lunette ; je l’ai fixé à

3.o L’époque de la plus grande phase a suivi de très-près ; mais, ma lunette n’ayant point de micromètre, et distrait d’ailleurs par les mille questions des curieux qui m’entouraient et à qui même souvent il fallait abandonner l’instrument, je n’ai pu en fixer l’instant précis, ni la quantité que j’ai jugé fort approchante de doigts, mais plutôt au-dessus qu’au-dessous.

4.o Plus libre des questionneurs à la fin de l’éclipse, je crois l’avoir observée assez exactement, et pouvoir la fixer à

Ainsi, d’après cela, mon calcul se serait trouvé en erreur d’environ minutes en moins, tant sur l’époque de la situation horizontale du croissant que sur celle de la fin du phénomène.

Je m’étais bien promis d’observer l’époque de l’arrivée du bord de la lune à chacune des taches que pourrait offrir le disque solaire ; mais je n’y en ai aperçu aucune.

Un vent assez fort régnait des neuf heures du matin ; il a paru augmenter un peu à l’époque de la plus grande phase ; il était S. O.

Aucun usage n’a contrarié l’observation, il en était passé quelques-uns devant le soleil vers les heures ; mais d’une telle transparence qu’ils laissaient apercevoir nettement les bords de son disque.

Vers le milieu de l’éclipse tout le public a vu la planète de Vénus ; mais cela est d’autant moins surprenant que le lendemain on l’a également remarquée dans le milieu du jour.

Je sens fort bien combien peu des observations faites de la manière que je viens de dire peuvent être profitables à une astronomie perfectionnée comme elle l’est aujourd’hui ; mais c’est tout ce qu’il était possible de faire sans observatoire et sans instrumens.