Annales de pomologie belge et étrangère/Vignes (Sahut)

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Vignes — variétés pour la table et pour vignobles

Vignes.

Variétés pour la table et pour vignobles[1].

Ce n’est pas sans une secrète appréhension que nous allons entreprendre de figurer et décrire dans les Annales, quelques variétés de vignes, celles que nous croirons susceptibles de pouvoir être essayées avec succès sous le climat de la Belgique. La confusion qui existe, en effet, dans la nomenclature des variétés de vignes, est bien autrement considérable que dans les autres espèces fruitières, et il n’est pas besoin d’ajouter que ce n’est pas peu dire. La synonymie, cette plaie de l’arboriculture fruitière, exerce ici surtout ses funestes effets ; et ce sont précisément les variétés dont la culture s’est le plus généralisée qui se retrouvent sous un nombre plus considérable de noms différents. C’est que, généralement, chaque variété reçoit un nom local, presque partout où elle est cultivée ; de là une confusion où il est bien difficile de se reconnaître. Il suffit d’étudier avec attention quelques-uns des divers cépages cultivés, pour comprendre quelle est la difficulté qu’on éprouve, quand il s’agit de déterminer avec certitude l’identité d’une variété quelconque, et cela même en joignant aux recherches minutieuses d’une étude approfondie, l’expérience que donne l’observation comparative des diverses variétés entre elles.

Si l’on considère l’importance, fort considérable, en France surtout, de la culture de la Vigne, on est surpris de reconnaître que le nombre des ouvrages qui traitent des cépages cultivés, est relativement fort restreint ; c’est un puissant motif, bien certainement, pour en être d’autant plus reconnaissant envers leurs auteurs, mais on concevra sans peine cependant, que leur nombre n’est pas en harmonie avec l’importance du sujet. Le classement méthodique des diverses variétés de vignes, la recherche de toutes leurs synonymies, l’indication des propriétés de chaque cépage, pour la table comme aussi pour la vinification, sont autant de renseignements qui seraient cependant infiniment utiles aux viticulteurs, et les guideraient sûrement dans leurs nouvelles plantations ; nous n’avons pas besoin d’en faire ressortir l’utilité.

L’origine de beaucoup de variétés de vignes est tellement ancienne, qu’on ne peut la déterminer ; et cependant, faute d’avoir été suffisamment connues jusques à présent, certaines de ces variétés viennent de nos jours seulement remplacer celles précédemment cultivées, et être reconnues d’une culture plus avantageuse.

Nous n’essayerons pas dans cette étude de remonter à l’origine première de la culture de la Vigne ; nous n’avons pas à en faire l’histoire ; notre cadre est restreint, et il faut se limiter. Disons seulement que les auteurs anciens, arabes, turcs ou persans, et après eux les auteurs grecs et les auteurs latins, ont parlé chacun en leurs temps de la culture de la Vigne ; Virgile, Pline, Plutarque et Columelle ont même distingué un certain nombre de variétés et indiqué les différences qui existent entre elles.

À en juger par les documents qui sont arrivés jusqu’à nous, les premiers plants de Vigne et d’Olivier auraient été introduits dans les Gaules par les Phocéens, peu après la fondation de Marsalie, aujourd’hui Marseille, vers l’an 600 avant notre ère. C’est donc directement de l’Orient que la Vigne nous serait venue. Des environs de Marseille, sa culture se serait propagée dans la Gaule méridionale, en Italie et en Espagne, mais c’est surtout dans ces deux pays qu’elle prit une grande extension. D’ailleurs, les auteurs anciens eux-mêmes ont émis là-dessus des idées fort contradictoires dans leurs écrits, et il serait fort difficile de se former une opinion bien arrêtée sur ce sujet.

Quant à la spontanéité de la Vigne à l’état sauvage dans les Gaules avant qu’elle y fût introduite de l’Orient, quoiqu’en aient dit les anciens auteurs, les faits ne le prouvent pas suffisamment pour que nous en soyons bien certains. Quoiqu’il en soit, nous croyons qu’il serait aujourd’hui fort difficile de distinguer avec certitude, parmi les vignes indigènes ou supposées telles de nos jours, l’ancienne espèce indigène dont parlent ces mêmes auteurs. Dans les haies ou dans les bois placés à proximité des vignobles, on trouve en abondance des pieds de vigne, provenant évidemment de semis accidentels des pepins produits par les cultures voisines ; et avec les moyens de dissémination que possède la nature, on peut s’expliquer facilement l’existence de pieds de vigne à l’état sauvage, loin de toutes cultures, sans pour cela croire à leur indigénat.

Notre espèce indigène ne paraît donc pas avoir produit les principales variétés cultivées de nos jours. On doit supposer plutôt que par des introductions successives, plusieurs de ces variétés nous auront été apportées de la Grèce, de l’Asie-Mineure, de la Perse ou de tout autre pays, comme aussi que quelques-unes d’entre elles pourraient bien être le résultat de semis naturels ou non postérieurs à ces introductions. À en juger par le chiffre assez rond des variétés décrites par les auteurs que nous avons déjà cités, le nombre de celles existant, il y a près de deux mille ans, en était déjà fort considérable ; Columelle en cite une soixantaine, et il est bien probable qu’il ne les connaissait pas toutes.

On ne saurait affirmer que nous possédons aujourd’hui les mêmes variétés décrites par Columelle ; cependant on pourrait le supposer, car les variétés pour vignobles les plus estimées de nos jours, ont été décrites par Olivier de Serres, Duhamel et l’abbé Rozier, qui n’en indiquent pas l’origine, et il est probable que de leur temps elles étaient déjà fort anciennes. Il n’y aurait donc rien d’impossible à ce que ces variétés se fussent transmises depuis les temps les plus reculés jusqu’à eux et ensuite jusqu’à nous.

D’ailleurs, il serait bien possible aussi que quelques-unes de ces variétés se fussent produites depuis cette époque ; quoique les auteurs anciens ne parlent jamais de vignes obtenues par semis, il est probable cependant que la nature aura, en cela comme en toutes choses, accompli sa tâche d’amélioration, et que bien des variétés, grâce à son action bienfaisante, auront ainsi trouvé le jour. C’est donc par les faits simultanés de l’introduction et du semis que se seront formées les nombreuses collections qui existent actuellement.

De nos jours, les variétés ou du moins les noms des variétés de Vigne sont innombrables, et nous croyons qu’il serait facile d’en trouver au moins deux mille ; or, sur ce nombre on pourrait bien compter, sans trop d’exagération, que les quatre cinquièmes au moins sont des synonymes, ce qui réduirait approximativement à 400, chiffre déjà fort raisonnable, le nombre des variétés qui existent réellement. Au reste, ces évaluations ne sont qu’approximatives et ne sauraient être données comme rigoureusement exactes.

D’ailleurs, beaucoup des variétés ou réputées telles, dont on ne peut contrôler l’origine, pourraient bien n’être que des formes accidentelles qui ont été fixées et propagées par la greffe ou par le bouturage, et qui ne constituent donc pas réellement de véritables variétés ; nous aurons probablement occasion d’en citer quelques exemples.

Désirant rendre nos descriptions aussi brèves que possible, nous ne nous attacherons qu’aux caractères principaux, laissant de côté ceux d’une importance secondaire ; nous n’indiquerons pas surtout les caractères qui, pour les mêmes organes, sont généraux à presque toutes les variétés, nous réservant de les décrire, au contraire, quand ils offriront quelque particularité.

Variétés décrites par M. Sahut :

  1. Cet article est le premier de la série dont M.  G. Sahut, membre correspondant de la Commission Royale de Pomologie, a bien voulu se charger. La Belgique lui doit l’introduction d’un certain nombre de cépages convenables à son climat, et qui sont maintenant à l’étude dans nos collections. À mesure que la Commission les adoptera, ils seront décrits dans nos Annales par M.  Sahut.