Annibal à Capoue (O. C. Élisa Mercœur)

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Œuvres complètes d’Élisa Mercœur, Texte établi par Adélaïde AumandMadame Veuve Mercœur (p. 237-240).
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ANNIBAL À CAPOUE.


 

Ah ! redeviens toi-même aux yeux de l’univers.
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Tremble que du mépris, t’apportant le poison,
L’inflexible avenir ne flétrisse ton nom.

Élisa Mercœur.
 

Qu’il repose ou qu’il veille appuyé sur ses armes,
Le soldat, attentif au moindre cri d’alarmes,
De son char le vainqueur est enfin descendu,
Inactif maintenant, son glaive est suspendu,
Et l’enfant bien-aimé, qu’adoptait la victoire,
Sur des débris de fleurs s’endort, lassé de gloire.

Ah ! redeviens toi-même aux yeux de l’univers ;
Ressaisis, s’il se peut, les heures que tu perds ;
Dans un instant, hélas ! le sommeil du courage
À pâli tes lauriers, noble fils de Carthage !


Tremble que du mépris, t’apportant le poison,
L’inflexible avenir ne flétrisse ton nom,
Et n’accuse à jamais de ton calme stérile
Le héros de Trébie, et le vainqueur d’Émile.
De gloire impatient, quand chacun de tes pas
Laissait ineffaçable une empreinte ici-bas,
Tu voulais, tu marchais, et la tremblante Rome
Attendait ses destins des ordres d’un seul homme.
Mais ton bras fatigué déposa son drapeau,
Ta main qui l’entr’ouvrait referma le tombeau.
Ton pied victorieux se soulève, il s’arrête ;
Et, prêt à le toucher, tu redescends du faîte.

Mais, absent de lui-même, en son repos fatal,
Le héros n’était plus que l’ombre d’Annibal,
Ou qu’un feu pâle offrant, reste d’un incendie,
À peine aux yeux encore une flamme engourdie.
Hier, abandonnés au souffle des hasards,
Aujourd’hui loin des camps flottent ses étendards ;
Et dans les doux festins, que son exemple avoue,
Près de lui mollement les vierges de Capoue
Mêlent par intervalle aux soupirs de leurs voix
Quelques notes d’un luth qui s’émeut sous leurs doigts.

        Jeune fille au front qui s’incline,
        Lève tes yeux aux doux regards,
        La main tremblante d’Erycine
        Détache le casque de Mars.


Celui qui ne se plaît qu’au seul bruit de ses armes,
Et qui jamais ému contemple sans pitié
La beauté, son effroi, ses regrets, ou ses larmes,
Indigent de bonheur, n’existe qu’à moitié.

        Dans les festins lorsqu’il repose,
        Heureux le guerrier désarmé !
        Les Grâces de liens de rose
        Enchaînent ce foudre calmé.

Ah ! loin de déposer les palmes de Bellone,
Sur son front teint de sang à l’heure des combats,
L’homme doit enchanter le seul jour que lui donne
L’immuable destin qui le jette ici-bas.

        Nocher, la crainte du naufrage
        De ton âme doit se bannir ;
        Sur les flots qu’agitait l’orage,
        À peine voltige un zéphir.

Abandonnant son char à la course rapide,
Le héros aux dangers dérobe un front vainqueur ;
Essayant un souris, la beauté, moins timide,
Exile cet effroi qui fit battre son cœur.

        Jeune fille au front qui s’incline,
        Lève tes yeux aux doux regards,

        La main tremblante d’Erycine
        Détache le casque de Mars.

Et Mars les écoutait ces chants du déshonneur !…
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Ce fut en 1826 qu’Élisa commença Annibal à Capoue ; mais cette époque de la vie de ce grand homme qu’on lui avait conseillé de traiter lui déplaisait, et elle n’acheva pas le morceau.