Arômes du terroir/Moue printanière

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Imprimerie Beauregard (p. 37-40).

Moue printanière


La dernière neige nous glace
Après le faux soleil de l’Ours.
L’hiver en tapinois relace
L’hermine sur le vert velours.

L’herbe s’était remise à croître
Dans l’aire humide du terreau,
Et le bourgeon poussait son goître
Au nez du monde passereau.


Pendant au moins une semaine,
Le sol, sous la chaleur molli,
Avait repris son rire amène
Depuis novembre démoli.

Étourneaux, geais, merles et grives,
Venus avec leurs violons,
Symphonisaient sur les solives
Qui font niche dans les moellons.

La libellule damoiselle,
Reprenant son air sauvageon,
Du ramier condamnait le zèle
À battre l’aile de pigeon.

Arrivant en bruit de rafale,
Toute la famille Moineau
Dans l’humus se gorgeait la fale,
Qui rondoyait comme un tonneau.

Ça et là de jeunes boutures,
Craintives de voir l’astre en feu,
Se terraient le long des clôtures
En attendant le couvre-feu.


Acharnés autour d’une mare,
Un essaim de grouillants marmots
Que l’éclaboussement chamarre,
Faisaient de la houe et des mots.

Des croassements de corneille
Rauquaient dans le limpide azur,
Pendant que les nids en corbeille
Se moquaient d’elle, sur le mur.

Puis on vit Jean et sa Jeannette
Qui se regardaient sans parler,
Lui rougissant, elle inquiète,
Et craignant de capituler.

Toute la vie allait renaître !
Lorsque venu d’En-Haut, tout noir,
Apparut le norroi, ce traître,
Entraînant son gel et son soir.

Et l’herbe tut toute glacée,
Le bourgeon mourut de douleur,
La terre eut sa robe froissée
Et les oiseaux eurent souleur.

Les nids turent leurs mélodies,
Voyant sous le ciel inclément
Des perspectives enlaidies
Surgir à fond de firmament.

Jeannette et Jean, le cœur en peine,
S’enfuirent du bois parfumé,
Pour couvrir d’un gilet de laine
Leurs cœurs transis d’avoir aimé.

Profitons bien des heures brèves
Qui se réchauffent de soleil,
De baisers, de serments, de rêves,
Dans un merveilleux appareil.

La bourrasque monte trop vite
Sur nos ébauches de bonheur,
Et nos illusions en fuite
Ne laissent que du vide au cœur !

Avril 1916.