Asie britannique - Administration des Indous

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un ancien gouverneur dans les Indes-Orientales

ASIE BRITANNIQUE.




ADMINISTRATION


DES INDOUS.




Nous avons déjà jeté un coup-d’œil sommaire[1] sur la nature des élémens dont se compose le gouvernement britannique dans l’Inde ; et tout ce qu’une bonne théorie semblait indiquer de meilleur nous a paru avoir été adopté par ce Gouvernement et la Compagnie. Cependant, avec un corps administratif si ingénieusement organisé, avec tant d’obstacles aux abus, avec un système d’investigation si scrupuleux on s’accorde à représenter la masse de la population indienne comme se trouvant dans un état de pauvreté et de misère extrême, tandis qu’il est assez généralement reconnu que sous quelques-uns des princes mahométans, sous Akbar par exemple et ses trois descendans immédiats, l’empire de l’Inde était plus florissant qu’aucun autre pays, et que la population en était riche et nombreuse.

Les admirateurs les plus ardens du système actuel ne nieront assurément pas que l’état présent de l’Inde est loin de répondre à ce que l’on serait en droit d’attendre.

Le gouvernement britannique prétend régir les naturels suivant leurs propres lois ; il veut tolérer avec impartialité leurs religions diverses, ne point établir de nouveaux impôts qui seraient vexatoires, et faire régner la justice non-seulement dans les relations d’homme à homme, mais aussi dans celles de sujet à souverain. Il est évident que nous ne saurions exposer les conséquences d’un pareil système sur l’état des Indous, si nous ne connaissons pas, indépendamment des lois qu’on cherche à maintenir, la nature des impôts qui forment le revenu de la Compagnie, et auxquels, dit-on, le peuple est depuis si long-temps habitué. Plus tard, nous tâcherons d’indiquer à nos lecteurs d’où proviennent les maux dont on se plaint.

Aujourd’hui, nous nous bornerons à l’examen du système administratif des Indous, peuple que tout annonce avoir été le conquérant de l’Inde à une époque reculée, qui s’y établit avec sa religion, sa langue et ses institutions politiques, mais qui ne parvint pas à en chasser entièrement les aborigènes. Après les Indous, les mahométans se sont emparés de la domination du pays et l’ont exercée pendant sept siècles sur les trois dixièmes du territoire. Après eux sont venus les Anglais, qui occupent actuellement les quatre cinquièmes de cette contrée. Chacune de ces races ayant un langage particulier, une religion, des mœurs et des coutumes différentes, exerça, à diverses époques, une influence d’une nature toute spéciale sur ceux qui l’avaient précédée.

Toutes les investigations et toutes les preuves historiques viennent à l’appui de cette opinion, que les races qui habitent la partie montagneuse de l’Inde, tels que les Parias, les Puller et les Pully, sont aborigènes.

Leur organisation en communauté dans les montagnes de l’Inde où ils cultivent les céréales les plus grossières, l’habitude qu’ils ont d’élever des troupeaux, confirment la tradition et les récits historiques des Indous qui représentent leurs prédécesseurs comme une race de bergers nomades ; et ce qui n’est pas moins remarquable, c’est qu’ils sont encore esclaves ou serfs de la glèbe dans les contrées de Malabar et du Tamoul méridional, où les mahométans n’ont jamais pénétré. Ce fait semble venir à l’appui des récits suivant lesquels les rois aborigènes furent chassés par les Indous qui soumirent les vaincus aux lois de la conquête en les traitant comme esclaves. Ce sujet, très-curieux, donnerait lieu, sans doute, à des recherches intéressantes ; mais les limites de notre recueil ne nous permettent pas de lui accorder toute l’attention qu’il mériterait.

Il ne nous appartient pas non plus de décider à quelle époque les Indous ont fait cette conquête, nous nous bornerons à dire qu’ils vinrent du nord, et qu’à l’époque où Menou écrivait ses institutes, environ 880 ans avant Jésus-Christ, la race d’hommes pour laquelle ce code fut composé n’avait pas encore traversé les fleuves Mahanudda et Nerbudda, ou plutôt les monts Vindhaga, ainsi qu’il résulte évidemment des limites territoriales assignées par Menou lui-même aux pays des Indous. Son code semble avoir été composé pour un peuple déjà très-avancé dans la civilisation, et si nous faisons abstraction des flatteries adressées au sacerdoce, que l’on y rencontre fréquemment, nous ne pourrons nous empêcher de considérer ce plan de gouvernement comme un des plus remarquables et des plus complets qui soient parvenus à notre connaissance. Dans la constitution des Indous, chaque village représentait une petite république ; plusieurs villages composaient un district, et plusieurs districts une principauté ou un royaume. Le sol de chaque village, qu’il était prescrit d’administrer avec autant de soin qu’un domaine privé, appartenait aux habitans primitifs ; et quoique la propriété ait été divisée et subdivisée, le nombre des portions primitives et le nom de chaque propriétaire s’est conservé jusqu’à nos jours. Les travaux et les fruits de la terre étaient répartis entre les cultivateurs ; quelquefois aussi chacun cultivait séparément sa propriété. Ces terres étaient aliénables et héréditaires, la loi ne permettait au souverain d’exiger, à titre d’impôt, que le dixième, le huitième ou le sixième du revenu, suivant la nature des produits ; et ce n’était qu’en temps de guerre ou de détresse extrême que le gouvernement était en droit d’exiger le quart. Chaque village avait au moins un membre des professions suivantes : charpentier, potier, barbier, chirurgien, maréchal ferrant, blanchisseur, orfèvre, watchman, prêtre, maître d’école, augure ou astrologue, et un greffier. Lorsque les villages devinrent des villes, et que ces diverses professions s’organisèrent en corporations, elles reçurent des règlemens particuliers.

La loi enjoignait expressément au souverain de n’intervenir en aucune façon dans les affaires des communautés, ou dans les statuts des corporations, ces corps étant chargés de régler eux-mêmes leurs différends.

Menou avait non-seulement déterminé la portion du revenu des sujets à laquelle le souverain avait droit, mais il spécifiait encore avec beaucoup d’exactitude la part de chaque article de commerce ou de manufacture qui revenait à la couronne.

Le roi nommait un magistrat pour administer un certain nombre de villes : tous les offices civils, depuis celui de chef de village jusqu’à celui de chef de district, étaient héréditaires ; chaque fonctionnaire recevait ses émolumens sur les revenus de son village ou district, et le reste appartenait au gouvernement.

Aussi long-temps que le roi et ses ministres s’abstinrent d’intervenir dans l’administration intérieure des villages, la communauté regarda d’un œil indifférent toutes les luttes extérieures et même intérieures qui avaient le pouvoir pour objet ; et comme la loi avait défini avec beaucoup d’exactitude, non-seulement la nature, mais encore le montant des revenus, des taxes excessives ne pouvaient être établies, sous aucun prétexte ; une police active protégeait les habitans et les voyageurs, et le droit qu’avait le public ou la communauté de demander que le voleur ou la chose volée se retrouvât, intéressait puissamment chaque individu à la recherche du criminel.

Le roi devait présider les tribunaux indous, soit en personne, soit par le ministère d’un délégué. La cour se composait d’un juge titulaire, qui appliquait la loi, de plusieurs assesseurs nommés par le souverain, seuls juges du point de fait ; le roi ou son représentant faisait exécuter le jugement. Le devoir du juge était d’interroger les parties, et de bien examiner les circonstances qui lui sembleraient présenter du doute. Trois assesseurs au moins siégeaient avec lui ; le plus souvent on en nommait cinq ou sept. Outre ces magistrats, les tribunaux avaient trois officiers ; l’un, versé dans la comptabilité, était chargé de vérifier les comptes sur lesquels des parties pouvaient être en procès, un autre dirigeait la procédure et le troisième faisait comparaître les parties et les témoins. On prenait pour assesseurs des hommes instruits, et d’un beau caractère ; leurs émolumens étaient de nature à les rendre inaccessibles à la corruption.

Le peuple assistait à tous les débats judiciaires ; quatre sortes de tribunaux ou cours rendaient la justice ; leurs jugemens pouvaient être attaqués par voie d’appel.

1o La cour du roi, ou la cour qu’il présidait par le ministère de son délégué ;

2o La cour dont les assesseurs ou les jurés habitaient la même ville que les parties ;

3o Une cour pour statuer sur les contestations qui s’élevaient entre les artisans, et dans laquelle des artisans étaient les assesseurs ou jurés ;

4o Une cour pour la décision des contestations qui s’élevaient entre parens, et où des parens siégeaient comme assesseurs ou jurés.

On ne pouvait interjeter appel du jugement d’un tribunal supérieur à un tribunal inférieur.

Quand le roi donnait un ordre injuste, relativement à un procès, le juge devait s’y opposer, lui adresser des remontrances ; et si le roi ne se soumettait point, le juge n’en restait pas moins irréprochable ; le flatter quand il s’éloignait du sentier de la justice, aurait été considéré comme un crime.

L’appel n’était admissible qu’autant que l’appelant trouvait caution pour une amende de même valeur que l’objet en litige. Si la première sentence était confirmée, les juges d’appel infligeaient sur cette caution, et suivant la nature de l’affaire, une amende dont ils étaient maîtres de fixer le montant.

Tel était l’état de la société, lorsque les Indous, qui avaient long-temps possédé l’Inde, furent subjugués à leur tour par un autre peuple venu de la même région qu’eux.

Sans rechercher ici les causes du succès des armes mahométanes, nous sommes obligés de reconnaître que l’extension rapide que prit leur pouvoir est sans exemple dans les annales de l’univers. Un homme très-obscur de l’Arabie parvint à se former, en moins de vingt ans, une armée de plus de cent mille hommes, et un demi-siècle après, Abdurrahman occupait l’Espagne sur les rives de la mer Atlantique ; Mohammed Kazim avait conduit une armée aux rives de l’Inde, tandis que le pays des Ptolémées se soumettait au glaive de Khalid, et que le pays des Parthes et des Mèdes reconnaissait la souveraine puissance du calife Omar. Ce ne fut cependant que trois siècles plus tard que les mahométans, commandés par Mahmoud de Ghizny, envahirent avec succès le pays des Indous : plusieurs tentatives avaient été manquées ; mais il était réservé à Mahmoud d’établir un gouvernement mahométan dans le Pendjab. Plus de cent cinquante années s’écoulèrent encore avant que les Musulmans pénétrassent plus avant dans l’intérieur ; mais le flot de la conquête qui amena les hordes de la Scythie dans les belles plaines de la Perse, et qui les rendit maîtresses de la Terre-Sainte et de l’Égypte, détermina les Musulmans établis depuis long-temps à l’ouest de l’Inde, à recommencer leurs incursions. Chehabuddin Mohammed Ghouri, animé de l’ardeur guerrière de ces barbares, se mit à leur tête, et envahit l’Inde avec une armée plus nombreuse qu’aucune de celles qu’on avait vues jusqu’alors. La puissance de Prethi-Raj, roi indou de Delhi, fut renversée en 1206, celle des mahométans s’établit sur ses ruines ; et plus d’un siècle s’écoula avant que les conquêtes des Musulmans s’étendissent sur Guzurat. Le voisinage entre cette province et le Decan inspira naturellement aux vainqueurs le désir de la soumettre ; la faiblesse du gouvernement de Dehli en amena peu à peu le démembrement, et, au quinzième siècle, on trouve treize royaumes mahométans indépendans dans l’Inde, tandis qu’on n’avait laissé au roi indou qu’une petite étendue de territoire autour de sa capitale. L’empire de Dehli ne recouvra sa splendeur primitive qu’après son entière dissolution en 1526.

À cette époque, Baber, le premier de la race, que nous désignons sous le titre de Grand-Mogol, fit la conquête de Dehli, tua le prince régnant Ibrahim Lodi, jeta les fondemens de ce puissant empire qui, sous son petit-fils Akbar et ses descendans Djihânguir et Chah-Djihan, surpassa en splendeur, en puissance et en richesse, celui des plus grands potentats de l’Europe.

Les évènemens qui suivirent la mort d’Aurengzib, en 1707, amenèrent le rétablissement de la puissance des Mahrattes, et l’abaissement de celle des Musulmans. Dans le court intervalle d’un demi-siècle, la plus grande partie du territoire mahométan se soumit à leur domination, et dans les trente dernières années qui viennent de s’écouler, on a vu le nouveau gouvernement tomber à son tour sous les efforts des serviteurs d’une compagnie de marchands.

Après avoir exposé l’élévation et la chute de la puissance musulmane, qui a été remplacée dans l’Inde par la domination anglaise, nous croyons devoir entrer dans le détail des principes par lesquels les souverains mahométans se dirigèrent, et examiner l’influence de leur gouvernement sur le peuple qu’ils soumirent. La loi de Mahomet ordonne que tous les infidèles embrasseront la vraie croyance religieuse, qui est celle de l’islamisme, et en cas de refus de leur part, cette loi autorise à égorger les hommes et à retenir captifs les femmes et les enfans.

Plus tard, lorsque la puissance musulmane s’étendit hors de l’Arabie, les califes se relâchèrent de la rigueur des préceptes du prophète, et permirent aux habitans de la Syrie de conserver leur religion, à condition qu’ils paieraient une capitation ; et toutes les terres furent déclarées appartenir aux conquérans, qui exigèrent qu’une moitié des produits leur fût livrée.

Quant aux droits, la loi musulmane n’en reconnaissait aucun aux peuples conquis ; mais plus humains que les Grecs, les Romains ou les Indous, les mahométans se contentaient de s’emparer des propriétés de ceux qu’ils subjuguaient, sans les soumettre à un esclave perpétuel. Les conquérans mahométans n’usèrent pas, dans leurs différentes luttes avec les Indiens, de toute la sévérité déployée par leurs co-religionnaires qui, antérieurement, avaient subjugué la Syrie et la Perse : ils jugeaient impolitique et impraticable de les forcer à se convertir à l’islamisme. Suivant les récits des vainqueurs eux-mêmes, les soldats indous leur opposèrent, en toute occasion, une résistance désespérée. Leurs armées furent vaincues, dispersées, anéanties ; mais on ne leur reproche nulle part une fuite honteuse. Les femmes sacrifièrent leurs bijoux et leurs ornemens pour payer les soldats ; et aucun des efforts dont est capable un peuple qui combat pour ses foyers, ne fut négligé pendant ces luttes sanglantes, qui durèrent des siècles sans que les mahométans pussent parvenir à prendre possession du sol du pays : car ils se contentèrent, dans les premiers temps, de recevoir des tributs, laissant les propriétés dans les mains des vaincus. Les monarques indous se virent alors forcés de lever des taxes extraordinaires sur leurs peuples ; aussi est-il probable que dans ces circonstances, les impôts sur les céréales furent élevés autant que la loi le permettait, c’est-à-dire à 25 pour cent, proportion que les mahométans trouvèrent sans doute établie partout, lorsque la mort d’un roi vaillant et l’avénement d’un enfant à la couronne furent mis à profit par eux, pour soumettre tout à leur autorité. Dans ce changement, les communautés des villages n’éprouvèrent aucune modification ; les officiers héréditaires de district furent conservés dans leur patrimoine, et un général mahométan, avec quelques troupes, maintint la conquête sans porter aucun trouble dans la constitution. Cependant la demande de la moitié des fruits, au lieu du douzième ou du dixième, produisit sur les propriétés des effets qu’il est curieux d’examiner. Lorsque les chefs indous ne percevaient que des taxes légitimes sur les céréales, alors même qu’elles s’élevaient à 25 pour cent du revenu, il restait une somme au propriétaire foncier, après le paiement des frais de culture, généralement évalués à 50 pour cent. Dans ces circonstances, les terres avaient encore une valeur considérable, et le propriétaire d’un domaine de 100 arpens pouvait trouver à vendre ou à louer, d’une manière avantageuse, la portion de son domaine, qu’il ne jugeait pas à propos de cultiver lui-même. Mais lorsque le gouvernement mahométan exigea la moitié du revenu, le propriétaire fut réduit à l’humble condition d’un fermier, avec un domaine que nul ne pouvait louer ou acheter. Cependant les mahométans reconnurent nominalement le droit de propriété, sous les noms de malik, mirasdar ou achraf, mots qui signifient terres privilégiées et droit d’occupation. Mais ces titres, qu’elles ont encore aujourd’hui, ne leur conféraient aucun autre avantage. La valeur des propriétés foncières s’éteignit donc sous le poids de taxes accablantes, tandis que, chose vraiment étrange, les esclaves des conquérans indous, jusqu’alors attachés à la glèbe, obtinrent leur liberté par suite des revers qu’avaient éprouvés leurs maîtres. Dans la suite des temps, la rigueur avec laquelle on avait d’abord traité les vaincus, diminua insensiblement. Les Indous et les Musulmans, nés et élevés sur le même sol, se réconcilièrent, et l’on vit même les Indous prendre quelquefois de l’ascendant à la cour de leurs maîtres.

En général, la politique cauteleuse qui restreignait les Indous aux fonctions de collecteurs du revenu public, tandis que la force militaire restait concentrée dans les mains des vainqueurs, continuait à prévaloir partout. Cet usage des conquérans leur donnait une puissance considérable en même temps que l’emploi des Indous dans les charges civiles leur conférait une grande autorité sur leurs concitoyens, et les empêchait de risquer dans une révolte les avantages qu’ils possédaient ; aussi toutes les tentatives de ce genre n’ayant été que partielles, furent très-aisément réprimées. Il paraît cependant que l’autorité des Musulmans ne s’étendit jamais complètement sur l’Inde, car on y trouve encore aujourd’hui de vastes étendues de pays, telles que le Rajestan dans l’Inde supérieure, qui avait appartenu aux chefs indous et où domine encore l’ancienne forme de leur gouvernement.

On ne saurait nier que les réglemens politiques des mahométans ne fussent combinés de manière à être très-oppressifs ; mais peu à peu ils dépensèrent dans le pays ce qu’ils en tiraient, les richesses qu’ils accumulèrent firent rechercher les produits territoriaux, et encouragèrent le commerce et le développement de l’industrie.

Les Indous obtinrent plus tard des priviléges précieux, même pour les propriétés foncières, priviléges dont leurs maîtres ne s’apercevaient pas toujours. C’est ainsi que la taxe de 50 pour cent du revenu fut considérablement diminuée.

Durant la domination musulmane, tout le revenu affecté au soutien des établissemens religieux indous fut supprimé. Les terres qui le fournissaient demeurèrent long-temps sans culture ; elles devinrent entre les mains des mahométans un moyen de récompenser les fermiers publics et de soutenir les établissemens appartenant à leur religion. Ceux qui les obtinrent, étant incapables de les cultiver et de les administrer par eux-mêmes, les affermèrent aux Indous, qui en partagèrent les revenus avec les propriétaires. Ils servirent à couvrir les taxes énormes que le gouvernement mahométan prélevait, et une grande partie des terres que les Indous avaient consacrées à la religion furent cultivées sans payer d’impôts.

Ces irrégularités n’échappèrent point à la vigilance des collecteurs indous ; mais ils avaient un intérêt direct à cacher la fraude, et partager les profits des terres avec les fermiers qui les cultivaient. Partout où les Musulmans faisaient des conquêtes, ils réclamaient un droit de propriété sur le sol pour le souverain, et établissaient une taxe qui absorbait à la fois l’impôt public et le revenu du propriétaire. Les moyens auxquels les Indous eurent recours pour échapper à cette oppression viennent d’être expliqués, et comme les impôts étaient toujours, suivant l’usage antérieur à la conquête, calculés sur le montant du revenu des terres, sans que l’on prît en considération l’étendue du terrain cultivé, il en résultait un grand avantage pour le cultivateur dans un pays où le rapport entre l’argent et les produits bruts est tellement susceptible de varier.

Quant à l’administration de la justice, sous le gouvernement mahométan, on ne reconnaissait d’autre code que le Coran, et d’autres tribunaux que ceux des Musulmans.

Dans cet état de société, les lois spéciales des corporations et les modes d’établissement communs parmi les Indous, suppléèrent à toute autre voie de redressement de leurs griefs, et quoique nous ne puissions supposer que les sources de la justice fussent très-pures, il est du moins facile de concevoir que les tribunaux devaient remédier en grande partie à l’absence d’autres moyens de protection. C’est donc parce que les Indous ont été organisés en communauté, qu’ils existent encore aujourd’hui comme peuple distinct. L’union intime qui régnait entr’eux les a seule mis en état de résister pendant six siècles à la tyrannie et à la cruauté musulmane. Des populations entières d’Indous se convertirent pour conserver leurs terres, et nous trouvons des preuves de ces conversions chez les Lengas du Moultan, les Someras du Sind, les Gekkers du Pouja, et les Mewatties de Hissar, qui élèvent la force numérique des Musulmans à 15 ou 20 millions. Cependant la grande masse de la population indoue a conservé ses mœurs, son langage, sa religion, et même la constitution de son gouvernement, pure et sans mélange à travers des siècles, et à un degré qui n’a été égalé dans aucun pays du monde.

Dans une prochaine livraison, nous tracerons les effets de l’administration anglaise dans ces intéressantes régions, et nous exposerons les causes qui, jusqu’à présent, ont empêché la population de l’Inde de sortir de cet état de dégradation où elle est plongée, en dépit des obstacles qu’une politique ingénieuse s’était efforcée d’opposer aux abus du pouvoir.


un ancien gouverneur dans les Indes-Orientales
  1. Première livraison, page 91.