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Astronomie populaire (Arago)/V/03

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 189-192).

CHAPITRE III

de la sensibilité de l’œil pour la vision des étoiles


La sensibilité de l’œil est très-variable suivant les points de la rétine où l’image vient se former. Ainsi, lorsqu’on regarde directement une très-faible étoile avec un télescope, on peut ne pas la voir, tandis qu’on aperçoit distinctement des étoiles qui ne sont pas plus brillantes situées à droite ou à gauche de la première. Les astronomes ont eu mille fois l’occasion de remarquer que pour observer les très-faibles satellites de Saturne, il faut diriger sa vue à quelque distance du point où le satellite se trouve ; en ce sens, on peut dire sans paradoxe, que pour apercevoir un objet très-peu lumineux, il faut ne pas le regarder.

Cette remarque est citée dans un ouvrage d’Herschel comme résultant de ses propres observations, mais elle était déjà consignée dans un Mémoire de Cassini IV.

Peut-être expliquera-t-on le fait d’une manière très simple, en faisant observer que le centre de la rétine étant le point qui, dans l’acte de la vision est le plus fréquemment employé, doit conséquemment le premier perdre de sa sensibilité.

Il y a de très-grandes différences quant à la sensibilité entre des vues d’ailleurs très-saines.

Tout le monde se rappelle ce vers d’Ovide sur les pléiades :

Quæ septem dici, sex autem esse solent.

« Lesquelles sont appelées les sept quoiqu’il n’en paraisse que six. »

Eh bien ! il y a des personnes qui en voient réellement sept. Le docteur Longs était de ce nombre. Il cite un de ses amis qui en comptait huit. Kepler rapporte même que son maître Mæstlin, sans le secours de lunettes ou de besicles, distinguait dans ce même groupe des pléiades jusqu’à quatorze étoiles.

La visibilité des très-petits objets, et particulièrement des étoiles, dépend non-seulement de la sensibilité de la rétine, mais encore de la perfection avec laquelle les images vont se peindre sur cet organe, La concentration des images dans un petit espace exerce surtout une grande influence lorsqu’il s’agit de la visibilité d’objets voisins. C’est probablement à cette cause qu’il faut attribuer les jugements contradictoires auxquels on est arrivé sur la possibilité de voir à l’œil nu les satellites de Jupiter. Pour soumettre cette idée à l’épreuve d’une expérience directe, je fis construire une lunette qui avait un objectif et un oculaire exactement de même foyer ; un pareil instrument permettait bien de terminer les images des objets, de faire disparaître en très-grande partie ces longs rayons divergents qui accompagnent l’image d’une étoile sans rien ajouter à la puissance optique de l’œil. Avec cette lunette d’un nouveau genre, tous les jeunes astronomes de l’Observatoire de Paris (MM. E. Bouvard, Laugier, Mauvais, Goujon, Faye), ont pu apercevoir dès le premier essai un satellite convenablement écarté de la planète.

M. D’Anjou rapporte que des peuplades de la Sibérie, les Iakoutes, ont différentes fois remarqué que l’étoile bleue (Jupiter) avalait (swallow) une autre très-petite étoile, et que bientôt après elle la rendait (send it). Ainsi ces peuplades avaient observé à l’œil nu les immersions et les émersions des satellites de Jupiter. Était-ce à cause de la sensibilité de leur rétine ou de la perfection avec laquelle les images venaient s’y peindre ? L’expérience faite à Paris, avec une lunette sans grossissement, vient à l’appui de la seconde hypothèse.

La visibilité d’un objet se peignant sur un point donné de la rétine, est affectée par la formation d’images très faibles dans les points environnants, même lorsque aucun rayon divergent n’en émane ostensiblement.

Ce fait a été constaté par des observations faites à Rome dans l’Observatoire de cette ville. Le père Vico et ses collaborateurs remarquèrent que les faibles satellites de Saturne étaient visibles dans une lunette de Cauchoix, alors seulement qu’on avait le soin de placer l’image de la planète sous une lame opaque. Voici l’explication que j’ai cru pouvoir donner de ce phénomène :

La cornée, soit à cause de sa teinte spéciale, soit à raison des stries solides ou liquides qui la sillonnent, disperse dans tous les sens une portion notable de la lumière qui la traverse, comme le ferait un verre légèrement dépoli. Si un astre éclatant se trouve dans le champ de la vision, la rétine ne peut donc manquer d’être fortement éclairée dans tous ses points. Dès lors les autres astres ne sauraient devenir visibles que si leurs images régulières prédominent sur cette lumière diffuse. Ceci posé, lorsque dans les observations de Rome la plaque opaque focale couvrait Saturne, la rétine de l’astronome cessait d’être illuminée par voie de dispersion, les sixième et septième satellites se peignaient sur des fibres nerveuses placées dans une obscurité à peu près complète, et produisaient un effet sensible. Saturne venait-il, au contraire, à se montrer, toute la rétine s’éclairait, surtout près de l’image de la planète. Les images des deux faibles satellites étaient dès lors noyées dans cette lumière générale, et n’ajoutaient pas assez à son intensité pour que l’organe le plus délicat parvînt à saisir quelque différence entre les points où elles se peignaient et les points voisins