Astronomie populaire (Arago)/XVI/10

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 242-252).

CHAPITRE X

historique du mouvement de translation de la terre autour du soleil


Aristarque, de Samos, qui vivait vers l’an 280 avant Jésus-Christ, supposa, suivant Archimède et Plutarque, que la Terre circulait autour du Soleil, ce qui le fit accuser d’impiété.

Cléanthe, d’Assos, qui vivait vers l’an 260 avant Jésus-Christ, serait, suivant Plutarque, le premier qui aurait cherché à expliquer les phénomènes du ciel étoilé par le mouvement de translation de la Terre autour du Soleil combiné avec le mouvement de rotation de cette même Terre autour de son axe. L’explication était, suivant l’historien, tellement neuve, tellement contraire aux idées reçues généralement, que différents philosophes proposèrent de diriger contre Cléanthe une accusation d’impiété, ainsi qu’on l’avait fait contre Aristarque.

Fig. 180. — Système planétaire de Ptolémée.

Le système planétaire des anciens, tel que nous l’a transmis Ptolémée, présente donc la Terre comme le centre des mouvements des planètes. Autour de la Terre (T ) se meuvent (fig. 180), à peu près dans le même plan, les sept astres appelés planètes par les anciens, savoir : la Lune (L ☾ ), Mercure (Me ☿), Vénus (V ♀), le Soleil (So ☉), Mars (Ma ♂), Jupiter (J ♃), Saturne (Sa ♄). Les rayons des déférents qui passent par les centres des épicycles de Mercure et de Vénus, sont toujours dirigés vers le Soleil. Les rayons menés de Mars, Jupiter et Saturne aux centres de leurs épicycles respectifs, doivent toujours rester parallèles à la ligne droite TSo, qui joint la Terre au Soleil. Les déférents des sept astres errants autour de la Terre sont du reste excentriques par rapport à notre globe. Tel est le système de Ptolémée, dont chacune des hypothèses est pour ainsi dire une erreur.

On voit que tout en regardant la Terre comme le centre des mouvements des planètes, que tout en supposant notre globe immobile, les anciens avaient reconnu une certaine dépendance entre les mouvements des planètes et le mouvement apparent du Soleil. Mais ils ne pouvaient arriver à saisir les inextricables complications que leur offrait le système du monde. Copernic, au XVIe siècle, chercha à résoudre toutes les difficultés du problème en revenant aux idées autrefois soutenues par le philosophe pythagoricien Philolaüs. Ce dernier avait défendu l’opinion que la Terre était une planète circulant autour du Soleil. Copernic commence par examiner dans son grand ouvrage de Revolutionibus si cette opinion peut se concilier avec les faits observés. Il trouva alors que l’hypothèse du transport de la Terre le long d’une orbite placée autour du Soleil donne une base propre à déterminer exactement les rapports des distances des diverses planètes au Soleil, et il put construire un système du monde qui n’aura plus rien à redouter de l’examen sévère de la postérité (fig. 181).
Fig. 181. — Système planétaire de Copernic.

Dans le système de Copernic, la Terre circule autour du Soleil en emportant avec elle la Lune comme satellite. Mais l’illustre astronome ne renonce encore ni aux déférents excentriques, ni aux épicycles, pour expliquer les irrégularités des mouvements du Soleil, des planètes, et certaines variations imaginaires dans la précession des équinoxes et dans l’obliquité de l’écliptique. Selon le grand astronome de Thorn, la Terre était animée de trois sortes de mouvements : le premier, dans le cours du jour et de la nuit, autour de son axe, de l’occident vers l’orient ; le second, dans l’espace d’un an, le long de l’écliptique dans le même sens de l’occident vers l’orient ; le troisième, qu’il appelait de déclinaison, ayant lieu en sens inverse des signes du zodiaque ou de l’orient vers l’occident.

Le troisième mouvement avait pour but de permettre l’explication des phénomènes des saisons et des phénomènes du mouvement diurne. Il faut d’abord admettre que dans son mouvement de circulation autour du Soleil, la Terre se meut de manière que son axe de rotation reste toujours parallèle à lui-même ou soit dirigé vers les mêmes régions de l’espace. Cette nécessité avait été parfaitement sentie par le chanoine de Thorn, et comme elle ne paraissait pas conciliable avec les idées qu’on avait à son époque d’un mouvement de révolution autour d’un centre, il avait supposé que la Terre qui, suivant les sens de ce même mouvement, aurait dû avoir toujours les mêmes parties tournées vers le Soleil, éprouvait sur elle-même de petits déplacements en vertu desquels son axe restait constamment parallèle à lui-même, c’est ce qu’il appelait le troisième mouvement de la Terre.

Copernic, comme les anciens philosophes, croyait qu’un corps ne pouvait tourner autour d’un centre que s’il était soutenu par un corps solide, par une sphère de cristal, par exemple, à la surface de laquelle il était fixé. Dans ce cas, c’était toujours la même partie du corps qui regardait le centre dans toutes les positions que prenaient les points correspondants de la sphère par un mouvement de rotation.
Fig. 182. - Circulation d’un corps autour d’un centre.

On ne concevait pas alors qu’un corps pût tourner librement autour d’un centre sans être soutenu, que la partie A de ce corps (fig. 182), qui allait en avant ou dans le sens du mouvement à une certaine époque, pût, lorsque la demi-révolution autour du corps central était achevée, marcher pour ainsi dire à reculons ainsi que le représente la figure.

Lorsque les notions de mécanique se furent perfectionnées, on vit bien que le mouvement de circulation d’une sphère autour d’un centre et son mouvement de rotation sur elle-même sont tout à fait indépendants l’un de l’autre ; qu’une sphère peut circuler en restant constamment parallèle à elle-même, de manière que la partie qui, dans une portion de la courbe, est en avant du mouvement, soit en arrière lorsque la demi-révolution est achevée.

Galilée montra par une expérience très-ingénieuse l’indépendance des deux mouvements en question ; il prouva dans son troisième dialogue qu’une sphère peut être douée d’un mouvement de révolution plus ou moins rapide, autour d’un centre éloigné, sans cesser de rester parallèle à elle-même. Pour cela, ayant placé une sphère dans un vase rempli d’eau, il prit ce vase dans sa main, et, le bras tendu, il lui donna un prompt mouvement de révolution autour de sa personne en tournant sur ses talons. Ce mouvement de rotation n’empêcha pas les parties de la sphère flottante de rester toujours dirigées vers les mêmes régions de l’espace.

Cette expérience a été répétée sous une autre forme par les successeurs de Galilée ; voici comment elle est décrite dans un ouvrage de Bouguer sur le mouvement des apsides (périgée et apogée).

J’avertis que je cite de mémoire.

Supposons qu’un corps de forme quelconque soit soutenu par une pointe très-fine passant par son centre de gravité, et que cette pointe repose sur un plan de métal bien lisse ; cela étant admis, supposons que l’on donne à ce plan un mouvement de révolution autour d’un centre, soit en le transportant dans toutes les parties d’une grande salle, soit en le tenant à bras tendu à une certaine distance de l’observateur, qui alors tournerait sur lui-même, et serait le centre de révolution du plateau. Eh bien, dans ces deux cas, une ligne quelconque menée par deux points opposés du corps supporte par la pointe aiguë restera parallèle à elle-même, ou sera dirigée vers les mêmes régions de l’espace au lieu de pointer, comme le croyait Copernic, au centre de l’appartement où l’expérience s’est faite, ou au corps de l’observateur tournant sur lui-même.

La nécessité de faire supporter le corps par une pointe très-aiguë est évidente d’elle-même ; c’est alors seulement que les points matériels du corps soutenu étant presque en contact avec le prolongement de l’axe de la pointe, ne peuvent pas recevoir du mouvement de circulation attribué au corps, l’impulsion qui leur communiquerait un mouvement de rotation autour de cet axe délié, mouvement qui ne manquerait pas de se transmettre aux autres points matériels du corps suspendu.

Il résulte de ces expériences bien comprises que le parallélisme de l’axe de la Terre pendant le mouvement de circulation de notre globe autour du Soleil, loin d’exiger l’action d’une force qui le rétablisse sans cesse, est un phénomène conforme aux lois de la mécanique, et que le troisième mouvement indiqué par Copernic, difficulté sérieuse contre son explication des mouvements planétaires, n’est nullement nécessaire.

L’ouvrage de Copernic sur les Révolutions célestes fut condamné par la congrégation de l’Index.
Fig. 183. — Système planétaire de Tycho-Brahé.

Dominé par des scrupules religieux résultant de fausses interprétations de la Bible, ou par le désir d’attacher son nom à un système de l’univers différent de celui de Copernic, Tycho-Brahé supposa la Terre immobile au centre du monde (fig. 183) : toutes les planètes auraient eu le Soleil pour centre de leurs mouvements, et le Soleil, suivi de ce cortége de planètes, aurait circulé autour de la Terre, autour de laquelle d’ailleurs Tycho faisait directement tourner la Lune. Il ne faut pas croire qu’en proposant ce système, le célèbre astronome danois se fût débarrassé des épicycles qui compliquaient jusqu’alors d’une manière si peu heureuse tous les systèmes planétaires imaginés. On voit en effet, dans ses ouvrages, que, suivant lui, l’orbe de Saturne était concentrique au Soleil, tandis que cet orbe portait deux épicycles, et que c’était sur le contour du second que la planète se mouvait. Tycho pensait en outre que les étoiles étaient très-près de l’orbe de Saturne, parce qu’il serait absurde, disait-il, de croire à des espaces vides d’étoiles et de planètes. Il appartient à Kepler d’avoir établi le vrai système planétaire, en reprenant les idées de Copernic sur la position centrale du Soleil autour duquel les planètes circulent, et en rompant avec les vieilles hypothèses des mouvements circulaires uniformes autour d’un point excentrique, idéal, vide de toute matière, et des mouvements qu’on supposait se faire dans des épicycles. Kepler imagina que le Soleil est le centre des mouvements des planètes circulant le long de circonférences d’ellipses dont l’astre radieux occupe un des foyers. Pour mettre cette supposition à l’abri de toute critique, pour l’établir comme une vérité désormais immuable, il exécuta un nombre prodigieux de calculs avec une infatigable persévérance. Il s’appuya surtout sur les observations de la planète Mars faites par Tycho avec une, exactitude remarquable. Il parvint à expliquer toutes les particularités du mouvement de cette planète qui avaient rebuté les efforts des anciens astronomes. Il trouva ainsi les trois lois immortelles qui portent son nom. Les découvertes successives de nouvelles planètes n’ont fait qu’ajouter à l’évidence de ces lois, en faisant rentrer chaque astre nouveau dans le système du monde tel que le représente la figure 184
Fig. 184. — Système planétaire des modernes.