Au-delà du Rhin - Aspect général de l’Allemagne

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AU-DELÀ DU RHIN.

Ce nouvel ouvrage de M. Lerminier paraîtra dans peu de jours. Il ne nous appartient pas de faire l’éloge d’un livre signé par un de nos collaborateurs ; nous préférons citer un long fragment qui pourra, avec le sommaire que nous y joignons, en donner à nos lecteurs une idée plus juste que tout ce que nous pourrions dire. Nous croyons, du reste, que ce livre sur l’Allemagne répondra à de nombreuses sympathies dans le public et ne manquera pas de jeter une vive lumière sur une question européenne.

Au-delà du Rhin forme deux volumes. Le premier, LA POLITIQUE comprend les divisions suivantes : i. Enchaînement des temps.ii. Aspect général.iii. Napoléon et l’Allemagne.iv. L’Allemagne et la liberté.v. De l’unité allemande.

Le second volume, LA SCIENCE, se divise ainsi : i. Préambule.ii. Les universités.iii. La philologie.iv. L’histoire.v. La jurisprudence.vi. Philosophie allemande.vii. Deux christianismes. — viii. Situation littéraire.ix. Conclusion générale.

(N. du D.)
ASPECT GÉNÉRAL DE L’ALLEMAGNE.

Le Rhin, depuis Cologne jusqu’à Mayence, s’étend et se replie comme un serpent onduleux ; il court, il vous entraîne au milieu des merveilles accumulées de la nature et de l’histoire, et il vous jette en Allemagne.

La Germanie moderne offre au voyageur la même variété de peuples que la Grèce antique. Les contrastes affluaient dans cette Grèce étendant ses limites jusqu’à la chaîne de l’Œta et du Pinde, dessinant la presqu’île du Péloponèse, associant l’Attique, la Mégaride, la Béotie, la Phocide, et semant ses îles sur les mers. À Sparte, on parlait la même langue qu’à Athènes, mais la constitution et la république ne se ressemblaient pas ; la Grèce du nord se comportait autrement que les villes de la mer Égée, et Thessaliotis avait d’autres règles, d’autres coutumes, que Délos. Cependant une vaste et profonde analogie de mœurs religieuses et nationales soutenait toutes les diversités qui s’agitaient à la superficie ; la Grèce se sentit une vis-à-vis de l’Asie ; la civilisation italique, plus rapprochée de la sienne, concourait néanmoins à lui affirmer à elle-même son originalité.

Ainsi l’Allemagne se trouve une entre la France et la Russie ; mais, au dedans d’elle-même, elle a peine à saisir sa propre unité. Le Souabe frémit à la pensée de subir jamais le joug du Brandebourgeois ; Munich se raille de Berlin qui lui renvoie avec usure ses dédains et ses mépris. Cependant on parle la même langue depuis la riante Bade jusqu’à l’austère Kœnigsberg. Quand, dans la guerre du Péloponèse, Alcibiade alla porter ses conseils et ses talens aux Lacédémoniens, il agit comme un général prussien qui passerait aux intérêts de l’Autriche ou de la Bavière dans une guerre intestine de l’Allemagne.

J’entreprends de donner une expression concise et vraie à ces choses si diverses : puissé-je les écrire aussi sincèrement que j’ai cru les sentir !

Francfort est comme les Propylées de l’Allemagne. Ç’a été la route des Francs pour entrer dans les Gaules ; c’est aujourd’hui le passage traversé en tous sens par les voyageurs de l’Europe. Ville allemande, Francfort semble néanmoins appartenir à tout le monde ; on y entre, on en sort comme d’un lieu public dont la propriété n’est à personne ; on s’y coudoie, on s’y rencontre, Anglais, Américains, Russes, Allemands, Polonais, Italiens, Français ; on se sert de cette ville comme d’une hôtellerie.

Là, cependant, a régné, dans sa pompe et sa majesté, le génie germanique ; là on a fait des empereurs ; les électeurs s’y rassemblaient pour choisir la main capable de porter le globe des Césars. Aujourd’hui Francfort est sous la double discipline de l’Autriche et de la Prusse ; cette ville est libre sous la baguette impériale et prussienne. Mais pourquoi regretter sa liberté, quand elle-même n’y songe guère ? Avec son sénat qui gouverne, son corps législatif qui discute et vote les lois, et ses députés permanens de la bourgeoisie, Francfort a toute la police nécessaire à un caravansérail.

Goëthe y naquit : admirable occurrence ! Goëthe ne saurait être ni Prussien, ni Saxon, je vous laisse à penser s’il pouvait être Autrichien ; il devait être le moins Allemand possible, en poussant à son apogée le génie de l’Allemagne. Dans Francfort Goëthe passa son enfance ; il écoutait les rumeurs venant de la Saxe et de la Silésie qui répandaient en Europe le nom de Frédéric ; il nous a raconté lui-même dans sa vie[1] comment les entreprises du roi de Prusse avaient mis la division dans toutes les familles et dans la sienne ; on se partageait entre l’empire et la nouvelle monarchie ; le père de Goëthe tenait pour l’empereur ; l’enfant bondissait à la lecture des victoires de Frédéric. L’oreille de Goëthe devait encore être remplie par le bruit d’autres triomphes. Les habitans de Francfort ont à peine aujourd’hui pardonné à l’auteur de Werther et de Goëtz, de Berlichingen de les avoir quittés de bonne heure pour ne plus les revoir. Eh ! messieurs, il allait vaquer loin de vous et de votre négoce aux affaires de son esprit ; contentez-vous d’être ses concitoyens ; briguez encore l’honneur de lui élever un tombeau qui témoigne de votre gloire, ou plutôt gardez vos statues, bourgeois et bourguemestres, elles semblent trop vous coûter, et vous les faites trop attendre.

Sur les rives du Rhin règnent des contrées fertiles où l’homme, pour répondre à la force de la nature, s’est toujours montré énergique et actif. Là se sont passées les grandes scènes des migrations germaniques du cinquième siècle ; les hordes qui s’apprêtaient à devenir des nations se serrèrent les unes contre les autres sur ces terres dont la beauté les invitait ; la puissance humaine s’y établit bientôt en maîtresse, n’ayant pas assez de les traverser comme un torrent furieux ; elle y sema des villes pour l’homme, des cathédrales pour Dieu ; elle y développa des états florissans, des mœurs robustes et pures, une religion tendre et fortifiante, une poésie naïve, superstitieuse et idéale. L’Allemagne méridionale n’a jamais été oisive et languissante dans la continuité de la civilisation européenne ; elle a brillé au moyen-âge ; et ne s’est pas éteinte dans les temps plus modernes ; le voyageur français éprouve, en la parcourant, un contentement indicible, car il y rencontre l’originalité attrayante d’une sociabilité qui n’est pas la sienne, et il y trouve en même temps une inclinaison sensible vers les idées et le génie de la France.

Il est remarquable de voir le droit constitutionnel moderne prendre racine dans la terre des Franks, des Ripuaires et des Allemanni. Nous tenons cette importation pour salutaire à la France et à l’Allemagne, non par un fol engouement des transactions constitutionnelles ; mais ces formes sont ici une enveloppe et une procédure nécessaire pour faire admettre dans le cours légal des choses quelques-uns des principes généraux du siècle et de l’humanité.

Les petites principautés constitutionnelles de l’Allemagne jouent un rôle plus considérable que leur puissance effective. Quelquefois dans l’ensemble des affaires générales on méprise les petits états ; mais ici le dédain doit céder la place à l’estime. Si l’on rit en voyant une frêle existence vouloir se donner la même importance et la même attitude qu’un grand corps, le ridicule doit être réservé tout entier aux ducs et aux princes, qui, dans les compartimens étroits de leurs cours et de leurs châteaux, imitent et enferment la royauté. Mais il faut honorer les hommes courageux qui se donnent la peine d’une grande énergie sur un petit théâtre et qui combattent à l’étroit. Ainsi dans le duché de Hesse-Darmstadt, le pouvoir, se pavanant dans une capitale en miniature, est risible ; mais la liberté, parlant à une tribune peu retentissante, est sacrée. Quant à Mayence, qui depuis 1815 appartient au grand-duché, c’est une tête de pont, un poste militaire gardé par la Prusse sur les bords du Rhin. Il est douteux que cette ville ait donné le jour à l’inventeur de l’imprimerie ; mais il est certain qu’elle n’a guère produit elle-même de chefs-d’œuvre et d’auteurs dignes de cette invention ; à Mayence on lit peu, on se remue pour le commerce et la navigation ; il y règne une sorte d’agitation sourde ; on semble toujours y attendre les Français.

Où la nature a-t-elle pris plus de souci du bonheur et de l’habitation de l’homme que dans cette vallée du Rhin qui s’étend depuis Bâle jusqu’à Manheim ? Descendez un jour des hauteurs de Schwarzwald, quittez la triste et chétive Freudenstadt, qui, pour se railler elle-même, s’appelle ville de la joie ; avancez toujours sur la pente des monts, et vous découvrirez à vos pieds le plus riant vallon qui puisse porter l’allégresse au cœur. Descendez encore de ruine en ruine, de village en village, vous vous trouverez enfermés dans un dédale de moissons, de rochers, de vignes et de torrens.

Une fois à Baden, quittez l’accoutrement du voyageur pédestre, la guêtre, la casquette et le bâton ; bien qu’aux pieds de la forêt Noire, vous êtes comme dans Portland-Place, ou Kohlmarck, ou dans la rue de la Paix. Les bains ne ressemblent-ils pas à ces salons d’où l’on est heureux de s’enfuir après y avoir paru ? espèce d’infirmerie et de bazar où la santé se répare et se perd tristement, où le plaisir semble prendre à tâche de se discréditer par sa facilité, par les fastidieuses avances dont il vous assiége à toute heure.

Carlsruhe et ses vingt-quatre rues qui dérivent toutes du château ducal, présentent une physionomie si monotone, qu’il ne serait guère possible d’y rester plus de deux heures sans les graves intérêts qui s’y agitent d’intervalle en intervalle. Depuis 1818, l’Europe a accordé son estime à la tribune parlementaire de Carlsruhe. Le caractère germanique s’y est essayé noblement à l’opposition constitutionnelle et à la pratique de la liberté : il a montré de la persévérance, du tact, de l’adresse et de la dignité : les difficultés sont grandes ; les hommes politiques de Baden vivent sous l’œil soupçonneux et menaçant de l’Autriche et de la Prusse ; jusqu’ici presque tous les écueils ont été tournés ; M. de Rotteck, par l’éclat de son éloquence et de son style, M. Mittermaier, par les tempéramens de sa modération, ont également servi la liberté.

Comment la science ne sortirait-elle pas de cette terre comme une plante précieuse et nécessaire ? Heidelberg la cultive. Oh ! si vous êtes jeune, si les idées et le sang circulent dans vos veines et dans votre tête par des ardeurs accélérées ; si vous aimez la science avec la fureur qui précipite dans les bras d’une maîtresse, et la nature avec l’impétuosité qui vous fait chercher le sein d’un ami ; si encore vous désirez lier commerce avec le génie germanique, sans trop vous éloigner de la douce patrie, afin que, de temps à autre, il vous en revienne à l’oreille et à l’ame des sons affaiblis et purs ; oh ! courez dans la vallée du Necker vous y enfermer et y vivre ; la pensée y sera toujours fraîche comme le torrent qui jette à vos pieds son écume ; la science y prendra la saveur et la fermeté d’une nourriture vivante bénie par le soleil ; studieux et inspiré, vous contracterez de l’érudition et vous doublerez la vie. L’histoire semble planer sur vos têtes, sous l’image d’une magnifique ruine ; de nobles vieillards passent auprès de vous, que vous pouvez interroger sur les temps et l’antiquité des choses, le philologue Creuzer, le jurisconsulte Zachariæ, le théologien Paulus ; de plus jeunes serviteurs de la science ravivent de temps à autre les traditions de ces vénérables maîtres ; là rien des connaissances humaines ne saurait vous échapper, et vous y puisez, pour les épreuves futures de la vie, pour les jours moins rayonnans et plus sévères, des souvenirs, des émotions et des espérances qui ne sauraient mourir.

Une civilisation intelligente anime le pays de Bade. Freybourg, qui met sa petite cathédrale à côté de celle de Cologne et de Strasbourg comme un gracieux échantillon, met aussi son université à côté de celle de Heidelberg. Manheim et Constance ont des lycées, des gymnases, et les écoles abondent dans l’étendue du duché. Cette terre est heureuse ; elle a les prospérités du présent et dans le passé des réminiscences glorieuses, car enfin elle a été le champ de bataille des Romains et des Allemands, de Turenne et de Montecuculli, de Moreau et de l’archiduc Charles ; elle a donc le droit d’être féconde, puisque toujours l’épée, la charrue et la pensée, la remuèrent.

Quand du pays de Bade le voyageur passe dans celui de Wurtemberg, la nature reste belle en devenant plus sévère. Les pentes ombreuses de la forêt Noire impriment à la contrée une mâle gravité, et puis le travail de l’homme, dont on rencontre le témoignage, redouble la vigueur du tableau. Dans les montagnes sont des fabriques d’horlogerie ; dans les sinuosités des vallées, des forges et des usines ; partout la force, partout la fécondité, tant celle de Dieu que celle de l’homme. Le Wurtembergeois est revêtu d’une puissante nature : il a le front haut, les épaules larges, l’œil vif. La terre du Wurtemberg produit avec abondance le froment, le vin et le génie. Schiller, Hegel et Schelling sont Souabes, et aussi Wieland, Spittler, Moser, Paulus ; et encore le poète Uhland, le Béranger de l’Allemagne.

Les libertés constitutionnelles n’ont point été en 1819 une nouveauté pour le Wurtemberg ; dès le commencement du xvie siècle, les princes qui gouvernaient le duché étaient soumis à de nombreuses restrictions de leur pouvoir, et les Souabes avaient leurs franchises. Aujourd’hui ils se montrent plus fermes que d’autres Allemands dans la défense de leurs droits ; ils y portent la constance et la facilité de l’habitude. Les députés Uhland, Menzel, Pfizer, sont l’honneur de la seconde chambre de Stuttgard ; les discussions y sont ingénieuses ; le ton en est plus vif qu’à Carlsruhe.

On ne saurait porter trop d’estime aux hommes politiques de l’Allemagne qui défendent la liberté. Ils prévoient pour leur pays une longue oppression, plusieurs me l’ont dit, mais ils persistent dans leur devoir avec une gravité qui n’est pas sans tristesse.

Le caractère national sème aussi autour d’eux des difficultés douloureuses. Le loyal Allemand n’a pas l’habitude, mais la peur de la résistance constitutionnelle contre le pouvoir ; il la tient presque pour un scandale ; c’est toujours le fidèle Germain, le féal des anciens jours. Prendre en Allemagne le rôle de l’opposition, c’est accepter le martyre pour les grandes occasions comme pour les petites circonstances de la vie : en dehors des situations officielles du gouvernement, l’Allemand vit, pour ainsi dire, en paria. À Londres, à Paris, l’opposition est une puissance, et les hommes qui la représentent se meuvent dans une sphère indépendante ; ils traitent d’égal à égal avec les détenteurs du pouvoir. Et puis les distractions d’une large vie, les longues distances qui, séparant les hommes, leur épargnent les désagrémens et les aigreurs de trop fréquentes rencontres, tout concourt à corriger l’amertume et les irritations de la carrière politique ; mais à Stuttgard, à Carlsruhe, l’opposant et le ministériel se croisent à toute heure. Voilà un de nos jacobins, me disait, en me conduisant dans les rues de Stuttgard, un honnête banquier ; j’appris le soir que ce jacobin était, de tous les députés de l’opposition, l’homme le plus accommodant et le plus doux.

Le pays de Wurtemberg est parsemé de petites villes qui prospèrent par le travail, et de beaux villages d’une propreté resplendissante. À Esslingen, qu’environne une ceinture de vignobles et de forêts, la mention qu’en fait de Thou dans ses Mémoires me revint en la pensée… « Pour venir à Esslingen, de Thou passa sur le Necker un pont de communication avec Stuttgard. Esslingen est un lieu renommé par la fabrique de l’artillerie, et par l’abondance de ses vins. Dans les celliers de l’hôpital on en conserve une grande quantité dans des tonneaux d’une grandeur extraordinaire ; le plus grand est placé le premier, et les autres dans une longue suite, diminuant à proportion : le vin s’y garde très long-temps. On en but à la santé de M. de Thou, du numéro 40, d’un vin qu’on disait être de quarante années. Les princes d’Allemagne le prennent par remède, et, à mesure qu’on en tire du plus grand tonneau, on en remet du tonneau voisin, mais qui est plus nouveau. » C’était en 1579 que Jacques Auguste de Thou parcourait une partie de l’Allemagne méridionale ; il avait salué le duc Louis à Stuttgard avant d’arriver à Esslingen, puis il vit Ulm, Augsbourg, Lindaw, Constance, suivit le Rhin jusqu’à Baden, et par Colmar revint à Plombières, où l’attendait sa famille. Au xvie siècle, comme dans le nôtre, on jetait de rapides voyages au milieu des agitations de la jeunesse et de la vie.

Stuttgard, comme assemblage de monumens et de maisons, est une pauvre capitale ; c’est un grand village dégingandé où l’on est surpris de trouver une rue à proportions royales, un beau château et l’atelier du grand et vieux sculpteur Dancker, qui a fait vivre par le marbre Schiller, Ariane et Jésus-Christ. Mais l’animation et la vie, un peu absentes de la capitale, se retrouvent entières dans l’esprit et dans l’ame des Wurtembergeois. Ces Souabes, dont on raille aujourd’hui le ton brusque et le dialecte un peu grossier, se rappellent avec orgueil le rôle de leurs ancêtres dans l’histoire de la poésie de l’Allemagne. Ils supportent en frémissant l’insolente suprématie du Nord ; l’orgueil de Berlin les offusque de loin, et quelquefois, dans leur colère, ils appellent les Prussiens des Russes allemands.

L’alliance de la France et de l’Allemagne méridionale est cimentée par la nature des choses. La France, méditant la conquête au-delà du Rhin, serait folle ; refusant son appui, elle manquerait à un devoir européen. L’intérêt de l’humanité peut réunir un jour sous le même drapeau la patrie des Hohenstaufen, de Schiller, et la nation de Napoléon et de Mirabeau.

La Franconie, l’un des neuf cercles de l’ancienne Allemagne, s’est illustrée depuis l’occupation des Francs jusqu’à la fin du xvie siècle. Là, les grands corps de l’empire germanique, la féodalité, tant ecclésiastique que séculière, assirent leur puissance, le grand maître de l’ordre teutonique de Mergentheim, l’évêque de Wurtzbourg, l’évêque de Bamberg, puis les états séculiers et les villes impériales. C’est la Franconie que Goëthe nous montre remuée par la main de fer de Goëtz de Berlichingen : cette terre eut plus qu’une autre toutes les agitations de la fin du xve siècle et celles du xvie : elle reçut l’empreinte fraîche et profonde de la foi de Luther ; les passions envahissantes de la réforme et les résistances de la religion catholique s’y choquèrent avec violence. Ces émotions passées ont un témoignage dans les églises qui au xvie siècle cessèrent d’être le sanctuaire du vieux culte pour devenir l’écho des croyances de Melanchton. On demeure long-temps rêveur et pensif dans l’enceinte de ces temples dont les murs semblent s’être émus comme les ames des hommes pour enfermer comme elles une expression plus nouvelle et plus vivante de la vérité. La Franconie offre partout les souvenirs et les inspirations de l’esprit allemand. Schiller a mis en Franconie le château du vieux Moor, il y a mis aussi le berceau et la patrie de cet indomptable Charles qu’il érigeait, huit ans avant la révolution française, en vengeur de l’humanité. Quand Schiller écrivait ses Rauber, il avait en dégoût son siècle qu’il appelait un siècle de castrats, siècle ne sachant autre chose que commenter les actions de l’antiquité, incapable lui-même d’en produire qui lui appartinssent. Schiller appelait un changement, une vengeance. D’honnêtes personnes ont élaboré contre le poète des déclamations édifiantes ; mais certains critiques, blâmant les œuvres du génie, ressemblent à ce professeur vaporeux qui tient sous son nez à chaque mot un flacon de vinaigre en faisant un cours sur la force[2].

Nuremberg est l’ornement de la Franconie. Dans ses murs l’histoire du passé vous enveloppe ; cette ville a résisté au temps qui n’a pu parvenir à lui déchirer encore sa robe des jours antiques. Vous reconnaissez Nuremberg, qui, au xiiie siècle, de compagnie avec Augsbourg et Ulm, commerçait avec Venise, que Rodolphe de Hapsbourg déclarait ville impériale, où Charles iv décrétait la bulle d’or ; cité du moyen-âge qui s’épanouit radieusement sous la bénédiction de la réforme, qui rajeunit le christianisme avec les enseignemens nouveaux, qui l’exprime par le pinceau d’Albrecht Dürer, le ciseau de Kraft, et le génie de Fischer élevant en bronze le tombeau de saint Sebald. À Nuremberg seulement, l’esprit germanique apparaît tout entier ; il semble s’élancer devant l’œil comme la fusée de sculpture de l’église de Saint-Laurent. Ici rien de grec ou d’italien, tout est allemand : vous êtes face à face avec les rivaux et les contemporains de Raphaël et de Michel-Ange, et il devient sensible qu’au xvie siècle, l’art, l’art moderne, frappait à sa gloire, dans la même époque, deux types différens, en Italie et en Allemagne, à Rome et à Nuremberg. Mais devant ces signes du passé on éprouve, du moins nous l’avons enduré, une douleur sourde, car on n’a plus la foi de ces hommes qui élevèrent ces monumens et qui s’en délectèrent ; les sentimens et les idées qui les animaient ne sont plus les nôtres ; aussi l’admiration première se convertit en satiété du spectacle ; elle se convertit encore en avidité d’œuvres et de simulacres qui représentent des idées à nous, nos aspirations, nos élans. Non, nous ne sommes pas religieux aujourd’hui à la manière de Melanchton ; nous ne concevons plus ni la religion, ni l’art, comme Dürer ; envoyez-nous d’autres émotions, artistes et penseurs. Jamais on ne sent mieux la vie et l’avenir qu’en présence des témoignages des âges écoulés ; car ces testamens vous irritent après vous avoir charmé, et vous demandez au génie de votre siècle pourquoi il ne s’est pas encore fait l’architecte de ses propres inspirations. Adieu, Nuremberg, adieu, nous reviendrons peut-être te voir un jour, mais quand nous aurons vécu, et s’il nous est donné jamais de choisir après les ardeurs du jour un lieu de recueillement et de repos, nous pourrons hésiter entre toi, Rome, et Athènes. Adieu, aujourd’hui ton séjour ne nous convient pas ; partons, tu n’as pas la vie de notre siècle à nous donner, vénérable aïeule du moyen-âge.

Quarante lieues plus loin, Munich oppose un contraste frappant à la merveille de la Franconie. Si à Nuremberg tout est vieux et porte l’empreinte du temps, à Munich, tout est nouveau, frais et blanc ; on est au milieu de monumens élevés à demi ; on se croirait transporté dans ces villes naissantes de l’antiquité que se bâtissaient les sociétés dans leur enfance vigoureuse.


Instant ardentes Tyrii : pars ducere muros
Molirique arcem et manibus subvolvere saxa.
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............Hic alta theatri
Fundamenta locant alii, immanesque columnas
Rupibus excidunt, scenis decora alta futuris.


La monarchie bavaroise a été créée en 1806 par l’empereur Napoléon, après la bataille d’Austerlitz ; mais le duché de Bavière est, de tous, le plus ancien de l’Allemagne. Du mélange des Boii, race gauloise qui avait émigré vers le Danube, des Romains, et des hordes germaniques, sortit un peuple qui fut appelé Bojaaren. Voilà les Bavarois. Le duché dépendit d’abord des Francs, puis de l’empire germanique : au xiiie siècle, il fut divisé en deux parties ; à la fin du xviiie, il retrouva l’unité : la Prusse l’a protégé, l’Autriche l’a déchiré, la France en a fait une monarchie, Napoléon, par le traité de Presbourg, donnait à la Bavière, déclarée royaume, le Burgau, le territoire de Lindaw, le Tyrol : la nouvelle monarchie obtint encore plus tard Nuremberg, Augsbourg, Ratisbonne et Salzbourg. Par quelle étrange ingratitude les Bavarois voulurent-ils fermer le chemin de la France à Napoléon malheureux ? Mais à Hanau ils furent hachés : châtiment mérité par ceux qui oubliaient qu’en politique le succès final appartient toujours à la moralité du dévouement et de la fidélité.

La Bavière a quatre millions d’habitans et une armée de quarante-cinq mille hommes ; elle a trois universités. En 1818, elle reçut une constitution où la liberté lui était parcimonieusement mesurée. Deux chambres, convoquées tous les trois ans, l’aristocratie siégeant dans la seconde[3] comme dans la première, indiquent avec quelles restrictions les franchises constitutionnelles ont été octroyées. Le Bavarois est franc et généreux ; sa gaieté le fait parfois tomber dans des facéties un peu lourdes ; il aime à danser, à boire cette bierre de Munich qui lui semble si bonne et qui le plonge dans une douce quiétude, ou dans des joies bruyamment paisibles, qu’il termine volontiers par d’autres plaisirs.

Je voudrais peindre avec vérité le roi. On ne saurait nier que Louis de Bavière n’ait toujours aimé sincèrement la gloire : il la désirait quand à la fête d’Interlaken il se plaignait à de jeunes femmes de combattre dans les rangs français contre la liberté allemande ; il voulait la conquérir d’un coup, quand, au théâtre de Munich, les applaudissemens prodigués au marquis de Posa réclamant la liberté de la pensée, le poussèrent précipitamment hors de la salle pour signer sur-le-champ l’abolition de la censure. Le régime constitutionnel lui parut aussi une occasion de popularité. Mais c’est surtout aux arts, à des monumens nouveaux et immortels, dont il veut peupler Munich, que le roi Louis semble confier la perpétuité de son nom. Il demande la gloire aux travaux des sculpteurs et du peintre, aux efforts de l’architecture, à l’acquisition des merveilles mutilées de l’art antique. L’amour de la gloire est louable dans tout homme, surtout dans un roi, mais il ne saurait se passer du consentement et des dons de la nature pour arriver à se satisfaire un peu. Or, Louis de Bavière n’a reçu de la grace de Dieu que le trône ; et sous sa couronne, il manque de la royauté du génie. Son esprit est médiocre, non pour avoir écrit de méchans vers, Frédéric en faisait de détestables, mais parce qu’il ne montre dans son gouvernement ni persévérance, ni solidité, ni grandeur. Il a cessé d’aimer la liberté après en avoir embrassé le culte avec l’enthousiasme d’un noble enfant des universités. On l’a vu récemment afficher contre la France une haine ridicule et vraiment pitoyable dans un prince de Bavière qui devrait avoir bonne mémoire des bienfaits de Napoléon. Le roi Louis est irrésolu, inconstant, défiant. L’ingratitude de son organisation physique ne le laisse pas sans inquiétude et sans amertume ; il bégaie, entend mal, et ne voit pas bien. Il est vrai qu’au milieu de ces infirmités il trouve l’appui de la reine, femme pleine de grace et de bienveillance, que bénit la Bavière, et qui vient au secours de son mari avec la plus aimable délicatesse. Néanmoins le roi n’est pas heureux, car la malignité du sort lui a donné plus d’ambition que de puissance.

L’art partage avec la philosophie l’honneur de décorer Munich, et quand nous visitions tour à tour la demeure de Schelling et la Glyptothèque, nous sentions comme des affinités secrètes entre les marbres d’Égine et le génie de ce moderne Platon. Le Vatican peut seul en Europe donner sur le monde antique des impressions plus profondes que la Glyptothèque de Munich. Le musée de peinture n’égalera pas en harmonie et en nouveauté celui que la sculpture habite. Les fresques de Schnorr et de Cornelius sont humides encore dans la nouvelle résidence, palais dont la magnificence semble déborder la royauté qui le construit. En général, Munich est dans un élan de croissance qui réclame de nouveaux efforts et les faveurs de la fortune ; s’il lui arrivait de s’arrêter et de s’interrompre dans l’ambition de son développement, elle se trouverait un jour sans force, mais non pas sans quelques ridicule, entre la modestie et la grandeur. Cela nous conduit à qualifier la situation politique de la Bavière.

Parmi les fautes qui ont été commises dans la dernière répartition d’hommes et de provinces faite à Vienne après les désastres de la France, il faut compter l’adjonction à la Bavière du cercle du Rhin. Cette partie de la monarchie bavaroise qui lui est annexée surpasse en fécondité, en civilisation, le centre de la monarchie même. En certains points, les extrémités sont plus nobles que le cœur. L’habitant des provinces rhénanes est plus vif, plus intelligent que le Bavarois ; il aime plus la liberté ; à Landaw il regrette la France. L’association de Munich et de Speyer blesse la nature des choses ; elle a jeté le gouvernement bavarois dans d’indignes persécutions contre l’amour de la liberté ; tout cela est faux, violent, inepte.

La diplomatie européenne est tombée dans une autre erreur, quand elle a commis à la Bavière le soin d’apporter à la Grèce la civilisation moderne. Cette tâche est au-dessus des forces du Bavarois, dont la nature loyale, mais molle, et pour ainsi parler un peu pâteuse, n’a pas l’énergie nécessaire à une puissance initiatrice. Puisque l’on voulait donner à la Grèce des leçons et un appui contre la Russie, il fallait choisir entre les trois seuls foyers de force et de lumière, assez riches et assez énergiques pour se répandre au loin, Londres, Paris et Berlin. Ces trois nations avaient seules la vigueur capable d’élever et de protéger la Grèce. Mais on a évité de donner à un état puissant l’occasion d’une gloire utile à tous, comme si la grandeur et la vérité des choses se payaient de ces petites raisons !

Dans une guerre générale où elle ne serait pas notre alliée, la Bavière se trouverait dans de sérieux embarras ; elle ne pourrait défendre contre nous ses provinces du Rhin ; nous pourrions aller porter en Grèce nos flottes et nos soldats. La monarchie bavaroise ne saurait se sauver de l’étreinte de l’Autriche qu’avec l’appui de Berlin ou de Paris. Si elle se laissait entraîner encore dans une coalition contre la France, elle serait à la merci d’une bataille. En tout cas, sa situation n’est pas dans la mesure de ses forces, c’est trop pour elle d’avoir à s’occuper du Rhin et d’Athènes.

Rester intérieurement l’ennemie de l’Autriche, attendre le moment où doivent se détraquer les parties de cet empire, être prêt à devenir le centre et la force de l’Allemagne méridionale et constitutionnelle, s’assurer à jamais l’amitié de la France en lui rendant Speyer et Landaw, voilà la véritable politique de la Bavière.

Si j’étais roi, je n’aurais jamais consenti à céder Salzbourg : c’est trop beau pour être abandonné. Cette contrée, qui a passé du sceptre de la Bavière à celui de l’Autriche, a des enchantemens qui demandent, pour les quitter, un héroïque courage. À quoi bon partir pour aller ailleurs ? La nature vous retient avec instance ; la pensée devient plus lente, et ne vous sollicite plus au changement ; la religion catholique, présentant à chaque pas ses images, engage le cœur à la foi naïve, à l’oubli du monde, aux illusions superstitieuses. En vérité ; à Salzbourg, on perdrait la mémoire du siècle, sans deux avertissemens qui parlent haut, le berceau de Mozart et le tombeau de Paracelse. Penser à Mozart, c’est penser à tout ; le musicien vous rejette dans l’univers, dans la vie, et Don Juan vous arrache aux mystiques langueurs. Dans l’année 1541, un homme vint frapper à la porte de l’hôpital Saint-Étienne ; il était pauvre, souffrant, malheureux ; on lui donna un lit et du pain, mais quelques jours après, il n’avait plus besoin ni de l’un ni de l’autre, il mourut. Il put se reposer enfin de son enthousiasme et de ses travaux, du ravage des passions et de la science, de ses conceptions sur la solidarité des astres qui roulent dans les cieux et des destinées qui s’accomplissent sur la terre, de ses pressentimens sur l’harmonie qui doit régner entre la nature, ouvrage de Dieu, et l’ame, sanctuaire de l’homme. Enfant du xixe siècle, ne méprise pas Paracelse.

À vingt lieues de Salzbourg, Linz offre un autre caractère ; c’est une ville de commerce et de guerre, c’est un entrepôt, c’est une forteresse. Linz a un chemin de fer qui va se perdre en Bohême, une riche manufacture de drap et de tapis, une forte garnison, le Danube pour fleuve, une ceinture de montagnes, une belle jeunesse, des femmes magnifiques, la richesse, comme récompense de son industrie, le plaisir, comme but de son activité. On ne rêve pas dans cette ville aux choses idéales et platoniques : on y prend un avant-goût de la vie de Vienne. J’appellerais volontiers Linz le faubourg de la capitale de l’Autriche, qui a déjà tant de faubourgs. Enfin nous voici au cœur de la monarchie des Césars, nous voici à Vienne.

On éprouve dans Vienne je ne sais quelle langueur. Il circule dans cette ville un souffle de mollesse et de plaisir qui vous gagne, et vous pénètre. Le peuple mange, boit, se promène et dort ; il s’estime heureux. La noblesse demeure dans ses châteaux et dans son orgueil. Une nature resplendissante enveloppe une population dont les mœurs sont bienveillantes et faciles, dont les plaisirs sont la musique, la danse, la promenade et la bonne chère. Aujourd’hui, Vienne est encore la même ville dont Eneas Sylvius traçait au xvie siècle la peinture, dont il disait : « C’est par charretées que l’on apporte à Vienne les œufs et les écrevisses, le pain, la viande, le poisson et les volailles de toute espèce, et, toutefois, à la chute du jour, il ne reste plus vestige de ces provisions… On n’exige aucun droit de ceux qui vendent du vin dans leurs maisons ; aussi presque tous les citoyens tiennent-ils cabaret. Ils chauffent leurs étuves, y font la cuisine, et y reçoivent les ivrognes et les filles de joie… Le nombre de courtisanes est très considérable. Outre cela, il y a peu de femmes qui se contentent de leurs maris. » Un siècle après, Guy-Patin disait de Vienne : « Vienne est une ville de plaisir, s’il y en a au monde et comme je prétends qu’à moins d’être Français, il faudrait souhaiter d’être né Allemand, de même je dis qu’à moins de passer la vie à Paris, il la faudrait passer à Vienne. »

Il est singulier de voir la capitale d’un aussi grand empire destituée d’un caractère moral dont la précision puisse la désigner entre toutes les villes. Londres, Berlin, Paris, ont leur génie et le montrent aux yeux. Vienne est un corps immense dont on cherche l’ame ; je l’appellerais, pour ainsi parler, une ville athée. Elle est sans unité ; elle réunit dans son sein le Hongrois, le Bohême, le Grec, l’Italien, l’Allemand ; elle enveloppe tout dans sa variété anarchique et ses trente-deux faubourgs, sauf un esprit qui lui appartienne. À peine si à l’entour et dans l’enceinte de la magnifique cathédrale de Saint-Stéphane, le génie primitif de la cité paraît quelquefois. Tout s’est évaporé au vent du Danube, de cet Ister, fleuve bien moins allemand que le Rhin ; tout a revêtu aux rayons du soleil, je ne sais quel prisme italien, grec, ou slave ; ce qui s’y produit le moins, c’est le génie germanique.

Étrange cité ! le bonheur matériel y siège. La justice positive des rapports civils n’est pas absente ; le peuple est bon, la bourgeoisie bienveillante ; elle aime les concerts, la campagne, les bords du Danube et le poulet frit ; les arts ont dans le château impérial (Burg) et les palais de la noblesse leurs merveilles et leurs trésors ; les médailles, les statues et les tableaux ne manquent pas ; des savans et des poètes dont toute littérature pourrait s’honorer, accueillent l’étranger avec une grace affectueuse ; la haute aristocratie a des causeries dont l’élégance ne saurait guère être effacée par aucune autre société de l’Europe. Eh bien ! au milieu de ces choses agréables, l’ame, ne saurait être contente à moins de se laisser tout-à-fait engourdir.

Que manque-t-il donc à Vienne ? Il lui manque la liberté de la pensée ; ou plutôt l’absence de la pensée s’y fait voir. Tout y est permis, tout y est possible, sauf de diriger son esprit sur les graves et mâles objets d’où dépendent les destinées de l’homme et du genre humain. Des spéculations profondes à Vienne ? Erreur ! De l’enthousiasme ? Folie ! Il faudrait écrire sur les poteaux de la route de Vienne : On ne pense point ici.

La monarchie autrichienne exerce une vaste et sourde proscription contre le génie : elle ne le tue pas, elle le déprime. Un poète avait commencé de s’élancer dans les divins pays de l’imagination et de l’idéal : un instant, on le laissa faire, puis on l’avertit, on l’inquiéta, on l’invita amicalement de ne pas se rendre suspect par trop de verve et d’impétuosité ; quand le poète voulait lever les yeux au ciel, il rencontrait autour de lui les regards immobiles d’une inquisition secrète ; il a fini par comprendre que la monarchie lui dictait le silence : il se tait, il vit ainsi ou plutôt il meurt tous les jours, sans se plaindre et sans chanter.

Comme au temps de Wan-Swieten et de Métastase, la médecine et l’opéra sont l’objet des soins et des faveurs de la cour et du pouvoir. La musique, la danse et les sciences naturelles ont seules conservé le privilége de l’innocence.

La politique du cabinet de Vienne est habile et laborieuse ; M. le prince de Metternich montre, dans la gestion de la monarchie, un talent peu commun. Il a pour but l’immobilité de l’empire et de l’Europe ; il s’attache à ce que rien ne remue, et quand il ne peut prévenir un changement, il travaille à ce que du moins ce soit le dernier. « Le maintien de ce qui subsiste doit être le premier comme le plus important de nos soins, écrivait M. de Metternich à un ministre d’une des cours de l’Europe ; par là nous entendons non-seulement l’ancien ordre de choses qui a été respecté dans quelques pays, mais encore toutes les institutions nouvellement créées. Dans les temps actuels, le passage de l’ancien ordre au nouveau est accompagné d’autant de dangers que le retour du nouveau à ce qui n’existe plus. » M. de Metternich n’a pas le thème politique d’un Alberoni ou d’un Richelieu ; il ne veut rien envahir, mais tout conserver, et dans cette immobilité, si artificiellement entretenue, il dépense beaucoup de génie. Il a pour les faits un respect idolâtre ; il déteste les mouvemens des peuples ; mais si une révolution est triomphante, il aimera mieux la reconnaître que de la corriger par une autre révolution. Il n’adore en politique que le repos, il n’a pas de Dieu ; il rit intérieurement des sollicitations et des espérances fanatiques des serviteurs des royautés proscrites ; sans les décourager, il les ajourne toujours ; l’usurpation qui dure est à ses yeux une légitimité qui commence. Au milieu de l’Europe, il demeure impassible, froid, poli, ironique, incrédule ; il n’a pas la grandeur que donne la foi mais il a toutes les habiletés et les ressources d’un inaltérable athéisme.

Cette politique n’est pas arbitraire, elle est prescrite par l’état de la monarchie. Jamais empire n’a été composé de parties plus dissemblables ; il réunit la Lombardie et la Hongrie, Venise et Prague ; autour des états héréditaires de l’archiduché d’Autriche, se groupent forcément la Styrie haute et basse, le Tyrol, la Bohême, la Moravie, une partie de la Silésie, la Hongrie, la Transylvanie, l’Esclavonie, la Croatie septentrionale, la Gallicie orientale, le royaume d’Illyrie, la Dalmatie, et des îles de la mer Adriatique. Quel est le ciment qui pourrait toujours tenir ensemble ces pièces de rapport ? À peine si la pensée la plus vaste et la plus ardente en aurait la puissance.

Elle appartient à l’Autriche cette Milan fondée par nos pères, par les Gaulois d’Autun, qui passa de la domination romaine à celle des Ostrogoths ; reine, au xe siècle, des républiques lombardes, arrachée par Charles-Quint à la France, et dont Napoléon termina, en 1810, la blanche cathédrale, commencée par Galéasse dans la première année du xive siècle. L’empereur, non plus d’Allemagne, mais d’Autriche, gouverne aussi Venise et venge Maximilien. Cependant Rome contemple ce spectacle dans une obéissance imbécille, tant elle a dans la mémoire et dans le cœur qu’elle fut la ville de Marius et d’Hildebrand !

La patrie de Jean Hus et de Jérôme appartient aussi à l’Autriche. La Bohême, que l’acte fédératif de 1815 a incorporé dans la confédération germanique, se repose de ses antiques agitations, de ses révoltes de Ziska, de sa guerre de trente ans, des batailles de Napoléon, dans les travaux d’une industrie dont les progrès sont récens. Prague, qu’on nous a dit ressembler à la vieille Moscou, voit se presser entre ses églises et ses palais une population qui n’a guère d’autre souci que le retour quotidien de ses jouissances et de ses plaisirs. Elle fut troublée en 1833 par une agitation extraordinaire ; elle vit accourir chez elle de jeunes Français venant saluer un enfant qu’ils appelaient leur roi. Jamais on ne commit un acte d’insubordination et de guerre civile avec une gaieté plus bruyante et plus communicative. Nos jeunes compatriotes faisaient plus de bruit dans Prague que tous les Bohémiens, qui n’avaient jamais vu de sédition si aimable et si élégante. J’y rencontrai un camarade qui déjà au collége disputait avec moi sur la légitimité et la liberté, il me conta spirituellement tous les détails de l’expédition sentimentale : il était sans fanatisme, j’avais de la tolérance ; nous nous quittâmes en riant. Cependant la légèreté de ces jeunes gens était digne de blâme, car elle aggravait en Europe la preuve de nos dissensions intestines. Français, quand serons-nous unis ?

La race slave forme la majorité des habitans de la Bohême. Le Hongrois frémit sous la domination autrichienne. Il adore à la diète de Presbourg les maximes de sa vieille constitution, et sa défiance ne veut rien y changer. Vienne lui refuse dans les tribunaux et au théâtre l’usage de l’idiome national (le maggyare). Le paysan du Tyrol est plus attaché à ses montagnes qu’à l’empire. L’Autrichien seul est dévoué à l’Autriche.

Vienne a pour adversaires naturels la Russie, la Prusse et la France ; ces trois puissances marchent nécessairement sur elle.

La Russie pense que le protectorat de la race slave lui convient mieux qu’au duché d’Autriche. Elle nourrit l’espoir d’attirer un jour à elle tout ce qu’il y a de Slaves sous la domination de Vienne, elle les flatte sourdement. Elle inquiète aussi la ville du Danube par la possession de la Pologne et bientôt de Constantinople : quand le czar aura succédé au sultan, il n’y aura plus pour Vienne de Sobiesky[4].

La Prusse n’a pas encore pris toute la Silésie : elle médite d’envahir la Saxe et de pousser l’aigle noire jusqu’aux confins de la Bohême : elle enveloppe l’Allemagne dans son système de douanes et exclut l’Autriche de la solidarité des intérêts germaniques. Vienne, par représailles, cherche assiduement à compromettre Berlin dans de communes entreprises contre la liberté de l’Allemagne. Ces inimitiés secrètes éclateront un jour par de vives ruptures.

L’Autriche blesse la France par l’inique détention de l’Italie qui doit un jour dans Rome relever son indépendance et sa liberté. Que les Français et les trois couleurs paraissent sur la cime des Alpes, les vallées italiques retentiront d’un cri d’allégresse et de bataille qui pourra faire sourire Napoléon dans sa tombe. Italie, n’accuse pas la France ; si tu ne l’as pas encore vue descendre, c’est qu’à la façon des héros, elle dort avant de combattre.

Enfin, l’Autriche a devant elle le génie même du siècle : elle en est troublée, elle se compare, elle a peur. Cet esprit d’innovation et de liberté l’alarme et la confond, elle se voit sans idées, sans alliances naturelles, sans unité, sans avenir, sans ces fidélités de peuples qui peuvent désespérer la trahison et la fortune ; voilà pourquoi elle embrasse le repos et l’immobilité avec fureur et désespoir ; voilà la raison de sa politique ; voilà aussi la cause du pieux et tendre respect dont elle entoure son vieil empereur, le bon François (guter Franz), qu’elle aime pour sa simplicité, pour sa longue vie traversée par tant d’épreuves, et couronnée par des prospérités qui ne lui survivront pas. Le xixe siècle sera fatal à la monarchie autrichienne[5].

En entrant de la Bohême dans la Saxe, je méditais comment cette Saxe, toujours illustre par l’effort du courage, de la nature, de la religion et de la science, n’avait jamais pu saisir une domination durable dans les affaires européennes. Elle a donné Luther au monde ; c’est beaucoup : elle a, par Witikind, opposé le génie d’une résistance héroïque aux cruautés triomphantes du grand Karl ; mais elle n’a jamais pu rencontrer la grandeur politique. C’est qu’elle perdit l’unité, dès le XVe siècle, par le partage de l’électorat dans les deux branches Ernestine et Albertine, et cependant jamais pays ne dut davantage concentrer ses forces ; enclavé entre le Brandebourg, la Bavière et la Bohême, il ne pouvait sauver son intégrité que par une cohésion énergique. Si Maurice eût vécu, la Saxe eût étonné l’Allemagne. Il est surprenant qu’au-delà du Rhin un poète de génie n’ait pas encore composé un drame avec la vie de cet homme.

Un jeune prince se laisse aller aux séductions de la gloire et du génie ; il sert Charles-Quint, il foule aux pieds pour lui la liberté de l’Allemagne et la foi nouvelle pourtant chère à son cœur ; il se fait l’instrument le plus actif de la défaite des princes réformés et de la ligue de Smalkade ; il est récompensé par l’électorat de Saxe mais une fois couronné, il se sent un autre devoir que la reconnaissance ; il songe à l’Allemagne, à la liberté, à la religion ; il conçoit la pensée de s’en faire le représentant et le vengeur ; il prépare en silence un éclat terrible ; il trompe Charles-Quint, le grand trompeur de l’Europe ; il trompe Granvelle, un des plus raffinés politiques du siècle ; enfin il se décide, il court surprendre l’empereur dans Inspruck ; il le manque de quelques heures, mais toujours il le contraint de fuir la nuit, à travers les ténèbres et des torrens de pluie, de traverser les Alpes à la lueur des flambeaux par des sentiers détournés, et d’aller cacher dans la Carinthie ses angoisses, sa goutte et son désespoir. L’Allemagne a tressailli. La réforme a trouvé son Achille ; elle arrache à Charles-Quint la convention de Passau, et les yeux fixés sur Maurice, elle attend de nouveaux triomphes. Un an après, Maurice recevait la mort en achevant sa victoire contre Albert de Brandebourg, prince furieux, toujours funeste à l’Allemagne ; Maurice mourait à trente-deux ans, à cet âge de maturité pour les grandes choses. Durant sa courte vie, il avait mêlé dans son caractère l’héroïsme germanique et la ruse italienne ; il s’élevait sur le déclin de Charles-Quint ; il lui eût succédé dans la gloire, peut-être sur le trône impérial, et la Saxe eût ainsi donné à la réforme chrétienne, non-seulement un Moïse, mais un César. Voilà pour le drame un autre Wallenstein : pourquoi n’y aurait-il pas un autre Schiller ?

Le nerf de l’unité a toujours manqué à la Saxe autant dans sa politique que dans son territoire. À la fin du xviie siècle, ses princes abjurent le protestantisme pour l’appât du trône de Pologne : princes impolitiques qui s’affublaient du catholicisme dans la patrie de Luther ! Elle eut tour à tour pour ennemis et pour vainqueurs Charles xii et le grand Frédéric ; elle eut pour ami Napoléon, qui l’entraîna dans sa chûte.

Au congrès de Vienne, il se donna un curieux spectacle de convoitises et d’avidités politiques. Le roi de Saxe n’avait abandonné Napoléon que le dernier ; il avait été contraint, après la bataille de Leipsig, de quitter ses états, et il attendait au château de Frederichfeld, à quelques lieues de Berlin, ce que les souverains rassemblés décideraient de sa couronne. Le prince de Hardenberg demandait l’incorporation de la Saxe à la Prusse, en s’appuyant sur les principes du droit des gens, sur l’intérêt politique de l’Allemagne, sur l’intérêt de la Saxe elle-même. Le principe du droit des gens invoqué par la Prusse était le droit de conquête ; elle citait Grotius et Wattel, afin de prouver que la conquête est un titre légal pour acquérir la souveraineté d’un pays. On frémissait à Berlin à l’idée de rendre le prix de la victoire dont on s’était nanti rapidement. La Saxe a été conquise, écrivait en 1826 M. de Stein[6], par six mois de combats et de luttes sanglantes. Le roi a été fait prisonnier le 18 octobre dans Leipsig emporté d’assaut ; il avait perdu la couronne, il avait cessé de régner ; son consentement n’était pas nécessaire pour ratifier la perte de ses états. L’Angleterre favorisait les prétentions de la Prusse, la Russie ne les contrariait pas ; mais l’Autriche ne pouvait consentir à laisser la monarchie prussienne étendre ses limites jusqu’aux frontières de la Bohême ; et Louis xviii avait recommandé au prince de Talleyrand de défendre le principe de la légitimité dans la personne du roi de Saxe. Aussi, une fois passées les plus vives effervescences de la victoire et de la colère, il devint impossible à la Prusse de s’approprier la Saxe entière ; elle n’en put emporter que des lambeaux : elle n’eut pas Dresde, elle n’eut pas Leipsig, mais elle eut la troisième partie du territoire qu’elle érigea en duché de Saxe, et huit cent mille ames sur une population de deux millions d’hommes.

Aujourd’hui la Saxe est un des pays les plus civilisés de l’Europe et les plus dénués d’énergie politique. Une instruction saine circule partout ; ce pays en a le goût et la longue habitude. Ce n’est pas en vain que, depuis le xvie siècle, la réforme a remué les esprits ; la civilisation morale a fleuri sous l’influence de l’esprit évangélique. Mais tant de dons heureux ne peuvent constituer à cette terre l’unité politique qui lui manque ; la patrie de Luther est morcelée[7], sans force, et sans autre avenir qu’une soumission prochaine à la monarchie de Frédéric.

Cependant, au milieu de l’impuissance de la Saxe, Berlin fut contrarié, il y a quelques années, par l’invasion du régime constitutionnel à Dresde. Au mois de juin 1830, la Saxe avait encore son ancien gouvernement ; mais dès 1817, les états du royaume avaient demandé que la vieille constitution fût révisée ; des écrivains donnèrent l’appui de l’opinion à ces sollicitations légales, que ce concours rendit plus vives. Les esprits étaient échauffés ; quelques troubles avaient éclaté à Dresde, dans la soirée du 25 juin 1830, au milieu des processions et des fêtes qui célébraient le troisième anniversaire séculaire du jour où la confession d’Augsbourg avait été remise à Charles-Quint ; des émotions plus turbulentes encore s’étaient manifestées à Leipsig, quand arriva la nouvelle de la révolution de Paris et de la France. Le peuple, la bourgeoisie, et une partie de la jeune noblesse l’accueillirent avec enthousiasme ; Leipsig fut le théâtre d’une nouvelle effervescence ; on y cria : Vivent les princes protestans, vive Paris, vive le roi de Prusse, acclamations décelant l’instinct d’un peuple qui voulait réunir la religion, la liberté et la puissance. Dresde prit feu de son côté. Enfin, le 13 septembre 1830, un décret royal annonça l’adoption que faisait le roi du prince Frédéric, en qualité de co-régent (mit-regent), et la renonciation du prince Maximilien au trône en faveur de son fils. En même temps, M. de Lindenau était nommé premier ministre. M. de Lindenau représente la liberté loyale et modérée dont voudrait jouir le tiers-état de la Saxe ; il a l’amour du bien, l’expérience des affaires, la connaissance des théories et des constitutions, l’esprit élevé. S’il savait plus les hommes, s’il se défiait davantage de leurs passions mauvaises, et luttait contre elles avec une volonté plus ferme, on pourrait l’appeler un grand homme d’état. La constitution nouvelle, en établissant deux chambres, leur a refusé le droit d’initiative dans le pouvoir législatif, et ne leur a octroyé qu’une faculté fort restreinte d’ajourner leur consentement aux impôts.

Dresde n’a pas été nommée sans justice la Florence de l’Allemagne. Dans ces deux villes, l’art est la consolation d’un éclat politique éclipsé. Le musée saxon regorge de beautés et de chefs-d’œuvre ; là seulement on connaît le Corrège, et l’on reçoit de ces miracles de la couleur une révélation nouvelle de la puissance de l’art. Dresde est une ville ouverte et riante comme la capitale d’un grand empire qui n’aurait rien à redouter, ou plutôt elle est ouverte comme un champ de bataille, et semble une proie riche et facile à la merci d’un vainqueur. Le peuple saxon n’a pas tant l’ambition de la prépondérance politique que l’amour de sa foi et de ses mœurs religieuses. Il a donné la réforme à l’Allemagne, et veut en garder dans ses foyers l’autorité souveraine. Il supporte difficilement le catholicisme de ses princes ; entre lui et la maison royale la différence du culte a répandu une froideur qui sera mortelle à celle-ci. Si le prince Frédéric est populaire, c’est qu’il passe pour incliner à la réforme et vouloir l’embrasser un jour. Il faut voir chaque dimanche la famille royale assister aux pompes de la religion catholique au milieu du silence moqueur d’un peuple blessé dans sa foi. Pour comble de disgrace, la musique sacrée est chantée par une de ces voix sans caractère et sans sexe, qu’à peine on entend encore à Rome : quel tact ! un castrat pour des oreilles saxonnes ! dans la patrie de Luther !

Nulle part la pensée ne pourrait trouver plus d’alimens que dans Leipsig. Le commerce, la science et la guerre y tiennent toujours l’esprit actif par leurs occupations et leurs souvenirs. Toutes les nations envoient des représentans à Leipsig : la Russie, l’Angleterre, la Turquie, la Pologne, la France. On y apporte tous les fruits du travail et de l’industrie pour les échanger. Au nouvel an, à la Saint-Michel, à Pâque, les commerçans de tous pays se rencontrent. Cependant la ville est riante et joyeuse ; elle fête ses hôtes avec empressement, on y spécule en se divertissant ; les plaisirs viennent s’offrir au milieu de tous les trafics ; on les achète aussi. La science tient son bazar dans Leipsig ; elle y entasse ses conceptions, ses rêveries, ses pauvretés, ses richesses ; elle y accouple la philosophie et le roman, l’histoire, le mysticisme, la chimie, l’apologie du despotisme, la défense de la liberté ; c’est le produit brut de l’esprit humain associé au coton et au café. La ville possède une université, et n’a pas toujours assez de place pour loger ensemble les écoliers et les marchands. La science et le commerce se disputent le terrain. Enfin l’histoire vivante, cette large biographie des grands peuples et des grands hommes, déroule là ses pages qui sont des champs de bataille. D’abord, à cinq lieues de Leipsig, tomba Gustave-Adolphe, il y a deux siècles. À Bautzen, Napoléon vainquit encore, presque pour la dernière fois ; victoire indécise, n’ayant plus le front radieux et l’œil étincelant, dernière condescendance de la fortune, qui enfin, le 18 octobre, à Leipsig, se tourna contre nous avec autant de promptitude que le canon des Saxons. L’Allemagne fut un moment incrédule au bruit de sa propre victoire ; elle n’osait se fier à la renommée, tant il lui semblait difficile de surmonter Napoléon. Enfin elle se leva dans l’ivresse de la vengeance et de la certitude ; elle se précipita sur les pas de l’homme qui gardait son génie, mais qui perdait son bonheur. Mais l’Allemagne a-t-elle recueilli toute la moisson due à ses efforts et à son sang ? elle a sauvé son indépendance, mais a-t-elle trouvé la liberté ? Dieu et les rois lui doivent encore la moitié de son salaire.


I pray thee, stay with us ; go not to Wittenberg.


Je t’en prie, reste avec nous : ne retourne pas à Wittemberg, dit la mère d’Hamlet au prince de Danemarck. Les fictions créées par le génie contractent sous son empreinte une telle réalité, qu’elles préoccupent l’esprit avec le même empire que l’histoire elle-même. À Wittemberg on se souvient d’Hamlet ; on est certain qu’il a été un des étudians de cette université, ce triste et aimable jeune homme sur la tête duquel Shakspeare a mis toutes les mélancolies du genre humain : là il s’occupait de philosophie avant de méditer sur le crâne d’Iorick et sur la poussière d’Alexandre ; là il se débattait avec la métaphysique, avant de croiser le fer avec Laërtes ; la métaphysique ! cette fille si vigoureuse et si fière, dont la force a toujours aimé les étreintes et qui n’a jamais été outragée que par l’impuissance ! Les Allemands portent à Shakspeare une reconnaissance orgueilleuse pour avoir montré Hamlet, cet autre Oreste des traditions du Nord, s’élevant dans Wittemberg avec les disciplines germaniques. L’anachronisme n’est rien ici.

L’université de Wittemberg fut instituée en 1508, et n’attendit pas long-temps la célébrité. Huit ans après, un homme en avait fait l’adversaire de Rome, l’école et le siége d’un christianisme nouveau : il collait ses thèses factieuses aux murailles de l’université ; par ses cris, il remuait l’Allemagne, il consternait le Vatican. Dans l’ancien cloître des Augustins nous avons visité la chambre de Luther, nous avons vu la place où il avait coutume de s’asseoir et de méditer comment il changerait la religion et l’Europe. Nous y avons trouvé le nom de Pierre-le-Grand tracé par le Moscovite. Sympathie naturelle : Pierre devait aimer Luther ; même tempérament, même audace, même génie ; l’empereur, créait un peuple, une capitale, un empire ; le moine créait une nouvelle manière d’adorer Dieu. Pour aller au cloître des Augustins, on passe devant la maison où mourut Mélanchton, cet homme si pur, si flexible et si tendre, dont les éternelles incertitudes ne firent jamais suspecter la candeur et la sincérité, et qui put manquer de caractère impunément, sans dommage pour sa mémoire, tant l’Allemagne savait que les inconstances et les variations de Mélanchton étaient de continuels hommages à la vérité qu’il poursuivait toujours ! Wittemberg est vraiment la patrie du xvie siècle ; c’est de là qu’il est parti comme un torrent pour aboutir à tous les points de l’Europe. Tout est muet aujourd’hui ; mais ce silence rend encore plus sensible le retentissement du passé : on écoute l’histoire sans être troublé. Pourquoi donc la statue de Luther érigée au milieu de la grande place n’est-elle pas belle ? On a eu raison de la frapper en airain, car pour cet homme, le marbre était trop délicat ; mais le génie manque à l’œuvre : il faut un artiste qui, s’inspirant de l’image si vivante laissée par le pinceau de Cranach, rende à l’Allemagne son Luther factieux, habile, savant, emporté, patient, brutal, contemplatif, éloquent, aimant le vin, les femmes et la musique[8], inspiré, volontaire, politique religieux.

Huit heures de poste vous amènent dans Potsdam : Potsdam et Wittemberg, deux mondes ! deux siècles ! la théologie et la guerre ! Luther et Frédéric ! Potsdam est tout ensemble une ville de guerre et de plaisance ; les troupes et les maisons s’y alignent avec la même régularité, et rien ne vient troubler la double uniformité de l’architecture et de la discipline au milieu d’une nature pittoresque, dont les beautés sont vraiment exceptionnelles dans les sables du Brandebourg.

On connaît mieux Frédéric après avoir vu Sans-Souci. On y trouve non plus le roi, mais l’homme. Frédéric n’a pas voulu élever un palais pour les représentations de la royauté, une imitation de Versailles ; il s’est bâti une maison à sa convenance, où il pût travailler et se reposer à sa guise. Sans-Souci est un bâtiment d’un seul étage. La chambre à coucher où mourut le héros, sa bibliothèque, sont d’une simplicité antique ; là, tout élève l’ame et l’esprit, le silence des lieux, la sérénité paisible de la nature, le souvenir de la visite de Napoléon et de la présence de Voltaire. À une des extrémités de la maison était la chambre du philosophe ; mais le philosophe se trouvait trop près du roi ; l’espace était trop petit pour réunir ces deux puissances faites sans doute pour s’estimer et s’adorer, mais de loin.

En entrant à Berlin par la porte de Brandebourg, il est impossible de n’être pas frappé d’un aspect de force et de grandeur. Une longue et large avenue plantée de tilleuls, des deux côtés, unter den Linden, vous conduit au centre de la ville. Le premier monunent qui frappe vos regards est l’arsenal avec les statues des généraux Bulow et Scharnhorst ; Blücher est en face et seul. L’université vient après l’arsenal. Plus loin, on aperçoit le musée, dont la construction récente, magnifique et commode, atteste un culte intelligent de l’art ; seulement, à l’exception de quelques chefs-d’œuvre, la collection acquise d’un seul coup n’est pas toujours digne de son habitation. En transportant à Berlin les tableaux de Dresde, on aurait un des plus beaux musées de l’Europe. Le palais du roi, élevé sous le règne de plusieurs princes, sépare la ville de Frédéric, de l’ancienne ville. La statue du grand-électeur, sur un des ponts de la Sprée, rappelle celle de Henri iv sur la Seine, et, comme elle, représente des souvenirs qui ont plus d’un siècle.

Berlin avec ses larges rues, ses maisons neuves et alignées, a quelque chose des beaux quartiers de Londres, moins l’immense population qui se déploie sur les bords de la Tamise ; même il faudrait verser cent mille hommes de plus dans la capitale de la Prusse ; elle en a besoin, et, telle qu’elle est aujourd’hui, elle peut les tenir.

Au surplus, ne cherchez point ici tant la beauté des monumens que la force et le mérite des hommes. À Berlin, pas de nature, peu d’art ; des hommes et des idées ; l’armée et l’université ; la science et la guerre.

La volonté a créé la Prusse : l’esprit et le fer la défendent. Frédéric pourrait sortir de son tombeau de Potsdam ; il retrouverait sa Prusse avec ses soldats et ses savans, sa discipline et son intelligence ; et son adhésion ardente au régime de la force qui civilise.

Dans aucun autre endroit de l’Europe, l’effort du travail et de la pensée ne se fait plus sentir qu’à Berlin ; les ressorts de l’empire et de l’esprit y semblent toujours tendus, trop peut-être : on dirait que la moindre négligence et la moindre distraction peuvent tout compromettre et tout perdre ; mais cet emploi si fier de l’énergie et de la volonté a du charme pour l’intelligence et lui procure de vigoureux plaisirs. N’allez point à Berlin si les voyages ne sont pour vous qu’une diversion futile à l’uniformité d’une molle existence, et si les excitations de la pensée vous sont une sensation trop impétueuse et trop mordante : l’ennui vous gagnerait, ou plutôt vous seriez jeté dans un monde dont les qualités mâles et sévères vous opprimeraient. Mais allez à Berlin si vous aimez le spectacle de la force, la fierté des armes, la profondeur de la pensée, le culte ferme et persévérant de la science, les exaltations orgueilleuses de l’intelligence ; si vous vous plaisez à chercher la raison des choses, la suite des traditions et des destinées du monde ; si la grande histoire et la forte métaphysique vous émeuvent ; si les causes, les mystères et les délicatesses de la religion ébranlent votre ame intimement ; si encore vous aimez les longues conversations qui s’alimentent de science et de poésie, où une imagination active, savante et mobile, peut parcourir avec vélocité le cercle entier des idées et des passions humaines. On cause admirablement à Berlin, autrement, mais aussi bien qu’à Paris. C’est dans ces deux capitales que la vie de l’intelligence européenne a le plus d’ardeur et de puissance. L’esprit à Berlin va plus directement à son but, avec plus de précision, de rigueur ; à Paris avec plus de grâce et d’abandon, mais il arrive aussi ; à Berlin, plus de profondeur sur un point donné ; à Paris, plus d’étendue sur toute la surface. Le Prussien met dans ses idées la même discipline et la même tenue que dans ses armées et ses pratiques militaires ; c’est la même exactitude et la même roideur ; le Français manie toujours la science ou la force avec une confiance facile ; nos soldats et nos penseurs laissent parfois la négligence s’introduire dans leurs exercices et dans leurs méthodes, parce qu’ils se croient sûrs de pouvoir ressaisir d’un seul coup la position nécessaire. Nous avons cru remarquer dans l’homme du Brandebourg un mélange de la précision britannique et de la vivacité française, sans que ces deux élémens aient suffisamment trouvé un équilibre harmonieux ; quoi qu’il en soit, la Prusse est aujourd’hui la tête du corps germanique, et si Munich et Dresde sont les musées de l’Allemagne, si Vienne en est l’auberge et la promenade, Berlin en est l’arsenal, le salon et l’université.

La monarchie prussienne a pour devise : Suum cuique, mais elle s’est formée elle-même par des usurpations successives ; la conquête et la guerre l’ont créée. Les chevaliers de l’ordre Teutonique emportèrent au xiiie siècle la possession de la Prusse à la pointe de l’épée ; Thorn et Marienbourg étaient la résidence de ces terribles porte-glaives : ils prévalurent durant trois siècles ; en 1525, la paix de Cracovie les abolit en réalité, et la Prusse devint un duché héréditaire sous le protectorat de la Pologne. Un siècle après, elle appartint à la maison électorale de Brandebourg ; encore un siècle après, elle devint royaume ; aujourd’hui elle est une des cinq grandes puissances de l’Europe : voilà comment s’élèvent les empires.

La Prusse orientale, la Prusse occidentale, le Brandebourg, la Silésie, la Poméranie, le duché de Posen, une partie de la Westphalie, les états de Clèves, une partie de la Saxe, le duché du Rhin, composent la monarchie prussienne, laborieux assemblage, élevé par la conquête et le temps, et toujours à la merci des chances inconnues des temps et de la guerre.

La monarchie de Brandebourg ressemble à un de ces corps élancés dont la vie jeune et irrégulière n’a pu trouver encore son assiette, son embonpoint et son harmonie ; elle se fatigue à toucher en même temps les bords de la Baltique et les bords du Rhin ; il est peu commode de régir à la fois Dantzig et Cologne ; elle le sait, aussi les conquêtes qu’elle médite ne sont pas lointaines ; elle désire Leipsig et Dresde qui avoisinent sa capitale : Goettingue, Hanovre et Brunswick ne lui déplairaient pas.

En 1801, le premier consul de la république française offrait le Hanovre à la Prusse pour prix d’une amitié sincère. La Prusse désirait cette proie, mais sans oser la prendre. En 1803, le prince de Hardenberg avouait que la monarchie de Brandebourg épiait toujours l’occasion d’acquérir le Hanovre, pourvu que cette acquisition n’imprimât pas une tache à l’honneur et à la bonne foi du roi. Frédéric-Guillaume écrivait, de son côté, qu’il nourrissait pour le Hanovre une affection paternelle. La Prusse, acceptant les offres de Napoléon, avait l’Angleterre pour ennemie, l’amitié de la France ; elle pouvait mécontenter la Russie, mais elle intimidait l’Autriche.

La position de la monarchie prussienne est celle-ci : que la Russie veut s’étendre jusqu’à l’Oder, la France jusqu’au Rhin : elle doit choisir entre l’alliance de Saint-Pétersbourg et celle de Paris pour combattre Vienne.

« Pourquoi Canning n’était-il pas à Vienne en 1815, à la place de Castlereagh ? écrivait en 1827 le baron de Stein ; les princes allemands devraient cependant songer que l’indépendance de l’Allemagne vis-à-vis la Russie et la France repose surtout sur les forces morales et matérielles de la Prusse, et ils devraient renoncer à la misérable et dangereuse opposition qui se manifeste partout.

M. de Stein représente avec exactitude l’esprit national de la Prusse, qui sut se relever après la bataille d’Iéna ; il contribua puissamment à rétablir les vieilles franchises municipales du royaume, et à donner ainsi au patriotisme un aliment et une récompense ; il figura au congrès de Vienne ; il portait à la France une haine dont les motifs ne sauraient nous étonner, mais dont les emportemens sauvages choquent le goût et la raison. L’an dernier, une publication indiscrète mit dans le monde littéraire de l’Allemagne le trouble et le scandale. M. de Gagern, père du courageux député de Hesse-Darmstadt, publia, dans les intérêts de sa vanité, des lettres et des billets confidentiels de M. de Stein : dès 1813, il avait brigué avec une insistance extraordinaire l’honneur de l’amitié du ministre prussien ; il le pressait de s’ériger en Luther de la nouvelle émancipation allemande, se contentant pour sa part, disait-il, d’être son Mélanchton. M. de Stein, moitié fatigue, moitié condescendance, consentit à nouer commerce avec lui : il lui écrivait tantôt avec abandon, tantôt avec hauteur ; peu à peu, en se livrant davantage, il épancha sa confiance et sa bile dans des lettres courtes, de petits billets, dont les phrases ont le laconisme et la négligence d’une causerie : et voilà qu’aujourd’hui M. de Gagern livre au public ces témoignages et ces lambeaux d’une confiance trahie ; il les appelle sa participation à la politique (mein Antheil an der Politik), excitant le courroux des uns, la gaieté des autres, et la curiosité de tous. Personne n’est épargné par l’amertume de M. de Stein, pas plus le prince de Metternich que M. Ancillon. Voici quelques traits qui pourront faire connaître cet homme d’un patriotisme si âpre et d’une humeur aristocratique si hautaine :

« La monarchie prussienne me présente dix millions d’hommes qui ont une histoire politique, militaire, intellectuelle, et une consistance indépendante, auxquels la Providence a donné au xviie et au xviiie siècle trois grands rois ; ces rois ont procuré à la Prusse un présent glorieux, et ont jeté les fondemens d’un avenir, peut-être plus grand encore… »

« Le bon homme se plaint de l’universalité du service militaire, je la tiens pour excellente. Il est excellent qu’il y ait une institution qui entretienne chez tous l’esprit guerrier ; qui développe chez tous les qualités guerrières, et qui habitue tout le monde aux privations, aux efforts et à l’égalité de l’obéissance. »

« La politique du prince de Metternich est frappée de paralysie ; il n’avait pas besoin, pour empêcher l’agrandissement de la Russie, d’opprimer la Grèce. »

Voici maintenant le tour du prince de Hardenberg : ce brillant ministre, chef d’une famille si riche en personnes distinguées et spirituelles, est ici maltraité par son plus cruel ennemi.

« Mon antipathie contre le chancelier ne repose pas sur un fait isolé : elle a pour motifs l’abandon de ses mœurs, qui l’entraînait à de mauvaises sociétés ; sa fierté, qui lui faisait écarter des affaires tous les hommes capables et indépendans, et le portait à choisir des hommes médiocres ou indignes ; sa fausseté, qui l’a toujours empêché de lier des amitiés durables ; sa prodigalité de la fortune publique, sa légèreté, ses connaissances superficielles, car il ne savait rien à fond. »

« Avez-vous lu les Extrêmes en politique d’ Ancillon ? L’ouvrage ressemble à l’homme ; cela sent le prêtre, cependant il y a de bonnes choses. »

Je citerai des choses disgracieuses pour la France : les peuples, ces nouveaux rois du monde, doivent savoir tout entendre.

« Les fanfaronnades françaises sont risibles. Si l’unité existe en Allemagne, les Français ne seront jamais en état de prendre la rive gauche du Rhin, comme le montre l’histoire même de Louis xiv. À cette époque, la constitution intérieure de l’Allemagne était beaucoup plus faible qu’aujourd’hui ; l’Autriche faisait la guerre en Hongrie et vit l’ennemi aux portes de Vienne ; dans le nord, la Suède appuyait la France ; la Prusse commençait à peine à se développer ; l’Allemagne n’était pas encore guérie des blessures que lui avait faites la guerre de trente ans ; Louis xiv avait acheté la neutralité de Charles ii et de Jacques ii… Et que gagnerait la France par la possession de la rive gauche ? deux millions d’hommes de plus ? N’est-elle pas assez forte avec trente millions ? »

Je demande pardon à la France des lignes que je vais citer, mais elle est assez grande pour se donner le spectacle des injustices les plus haineuses. Stein caractérise ainsi les membres de l’opposition libérale de la restauration.

« C’est un mélange de jacobins, de constitutionnels, de napoléonistes, de théoriciens, tous animés par l’égoïsme, par l’esprit d’intrigue et de mensonge, tous incapables de liberté. »

« Je ne me fie pas au bon sens et à l’intelligence pratique du peuple français, car il est mobile, égoïste, vain, sans courage, sans énergie politique, et n’ayant qu’une instruction superficielle. Dans la crise d’aujourd’hui (mai 1830), il ne tiendra pas le milieu, mais il penchera aveuglément d’un côté. »

« La chute des Bourbon s’est donc accomplie ; je la trouve tragique, non méritée… L’esprit de mensonge peut seul trouver quelque ressemblance entre Charles x et Jacques ii Où est le furieux Jeffries ? où est la tentative d’opprimer l’église nationale sous la domination d’une église étrangère ? où est l’alliance avec des rois étrangers pour renverser la constitution et la religion nationale ? où est l’argent de l’étranger reçu dans ce dessein ?

« Je ne suis point ami de la licence du journalisme : la liberté de la presse peut être très avantageuse pour les libraires, mais je la crois faite pour égarer l’opinion, qui déjà trouve d’assez détestables alimens dans les feuilles françaises. »

« Au xvie siècle, les paysans révoltés brûlaient, pillaient, détruisaient tout pour conquérir la liberté évangélique. Au xviiie et au xixe, nous tuons, nous volons, nous faisons la guerre, pour la liberté et la constitution républicaine ; pauvre humanité ! toujours fustigée par les passions ! toujours dans le mensonge ! Et cependant nos prêtres rationalistes certifieront en son honneur qu’elle est pure du péché originel ! Voilà les vrais auxiliaires des jacobins, car en minant sourdement tout respect de la religion révélée, ils ouvrent l’arène aux perturbateurs pour s’élancer en furieux contre l’ordre légal. »

Voilà Stein : loyal et borné, vertueux et dur, aimant ce qui est antique, traditionnel, les coutumes particulières, les franchises domestiques ; ennemi du siècle nouveau, de ses passions et de ses idées ; poussant la haine de la France jusqu’au délire, et puni de cette inimitié extravagante par l’ignorance complète des destinées et de la grandeur future du genre humain ; chagrin, humoriste, faisant de la religion un appui des vieilles choses, espèce de Caton l’Ancien, dont le patriotisme honnête, mais étroit, est déconcerté par les mouvemens du monde.

Tel n’était pas le prince de Hardenberg, esprit vaste et ouvert, aimable, vraiment noble, portant dans les affaires une facilité brillante et toujours sereine, dans les plaisirs les restes fougueux de l’ardeur que n’avait pas usée le travail, ayant des inclinations naturelles pour tout ce qui était grand et beau, aimant la science et l’art, et cherchant le secret de diriger les états et la vie dans l’harmonieuse satisfaction des facultés humaines.

Le cabinet de Berlin a confié aujourd’hui les affaires extérieures à un ministre que les lettres et la théologie ont occupé avant la politique ; M. Ancillon est toujours l’homme des tempéramens et du milieu : il tient honorablement sa place entre le génie et la médiocrité ; sa philosophie n’est pas plus décidée que sa politique ; son style n’a pas plus de vigueur que son administration ; tout reste dans une mesure honnête et convenable, toujours à l’abri de la force et de la grandeur.

Les vues personnelles du roi s’accommodent de la gestion modérée de M. Ancillon ; le roi veut continuer paisiblement le cours de sa vieillesse, et ne pas compromettre les prospérités qui ont réparé les disgrâces de la première partie de sa vie ; heureux, justement vénéré de son peuple, il s’attache à conserver les avantages acquis : ses goûts sont simples et ne dépassent pas les limites de la vie intérieure ; sa maison, qu’il préfère à son palais de roi, inspire, par sa noble modestie, une estime profonde pour celui qui l’habite. Le prince royal est l’objet de beaucoup d’espérances et de conjectures : on s’épuise à le deviner, il faut l’attendre sur le trône. L’habileté aux affaires humaines ne saurait se présumer, elle doit donner d’elle-même de vivans témoignages : la guerre, la politique et la tribune ne connaissent que le succès et la puissance.

Il y a dans la vie de la Prusse une contradiction qu’il faut saisir : c’est un état nouveau cherchant à s’appuyer sur de vieilles mœurs. Ainsi en 1808, une ordonnance organisa le régime municipal (Statdteordnung) ; elle établit en principe que les intérêts municipaux seraient gérés par la bourgeoisie elle-même, et que cette gestion serait confiée à une assemblée de députés représentant la commune ; vingt-trois ans après, une autre ordonnance révisa la première (revidirte Statdteordnung, 17 mars 1831), et donna beaucoup plus d’empire aux coutumes particulières, à ce qui dans chaque ville et chaque province se trouve différent et individuel[9]. Mais la vie générale de l’état est un problème plus sérieux pour la Prusse ; voici ses embarras :

La monarchie prussienne est composée de pièces de rapport jointes ensemble par la conquête ; le Brandebourg est le berceau et le siége de la monarchie, mais il n’en est pas le centre. Berlin est une métropole isolée qui reçoit avec orgueil les hommages de sujets lointains. La capitale est trop aux extrémités de la monarchie et de l’Allemagne ; dans cette position, l’unité de l’état est tout entière dans la main d’un roi militaire. Figurez-vous une tribune à Berlin, un forum, une arène qui réunirait le Silésien et l’homme des bords du Rhin, l’habitant de Mémel et celui de Clèves ; quelle collision ! La faiblesse de la monarchie serait trahie sur-le-champ : il est de la destinée de la Prusse si intelligente et si instruite de ne pouvoir tolérer le gouvernement de la parole et de la liberté.

En vain le prince de Hardenberg présenta à la signature du roi l’octroi d’une constitution représentative, il ne put triompher des ajournemens de la royauté, qui n’avait pas tort dans sa répugnance.

Chaque état a sa loi ; la Prusse est faite pour la guerre et la science, mais non pour la tribune.

Il est impossible de tourner cette difficulté avec plus d’art que ne l’a fait la politique du cabinet de Berlin : le roi a créé spontanément des représentations particulières qui puissent faire oublier l’absence d’une représentation générale ; par une ordonnance du 5 juin 1823, il établit des états provinciaux ; la propriété foncière fut la condition nécessaire pour y siéger ; il appartient à ces états de délibérer sur les projets de loi qui intéressent chacune des provinces ; ils peuvent adresser des pétitions et des plaintes sur leurs affaires particulières ; ils délibèrent avec indépendance sur leurs droits et intérêts communaux. Il y a des provinces où les états se composent de quatre états, d’autres où seulement de trois. Dans toutes les conditions, les qualités de propriétaire et de chrétien sont indispensables. Les députés sont élus pour six ans. Les délibérations sont secrètes, mais leur résultat est rendu public.

Le pouvoir exécutif est énergique et vigilant. L’administration centrale a toujours auprès d’elle des hommes de chaque province, dont les indications l’empêchent de froisser par ignorance des intérêts réels ; rien n’est épargné qui puisse ajouter à la vigueur et à l’habileté du gouvernement.

La justice est un mélange de traditions féodales et de quelques imitations des institutions françaises. Le Code Napoléon régit les bords du Rhin ; le Landrecht, l’intérieur de la monarchie.

Jamais gouvernement ne s’est montré plus soucieux de l’instruction et de la science. Dans aucun autre état de l’Europe, l’enseignement primaire et l’enseignement supérieur ne fleurissent avec tant d’éclat.

En Prusse, tous les jeunes gens sont soldats à vingt ans ; solliciter une exemption serait courir après le déshonneur. Ceux qui ne veulent pas poursuivre la vie guerrière restent un an sous les drapeaux, et mêlent les exercices militaires avec les études de leur éducation ; ils obtiennent ensuite un congé de deux ans ; à la fin de ces trois années, on les incorpore dans la Landwehr du premier ban ; ils y sont classés jusqu’à trente-deux ans, époque à laquelle ils entrent dans la Landwehr du second ban, où ils restent jusqu’à trente-neuf ans. Ainsi, la Prusse a une armée active, deux bans de Landwehr, et dans une lutte contre une invasion, la levée en masse, Landsturm ; ainsi contre l’ennemi, elle se meut comme un seul homme, prompte, aguerrie, ardente. Pourquoi donc les Français aussi ne seraient-ils pas tous soldats de plein droit, par droit de naissance et de courage ? Qui mieux que l’enfant de la France aime les armes et les jeux de la guerre ? Voulons-nous être invincibles contre l’Europe, bannissons de nos lois l’injurieuse loterie de la conscription, qui semble faire du service militaire une disgrâce ; ayons, comme la Prusse, l’égalité devant les armes ; qu’à vingt ans, tout Français connaisse l’épée, le cheval et le canon ; soyons soldats pendant ces belles années de la jeunesse, où la vie, dans ses impétueux élans, appelle l’homme à tout embrasser et à tout conquérir. Il n’est pas de hordes si épaisses qui ne reculent devant la France en armes, comme les Troyens devant la poitrine nue d’Achille.

Une des faiblesses de la Prusse est la pauvreté de ses finances ; aussi l’économie de l’administration est aussi sévère que la discipline de l’armée. Les charges de l’état sont immenses. La monarchie, dont la composition est récente, s’est trouvée depuis dix-neuf ans dans la condition d’un ménage nouveau qui s’organise : elle est obligée de faire face en même temps aux dépenses les plus diverses ; ainsi l’université de Bonn a dû être établie avec une rapidité dispendieuse. Il a fallu donner à Berlin la magnificence convenable à la capitale d’un grand empire ; et le rideau de baïonnettes toujours tendu devant l’Europe cache quelquefois l’épuisement sous les apparences de la force.

Sans marine, sans colonies[10], la Prusse a imaginé d’envelopper l’Allemagne dans une vaste association de douanes qui, sous le prétexte de l’unité, mette en sa main la circulation des produits du commerce, de l’industrie et de l’agriculture. Elle a presque tout envahi ; elle poursuit avec persévérance auprès des états dissidens les accessions qui lui manquent ; elle demande même à l’Angleterre son consentement pour le Hanovre, au Danemarck pour le Holstein.

Quand le cabinet de Berlin eut commencé de concevoir sa ligue commerciale, il joua l’Autriche avec un art infini : M. de Metternich ne vit dans les propositions de la Prusse à quelques petits états qu’une mesure de police. Depuis deux ans seulement, il a compris que la monarchie de Frédéric poussait doucement la monarchie de Marie-Thérèse en dehors de la solidarité germanique.

Au congrès de Vienne, l’empereur François ne put accepter le titre d’empereur d’Allemagne que lui demandaient de reprendre quelques anciennes maisons de l’empire : il n’aurait jamais obtenu le consentement de la puissance nouvelle qui affecte le protectorat de l’unité allemande. Il y a un siècle, Voltaire écrivait à Frédéric (5 août 1758) : « Il faut que votre altesse royale pardonne une idée qui m’a passé par la tête plus d’une fois. Quand j’ai vu la maison d’Autriche prête à s’éteindre, j’ai dit en moi-même : Pourquoi les princes de la communion opposée à Rome n’auraient-ils pas leur tour ? ne pourrait-il se trouver parmi eux un prince assez puissant pour se faire élire ? La Suède et le Danemarck ne pourraient-ils pas l’aider ? Et, si ce prince avait de la vertu et de l’argent, n’y aurait-il pas à parier pour lui ? Ne pourrait-on pas rendre l’empire alternatif comme certains évêchés qui appartiennent tantôt à un luthérien, tantôt à un romain ? Je prie votre altesse royale de me pardonner ce tome de Mille et une Nuits. »


Cum canerem reges et prælia, Cynthius aurem
Vellit et admonuit.


Aujourd’hui la monarchie de Frédéric ne considère plus comme un rêve le projet de dominer l’Allemagne, abandonnant au temps le soin de consommer son ouvrage et sa puissance : les noms des choses sont les secrets de Dieu révélés par le temps. Le titre d’empereur est vieux ; il est d’ailleurs attaché à la profession de foi catholique, et la force de la Prusse est de représenter le génie du protestantisme.

Jamais un grand empire ne s’est trouvé dans une situation plus délicate : la Prusse a du fer et pas assez d’argent ; intelligente, elle craint la liberté ; savante, elle redoute l’application de la science et des idées aux destinées humaines ; elle défend l’indépendance religieuse, et poursuit de rigueurs implacables l’indépendance politique ; elle est pressée entre l’Autriche, la Russie et la France ; du fond du Brandebourg, elle pousse aujourd’hui ses frontières presque jusqu’aux portes de Metz : cette position la fait incliner à l’amitié de la Russie, elle ne s’aperçoit pas que Saint-Pétersbourg est plus menaçant pour Berlin que Paris. Cependant elle n’a pris sur rien encore un parti irrévocable ; mais cette démocratie militaire ne saurait vivre long-temps sans une direction décidée et sans un grand homme.

Les bords du Rhin semblent devoir être entre la Prusse et la France un débat éternel. Le Rhin fait l’orgueil de l’Allemagne, et sur l’une et sur l’autre rive, l’histoire et la civilisation germanique ont semé d’elles-mêmes de vivans témoignages.

Nous sommes médiocrement touchés de la théorie des limites naturelles tracées par les fleuves et les montagnes : les configurations du sol et du climat peuvent être un indice de la vérité politique, mais ne la font pas. Sans nier que la nature semble inviter l’empire de France à se prolonger jusqu’à la rive gauche du Rhin, nous aimons mieux chercher dans l’intérêt et l’esprit des peuples la raison de ce qui doit être.

Il faut avouer que les villes rhénanes portent sur le front l’empreinte du génie germanique. Ainsi Cologne, cette colonie romaine, attestant son origine par un magnifique débris de temple antique dont elle a fait un hôtel-de-ville, jetait au moyen-âge le double éclat de la religion et du commerce ; elle contenait cent cinquante mille habitans et deux cents églises ; commerciale et catholique, elle était la plus illustre cité de l’Allemagne et méritait ce dicton : Qui n’a pas vu Cologne, ne connaît pas la Germanie ; qui non vidit Coloniam, non vidit Germaniam. Aix-la-Chapelle retient encore dans ses souvenirs tout l’orgueil de l’empire ; elle offre à l’adoration du monde le tombeau du grand Karl, Carolo magna, et dans sa fierté semble tenir pour indifférent d’appartenir aujourd’hui à la patrie de Napoléon ou à celle de Frédéric.

Mais si les traditions du passé sont germaniques, l’esprit nouveau des provinces rhénanes ne reste pas immobile sous leur charme. Voici la situation : le Rhin n’est pas enfermé dans un empire ; mais il sépare deux nations. Les bords du Rhin ne peuvent s’appartenir à eux-mêmes ; les provinces de la rive gauche, nous ne voulons point parler ici de la rive droite, doivent être de grandes municipalités fleurissant sous le protectorat d’un grand état. Quel sera ce protectorat ? celui de la France, ou celui de la Prusse ? celui de Paris, ou celui de Berlin ? Voilà la question.

Sur les bords du Rhin les réminiscences de l’histoire, les habitudes de la religion, les méthodes de la science sont allemandes ; mais la législation, les idées politiques et positives, sont françaises. La Prusse a dû respecter l’influence du Code Napoléon, comme nous devrions à notre tour respecter et cultiver les traditions de la science allemande qui fleurit à Bonn. Cologne, qui ne compte aujourd’hui que soixante-quatre mille habitans, incline à la liberté et à l’indépendance, et les rencontrerait mieux du côté de la France que du côté de la Prusse. Trèves aime peu la domination protestante de Berlin, et croirait respirer plus librement sous une influence catholique. La Prusse a voulu établir sur les bords du Rhin le règne moral de la science et du protestantisme germanique : le 18 octobre 1818, anniversaire de la bataille de Leipsig, elle a fondé l’université de Bonn ; mais elle a été contrainte de la partager entre la foi catholique et la foi de Luther. De même, au milieu de ses soins pour rallumer le fanatisme allemand, elle a été forcée de laisser debout la loi française.

Les peuples de la rive gauche n’aiment ni ne haïssent la France et la Prusse pour elles-mêmes ; mais elles désireront l’amitié de la puissance la plus bienfaisante. Il serait insensé de faire de la conquête des provinces rhénanes le but unique d’une guerre, et de vouloir administrer Cologne et Aix-la-Chapelle comme une ville de Champagne ou de Normandie. Hormis Landaw, Sarrlouis, et Sarrbruch, anciennes possessions françaises, la France ne doit rien demander qu’aux intérêts positifs des populations riveraines. Qu’elle se relève elle-même de l’abaissement de sa politique ; qu’en s’abandonnant au cours heureux de ses qualités naturelles, elle se montre bonne, vaillante, humaine, désintéressée, alors elle verra venir les peuples à elle ; ce n’est pas une condition malheureuse que la protection de la France. Les peuples de la rive gauche pourront trouver un jour plus de douceur et de félicité à reconnaître la suzeraineté de Paris que celle de Berlin.

Entre la Prusse et la France, il y aura nécessairement une émulation ardente. À qui la palme de la civilisation et de l’intelligence ? à qui un jour le prix du combat ? On peut dire de la rive du Rhin comme de la succession d’Alexandre : Au plus digne.

La grandeur de la Prusse, s’accomplissant dans ses voies naturelles, ne saurait répugner à la France. Si les stipulations du congrès de Vienne n’eussent point amené la Prusse sur les bords du Rhin, nous n’aurions pas géographiquement de raison pour la combattre. Puisque la monarchie prussienne aspire à s’élever de plus en plus comme la tête du corps germanique, elle doit chercher à s’enraciner au milieu de l’Europe, et non pas à se prolonger dans des extrémités qu’elle ne pourrait pas toujours défendre. Elle doit représenter la race allemande entre la race slave et la race romano-celte.

La vraie politique consiste dans l’obéissance à la nature des choses. Les petits états sont les satellites nécessaires des grands empires. La Saxe incline à la domination prussienne inévitablement, et Dresde un jour doit obéir à Berlin. La même cause entraînera le Hanovre.

La même cause doit, dans l’avenir, investir la France de la Belgique, et Bruxelles doit dépendre de Paris, comme Dresde de Berlin. La Belgique est une province fertile, connaissant les prospérités de la vie civile et matérielle, mais ne pouvant obtenir seule l’efficacité de la vie politique. Elle a besoin de tenir à un autre corps ; la Hollande ne lui convient pas : lier ensemble Bruxelles et Amsterdam, c’est en vérité attacher un quadrupède à un poisson. Mais la France offre naturellement son protectorat à un pays qui parle sa langue et se nourrit de sa littérature.

Le lion de Waterloo n’est point un obstacle éternel à ce que la France attire la Belgique ; on peut le renverser. Waterloo a été l’épilogue pathétique d’une lutte de vingt années où tour à tour la France a défendu et sacrifié la liberté, où elle a secouru et opprimé l’indépendance des peuples, où les principes de droit et de justice finirent par se confondre et se déplacer violemment. Si de nouvelles guerres s’entamaient, la cause en serait claire à tous, et jamais les hommes ne se seraient battus avec plus de réflexion. Quant à la fortune, puisqu’elle a souvent protégé les folies de notre gloire, pourquoi refuserait-elle ses faveurs à l’excellence de notre droit ?

L’Allemagne est assise au milieu de l’Europe ; elle a pour elle l’antiquité des souvenirs, la force dans le présent, et un avenir obscur dont les ténèbres se dissiperont à la lumière d’une gloire inconnue. La Prusse lui prête la puissance acérée de l’épée, l’Autriche les traditions de l’empire des Césars, la Saxe la foi vivante de la réforme, la Bavière la poésie d’un catholicisme presque italien. Nouvelle avec la monarchie de Frédéric, antique par les successeurs de la maison de Hapsbourg, protestante avec Luther, catholique avec Munich et le Tyrol, l’Allemagne a tous les aspects. De jeunes monarchies constitutionnelles s’efforcent de se développer dans son sein ; les duchés et les principautés travaillent à retenir leur importance individuelle ; quatre villes, reste de l’ancienne Hanse, et qu’on appelle encore libres, représentent, comme dans la Grèce antique, l’opulence indépendante du travail et du commerce : cependant l’Autriche cherche à retenir la nation sur le penchant du siècle ; la Prusse, se trompant de mission et de devoir, veut, de son côté, enfermer la liberté dans le cercle de la métaphysique et de la religion. C’est avec ces forces et ces dispositions entre le passé et l’avenir, entre la Russie et la France, entre le Rhin et l’Oder, que l’Allemagne féodale et métaphysique, morcelée et vivante, idéaliste, rêveuse, jeune, pleine d’espoir et de vigueur, cherche la loi de ses destinées et de sa grandeur.


Lerminier.
  1. Mein Leben.
  2. Ein schwindsüchtiger Professor halt sich bei jedem Wort ein Flaschen Salmiakgeist vor die Nase, und liest ein Collegium über die Kraft.

    Schiller
  3. La chambre des députés se compose de 115 membres, dont un huitième est pris dans la noblesse.
  4. Depuis long-temps l’Autriche sent les dangers dont la menace la Russie. « Le prince de Kaunitz, qui se trouvait aussi à Neustadt, eut de longues conférences avec sa majesté prussienne, dans lesquelles, étalant avec emphase le système de sa cour, il le présenta comme un chef-d’œuvre de politique dont il était l’auteur ; il insista ensuite sur la nécessité de s’opposer aux vues ambitieuses de la Russie, et déclara que jamais l’impératrice-reine ne souffrirait que les armées russes passassent le Danube, ni que la cour de Pétersbourg fit des acquisitions qui la rendissent voisine de la Hongrie. Il ajouta que l’union de la Prusse et de l’Autriche était l’unique barrière que l’on pût opposer à ce torrent débordé qui menaçait d’inonder toute l’Europe. » Frédéric. — Mémoires de 1763 jusqu’à 1775. — Chap. ier, pag. 47-48. — Édition de Berlin. — 1788.
  5. La mort de l’empereur François ouvre la série de vicissitudes que doit éprouver dans notre siècle la monarchie autrichienne.
  6. Die Briefe des Freiherrn, von Stein an den Freiherrn von Gagern, von 1813-1831, Stuttgardt, 1835.
  7. La Saxe est partagée en royaume de Saxe, grand duché de Saxe-Weimar, duché de Saxe-Meiningen Hildbourghausen, duché de Saxe-Altenbourg, duché de Saxe-Cobourg-Gotha.
  8. Wer nicht liebt Wein, Weiber, und Gesang, der bleibt ein Narr, sein lebenlang.

    Luther.

  9. Voyez dans l’Historiche politische zeitschrift von Ranke, un travail de M. de Savigny, intitulé : Die Preussische-Staedtordnüng.
  10. Le prince Puckler-Muskau demande pourquoi la Prusse n’aurait pas de colonies, dans les mers de Chine, par exemple : il lui désire aussi un Botany-Bay. Tutti frutti, t. i, pag. 198-199, Stuttgardt, 1834.