Au coin du feu, histoire et fantaisie/08

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Typographie de C. Darveau (p. 159-194).

IROQUOIS ET ALGONQUINS



Notre dessein, dans les lignes qui vont suivre, est de dresser d’une manière succincte le tableau des changements connus qui se sont opérés dans la possession du Canada par les différentes races de Sauvages, avant la fondation de la colonie.

La plupart de nos arguments sont empruntés aux historiens. Nous nous bornons à les répéter ici en les dégageant des récits au milieu desquels ils se rencontrent le plus souvent. Cet aperçu sera facile à consulter pour quiconque n’a pas eu occasion de faire sur ce sujet des recherches un peu suivies.



Aussi loin que l’on peut remonter, c’est-à-dire au quinzième siècle, les vallées du Saint-Laurent et de l’Ottawa étaient occupées par deux grandes races parlant chacune sa langue propre : la race Iroquoise et la race Algonquine.

Elle se subdivisaient en de nombreuses tribus portant des noms particuliers[1].

Les Algonquins habitaient le long de la rivière Ottawa, que les Français désignèrent longtemps sous le nom de rivière des Algonquins.

Ils avaient non seulement la rivière Ottawa et les terres qui la bordent, mais leurs courses pouvaient s’étendre facilement d’un côté vers le lac Huron et la baie Géorgienne, et de l’autre à la hauteur des terres où l’Ottawa, le Saint-Maurice et le Saguenay ont leurs sources communes. Ces peuples chasseurs devaient, en effet, se répandre sur une grande étendue de pays.

La tradition des Agniers, tribu iroquoise, porte que le pays des Algonquins était situé à cent lieues à l’ouest des Trois Rivières[2]. Nous savons que dans les premiers temps des Français, l’île des Allumettes, sur le haut de l’Ottawa, était regardée comme le quartier-général des Algonquins, et que d’ordinaire l’on désignait un certain nombre de ceux-ci sous le nom de gens ou Savages de l’Île pour signifier que leur demeure était en cet endroit.

Au 15e siècle les Iroquois possédaient les Trois-Rivières et Montréal[3]. Le lieu de leur rendez vous le plus ordinaire paraît avoir été le lac Saint-Pierre. Ce territoire assez restreint leur suffisait, parce qu’ils menaient une vie sédentaire.

Avant d’occuper les rives du Saint-Laurent, les Iroquois avaient vécu dans l’Ouest selon ce que rapportaient leur vieillards [4]. Cela donnerait à supposer que les Algonquins, suivant, la même marche, de l’ouest à l’est, vinrent après eux et s’arrêtèrent juste au confins ouest des territoires iroquois, sur l’Ottawa.

Les Iroquois étaient les premiers orateurs Sauvages ; ils déployaient parfois assez d’esprit et de science d’argumentation pour déconcerter les Européens instruits. On les nomme Iroquois, parce qu’il terminaient leurs harangues par le mot hiro : j’ai dit. Parmi les nations sauvages, on les nommait Toudamans.

Entre les deux races existaient des différences marquées, quant au caractère, au tempérament, aux mœurs et coutumes, ce qui peut fortifier l’opinion déjà émise de l’arrivée des Algonquins dans cette partie du monde à une autre époque que celle où les Iroquois y sont venus.

Nous avons déjà dit que leur langage était différent l’un de l’autre, autant, par exemple, que le grec et le latin.

Connaissant l’humeur et les mœurs pacifiques des Iroquois dans l’origine, et la jactance et les dispositions querelleuses des Algonquins, nous pourrions conjecturer que ces derniers ont dû se rendre au Canada, après avoir traversé le continent de l’ouest à l’est les armes à la main, tandis que les Iroquois y avaient été attirés, avant eux, par le besoin de se soustraire au voisinage de quelque peuple de l’ouest, incommode ou conquérant.

Si toutes les nations sauvages du Canada sont venues du côté du soleil couchant, nous croyons que notre hypothèse est assez juste ; si au contraire les races algiques proviennent directement de l’Europe, par la voie de l’Atlantique, elle tombe d’elle même. Ces deux opinions sont aujourd’hui en présence ; il paraît bien difficile de dire de quel côté penchera l’histoire.

Les tribus iroquoises, peu belliqueuses d’abord, mais qui devaient finir par porter la terreur et la dévastation sur presque tous les points de l’Amérique du nord, cultivaient la terre et dédaignaient la chasse. Elles vivaient réunies en villages ou bourgades. On comprend qu’il résultait de ces dispositions naturelles des individus une forme de gouvernement plus stable, mieux ordonné, exerçant plus d’empire que chez les races moins sédentaires ; aussi l’autorité des chefs et des Conseils était-elle grande parmi les Iroquois. Ce germe se développa à la faveur des événements dont nous allons dire un mot, devint le nerf du redoutable pacte fédéral des cinq nations iroquoises. Quant au caractère de la plupart de ces tribus, il est célèbre par ses fourberies. Les Iroquois en général étaient doués d’une imagination vive et d’un tempérament passionné.

Les Algonquins offraient à peu près tous les traits opposés. Ils s’adonnaient à la guerre et à la chasse, conséquemment à une vie nomade. Leur mode de gouvernement s’en ressentait ; on peut même dire qu’en dehors du pouvoir déféré au chef de chaque famille, il n’existait point d’autorité dans la nation, et par suite très-peu d’ensemble dans la conduite des affaires publiques. Fiers de leur indépendance exagérée, possédant une intelligence sinon faible, du moins ordinaire, habitués à porter les armes et à mépriser le travail, ces Sauvages se croyaient les maîtres de la contrée, et ils ne perdaient aucune occasion de témoigner leur mépris aux Iroquois et de les molester[5].

On ne saurait douter que les Iroquois aient habité les bords du fleuve.

Nicolas Perrot dit positivement : « Le pays des Iroquois était autrefois le Montréal et les Trois-Rivières. » Le Père Le Jeune : « Voyageant de Québec aux Trois Rivières, les Sauvages m’ont montré quelques endroits où les Iroquois ont autrefois cultivé la terre. » (Relation 1636. p. 46).



Voici comment est rapportée l’origine des guerres entre les deux races :

De jeunes Iroquois, invités par un parti de jeunes Algonquins fanfarons à les suivre à la chasse, furent assez heureux pour les surpasser et abattre plus de gibier que ces chasseurs. L’amour-propre des Algonquins s’en trouva froissé. Ce fut la cause d’une série de différends qui aboutirent à la guerre ouverte.

La supériorité des Algonquins dans les armes se manifesta dès les premières rencontres ; il ne paraît pas non plus qu’ils aient éprouvé d’échecs considérables dans le cours de cette première guerre. Ayant vaincu aisément les Iroquois, ils s’emparèrent de leur pays.

Le témoignage de Bacqueville de la Potherie n’est pas sans importance en cette matière comme en nombre d’autres. Il dit qu’après leur défaite « les Iroquois rongèrent leur frein. Au printemps suivant, ils retournèrent dans leurs premières terres qui étaient aux environs de Montréal et le long du fleuve en montant au lac Frontenac (lac Ontario) »[6].

Peut-être s’agit-il ici non de toute la race iroquoise, mais de quelques tribus (les Hurons ?) qui auraient réussi à reprendre possession de leurs terres, comme nous le verrons par la suite.

Toutefois, s’il s’agit de la race entière, ils ne restèrent pas longtemps dans les environs de Montréal, car il est certain qu’ils se retirèrent vers le lac Érié, d’où une nation du voisinage les chassa presque aussitôt. Ils se réfugièrent sur la rive Est du lac Ontario, de manière à s’étendre sur le lac Champlain, aux sources de la rivière Sorel, dont l’embouchure leur ouvrait une porte en plein lac Saint-Pierre, entre les Trois Rivières et Montréal[7].

Il n’est guère possible de préciser l’époque où commença cette division entre les deux races ; mais tout nous porte à croire qu’elle eut lieu vers le temps (1492) où Christophe Colomb découvrit l’Amérique, ou même un peu plus tard.

Les Houendats (plus tard les Hurons), forte tribu iroquoise, paraissent avoir cherché les premiers à reprendre possession du pays perdu. Ils battirent la tribu algonquine des Onontchataronnons (plus tard la tribu de l’Iroquet) qui s’était installée sur l’île de Montréal. Cela dut avoir lieu entre 1500 et 1530 à peu près.

La tribu de l’Iroquet prétend, disent les Relations des Jésuites, avoir occupé l’île de Montréal et les terres qui sont du côté de Chambly et de la ville de Saint-Jean.

« Voilà, disait en 1644 l’un de ces Sauvages, voilà où il y avait des bourgades très peuplées. Les Hurons, qui pour lors étaient nos ennemis, ont chassé nos ancêtres de cette contrée. Les uns se retirèrent vers le pays des Abenaquis (le Nouveau Brunswick) d’autres allèrent trouver les Iroquois et une partie se rendit aux Hurons mêmes et s’unit à eux. »[8]

« Les Hurons qui alors étaient nos ennemis, » cela ne donne-t-il pas à penser qu’il s’agit d’une époque antérieure à la découverte du Canada ? Nous ne connaissons aucune circonstance qui nous permette de supposer que les Hurons furent en armes et luttèrent avec avantage contre des tribus de la nation Algonquine. Il est vrai que l’orateur dont les paroles viennent d’être citées ajouta que son grand-père avait cultivé du blé-d’inde dans l’île de Montréal, mais comme les Sauvages ne remontent point au delà d’une trentaine d’années sans embrouiller toute la chronologie, et que le mot grand-père s’applique aussi bien dans leur bouche à un ancêtre éloigné qu’à un simple aïeul, ce témoignage ne saurait suffire pour fixer la date de la conquête de Montréal par les Hurons.

La haine du nom algonquin et l’espoir de reconquérir leur ancienne patrie réveillèrent le génie des Iroquois. Ils apprirent à faire la chasse et la guerre, à conduire habilement des expéditions, à harceler sans cesse l’ennemi dans ses marches, dans ses retraites et dans ses campements. Ils se révélèrent enfin sous un jour nouveau.

Ils se donnaient le nom de Hottinonchiendi qui signifie « cabane achevée. » Leurs forts étaient en effet les mieux construits au point de vue de la solidité et des besoins de la guerre.

L’ordre qui régnait ordinairement dans leurs affaires publiques se consolida, prit les formes de véritables lois et contribua pour beaucoup au succès de leurs armes.

Lorsqu’au bout de quelques années ils reparurent sur le grand fleuve, les Algonquins virent qu’ils allaient avoir sur les bras un ennemi qui ne serait plus à mépriser.

La plupart du temps, les maraudeurs iroquois se contentaient de « faire coup » sur un campement, puis il se retiraient avec adresse dès que les Algonquins se montraient en nombre. Le lac Saint Pierre, avec ses îles et son étendue, offrait un refuge aux flottilles de guerre, comme aussi des points de repère et des embuscades toutes préparées.

Avant l’arrivée de Jacques Cartier, les Iroquois descendaient ainsi la rivière Sorel, qui porta longtemps leur nom, et étendaient leurs ravages jusque dans le bas du fleuve, au delà de Québec. Les premiers navigateurs qui visitèrent le Canada les connurent sous le nom de Toudamans que leur avait imposé les autres nations sauvages. Le mot Iroquois dont on se sert à cette époque, paraît désigner le principal groupe, et Toudamans une tribu de cette nation.

Par la terreur que répandaient les Toudamans, on s’explique l’absence de villages que le découvreur du Saint-Laurent remarqua entre Montréal et Achelaï, près des rapides du Richelieu, à mi-chemin entre Québec et les Trois-Rivières.

Le mot Toudamans semble être une corruption de Touanlouabs, Tsoundouans[9]. « Les Toudamans furent plus tard connus sous le nom d’Iroquois[10]. »

Jacques Cartier parle des Toudamans, gens du sud, qui menaient la guerre aux sauvages de Québec et poussaient leurs courses jusqu’au golfe.

La carte de Lescarbot (1609) place les Toudamans sur la rive sud du fleuve entre Québec et les Trois Rivières. Cependant, cet auteur n’ayant jamais visité le fleuve, il ne faut pas attacher trop d’importance à sa carte. Les mots « gens du sud » dont se sert Cartier, et ce que nous savons du site où étaient les cantons iroquois, nous donnent l’assurance que ce ne pouvait être entre Québec et les Trois Rivières, mais bien en haut de la rivière Sorel, comme nous l’avons dit. Du reste, cette même carte de Lescarbot indique la rivière Sorel sous le nom de rivière des Iroquois, et quelque part vers Saint-Hyacinthe sont placés des campements avec le mot Iroquois. Sans être très correct, Lescarbot est encore un bon guide ici.

Les sauvages visités par Cartier à Hochelaga, avaient des habitations à la mode iroquoise. Les mots recueillis chez eux en cette occasion, sont des mots iroquois. Or, comme il paraissent avoir été entièrement détachés des Toudamans qui faisaient la guerre aux Algonquins de Québec, l’on peut voir en cela une preuve que toutes les tribus iroquoises n’avaient point été chassées d’abord par les Algonquins ou que l’une de ces tribus avait réussi à reprendre possession du haut du fleuve : c’est la tradition des Onontchataronnons rapportée plus haut.

De la relation de Cartier et des récits des Sauvages, l’on peut inférer qu’une partie des Hurons, après avoir chassé les Ononchataronnons ou Iroquets, était resté avec quelques-uns de ces derniers dans l’île de Montréal et y avait établi la bourgade que les Français trouvèrent, au pied de la montagne, en 1535. Plus tard, les Hurons, harcelés par les Algonquins, ou peut être par les Tsonnontouans et les Agniers, alliés à une forte escouade d’Iroquets, se seraient vus forcés de se replier sur les territoires du Haut Canada[11].

C’est de cette manière que le peuple de langue huronne-iroquoise que Cartier avait visité, disparut de l’île entre 1535 et 1608.

Au temps de Cartier, les Toudamans (ou Tsonnontouans) figurent seuls du côté des Iroquois.

Pendant la seconde moitié du même siècle, 1650-1600, la lutte se fait entre les. Algonquins et les Agniers principalement[12].

Il faudrait donc croire que les Tsonnontouans d’abord et les Agniers ensuite soutinrent les premiers la guerre de représailles contre les Algonquins, sans parler de la reprise de Montréal par les Hurons avant la découverte de Jacques Cartier.

La rivière Sorel s’appelait rivière des Agniers, nation iroquoise, du temps de Sagard (vers 1625)[13].

Les Houendats ou Hurons, dont les instincts pacifiques s’accommodaient mal du régime guerrier adopté par presque toutes les tribus de leur race, semblent s’être tenus à l’écart du principal groupe iroquois, à partir du temps où ils furent forcés de quitter l’île de Montréal, ce qui eut lieu, selon les apparences, quelques années après le départ de Jacques Cartier et de Roberval, du Canada. Ils allèrent habiter les terres qui sont entre le lac Simcoe et la baie Géorgienne, la partie la plus fertile de la province d’Ontario. Ils conservaient la tradition Iroquoise en ce qu’ils se livraient à l’agriculture et négligeaient non seulement la guerre, mais aussi la chasse[14].

Un passage de la relation de Champlain[15] fait supposer que la grande guerre commença vers 1550. On voit aussi par les auteurs cités au présent articles, qu’il dut y voir à l’époque en question un redoublement d’entreprises de guerre de la part des Iroquois Agniers et de la tribu algonquine de l’Iroquet alliée aux Iroquois.

Les Algonquins se regardaient comme les propriétaires du site actuel de la haute ville des Trois Rivières, et, pour y résister aux attaques des Iroquois, ils avaient bâti un fort sur le tertre que nous appelons le Platon[16].

Les Iroquois, offusqués de cette manifestations de résistance, l’emportèrent d’assaut et le rasèrent à fleur de sol. En 1635, le Père Le Jeune dit en avoir vu les bouts de pieux restés dans la terre et encore noircis par le feu dont on s’était servi pour les détruire. Nous ne saurions dire quand eut lieu cet événement.

Les Trois Rivières étaient occupées par des partis de chasse et de pêche appartenant à la race algonquine, qui s’y succédaient au caprice des événements. Ce lieu se trouvait le plus exposé aux attaques des bandes iroquoises, à cause de sa proximité du lac Saint Pierre et de la rivière Saint-Maurice où se cachaient les ennemis. Toutes les traditions des Sauvages s’accordent à dire que nul endroit du cours du fleuve n’était plus aimé ni autant fréquenté. Il n’y en avait probablement pas qui fussent plus souvent témoins des drames barbares qui se jouaient entre les Toudamans et les Algonquins, puisque sa position semble le désigner comme le champ de bataille des deux races. La chasse et la pêche y abondaient prodigieusement et en faisaient un rendez vous général. Longtemps après la fondation de Québec, et en dépit des instances que les gouverneurs et les missionnaires firent pour les détourner de leur coutume de séjourner aux Trois-Rivières, les Algonquins et plusieurs familles de Montagnais y restèrent attachés.

L’épisode suivant est un tableau fidèle des combats des Sauvages. On peut en reporter la date à l’année 1560[17], autant qu’il est possible de s’en assurer.

La tribu de l’Iroquet, déjà mentionnée, était de race algonquine ; cependant elle s’était en partie séparée de sa nation, comme on l’a vu, et lui faisait la guerre, de même que certaines tribus (les Hurons, par exemple) de la race iroquoise s’allièrent plus tard aux ennemis des Iroquois.

Un jour qu’un grand nombre de guerriers de l’Iroquet se présentaient devant les Trois-Rivières, les Algonquins s’avisèrent d’employer un stratagème qui leur réussit. Le gros des Algonquins se cacha dans les bois qui bordaient la rivière Bécancour à quelques centaines de pas de son embouchure, laissant quelques canots en vedette sur le fleuve dans la position qu’on leur donne à la pêche. Ce qui avait été prévu arriva. Les Iroquets se lancèrent sur les pêcheurs isolés, lesquels prirent la fuite vers la rivière, en poussant des cris de désespoir. Derrière eux arriva toute la flottille ennemie, sans se douter du danger où elle courait et croyant tenir une proie facile. L’embuscade avait été si bien préparée que presque tous les coups eurent de l’effet. Une première et une second décharge de flèches abattirent beaucoup de monde du côté des Iroquets, et avant que ceux-ci eussent eu le loisir de se remettre de la surprise de cette attaque imprévue, leurs ennemis sortirent du bois et la hache assomma ceux qui avaient échappé aux traits. Charlevoix dit qu’il n’en survécut pas un seul, parce que les Algonquins ne voulurent faire aucun prisonnier. Le grand nombre de cadavres qui restèrent dans le lit de la rivière et sur ses bords, infesta l’eau à tel point qu’elle en prit le nom de rivière Puante, qu’elle portait encore un siècle après. La tribu de l’Iroquet ne se releva jamais complètement de cet échec[18].

Les gens qui restaient de cette tribu furent adoptés par la nation algonquine, sans toutefois perdre leur principal chef, duquel ils tenaient le nom de l’Iroquet.

Ce petit peuple offre ainsi doublement l’une des singularités que l’on observe chez les Sauvages du Canada : battu par les Iroquois, il devint iroquois, puis battu par les Algonquins, il redevint algonquin. Ajoutons que les Hurons, avec lesquels il avait eu tant de rapports, se rapprochèrent des Algonquins vers la même époque que lui probablement, entre 1560 et 1580.

Après le massacre de la rivière Puante, les Algonquins remportèrent une série de victoires qui leur donna de l’assurance et une grande vanité. À la fin du seizième siècle les Iroquois étaient détruits ou à peu près, « il n’en paraissait presque plus sur la terre, » mais « ce peu qui en restait, comme un germe généreux, poussa tellement en peu d’années qu’il réduisit réciproquement les Algonquins aux mêmes termes que lui[19]. »

Isolés comme ils l’étaient par toute la largeur de l’Ontario, les Houendats étaient plus rapprochés des territoires des Algonquins que de ceux où vivait leur propre race. D’ailleurs, le seul fait de s’être autant éloignés dans cette direction montra une tendance à se séparer du corps de la nation, si toutefois ils n’avaient pas été chassés de Montréal par les Iroquois eux-mêmes pour s’être montrés trop conciliants avec les Algonquins, ce qui n’est pas improbable.

On croit que les Houendats s’unirent de bonne heure aux Algonquins pour des fins de traite et de bon voisinage ; mais ils ne perdirent ni les mœurs domestiques ni la langue des Iroquois. L’alliance fut inaltérable, on le sait, malgré les malheurs qui fondirent à cause de cela sur les pauvres Houendats (Hurons), mais jusqu’à leur extermination ceux-ci conservèrent les traits particuliers à leur origine.

En 1599, Pontgravé voulut établir un poste de traite aux Trois Rivières, parce qu’il connaissait le lieu pour l’avoir déjà visité, mais son associé, Chauvin, qui avait d’autre vues, se contenta de faire le trafic à Tadoussac. La guerre régnait toujours entre les Sauvages.

Les Français commençaient à attirer les nations Algonquines, qui échangeaient avec eux leurs pelleteries pour des articles de fabrique européenne. Les Hurons qui faisaient cause commune avec les Algonquins, descendirent, en 1600, jusqu’à Tadoussac. À partir de ce moment, il est probable que les Iroquois les vouèrent comme les Algonquins à l’extermination.

Cette défection ne fit qu’activer le sentiment de vengeance contre les Algonquins. Les cinq tribus iroquoises les plus vaillantes : les Agniers, les Tsonnontouans, les Onnontagués, les Onneyouts et les Goyogouin, apparaissent alors comme les principaux membres de la plus puissante ligue indienne dont l’histoire ait parlé. Ce sont ces tribus que les Français eurent à combattre et qui, grâce à l’incurie des gouvernements de Louis XIII et Louis XIV, retardèrent pendant de longues années les progrès du Canada, en promenant le fer et le feu au milieu des colons dispersés sur les bords du Saint-Laurent.

Les Attikamègues, nation de langue et de coutumes montagnaises, habitaient les plateaux où le Saint-Maurice et le Saguenay ont leurs sources. Ces peuples, excessivement timides, n’approchaient point du fleuve par crainte de la guerre. Ce n’est qu’en 1637, alors que le fort des Trois Rivières pouvait les protéger dans une certaine mesure, qu’ils se hasardèrent à descendre le Saint-Maurice et à venir trafiquer de leurs pelleteries aux magasins de la compagnie de la Nouvelle France.

« Lorsque les Français revinrent pour fonder Québec, il ne trouvèrent plus le peuple de langue huronne ou iroquoise, qui avait si bien accueilli Cartier à Hochelaga. Pressé par les nations algonquines, qui habitaient la rivière des Outaouais et la partie inférieure du Saint-Laurent, il s’était peut-être retiré vers le midi ou l’ouest[20]. »

Cette citation est expliquée, croyons-nous, comme il a été dit plus haut, par le fait que les Hurons, ou une autre peuplade iroquoise, avait réussi à reprendre Montréal avant l’arrivée de Jacques Cartier, qu’elle le perdit ensuite vers la fin du siècle, alors que les Algonquins avaient l’ascendant et qu’il « ne paraissait presque plus d’Iroquois sur la terre. »

Nous savons déjà que ce qui restait d’Iroquois « poussa tellement en peu d’années qu’il réduisit les Algonquins aux mêmes termes. »

Aussi lorsque Samuel de Champlain remonta le fleuve, en 1603, rencontra-t-il très-peu de Sauvages entre Montréal et Québec, et même ces deux endroits semblent avoir été déserts. Les Algonquins avaient le dessous à leur tour ; ils se tenaient plutôt dans leur ancien territoire de l’Ottawa. Les Iroquois couraient le fleuve et le rendaient presque inabordable.

Les traitants rencontraient les Sauvages amis à Montréal et aux Trois-Rivières, à des époques fixes de l’été. Une fois la traite terminée, il restait à peine quelques familles dans ces endroits.

Les Sauvages de Québec et des Trois-Rivières étaient toujours errants, et ne cabanaient que par groupes de deux ou trois familles là où ils trouvaient du gibier et du poisson, dit le Père LeClercq[21].

En 1608, Champlain fonda la ville de Québec. L’année suivante, sollicité par les Algonquins et les Montagnais, peuple du Saguenay, il entreprit contre les Iroquois l’expédition du lac Champlain qui devait attirer sur les Français la colère des cinq nations. En cette circonstance, un chef célèbre du nom de l’Iroquet commandait la tribu algonquine, qui est connue sous ce même nom d’Iroquet ; et Ochatéguin était le capitaine d’une tribu de Hurons qui portait, au dire de Champlain, ce même nom de Ochatéguin.

On voit ici que les Algonquins, les Hurons et les gens de l’Iroquet étaient dès lors intimement liés. Avec eux se tenaient les Montagnais du Saguenay, et, par parenté avec ces derniers, les Attikamègues du Saint Maurice, plus timides que guerriers. Tel était l’assemblage de peuples qui, avec l’aide des Français devaient tenir tête aux puissants Iroquois.

Cinq ou six nations dispersées depuis le Saguenay jusqu’au lac Huron, sans chef suprême, sans plus d’unité, sans cohésion, en un mot, allaient lutter contre une association habilement formées se maintenant par une véritable discipline, et dont le foyer peu étendu occupait un site écarté, commode et protégé par le voisinage des colonies anglaises et hollandaises.

Lorsqu’en 1609 Champlain eut fait alliance avec les Algonquins, ceux-ci se rapprochèrent des Trois-Rivières. La guerre, qui s’étendit quelques années après jusque vers le haut de l’Ottawa, les contraignit à se rapprocher d’avantage des Français. À partir de 1635, il est aisé de suivre dans les registres des Trois-Rivières et dans les Relations des Jésuites le rôle qu’ils jouaient en ce lieu, Nicolas Perrot nous dit que vers 1640-50, les villages de cette nation étaient tous aux environs des Trois-Rivières.

En 1615 Champlain visita le pays des Hurons et fit partie d’une troupe qui alla attaquer au delà du lac Ontario un fort iroquois, situé en arrière d’Oswégo, à peu près où est la ville de Syracuse aujourd’hui. Malgré des actes d’hostilité de ce genre, la destruction de la tribu huronne ne commença que fort tard, vers 1648. Nous savons qu’en 1615 Champlain reconnut que ceux-ci avait dix-huit bourgades, renfermant quarante mille âmes. Les Français les nommèrent Hurons parcequ’ils se rasaient les cheveux ou les redressaient de manière à former sur la tête, du front à l’arrière, une crête assez semblable à la hure d’un sanglier.

En 1608, la tribu de l’Iroquet habitait l’intérieur d’un territoire triangulaire dont Vaudreuil, Kingston et Ottawa formaient les angles[22].

Dans les années 1610, 1615-16, elle fit de nouveau partie des expéditions contre les Iroquois. Les Relations de 1633, 1637, 1640, 1646, et autres, la mentionnent encore comme étant d’une certaine importance.

Jusque vers 1630, la supériorité des Iroquois n’était pas bien marquée. Les Algonquins rachetaient par leur courage ce qui leur manquait en prudence et en discipline, mais les armes à feu que les Hollandais d’Albany fournirent alors aux Iroquois donnèrent l’avantage à ceux-ci, car les Français évitèrent pendant longtemps de fournir des fusils à leurs alliés[23].

Leur amour de la guerre jeta constamment les Algonquins dans des entreprises hasardeuses, d’où leur indiscipline était peu propre à les tirer. Il faut dire aussi qu’étant plus honnêtes, plus francs que les Iroquois, ils furent à plusieurs reprises victimes de la foi jurée, sur laquelle ils s’appuyaient naïvement. Notons encore que par un empressement inconsidéré à « frapper coup, » les Algonquins occasionnèrent à leurs alliés les Français nombre de mauvaises affaires avec les Iroquois, à des époques où la colonie avait surtout besoin de repos et de tranquillité.

Ce qui est étrange, c’est l’espèce de fausse bravoure dont les Algonquins firent parade, par un reste d’habitude de leur ancienne renommée. Ils savaient que leurs ennemis agissaient plus par ruses et par pièges que tout autrement, mais ils ne laissaient point de commettre chaque jour les imprudences les plus grossières. Quant à l’habileté et au courage, ni l’une ni l’autre des deux races n’en cédaient, mais les Algonquins manquaient de ténacité dans les expéditions, de persistance dans la poursuite de ces guerres cruelles[24].

La mort de Piescaret, en 1647, fut comme le signal de ruine de la nation algonquine, qui eut lieu en même temps que celle des Hurons.

Les Algonquins et leurs adhérents ne reçurent que très-peu de secours du côté des Français. Ce n’est qu’en 1665 qu’arrivèrent dans le pays des forces vraiment imposantes, mais il y avait quinze ans que les Hurons et les Attikamègues étaient détruit et que la poignée d’Algonquins qui restait se tenait cachée sous les canons des villages français.

La colonie de la Nouvelle France, commencée en 1608, n’eut d’établissements stables qu’à partir de 1633 ; elle ne prit véritablement de l’importance qu’en 1665.

Les Iroquois, qui avaient, à cette dernière date, porté leurs armes victorieuses dans le golfe, sur les bords du fleuve, aux sources du Saint-Maurice et de l’Ottawa, sur les terres du Haut-Canada, autour des grands lacs et jusqu’au pays des Sioux, ne voyaient plus d’ennemis sérieux que les Français. Ils surent leur tenir tête pendant un autre demi-siècle, c’est à-dire jusque vers 1700. Les Français leur suscitèrent alors des ennemis redoutables dans la Abénaquis, venus d’Acadie et placés aux environs des Trois-Rivières.



Du présent article, nous pouvons faire un résumé sous la forme que voici, qui montre les mouvements successifs de ces peuples :

Les Algonquins habitaient l’Ottawa ; les Iroquois le Saint-Laurent. Ces derniers disaient être venus de l’ouest.

Vers 1500 les Algonquins chassent les Iroquois des bords du fleuve et s’y installent. Les Iroquois vont se fixer entre le lac Champlain et le lac d’Ontario.

Entre 1500 et 1530, les Hurons (ou une autre tribu iroquoise) reprennent Montréal sur les Iroquets, tribu algonquine. La plupart des Iroquets passent dans les rangs des Iroquois par la conquête.

À la même époque les Tsonnontouans, autre tribu iroquoise, commencent à exercer des ravages sur le fleuve en descendant par la rivière Sorel.

En 1535, Jacques Cartier visite à Montréal les Hurons-Iroquois. De là jusqu’à Québec il n’y a qu’un seul village. Les Tsonnontouans ou Toudamans répandent la terreur partout dans ces endroits.

Vers 1560 les Algonquins massacrent presque tous les guerriers de l’Iroquet, à la rivière Puante, et le reste de cette tribu retourne aux Algonquins.

Entre 1560 et 1600, la tribu iroquoise des Agniers est celle qui conduit principalement la guerre contre les Algonquins.

De 1560 à 1600 les Algonquins prennent le dessus dans toutes les directions. La tribu iroquoise qui tenait Montréal se retire vers l’ouest ; on croit la reconnaître dans les Hurons que Champlain trouva, en 1615, près du lac Simcoe.

Vers 1600 paraît avoir commencé la ligne des cinq nations iroquoises. À la même date les Hurons descendent traiter avec les Français.

En 1603 Champlain trouve les rives du fleuve inhabitées. Les Algonquins, battus par les Iroquois, se sont repliés sur l’Ottawa.

En 1609, avec Champlain qui part pour la première guerre des Français contre les Iroquois, il y avait des bandes de Hurons, d’Algonquins, d’Iroquets et de Montagnais ayant leurs chefs particuliers. L’alliance des Français attire de nouveau les Algonquins au fleuve et ils se fixent principalement aux Trois Rivières. La guerre continue avec des chances égales de part et d’autres.

En 1624, grande assemblée de toutes les tribus, aux Trois Rivières, pour enterrer la hache et proclamer la paix dans le Canada. Cette démonstration remarquable n’eut aucun résultat avantageux. Le désaccord exista aussitôt après comme auparavant.

Vers 1630, les Iroquois prennent l’ascendant sur les Algonquins à la faveur des armes à feu que leur procurent les Hollandais.

En 1647, Piescaret, chef algonquin, est assassiné. Sa nation est détruite après cela, ainsi que les Hurons.

Jusqu’en 1665, les Iroquois règnent en maîtres dans une grande partie du Canada. Les troupes que l’on envoye alors contre eux ne les réduisent pas entièrement.



Il y a vingt-cinq ou trente ans, la ville des Trois Rivières était encore fréquentée par les restes de quatre grandes races sauvages. C’étaient : 1o les Têtes de Boule, nation composée de débris des familles attikamègues, montagnaises, algonquines et des races de la Baie d’Hudson, qui venaient en traite chez les marchands de la ville ; 2o les Abénaquis de Saint François, et surtout ceux de Bécancour, qui y passaient à toutes les époques de l’année ; 3o les Algonquins, dont les cabanages et les territoires de chasse n’étaient jamais éloignés de ce lieu ; 4o les Iroquois de Saint-Régis, que la compagnie de la Baie d’Hudson employait pour la traite du haut Saint Maurice — le dépôt des articles de traite, les pelleteries, et la construction des canots d’écorce étant concentrés aux Trois Rivières.

Soit à cause de la nature temporaire de leurs occupations dans cette place, soit par suite de la répugnance qu’éprouvaient les autres Sauvages à se rapprocher d’eux, les Iroquois faisaient bande à part et n’étaient même pas salués par les autres, sauf les Algonquins, lesquels s’y prenaient de la manière suivante :

Lorsqu’un Algonquin rencontrait un Iroquois, il lui jetait un coup d’œil froid, et prononçait, d’un ton un peu plus sec que dans son langage ordinaire, ce simple mot : « Iroquois ! »

L’Iroquois, à son tour, répétant le même manège, dirait sourdement : « Algonquin ! »

Et tout deux continuaient leur chemin. Nous n’avons jamais entendu dire qu’il en fût résulté de querelle. Au fond, c’était peut être un acte de politesse, un mode de salutation.

Les familles iroquoises et algonquines qui habitent aujourd’hui le village de la mission du lac des Deux Montagnes, conservent à peine un souvenir vague des luttes qui, autrefois, divisèrent ces races. Leur missionnaire, M. Cuoq, nous écrit qu’elles vivent depuis longtemps ensemble en parfaite intelligence et sans se reprocher leurs anciens actes de barbarie. De ressentiment, de vendetta, il n’en existe pas l’ombre parmi eux. Dans les chicanes particulières qui surgissent ça et là, ni homme ni femme ne songent à faire allusion au temps passé, même en se disant des injures, — chose que les Sauvages pratiquent aussi savamment que pas un de nous.

Ces deux belles races qui s’éteignent, survivent pourtant aux passions et à la haine engendrées entre elles il y a près de quatre cents ans. L’esprit de l’Évangile a passé sur leurs bourgades. Après avoir vécu si longtemps, en armes l’une contre l’autre, elles se préparent à mourir dans les bras l’une de l’autre.

  1. Ferland, Cours d’Histoire du Canada, vol. I p. 95.
  2. Faillon, His. de la c. f. vol. I. p. 526-7.
  3. Œuvres de Champlain, 1870, p. 391. 21ième note.
  4. Mémoire de Nicolas Perrot, publié en 1864, p. 9.
  5. Mémoire de Nicolas Perrot, p. 9. Ferland, Cour d’Histoire, vol. 1, p. 95.
  6. Histoire de l’Amérique Septentrionale, vol IV, p. 268.
  7. Mémoire de N. Perrot, p. 10-12. Ferland, Cours d’Histoire, vol. 4, p. 46.
  8. Relations, 1642, p. 38 ; 1646, p. 84.
  9. Note de M. l’abbé Laverdière.
  10. Ferland, Cours d’histoire, vol. p. 35.
  11. Ferland, Cours d’Histoire, vol. I, p. 47.
  12. Relation des Jésuites, 1660, p. 6.
  13. Sagard. Histoire du Canada, p. 174.
  14. Ferland. Cours d’histoire, vol. I. p, 95.
  15. Œuvres de Champlain, p. 1032.
  16. Relation, 1664, p. 12.
  17. Maurault, Hist. des Abénaquis, p. 284.
  18. Charlevoix, Journal, vol. I, p. 162-4.
  19. Relations 1660, p. 6.
  20. Ferland, Cours d’histoire, vol. I, p. 45.
  21. Premier établissement de la Foi, vol. 1, p. 63.
  22. Ferland, Cours d’Histoire, vol. I, p. 91.
  23. Ferland, Cours d’Histoire, vol. I, p. 148.
  24. Lafiteau, Mœurs des Sauvages, 1724, vol. I, p. 91, 101-2, 173, 196.

    Ferland, Cours d’Histoire, vol. I, p. 143, Faillon, Histoire de la c. f., vol. I, p. 524-33.