Au moulin de la mort/4

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Imprimeur Auguste Jaunin (p. 48-65).

III


Quelques jours après l’enterrement de sa mère, Maurice, non pas consolé, mais les yeux secs, l’expression de son regard, de toute sa physionomie trahissant la perte qu’il venait de faire, fut assez étonné de voir entrer chez lui M. Viennot, un habitant des environs qu’il ne connaissait qu’imparfaitement et avec lequel il n’avait jamais eu aucun rapport. Il en avait simplement entendu parler.

C’était un homme entre deux âges, ni jeune ni vieux, de haute et puissante stature, le nez en bec de corbin, le teint vivement coloré. Tempérament très jovial d’ailleurs, il était aimé de tous ceux qui l’approchaient. Sa bonne humeur était devenue proverbiale. « On riait toujours » dans sa société. Caractère excellent, s’irritant difficilement et oubliant ses colères l’instant d’après, il n’avait que des amis et on ne faisait pas inutilement appel à sa bourse — si elle était alors bien garnie. On se racontait, comme venant de lui, toute une collection de « bons mots », vives plaisanteries et histoires étourdissantes, qu’il semait à droite et à gauche, un peu partout dans les différentes localités où le conduisait le hasard de son existence. L’un de nos meilleurs poètes a mis dans ses chansons cette figure si originale et si sympathique. Ses « camarades » du service militaire ne tarissaient pas d’éloges sur leur capitaine, qui, ne sachant pas un mot d’allemand, disait à ses soldats, à la véritable stupéfaction des Bernois : Faites comme les autres ! En avant, marche !

Il possédait une jolie propriété, avec une grande ferme, qu’il ne cultivait pas lui-même. Il l’avait louée à l’une de ces familles d’anabaptistes qui, depuis la fin du seizième siècle, sont venus s’établir sur les hauts plateaux de l’ancien Évêché. La fortune de M. Viennot n’était pas considérable. Au surplus, il avait des moments de gêne et des heures d’abondance. La plupart du temps, on ignorait où il était. Il disparaissait tout à coup, et ce n’est qu’au bout d’une semaine ou deux qu’il se montrait de nouveau, invariablement gai. Quelques-uns prononçaient tout bas le mot de contrebande.

Nous saurons encore mieux à quoi nous en tenir sur son genre de vie si nous prêtons une oreille attentive aux paroles qu’échangèrent M. Viennot et Maurice, lorsque celui-ci eut offert un siège à son visiteur.

— Quel âge as-tu, mon garçon ? venait de dire M. Viennot, avec sa brusquerie ordinaire, dont on ne pouvait se sentir froissé, corrigée qu’elle était par la chaude sympathie qu’exprimait sa voix nette et franche.

— Moi ? répondit le jeune homme. Mais je dois avoir vingt-six ans et quelques mois, étant né en janvier 1791.

— Une fameuse année, celle-là !

— Je ne suis pas de cet avis.

— Oui, c’est vrai ! Vous avez dû quitter votre pays, fuir devant la Terreur, qui s’annonçait déjà. Mais, bast ! laissons cela. Je ne m’occupe pas de politique et j’ai à causer avec toi. Tu as perdu ta mère, une brave et sainte femme, pour laquelle j’avais infiniment de respect. Des mères comme celle-là, on ne les rencontre pas tous les jours. Je comprends ton chagrin. Toutefois on est sur cette terre pour vivre avec les vivants. Tu es un gaillard bien bâti, à chaux et à sable pour ainsi dire, et très intelligent, ce qui n’est pas une monnaie courante. Voici quelque temps que je t’observe ; j’ai cru remarquer que le travail ne te plaît que juste à point ; une existence plus active, un brin aventureuse, t’irait mieux. J’aurais ton affaire. Tu vois, je vais droit au but ; j’aime la netteté des situations.

— Et que voulez-vous de moi ? interrogea Maurice.

— D’abord, as-tu un projet quelconque ? Car j’admets que tu ne continueras pas ton métier d’horloger, qui n’est bon qu’à vous rendre tout perclus de vos membres.

— Puisque vous paraissez me porter intérêt…

— Ah ! ça, crois-le bien ; s’il n’en était pas ainsi, je ne serais pas venu te trouver.

— Eh bien ! en premier lieu, et ne fût-ce que pour obéir à un dernier vœu de ma mère, j’ai résolu d’aller jusqu’à Vercel, en Franche-Comté, consulter le notaire de notre famille sur la vente de nos anciennes propriétés. Par la même occasion, j’essaierai encore de recueillir l’un ou l’autre renseignement sur la disparition de mon père. J’avais songé, il y a deux ou trois ans, à m’engager comme soldat ; mais, à présent que la paix est faite et paraît vouloir durer, je n’aurais plus aucune chance de parvenir. Je suis d’ailleurs sans protection, ne sachant même pas à qui m’adresser.

— Après ?

— Mais, c’est tout !

— Oh ! non pas ! Si le domaine des de Laroche a été morcelé et vendu aux enchères, comme biens de la nation, ce que je crois sans peine, car le paysan avait faim, que comptes-tu faire ?

— Le sais-je moi-même ? Je reviendrai à coup sûr dans ce village, où j’ai été élevé et où repose ma mère. Si je ne suis pas riche, je n’ai pas non plus à craindre la misère. Sans parler de cette maison, qui est la mienne, je possède encore mes deux bras et quelque talent comme horloger.

— Sans doute ! Sans doute ! Tout cela est vrai, je le reconnais. Mais, est-ce bien dans ton caractère, de passer ainsi tous les jours de ta vie ?

— Eh ! monsieur Viennot, quand la destinée vous force de prendre telle ou telle carrière, on n’a pas l’embarras du choix. On marche, parce qu’il faut marcher, voilà tout.

— Tu es un jeune homme de mâle énergie, et ça me plaît. À mon tour, je veux jouer cartes sur table et t’expliquer enfin le but de ma visite.

Nous venons de traverser une période très agitée qui, je le présume, touche à sa fin. Notre pays, celui que nous habitons, entendons-nous, est déjà incorporé à la Suisse. Ce n’est pas un mal. À la longue, avec ses guerres et ses levées d’hommes, Napoléon avait mis contre lui à peu près tout le monde. C’en est fini avec Bonaparte. La paix ne sera plus troublée de longtemps. Or, nous qui sommes placés sur la frontière, nous avons un moyen très simple de gagner beaucoup d’argent.

Tu me regardes, l’air tout surpris. Tu dois te dire que je déraisonne. L’argent est si rare et la misère si grande ! Et, pourtant, mon idée est excellente. Car j’ai une idée, et avoir une idée, c’est peut-être le commencement d’une fortune. Tu vas en juger tout de suite et, par la même occasion, tu pourras apprécier ma confiance en toi.

Il se tut, quelques secondes durant, puis, ayant rapproché sa chaise de celle de Maurice, il reprit d’une voix plus basse :

— Tu n’es pas sans savoir que certaines marchandises, pour entrer en France, doivent payer des droits très élevés. Or si nous, par exemple, et une dizaine de solides gars avec nous, réussissons à introduire ces marchandises sans qu’elles soient frappées d’une taxe à la frontière, nous réalisons de ce chef et sans retard d’assez gros bénéfices.

— C’est la contrebande, alors ?

— Mon cher, tu mets le doigt dessus. Est-ce que le mot t’épouvante ?

— Moi ? Nullement.

— Et que penses-tu de mon projet ?

— Je n’ai pas encore eu le temps d’y réfléchir.

— C’est pourtant très simple.

— D’accord ! Mais je ne vois pas bien quel rôle vous m’attribueriez ; en d’autres termes, qu’aurais-je à faire ?

— Je m’imaginais que tu l’aurais aussitôt deviné.

— Vous allez trop vite. D’ailleurs, à vous le dire franchement, j’hésite à m’insurger contre les lois. Je n’ai pas été élevé dans cet esprit-là.

— De la naïveté encore ? J’aime ça. La qualité maîtresse du véritable contrebandier, la qualité absolument indispensable, c’est la probité. Nous sommes d’honnêtes gens, et si je dis nous, il ne faut pas que cela t’effraie, car moi, mon garçon, je fais la contrebande, partout et chaque fois que je le puis. Or donc, voici toute ma pensée. Les gouvernements, en percevant des droits aux frontières, obligent le peuple à payer des sommes qu’en toute justice il ne doit pas. Dieu lui-même, ou, si tu préfères, l’Eglise n’aurait pas le courage de nous blâmer parce que nous agissons comme si ces lois n’existaient point. D’ailleurs, tu vas voir ce qui se passera bientôt, d’ici à Bâle et à Genève, sur toute la ligne qui sépare la Suisse de la France. La frontière sera couverte de contrebandiers, de braves gens qui gagneront leur vie, — nous y pourrons à l’aise gagner une fortune — en introduisant des marchandises chez nos voisins sans passer aux bureaux des douanes. Prends les Anglais, je ne vais même pas si loin, prends les Européens pendant qu’a duré le « blocus continental ». Ils ont cherché, par tous les moyens en leur pouvoir, à rendre nulle et sans effet cette mesure de Napoléon. Les rois, les princes, les premiers de la société ne dédaignaient pas de se servir et de consommer des choses qui venaient à eux par un autre chemin que celui reconnu par la loi. Nous suivons leur exemple, nous continuons leur œuvre. Et tu m’en diras des nouvelles dans quelques mois, si nous tombons d’accord, ce dont je ne doute pas.

Tu m’écoutes, n’est-ce pas ?

— Mais, oui, même avec beaucoup d’attention.

— Alors, je reprends :

Comme j’ai eu l’honneur de te le dire, tu n’es plus un inconnu pour moi. Et tu me plais, et tu me conviens. Si tu veux seulement mettre à mon service, au service de notre entreprise, c’est plus juste, l’audace et l’intelligence qui forment le fond de ton caractère, nous réussirons certainement. Puis, une preuve : Quand, l’hiver dernier, ces trois Autrichiens, ces « kaiserlich », sont arrivés ici et qu’ils ont voulu, à l’auberge, le prendre sur un ton trop élevé, toi seul as osé leur répondre. Nos jeunes gens, à ta voix, ont retrouvé leur courage, et « les Allemands » sont devenus plus polis.

Naturellement, dans l’association que je médite, tu tiendras le premier rôle. Tu seras le chef, tu auras sous ton commandement la troupe que je recruterai, cinq, dix, quinze ou vingt hommes. Hein ! l’affaire te sourit déjà ? Et, ma foi ! la chose se comprend. Pour moi, ma tâche consistera à vous fournir les marchandises, lesquelles seront d’un transport très facile. Nous choisirons de préférence les montres et les soieries. La Chauxde-Fonds et Bàle nous donneront amplement de la besogne. Je ferai donc les achats nécessaires, les objets vous seront livrés tantôt ici, tantôt là, suivant les circonstances, et vous les introduirez ensuite en France, les aux endroits que je vous désignerai. As-tu bien saisi ma pensée ?

— Parfaitement.

— Et qu’en dis-tu ?

— Dame ! Le métier a quelque chose d’aventureux qui me séduit assez. Mais, dans la pratique, cette existence doit être hérissée de difficultés de toute sorte et de nombreux dangers.

— Ça, c’est vrai. Toutefois, je te le demande un peu : qu’est-ce que les désagréments de ce « métier, » comme tu appelles la contrebande, bien à tort, je t’assure, comparés à la satisfaction d’avoir fait dé beaux coups, prouesses que l’on raconte plus tard, non sans un légitime orgueil. Et les bénéfices, n’entrent-ils pas aussi en ligne de compte ? Pour moi, je ne vois pas de vie plus agréable. Je suis sans doute né contrebandier ; tel je resterai jusqu’à mon dernier soupir. On m’enterrera, ce qui ne m’étonnerait point, avec un ballot de marchandises. Je me trompe : avant de passer l’arme à gauche, comme disent les hommes qui l’ont vu, lui, l’empereur, je donnerai des ordres pour que l’on passe aussi mon âme en contrebande… en paradis.

Voyons, il faut que tu sois des nôtres.

Chef de bande ! Un titre, ça ! C’est un peu dans ton sang. Puisque ta famille appartenait à la noblesse, tu n’auras pas à rougir de la position que je te fais. Tu connais ton histoire, assurément ; moi, je ne sais pas où j’ai appris toutes les choses qui grouillent dans ma tête. Mais, il me semble voir tes ancêtres, les premiers, ceux-là qui, à la suite d’un duc ou commandant quelconque, s’en allaient par les grandes routes, détroussant les châtelains féodaux qui refusaient d’ouvrir les portes de leurs castels. Car, entre nous, ils ne valaient pas beaucoup mieux que les contrebandiers, les soldats qui, après la conquête d’un pays et le massacre de ses habitants, se mettaient en lieu et place de ces derniers. Nous, nous ne leur allons pas à la cheville du pied. Et, pourtant, il y a bien aussi une certaine gloire à se moquer des lois établies dans le seul but de prélever l’argent dont les grands de la terre ont besoin pour leurs plaisirs.

C’est donc convenu. Tu pars pour Vercel, et, cômme tu nous reviendras sans avoir retrouvé la fortune de tes pères, à ton retour tu te mettras à la tête de la troupe que je vais te préparer. À bientôt.

Et, ces mots prononcés, M. Viennot tendit la main à Maurice et sortit de la maison, laissant le jeune homme plongé dans les réflexions que cet entretien ne manquerait pas d’éveiller en son esprit.


Quel homme que ce M. Viennot ! On eût dit qu’il avait le diable au corps. Il était connu dans toute la contrée, et même au-delà de la frontière, dans quelques villes franc-comtoises où il se rendait souvent pour affaires, faisant commerce de choses très disparates, achetant et revendant, à bénéfices ou à pertes, toujours d’humeur gaie, content comme un pinson, usant et abusant de la vie comme un roi. Il n’était inféodé à aucun parti, quoique libéral par instinct et par expérience, aimant la France à cause de son beau ciel, de ses jolies filles et de ses vins généreux, et la Suisse parce qu’elle lui offrait la liberté, c’est-à-dire l’existence telle qu’il la voulait. Sa religion était à l’avenant, et il reconnaissait à tous le droit imprescriptible de penser ce que bon leur semblait. Toutefois, il était très bien vu du clergé, envers lequel il ne se départait jamais de la plus parfaite politesse, pimentée de temps à autre de quelques fines gauloiseries, mets que l’on sert, sur certaines tables, entre la poire et le fromage.

Depuis que l’ancien Evêché de Bâle avait e’té séparé de la France et rattaché au canton de Berne, M. Viennot, avec son flair habituel, avait compris que, par suite des relations existant entre les riverains du Doubs, la contrebande pourrait se faire sur un terrain connu et avec les plus grandes chances de complète réussite. Le moment était d’ailleurs très favorable. Il n’y avait pas un service de frontière comme celui que l’on a organisé plus tard. En outre, la vallée du Doubs, fort peu fréquentée, et les vastes forêts de la Franche-Comté, offraient des retraites d’une sécurité absolue. Bien téméraires seraient les agents de l’État qui oseraient poursuivre les contrebandiers jusque-là. Il n’y avait donc pas à hésiter…


Après le départ de M. Viennot, Maurice était resté assez perplexe. Déjà bien souvent il avait réfléchi à son avenir. La profession d’horloger ne lui plaisait qu’à demi. L’immobilité qu’exige cet état était contraire à sa nature. De la vie, de la vie ! C’est-à-dire des actions. Mais, que faire ? Il était pauvre. Nous avons dit que le métier des armes, à vingt ans, l’avait attiré. Porter un brillant uniforme, s’élancer sur un champ de bataille, voilà quel avait été son rêve. Quelques soldats, de retour au pays, avaient enflammé son imagination. Mais, son devoir, son affection, lui avaient conseillé de rester auprès de sa mère.

Maintenant, il était le maître. Il pouvait aller à droite ou à gauche, en avant ou en arrière. Peu lui importait, au fond. En tout cas, il fallait renoncer à la carrière militaire. Il n’avait plus l’illusion des premiers espoirs. La paix serait durable : on lisait, on devinait dans les traits, dans les paroles de tout le monde que l’Europe entière était fatiguée. Le bruit du canon avait cessé de résonner pour un grand nombre d’années. Maurice ne serait donc pas soldat.

Quoi, alors ? Ah ! c’était bien pour obéir à un désir de sa mère qu’il était devenu simple horloger ! De cette façon, il est vrai, le fils du comte de Laroche gagnait honorablement sa vie. Il avait trop de bon sens pour ignorer qu’il n’y a point de sots métiers, mais seulement de sottes misères. Toutefois il pressentait qu’une autre occupation, répondant mieux à ses goûts, flattant davantage les dispositions intimes de sa nature rêveuse et en même temps toute d’audace, l’entraînerait facilement et qu’il ne s’inquiéterait pas des aventures qui pourraient lui arriver. Aussi la proposition de M. Viennot était-elle venue au moment psychologique. À ses yeux, la contrebande n’était pas tout à fait l’art qu’avait tenté de lui dépeindre son visiteur. Néanmoins, c’était mieux que la lime et l’établi. Et il souriait aux difficultés qu’il entrevoyait, à ce rôle de chef de bande, à ces courses nocturnes, toutes grosses de dangers, à travers monts et vallées, campagnes noires et forêts profondes. Dix, quinze existences dépendraient peut-être de son sang-froid, de son intelligence, de sa mâle énergie. Et, à cette pensée, une légère bouffée d’orgueil, de vaillance personnelle envahissait son cerveau, modifiant ses idées et le décidant insensiblement à accepter l’offre qu’on lui avait faite.

Aussi le soir, lorsque Françoise lui servit le souper, dit-il à la vieille servante :

— Demain, de bon matin, je passe en France. Il faut que je visite le lieu de ma naissance, l’ancien domaine de mes pères. Je serai absent pendant quelques jours. N’aie donc aucune inquiétude. Les chemins sont sûrs, je sais me conduire et si, par hasard, je faisais une mauvaise rencontre, on n’aurait pas facilement raison de moi. Une chose m’étonne, Françoise, surtout depuis que ma mère est morte : pourquoi n’avez-vous jamais eu le désir d’aller revoir, au moins une fois, l’endroit où était le château que la Révolution a détruit ?

— Si, bien souvent, monsieur Maurice, nous avons eu ce désir. Mais tu dois comprendre que des femmes seules ne pouvaient guère entreprendre un si long voyage. Ah ! si Pierre, le brave homme, ne s’en était pas allé si tôt au cimetière ! Lui serait bien retourné au Noirbois. Madame la comtesse, d’ailleurs, disait que tu irais toi-même un jour. Et elle attendait. Malheureusement, quand les alliés sont venus, elle a de nouveau craint pour ta vie, et pour rien au monde elle n’aurait voulu t’engager à partir. Tu es si prompt, monsieur Maurice.

— Oui, vous aviez peut-être raison. On ne vous eût pas écoutées, deux pauvres femmes comme vous.

— Et je puis compter sur ton retour ?

— Mais, certainement !

— Va donc, monsieur Maurice, et à la garde de Dieu. Je le prierai tout le temps pour qu’il veille sur toi.

— Il est à regretter que je n’aie aucun papier, aucun document établissant que je suis bien le fils de Philippe de Laroche et de Jeanne, née de Verneuil. Je n’ai que le portrait de mon père, mais je doute que cela me soit d’aucune utilité. Enfin, comme tu le dis, à la garde de Dieu ! Si nous avons été entièrement dépouillés au profit de la nation, si mon père n’a rien laissé concernant notre famille, je ne serai pas pris au dépourvu et ne me découragerai point. Je reviendrai sans faute, ma bonne Françoise, quel que soit le résultat de mes démarches, et nous vivrons tranquilles, sinon heureux, dans ce pays où repose ma mère et sous ce toit que m’ont légué vos mains habiles.

Tiens prêts, pour demain, mes meilleurs habits. Et, là-dessus, bonsoir.

Bonne nuit, monsieur Maurice !