Autour de la maison/Chapitre XLIII

La bibliothèque libre.
Édition du Devoir (p. 151-155).

XLIII


Ce soir, j’essaie de me rappeler ma lointaine première communion. Mes souvenirs ressemblent à des images qui se dessineraient en fumée. Pourtant, si je cherche, je vois : Sur les allées en pierrettes bleues du parterre, au couvent, toutes les préparantes, nous nous promenons deux à deux, silencieuses, recueillies, autour d’un tertre de gazon où s’élève une Vierge blanche. Nous sommes en retraite. Nous avons récité bien des fois le chapelet et je me retrouve lisant le « Guide de la jeune fille. » C’est grave et tellement sérieux que je ne sais pas au juste si je comprends ; mais je suis émue, toute ma petite âme vibre…

Plus tard, après la confession générale des menues fautes de notre vie si neuve, nous marchons sur la galerie du pensionnat. En face, il y a des maisons, des arbres ; à côté, l’église qui s’avance. Mère S.-Anastasie nous demande si nous sommes soulagées et contentes ! C’est évident, nous sommes transfigurées. Il n’y aura pas de mauvaise première communion parmi nous !

Le soir, je suis à la maison. J’attends le train. Ma marraine va peut-être venir. Assise sur le pas de la porte, j’ose à peine remuer, un livre de prières ouvert sur mes genoux. Je suis muette sans être pourtant en extase. Au fond, je me sens si gaie que je sauterais de joie ! Mais en retraite, et quand, demain, Jésus doit entrer dans mon cœur, il ne faut pas parler, il faut être sage.

Le train arrive ; marraine ne vient pas ; je monte me coucher. Il est sept heures. Maman me regarde comme si j’étais déjà un petit saint ciboire ; elle m’embrasse, m’apprend une prière que je devrai réciter chaque soir. Je m’endors. Le lendemain, avant le jour, on m’éveille. Je me lève avec un empressement miraculeux ! On m’habille. Oh ! tout ce blanc, ces broderies, et le livre d’ivoire, et le chapelet de nacre ! Je suis heureuse ! En bas, je m’attriste un moment. J’aperçois des cadeaux, mais une erreur de distribution fait que quelqu’un de la maison a l’air de ne m’avoir rien donné, et en est un instant tout chagrin.

La première communion a lieu dans la chapelle du couvent, minuscule et dévotieuse, toute décorée de fleurs et de cierges. On avance à petits pas, les garçons d’un côté, — Toto en était, — les fillettes de l’autre, guindées sous les voiles raides, inquiètes. Saurons-nous bien recevoir l’Hostie ? Penserons-nous à ne pas ouvrir notre livre de messe tout de suite au retour de la sainte table ?… Les « grandes » chantent un beau cantique. Il y a des dames qui pleurent de nous voir entrer ainsi, lente procession dans la grande allée, des petites âmes tendres qui vont recevoir le Pain de Vie. L’émotion nous gagne, une émotion ravie…

Je me rappelle très bien ma place, la troisième au premier banc. Du côté opposé, Toto occupe à peu près le même rang, et nous nous penchons parfois pour nous regarder.

Enfin, je vais recevoir le bon Dieu, me rendant en mesure à la balustrade, relevant mon voile et faisant mes génuflexions au signal du claquoir. Après, je sais que j’ai prié, que Toto a récité un acte de consécration et que, timide et fière, j’ai quêté.

Puis, c’est le soir que je revois le mieux. Il est tombé une pluie rafraîchissante vers six heures, et la soirée de juin est indiciblement calme et douce. Le plus beau jour de ma vie va finir. J’ai une tourmaline blanche toute neuve, et j’ai encore ma robe de première communion. Je suis debout sur un banc, appuyée à la maison. Je regarde droit devant moi, vers la rivière. Je ne me souviens pas à quoi je pensais, ainsi immobile et silencieuse. Je n’étais ni exaltée, ni remuée profondément. J’étais contente ; quelque chose de nouveau habitait en moi. Toto venant vers moi, m’apprit que c’était nous qui avions obtenu la pluie. Depuis trois semaines, les neuvaines des habitants et de tout le monde étaient restées sans réponse, tandis que notre première communion avait tout de suite apporté la bénédiction sur le village.

Je le crus. Je le crois encore. Je crois infiniment à la surnaturelle Providence qui bénit les âmes pures et veille sur toute destinée. Je crois toujours que Celui que l’on prie ne refuse rien à la confiance, et que s’il refuse, c’est quand même pour notre bonheur !

Toto parti, je restai comme une statue sur mon banc de bois…

Et voilà que j’ai fini de réveiller mes souvenirs et mes songes d’autrefois, et que vous ne verrez plus jouer ni Toto, ni Pierre, ni Marie. Ils s’en vont. Ils étaient partis depuis longtemps, puisque la vie les a changés ; mais en fermant les yeux, je ranimais les anciennes images, et il ne me reste plus d’autres visions de mon enfance…

Peut-être aimeriez-vous à savoir ce que sont devenus garçons et fillettes ?… Rien encore, que des jeunesses qui se préparent à la vie.

Moi, je suis une demoiselle qui, de jour en jour, noircit un peu plus de papier, et qui en noircira sans doute chaque jour davantage, jusqu’à sa dernière heure !

Mon Dieu, à quoi pouvait-elle penser la petite fille en blanc qui, debout, toute droite, le dos à la maison, regardait la rivière ?… Jésus était venu à elle, et lui avait laissé sa paix.


FIN