Nouvelles poésies (Van Hasselt)/Aux absents

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Nouvelles PoésiesBruylant et Cie (p. 83-86).


Aux absents.





Qui nunc… per iter tenebrosicum.
Catull. Carm, III, 11.





Près du lac d’azur, sous le ciel sans voiles,
Je rêvais un soir,
Et le ciel comptait son écrin d’étoiles
Dans ce bleu miroir.

Sous les bois obscurs quel charmant silence,
Quels concerts charmants

Dans les nids chanteurs que la nuit balance
Sur les flots dormants !

Syringas d’ivoire, églantines blanches,
À la brise ouverts,
D’enivrants parfums, qui tombaient des branches,
Embaumaient les airs.

Comme, au bord du lac que la brise effleure,
Je rêvais ainsi,
Ô mes souvenirs, dans mon cœur qui pleure,
Vous chantiez aussi.

Je songeais à vous que sur tant de grèves.
Mes amis absents,
Cherchent vainement, vainement mes rêves,
Rêves impuissants.

Je songeais à vous, exilés dans l’ombre
Des tombeaux jaloux,
Que l’éternité, cette porte sombre,
A fermés sur vous.

Voyageurs obscurs de ces noirs royaumes

Où les morts s’en vont,
Vous errez là-bas, ô mes chers fantômes,
Dans leur nuit sans fond.

Mais ces chants d’oiseaux, visions aimées,
Me rendaient vos voix,
Et je vous voyais, ombres ranimées,
Tous comme autrefois :

L’un tombé tout jeune à sa fraîche aurore,
En son vert printemps,
Pauvre fleur que Dieu fit, hélas ! éclore
Pour si peu d’instants ;

L’autre rayonnant de la flamme ardente
Que l’on voit au front
Des prédestinés qui seront des Dante
Quand les ans viendront.

Songe triste et doux, rêve plein de charmes,
Devait-il finir ?
Et faut-il ne voir qu’à travers des larmes
Votre souvenir ?


Car je sens des pleurs, ô visages pâles,
Sourdre de mes yeux
Quand la nuit revient de ses mille opales
Émailler les cieux.



Juillet 1854.