Avis important, Touchant l’établissement d’un’espece de Seminaire pour la formation des Maîtres d’École ; Et pour faire un utile emploi des Biens des Huguenots fugitifs

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aux dépens du bureau des écoles et chez André Olyer (p. 1-6).



AVIS IMPORTANT TOUCHANT L’ETABLISSEMENT D’UN ESPECE DE SEMINAIRE POUR LA FORMATION DES MAITRE D’ECOLE


Q UELQUE soing que l’on prenne pour l’Etablissement des Ecoles, qui sont si utiles & necessaires au public, l’on n’y reussira jamais bien, à moins que l’on n’ait des bons Maîtres pour les remplir ; & l’on n’en aura jamais de bons, à moins qu’ils n’ayent été formés & stylés dans cette fonction ; au sujet de quoi une personne qui a plus de vingt années d’experience dans cette matiere estime que

IL EST TRES-IMPORTANT DE REMARQUER trois Choses,

Division du desseinLa Premiere, La Necessité de l’etablissement d’une maison ou Espece de Seminaire pour la formation des personnes, destinées pour l’Emploi de la Maitrise des Ecoles.

La Seconde, Les Exercices qu’on y pourroit faire.

La Troisieme, Les Moïens, dont on se pourroit servir pour l’execution de ce dessein.

Quant a la Necessité de cet Etablissement, il est facile d’en juger par raport aux Maîtres, Secondement aux Enfans, & au Public.

I. PAR RAPORT AUX MAITRES a raison de !'excellence de leur fonction. Le grand Gerson repondit a ceux qui lui reprochoient que 1'emploi des petites Ecoles ou il s'apliquoit dans Lyon en mil quatre cens vingt-neuf, etoit trop ravale pour un Chancelier de la premiere Universite du monde, Nescio prorsus si quidquam majus esse potest quam tales parvulorum animas quasi plantare, aut rigare. Saint Jerome, Saint Augustin, Saint Gregoire et quantite d'autres saints Personnages ont eu une si haute idee de cet emploi, qu'ils n'ont pas dedaigne de s'y apliquer : neanmoins par un malheur extreme l'on voit aujourd'hui un emploi si saint et si releve, expose aux premiers venus, ausquels parce qu'ils savent lire et ecrire, et qu'ils se trouvent invalides et miserables (quoique d'ailleurs vitieux) on ne laisse pas de confier le soin de la jeunesse, sans prendre garde, que pour faire du bien a un particulier, l'on fait du mat a tout le Public. Comme il n'y a point de lieux etablis pour bailler cette haute Idee, et pour se pourvoir de bons Maitres dans le besoin, c'est ce qui est cause que cet emploi est expose au mepris, et bien souvent rempli par des miserables, inconnus et gens de neant, qui ne peuvent inspirer la piete, capacite et honnetete, que communement its n'auront jamais, a moins qu'ils ne l'apprennent, et n'aient ete formes dans une maison etablie pour cet efet. II. Ce Seminaire des Maitres n'est pas moms necessaire par raport aux Enfans, qui sont comme des Cires moles, desquelles on peut former toutes sortes de figures. Si les Maitres sont vertueux ils en feront des Anges: s'ils se trouvent vitieux, ils en feront des Demons. C'est pour cela que quelques uns apellent les Maitres d'Ecole des Moules: d'autres disent qu'ils sont comme des Canaux par lesquels passent les naturels des enfans: si ces canaux sont empoisonnes, ces petites creatures se corrompent, et s'infectent facilement. Les impressions que l'on donne dans l'enfance restent toujours; il nest rien de si difficile a vaincre que les habitudes, qu'on y a contractees: c'est ce qui a fait dire au grand Gerson, que c'est non seulement arroser, mais Quasi comme planter de nouvelles ames, que de bailler une bonne education a la jeunesse dans les Ecoles: d'ou l'on voit, combien il est important de prendre garde a quels maitres l'on confie cette conduite pour le bien des Enfans, et pour le bien public.

III. Il n'est point d'Art auquel il ne faille passer un tems convenable pour en faire l'aprentissage, avant que d'y etre recu Maitre: seroit-il dit que celui d'instruire la jeunesse, et de gouverner sagement les esprits, que les saints Peres apellent l'Art des Arts, Ars artium regimen Animarum (S. Gregoire), ne demandat pas aussi avec justice un aprentissage, qu'on ne peut bonnement faire, que dans une Communaute etablie pour la formation de tels Maitres. 2eme Remarque. LES EXERCICES, que l'on pourroit pratiquer en ces Seminaires, seroient d'enseigner aux Maitres la maniere de bien faire le Catechisme, de bien lire le Latin, et le Francois, en etablissant s'il se pouvoit une grande uniformite de langage, banissant certain patois corrompu. On leur montreroit fart de bien ecrire et de bien chifrer: On leur enseigneroit encore, si l'on vouloit, les Elemens d'Euclyde, le Plainchant, 1'Honnetete, la Civilite, et toutes les autres choses dont les Maitres pourroient We instruits eux memes dans un lieu on l'on feroit profession d'enseigner tout ce qui seroit necessaire pour la perfection de la jeunesse: comme seroit encore la maniere d'inculquer suavement4aux enfans les devoirs de la Sainte religion, l'amour de la Vertu, l'horreur du vice, le gouvernement des naturels diferens par raport a leur disposition, les adresses 5pour gagner a Dieu les nouveaux Convertis: toutes ces petites siences ont des secrets, et des moiens particuliers, qui les rendent aisees, et qui les perfectionnent. Mais sur tout apres le soin qu'on auroit dans ce Seminaire, d'insinuer aux Maitres un grand amour de Dieu, et de la jeunesse qu'on leur destine; on auroit un soin particulier de leur inspirer un grand respect et veneration pour leur Prince, avec une reconnoissance, et un amour cordial, qui portat la jeunesse qui leur seroit confiee, a sacrifier aveuglement dans le besoin leurs biens, et leur vie pour l'interet de leur Souverain; etant certain que la fidelite des sujets depend beaucoup de leur bonne education. Or il est encor plus vray de dire, que si les Maitres ne sont bien penetres eux memes de ces verites, et ne les etudient dans une Communaute on on fasse profession de les leur enseigner, ils ne les pourront jamais bien inspirer aux autres.

3eme Remarque.b LES MOIENS, dont on se pourroit servir pour l'execution de cete entreprise doivent etre considerez selon Primo, LES LIEUX ausquels tels Seminaires de Maitres d'Ecole se pourroient etablir. Secundo, LES REVENUS ET MOIENS TEMPORELS pour la subsistance de tels Seminaires. Tertio, LES PERSONNES necessaires pour veiller a leur conduite. Quarto, LES SUJETS, dont on se pourroit servir pour la Maitrise des Ecoles. 1. Quant aux lieux, ou de tels Seminaires pourroient etre etablis il seroit a souhaiter, qu'il y en eut un dans les Diocezes nombreux, ou bien en chaque Archeveche, ou en tout cas a Paris, Lyon, Reims, Reines [Rennes], Poitiers, Limoges, Angouleme, Bourdeaux [Bordeaux], Toulouze, Aix et Nimes.

II. La Subsistance de ces Maisons se pourroit tirer du fond du Consistoire, et des biens des Huguenots fugitifs. On y pourroit meme apliquer, s'il etoit de besoin, la vingt-quatrieme partie des Dixmes, que les Seigneurs Decimateurs sont obliges de donner aux pauvres, ainsi qu'il se pratique dans le Dauphine. SA MAJESTE pourroit meme y reunir quelques Benefices. L'on ne doute point, que la piete des Fideles ne manqueroit pas dans la suite de porter dans ces Maisons une partie de leur liberalite.

III. Deux sortes de Personnes seroient necessaires pour la conduite de ces Seminaires. L'une seroit pour le Gouvernement particulier, comme un Superieur, un Oeconome, et quelques Maitres savans et experimentes, qui pussent former les sujets Eleves, qu'on leur donneroit. D'autres Personnes seroient pour le Gouvernement general, qui composeroient un Bureau partie d'Eclesiastiques, partie de Laiques, qui veilleroient gratuitement, et uniquement au sontien, avancement et perfection de cete oeuvre. Pour cela il seroit necessaire, premierement que le Tresorier fut toujours Laique, et rendit compte de tems a autre par devant les Ordinaires et Officiers des Lieux. Secondement que S.M. [Sa Majeste] donnat pouvoir audit Bureau de faire rendre compte, et de rechercher les fondations et revenus, qui ont ete, et seroient dans la suite donnes pour l'instruction de la jeunesse, aver pouvoir d'en faire la distribution, et aplication ou il seroit le plus necessaire. Les Intendans de Bourgogne et du Lyonnois ont ordonne, que tels comptes seroient rendus par devant le Directeur general des Ecoles que MONSEIGNEUR L'ARCHEVEQUE DE LYON a etabli dans son Dioceze, avec defences d'en divertir le fond pour ce destine, sans permission, a peine d'amande.

IV. Pour les Sujets, dont on pourroit se servir pour la Maitrise des Ecoles, il est a remarquer qu'on ne devroit point prendre ni de Pretres, ni de personnes Mariees, parce que ces premiers seroient divertis de l'aplication qu'exigeroit cet emploi, ou par leurs ofices, ou par les Cures des lieux, qui ne manqueroient pas de les apeller pour les aider dans les fonctions Curiales, ou par les Benefices, lesquels survenans rendroient vacantes telles places de Maitres. Les seconds seroient aussi divertis de cete aplication par le soin du Menage, et par l'esprit Mercenaire, qui les fait ordinairement agir. Et comme il seroit necessaire pour la perfection de cette oeuvre de leur faire quelquefois changer de demeure, soit a raison de leur relachement, ou des mauvais habitudes, qu'ils y auroient contractees, ou pour d'autres considerations importantes, cela seroit d'autant plus dificile, que la parentee et les habitudes, qu'ils y auroient faites,' seroient nombreuses.

Il seroit donc necessaire pour composer ce Seminaire, d'inviter les Prelats, de faire passer la plu-part des Ordinans, et sur tout ceux qui sont dans les quatre [ordres] Mineurs, par les Ecoles, comme par un Novitiat de la Pretrise, ou ils ne fussent communement recus qu'apres s'etre dignement acquites du soin de la jeunesse, qu'on leur auroit confiee, parce qu'en instruisant les petits, ils apprendroient a instruire les grands.

L'ON pourroit encore assembler des personnes qui vecussent dans le Celibat, qu'ils seroient tenus de garder aussi long tems qu'ils feroient les Ecoles, desquelles s'etant louablement acquites pendant certain tems, on pourroit avec un plus juste discernement leur dire, Ascende superius; a moins qu'ils ne voulussent rester dans ce genre de vie, qu'ils auroient embrasse.

Comme 1'etendue et 1'excelence de la fonction de Maitre d'Ecole exige a bon droit des personnes degagees, et qui s'y apliquent uniquement; cet emploi sembleroit aussi demander le Celibat pour le faire fleurir. L'on a veu que 1'etablissement des Filles de Madame de Maintenon, la Compagnie des Cadets, & celle de Monsieur de Renty, composees de telles Personnes vivantes dans le Celibat, ont fait eclater la piete parmi le Sexe, l'Art Militaire dans la guerre, et les professions de Tailleurs, Cordonniers, etc., parmi le peuple. Fruits que causeroit le Seminaire des Maitres d'Ecole

Au reste l'Etablissement de ce Seminaire de Maitres d'Ecole, produiroit deux autres fruits considerables, en obviant a des grands Maux, et procurant des grands Biens.

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le seminaire des
Maîtres d’Ecole.
On reconnoîtra le premier en ce que faute de telles Communautés, lorsque les Ecoles seroient fondées, il arriveroit, que celui qui auroit le plus d’adresse & le plus d’amis quoique moins de vertu, emporteroit l’emploi de Maître d’Ecole : les Seigneurs, & les plus notables des lieux en feroient pourvoir pour recompense leurs domestiques, ce qui seroit d’une dangereuse consequence pour le Public : quelquesfois aussi faute de cette pepiniere, on seroit obligé de prendre les premiers Maîtres qui se presenteroient, & lorsque l’un d’eux deviendroit infirme ou qu’il se relâcheroit de son devoir, ou que pour d’autres considerations il seroit fut expedient de faire quelque changement, on auroit il seroit, comme il a été dit, bien de dificulté tres difficile d’y pourvoir, à moins qu’on eut que d’avoir telles Communautés, d’ l’on pût tirer ces Maîtres.

Quant aux Biens que le Public tireroit d’un tel Seminaire : il est à remarquer que, comme le bonheur d’un Etat dépend non seulement des bons Magistrats, mais encore des bons Pasteurs, & Maîtres d’Ecole ; La Vigilance des Intendances que Sa Majesté donne (ces derniers mots manquent), n’oubliant rien pour tenir dans le devoir ces premiers, & les Prelats, s’apliquant aujourd’huy avec benediction à procurer les seconds à l’Eglise, il est certain que si Sa Majesté établissoit établissant à present des Seminaires pour former ces derniers, elle procureroit par là à tout son Roïaume les avantages, que dont les villes de Lyon & de Reims commencent à gouter par tels Seminaires de Maîtres.

ObjectionQuelques uns pourroient dire que les Ecoles sont inutiles, et par consequent aussi les Maitres, sur tout a la Campagne, où l’ignorance et la rusticité servent pour en tirer des Laboureurs et des Soldats. A quoy l’on repond, que si l’etude du Latin, et meme celle de l’ecriture ne causoit pas un si bon efet il n’en seroit pas de meme de la Lecture, sur tout dans un age, auquel les Enfans ne sont pas capables des travaux de la terre ; puisqu’elle les rendroit plus dociles, plus assidus au travail, et plus disposez a la Vertu, qui ne gate jamais rien : Outre que semblables Ecoles etablies dans les lieux les plus considerables de la Campagne, sont plutot pour rompre le mauvais naturel des Enfans, leur aprendre la fidelite et la bienseance Chretienne, leur dormer les premiers principes de la Foi, et les instruire a prier Dieu, que pour les rendre savans. On peut ajouter a cela, qu’il n’est point de plus solide moien pour oster le reste du venin de l’Heresie, que d’avoir des Maitres bien elevez ; ce qui a attire des grandes Benedictions dans les lieux ou ces Seminaires de Maitres ont este etablis.

On s’est aperçû dans Lyon de ces fruits, depuis qu’on a commencé à de jetter quelque plan d’un pareil dessein, par le moïen duquel plus de mille pauvres tous les ans y ont êté instruis, & où les Maîtres, tant de la Ville que du reste du Dioceze, soit pour les riches, soit pour les pauvres, ont êté formés dans leurs fonctions. Mais comme ce petit Seminaire de Maîtres de Lyon, qui est sous le vocable de saint Charles (ici une : ,) n’a subsisté que par les soings d’un particulier du Clergé, lequel qui y a consommé ses biens, & sa santé, Monseigneur l’Archeveque de Lyon, par une generositè (ici une : ,) qui lui est naturelle pour toutes les bonnes œuvres (ici une : ,) a bien voulu faire un don special particulier pour aider à faire subsister ces Ecoles des pauvres, lesquelles sans ce secours seroient infailliblement tombées en ruine. On est aussi persuadé qu’il est impossible de maintenir tels Seminaires sans le secours d’une fondation fixe (ici une : ,) qu’on ne peut attendre que de la liberalité du Roy.

On a trouvé les moïens de faire de bons Capitaines pour l’Armée (ici se trouve ; &) de bons Prêtres pour le Clergé, en établissant des Accademies, & des Seminaires pour former ceux que l’on destine à ces emplois : On a encore trouve le moïen de faire des sages, laborieux, & industrieux sujets pour Sa Majesté en établissant des Ecoles : Mais l’on peut dire aussi avec verité qu’il n’i a gueres pas d’autre moïen pour faire reussir ces Ecoles (ici une : ,) qu’en établissant de même des Seminaires pour l’instruction et la perfection de tels Maîtres (ici on a & tels) des Eleves (ici une : ,) que l’on destineroit à cet emploi.

ConclusionEnfin l’on peut dire, que si Sa Majesté s’est acquise acquis une si grande gloire par tant de Batailles remportées, par tant de Viles & de Provinces conquises, & par tant de Maisons de pieté fondées ; Il semble à present (ici une : ,) qu’il n’y a point d’œuvre (ici une : ,) qu’elle puisse faire (ici une : ,) qui soit plus necessaire, & plus utile pour la populace qui compose la plus grande partie de son Roïaume, que l’établissement des Maîtres d’Ecole, & celui d’un Seminaire pour les y bien former, c’est par ce moïen qu’elle rendra son état incomparable en lui procurant en tres-peu de tems des Sujets vraïment soumis à leurs Prince, de bons Catholiques à la Religion, de sages Marchands au Negoce, de Ouvriers industrieux aux Manufactures, de bons Citoïens aux Villes, de bons Laboureurs à la Campagne, rendant ainsi son Roïaume non moins superbe dans les bâtimens, que florissant dans le commerce, non moins admirable dans les Arts, que regulier, & pieux dans les mœurs de ses Sujets ; non moins cheri de son Peuple que redouté de ses Ennemis ; & pour le dire en un mot cet etablissement rendra les peuples François non seulement les plus Industrieux, les plus Fideles, & Pieux, comme ils sont les plus Heureux, les plus Puissants, & les plus Belliqueux de toutes les Nations : Mais encores donnera au portrait de Louïs le dernier trait de beauté, & de perfection, qui le fera publier par tout le monde le plus Grand, en Pieté, & en sagesse, comme il est en courage le plus Puissant de tous les Potentats de l’Univers.