Œuvres de Saint-Amant/Bacchus conquerant

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Œuvres complètes de Saint-Amant, Texte établi par Charles-Louis LivetP. JannetTome 1 (p. 127-128).

BACCHUS CONQUERANT[1].

Pour un ballet du Roy.


En fin mon bras victorieux

A couronné ma teste ;
Ceux qui m’estoient injurieux
Solemnisent ma feste ;
Tout m’obeït, mesmes les immortels
Reverent mes sacrez autels.

Mon thyrse orné de pampres vers
Qu’un lyerre entrelace
A fait trembler tout l’univers
De sa seule menace,
Il a flestry par ses exploits guerriers
L’honneur des plus fameux lauriers.


L’orient voit dessous mes lois
Ses provinces regies ;
Ses monts, ses fleuves et ses bois,
Ont ouy mes orgies,
Et la terreur de mes fiers Leopars
Est imprimée en toutes pars.

L’impieté ne produit plus
Contre moy de Penthée ;
Tous mes ennemis sont perclus,
Leur puissance est domptée ;
Bref, le destin accorde à mon desir
La gloire conjointe au plaisir.

Cependant ce roy redouté
Sous qui les lys fleurissent,
Cette adorable Majesté
Que les astres cherissent,
Fait, quoy que Dieu, que j’advoue aujourd’huy
De n’estre qu’homme aux prix de luy.

Ô grande reine a qui les cieux
Ont rendu tout possible,
Il pert seulement par vos yeux
Le titre d’invincible,
Comme il acquit, pour eux se consumant,
Celuy de Juste[2] en vous aymant.


  1. Les Vers pour le ballet des bacchantes, de l’Imprimerie du roy, 1623, sont d’une extrême rareté. Un exemplaire se trouve à la Bibl. de l’Arsenal. — Les premiers vers sont de Théophile, les suivants sont de Saint-Amam (sic), de du Vivyer, de Sorel et de Bois-Robert. On y voit paroître deux sacrificateurs, des esclaves conduisant le triomphe de Bacchus, un coupeur de bourse, un coureur de nuit (M. le grand-prieur), des donneurs de sérénades (le duc de Longueville et le duc d’Elbeuf), un débauché pour les mascarades (le duc de Montmorency), un débauché pour l’amour (le maréchal de Créquy), enfin un débauché pour les masques (M. de Chalais). — Le livret comprend les pages 1-28. — Les ballets étoient des spectacles qui ne servoient qu’aux divertissements des rois et des princes. Cahusac n’en cite qu’un seul, la Verità raminga, qui ait été donné au public, à Venise. — On trouve dans Furetière un passage curieux sur les ballets :
    « La plus nécessaire qualité à un poète pour se mettre en réputation, c’est de hanter la cour ou d’y avoir été nourry… Je voudrois qu’il eust accès dans toutes les ruelles, réduits et académies illustres…, qu’il… Le meilleur seroit qu’il eust assez de crédit pour faire les vers d’un ballet du roy, car c’est une fortune que les poètes doivent autant briguer que les peintres font le tableau du may qu’on présente à Notre-Dame. »
    Roman bourgeois de Furetière, Bibl. elzevirienne, ad finem.
  2. Il s’agit de Louis XIII, le Juste.