Bakounine/Œuvres/TomeV3

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Œuvres - Tome V.
Articles pour le journal L’Égalité — AVANT-PROPOS


AVANT-PROPOS




Il y eut dès 1865 des sections de l’Internationale dans la Suisse romande, à la Chaux-de-Fonds, à Genève, à Lausanne. Le médecin Pierre Coullery, à la Chaux-de-Fonds, fonda le journal hebdomadaire la Voix de l’Avenir, dont le premier numéro parut le 31 décembre 1865. Jean-Philippe Becker, à Genève, fit paraître en janvier 1866 le journal mensuel der Verbote. Pendant la première moitié de 1866, le nombre des sections romandes s’accrut : il y en eut douze de représentées au premier Congrès général de l’Internationale, tenu à Genève en septembre. L’année suivante, au Congrès général de Lausanne (septembre 1867), les délégués des sections de la Suisse romande se réunirent en une conférence particulière ; il y fut décidé : 1o Que la Voix de l’Avenir, mise à la disposition des sections romandes par son propriétaire, le Dr Coullery, serait désormais l’organe officiel de ces sections, et que Coullery continuerait à en être le rédacteur en chef ; 2o Que le comité central des sections de Genève recevait, jusqu’au Congrès général suivant, le mandat de servir de centre de correspondance entre les sections de la Suisse romande.

L’année 1868 fut une année critique pour l’Internationale en Suisse. Au printemps (mars) eut lieu à Genève la première grande grève du bâtiment, qui eut un énorme retentissement. Ensuite, les élections législatives dans le canton de Neuchâtel, et l’alliance contractée à cette occasion par Coullery avec le parti conservateur, amenèrent une rupture entre les partisans de Coullery et les socialistes sincères. Cette rupture s’accentua lorsque, après le Congrès général de Bruxelles (septembre 1868), Coullery publia dans la Voix de l’Avenir des articles attaquant la majorité collectiviste du Congrès. Au même moment, la Ligue de la paix et de la liberté tenait à Berne son second Congrès ; la minorité révolutionnaire de cette Ligue se sépara de la majorité pour se constituer en une Alliance de la démocratie socialiste, qui déclara adhérer à l’Internationale, et la fondation d’une section de cette Alliance à Genève, en octobre, donna dans cette ville une impulsion énergique au développement du parti socialiste révolutionnaire. Un conflit aigu avait éclaté entre Coullery et le comité central de Genève ; ce comité convoqua une conférence de délégués, afin de discuter la proposition d’unir les sections de la Suisse romande par un lien plus étroit en les groupant en une fédération, et d’examiner s’il n’y avait pas lieu de créer un nouveau journal qui remplacerait la Voix de l’Avenir. Cette conférence, réunie à Neuchâtel le 25 octobre 1868, chargea les sections de Genève de nommer dans leur sein deux commissions, l’une pour préparer la création d’un nouveau journal, l’autre pour élaborer un projet de statuts d’une fédération des sections suisses de langue française, qui prendrait le nom de Fédération romande ; il fut décidé en même temps que ces deux commissions présenteraient leur rapport à un Congrès de délégués qui se réunirait à Genève le 3 janvier 1869. Les sections de Genève nommèrent aussitôt les deux commissions, qui se mirent à l’œuvre immédiatement.

La commission des statuts discuta et adopta un projet dont Bakounine[1] était l’auteur. Ce projet fut imprimé et distribué en décembre.

La commission du journal, présidée par Charles Perron, ouvrier peintre sur émail, décida à l’unanimité de proposer au Congrès d’appeler le nouveau journal l’Égalité. Elle publia un programme, et écrivit à un certain nombre de socialistes pour demander leur collaboration. À la date du 19 décembre 1868, elle fit paraître un numéro spécimen contenant son rapport, un projet de règlement élaboré par elle, et les réponses reçues des futurs collaborateurs du journal : c’étaient, pour la Suisse, Michel Bakounine, James Guillaume, Jules Gay ; pour la France, Benoît Malon, Eugène Varlin, Élisée Reclus ; pour l’Angleterre, Hermann Jung, J. Georges Eccarius ; pour l’Allemagne, Jean-Philippe Becker ; pour l’Italie, Carlo Gambuzzi, Alberto Tucci ; pour la Belgique, César De Paepe. Karl Marx avait été sollicité de collaborer : il avait répondu à la commission « qu’à son grand regret l’état de sa santé et ses trop nombreuses occupations ne lui permettaient pas de promettre sa collaboration ».

Trente sections se firent représenter au Congrès de Genève des 3 et 4 janvier 1869 : vingt-trois étaient des sections genevoises, quatre des sections vaudoises, trois seulement des sections jurassiennes. Le Congrès créa la Fédération romande, en discuta et en adopta les statuts, et en nomma le comité fédéral, composé de sept membres, qui, pour la première année, furent pris dans les sections de Genève. En ce qui concerne le journal hebdomadaire qui devait servir d’organe à la Fédération, en remplacement de la Voix de l’Avenir qui disparaissait, le Congrès adopta le titre d’Égalité. Le projet de règlement proposé par la commission attribuait à une assemblée générale des abonnés, qui devait se réunir chaque année dans la première quinzaine de juillet, et dans laquelle les absents seraient admis à voter par correspondance, la nomination du conseil de rédaction, composé de neuf membres. Cette disposition fut reconnue peu pratique, et il fut décidé à l’unanimité que, pour simplifier les choses, le Conseil de rédaction serait nommé par le Congrès. Les neuf membres de ce conseil — qui, pour la première année, devaient être domiciliés à Genève — furent nommés séance tenante ; les élus furent : Henri Perret, Pierre Wæhry, Charles Perron, Michel Bakounine, Crosset, Mermilliod, F. Paillard, Dupleix, Guilmeaux. Dupleix, ayant annoncé qu’il ne pouvait accepter sa nomination, fut remplacé le lendemain par J‑Ph. Becker.

Le règlement du journal, adopté par le Congrès, disait que le Conseil de rédaction se réunirait obligatoirement le mercredi de chaque semaine, et qu’il admettrait ou refuserait les articles : toutefois il ne pourrait refuser l’insertion des articles ou écrits quelconques qu’une section ou un comité de section aurait décidé de faire paraître dans le journal.

L’article 24 disait : « Le Conseil de rédaction désigne un des membres de l’Association pour classer les articles du journal, et pour faire le nécessaire à l’imprimerie. Une indemnité peut être allouée au membre de l’Association chargé de ce soin. » Aucun de ceux qui acceptèrent ce mandat, pendant toute l’année 1869, ne toucha un sou d’indemnité.

Ce fut Charles Perron qui le premier fut chargé de la confection du journal. Il s’occupa de l’Égalité avec le plus grand dévouement pendant les six premiers mois de 1869 ; mais à la fin de juin, sa santé s’étant trouvée altérée à la suite de l’excès de travail qu’il s’était imposé, il dut prendre du repos. Le numéro du 3 juillet publia l’avis suivant :

« Les membres du Conseil de rédaction de l’Égalité sont invités à se rencontrer sans faute, au cercle, mercredi prochain 7 juillet, à 8 heures et demie précises, pour pourvoir aux fonctions que M. Ch. Perron remplit dans la rédaction et qu’une absence de deux mois le force d’abandonner provisoirement.

« Le président : Ch. Perron. »

Bakounine, qui dans le numéro précédent avait commencé sa série d’articles les Endormeurs, consentit à remplacer Perron pendant les deux mois que devait durer l’absence de celui-ci ; et il s’acquitta consciencieusement de sa tâche : il n’avait, jusqu’à ce moment, écrit pour l’Égalité que de façon très intermittente ; à partir de la fin de juin jusqu’au Congrès de Bâle (septembre), il remplit presque à lui seul les colonnes du journal.

Dans la période qui va de décembre 1868 à juin 1869, on trouve dans l’Égalité — après la lettre d’adhésion parue dans le numéro spécimen — les articles suivants écrits par Bakounine : des observations sur le journal la Fraternité de M. La Rigaudière (février 1869), suivies d’une lettre et d’une note d’Élisée Reclus ; une intervention (27 mars) dans la polémique suscitée par la collaboration, brusquement interrompue, de Mme André Léo ; des réflexions (3 avril) sur deux grèves à Genève ; une étude (17 avril) sur la situation révolutionnaire de la Russie ; des réflexions (22 mai) sur les progrès du mouvement ouvrier dans tous les pays ; d’autres réflexions (19 juin) sur le mouvement socialiste en Autriche. Pendant les mois de juillet et août, Bakounine écrit les quatre suites d’articles : les Endormeurs (contre la Ligue de la paix) ; la Montagne et le Jugement de M. Coullery ; l’Instruction intégrale ; et Politique de l’Internationale. Ces quatre suites d’articles forment deux séries parallèles. La première série comprend, en juillet, la polémique contre Coullery et son nouveau journal la Montagne, et, en août, les articles Politique de l’Internationale. La seconde série comprend les Endormeurs (juin-juillet) et leur continuation l’Instruction intégrale (juillet-août). Bien que les articles les Endormeurs commencent dès le 26 juin, pour se prolonger jusqu’au 24 juillet, tandis que le premier article contre la Montagne est seulement du 10 juillet et que le dernier (le Jugement de M. Coullery) est du 31 juillet, il convient de placer la polémique contre Coullery avant celle contre la Ligue de la paix et de la liberté, parce que le meeting du Crêt-du-Locle, où Coullery et son journal la Montagne furent condamnés, est du 30 mai, et que l’Égalité publia les résolutions de ce meeting dès le 5 juin ; tandis que la circulaire du Comité central de la Ligue de la paix et de la liberté qui fut l’occasion des articles que Bakounine intitula les Endormeurs est d’une date postérieure. Les articles l’Instruction intégrale (continuation de les Endormeurs) vont du 31 juillet au 21 août ; les articles Politique de l’Internationale (continuation de la polémique contre Coullery), du 7 août au 28 août. À ces quatre suites d’articles, il faut ajouter le Rapport sur la question de l’héritage (28 août) et un article sur la Coopération (4 septembre).

Perron, une fois revenu du village de Soudine (Haute-Savoie), où son médecin l’avait envoyé, reprit ses fonctions, avec la collaboration de Paul Robin, qui, expulsé de Belgique, était arrivé à Genève en août. Bakounine quitta Genève le 30 octobre pour aller résider dans le Tessin.

Quelques mutations avaient eu lieu, au cours de l’année 1869, dans la composition du Conseil de rédaction. En mars, Crosset ayant donné sa démission, il fallut le remplacer ; et, le règlement ne prévoyant rien sur le mode de remplacement d’un membre de la rédaction, le Comité fédéral nomma lui-même un successeur à Crosset, en la personne de Jules Monchal. Mais Monchal sortit du Conseil de rédaction au bout de peu de temps, et Henri Perret et Mermilliod se retirèrent aussi ; ils furent remplacés successivement, de la même façon, par Dutoit, Lindegger et Pinier. Lorsque Bakounine donna à son tour sa démission en septembre, ce fut Robin qui prit sa place.

À la suite d’incidents que je n’ai pas à raconter ici[2], sept membres du Conseil de rédaction, sur neuf : Perron, Robin, Guilmeaux, Dutoit, Lindegger, Becker et Pinier, donnèrent brusquement leur démission le 3 janvier 1870. Ce déplorable coup de tête livra le journal aux mains de la coterie anti-socialiste qui commençait à établir sa domination dans l’Internationale genevoise, et les colonnes de cette Égalité où avaient écrit Varlin, Eccarius, De Paepe, Bakounine, furent désormais occupées par la prose dégoûtante de M. Nicolas Outine.

J. G.

  1. Bakounine était devenu membre de la section centrale de Genève en juillet 1868.
  2. On en trouvera le récit détaillé au tome Ier de L’Internationale, Documents et Souvenirs.