Bavière. Constitution. Organisation municipale

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BAVIÈRE.




CONSTITUTION. — ORGANISATION MUNICIPALE.




Parmi tous les états de l’Allemagne, la Bavière est l’un de ceux où le système constitutionnel a pris le plus de développement. Si quelques-unes des dispositions de sa charte ne s’accordent point avec nos idées de liberté, il faut se rappeler que les habitudes sociales des Bavarois ne ressemblent pas entièrement aux nôtres. Ainsi l’autorité a conservé la division par classes, parce qu’elle était profondément enracinée dans le pays, et qu’il n’était point en son pouvoir de la faire disparaître tout à coup des mœurs, et par conséquent de la législation ; mais elle s’est bien gardé de l’établir dans les provinces rhénanes où elle n’existait point. Le législateur a donc dû combiner les franchises dont il voulait doter ses états, avec la conservation d’antiques institutions, et il nous semble qu’en proclamant le principe de l’universalité des suffrages, et en accordant au peuple les trois quarts de la représentation nationale, il a fait une large part à l’intervention de celui-ci dans les affaires publiques.

La Bavière, ainsi que la plupart des pays de l’Allemagne, était autrefois gouvernée par un souverain dont l’autorité était tempérée par des assemblées d’état appelées Landstande. Celles-ci toutefois n’étaient guères qu’un vain simulacre de représentation, puisque dans plusieurs, le peuple où tiers-état, n’avait point de mandataires. Lorsque Napoléon fit subir une nouvelle organisation au corps germanique, il érigea l’électorat de Bavière en royaume, pour prix de son alliance dans la dernière guerre, et lui donna, en 1808, une constitution calquée en partie sur celle qui régissait alors l’empire français. Quelqu’imparfaite qu’elle fût, il faut néanmoins convenir qu’elle posait des principes, qu’on est fâché peut-être de ne pas retrouver dans la charte actuelle beaucoup plus généreuse dans son ensemble. Par exemple, elle abolissait la dépendance personnelle, déclarait tous les citoyens égaux devant la loi, proclamait la liberté de conscience et de la presse, et l’aptitude de tous les Bavarois à concourir aux dignités et aux charges publiques, etc… D’un autre côté, cette constitution était entachée des mêmes vices que celle qui lui avait servi de modèle. On y trouvait le principe de la représentation nationale pompeusement exprimé ; mais l’application en était tout-à-fait illusoire. Le système électoral n’accordait véritablement point au peuple une part directe au gouvernement ; ses représentans n’avaient ni le droit de proposition, ni celui de plainte ; leurs attributions se bornaient au simple vote, sur la présentation du gouvernement, dont les commissaires seuls pouvaient prendre la parole. Il n’y avait ni responsabilité ministérielle, ni organisation municipale, ni aucune de ces garanties d’ordre et de paix adaptées aux besoins actuels.

Cette constitution ne survécut point aux évenemens de 1814. À cette époque, la confédération germanique s’étant dissoute, les souverains de plusieurs états, qui la composaient, rétablirent leurs anciennes lois fondamentales, tandis que d’autres en donnèrent ou en promirent de nouvelles à leurs sujets. Le roi de Bavière fut de ce dernier nombre, et le 26 mai 1818, il accomplit sa promesse en octroyant une charte basée sur les intérêts et les idées de son peuple.

Cette charte déroge essentiellement au principe de l’égalité politique dans ses dispositions concernant la noblesse à laquelle elle attribue d’important prérogatives. Elle lui reconnait, par exemple, le droit de juridiction patrimoniale, celui d’instituer des fidei-commis de famille, de récuser la compétence des Landgerichte (tribunaux ordinaires), tant au civil qu’au criminel, de placer ses enfans dans l’armée en qualité de cadets, etc.

L’autorité législative réside dans deux chambres qui, réunies, portent le nom de Landstande, donné aux anciennes représentations d’état.

La première, que nous appellerons la chambre des pairs, se compose des princes du sang, arrivés à l’âge de majorité ; des grands dignitaires de la couronne ; des deux archevêques du royaume ; des princes ou comtes de l’empire, en possession des patrimoines auxquels ce titre est attaché ; d’un évêque à la nomination du roi ; du président du consistoire général luthérien ; de membres qu’il plaît au roi d’appeler à y siéger, à titre héréditaire ou à vie, en considération de leurs services, de leur naissance, et même de leur fortune. Ce dernier titre à la pairie est emprunté à la constitution de 1818, qui cherchait ainsi à établir une aristocratie de la richesse. Toutefois, le nombre des membres à vie ne peut dépasser le tiers de ceux nommés à titre héréditaire. Les pairs ont voix délibérative à vingt-cinq ans, et les princes à vingt-un. Ils portent le nom de Reichsrathe (Sénateurs ou Conseillers de la couronne). Le désigne le président pour la durée de la session ; il choisit aussi le vice-président, mais sur la présentation d’une liste de cinq candidats. C’est la chambre qui nomme ses secrétaires, et ses séances sont secrètes.

La deuxième chambre se compose des députés de la noblesse, ou de propriétaires à juridiction patrimoniale, qui ne font point partie de la chambre haute ; des députés des trois universités du royaume ; de ceux du clergé catholique et protestant, dans la proportion de deux tiers à un tiers ; des députés des villes et bourgs, et enfin, des députés choisis par les propriétaires sans juridiction patrimoniale. Il y a un député sur sept mille familles[1]. Les députés de la noblesse forment un huitième de la chambre, ceux du clergé un autre huitième, les représentans des villes et bourgs un quart, et les propriétaires non nobles nomment l’autre moitié. Les trois universités élisent chacune un député. Les vacances sont remplies par les candidats qui ont obtenu le plus de voix après les députés élus, et ne nécessitent point comme en France une nouvelle élection. Pour être éligible, il faut jouir des droits de citoyens, appartenir à l’une des communions chrétiennes, posséder une fortune indépendante, et n’avoir jamais été l’objet de poursuites criminelles spéciales. Les fonctionnaires publics ne sont éligibles qu’avec l’autorisation du roi. Les députés sont élus pour six ans. Ceux non domiciliés dans la capitale, reçoivent une indemnité de cinq florins par jour, durant la session, et de huit florins par six lieues qu’ils font pour s’y rendre ou s’en retourner. Tout député perdant la qualité qui a déterminé les électeurs à le nommer, ou qui cesse de remplir les conditions de l’éligibilité, cesse dès ce moment ses fonctions. C’est la chambre qui décide dans ces deux cas. Les députés sont obligés d’assister aux séances, En moins d’empêchement grave, et alors ils doivent en justifier au président. Leurs places, dans la chambre, sont réglées par le sort. Les deux présidens sont nommés par le roi sur la présentation d’une liste de six candidats. Les séances sont publiques.

Le mode d’élection diffère suivant la classe des députés. Ceux de la noblesse et des universités sont élus directement ; dans les colléges universitaires, l’élection se fait par les professeurs. Les électeurs du clergé et des villes et bourgs sont à deux degrés, et celles des propriétaires non nobles à trois. Chaque décanat nomme un électeur, et les villes et bourgs en choisissent un sur cinq cents familles. Leurs assemblées primaires se tiennent dans le chef-lieu des cercles. Munich nomme deux députés, et Nuremberg et Augsbourg chacun un. Les communes rurales formées des propriétaires sans juridiction patrimoniale, élisent d’abord des mandataires, à raison de un sur cent familles. Ceux-ci se réunissent au siége de chaque tribunal, pour choisir les électeurs dont le nombre est d’un sur mille familles. Pour être mandataire, il faut avoir vingt-cinq ans accomplis et acquitter une contribution directe de 5 florins, c’est-à-dire, de 6 francs 43 centimes ; les électeurs au 3e degré doivent être âgés de trente ans.

Si l’on est porté à blâmer la part un peu trop large faite au privilége dans la constitution bavaroise, et le mode d’élection à plusieurs degrés, il faut néanmoins convenir que la faculté électorale est étendue aussi loin qu’il est possible de l’être, puisque tous les citoyens actifs sans exception sont appelés à y participer dans les assemblées primaires. D’un autre côté, de quelle précaution le législateur n’a-t-il pas entouré l’élection pour empêcher la fraude ? Le bureau est formé des assesseurs du tribunal et de quatre membres du collége désignés par le sort. Chaque électeur tire un numéro qu’il inscrit sur son bulletin, et qui lui fournit le moyen de s’assurer s’il y a eu dol dans la lecture de son vote. La loi prononce des peines sévères contre la moindre infraction à la liberté des votes, et toute influence indue, exercée par les fonctionnaires sur le résultat du scrutin, est punie de la destitution. Il suffit d’un seul électeur convaincu de corruption, pour faire annuler l’élection ; le coupable perd ses droits d’électeur et d’éligible, et s’expose aux peines portées contre le parjure. Le législateur, voulant même en éloigner jusqu’à la possibilité, et donner à l’électeur une idée de la solennité des fonctions qu’il va remplir, a exigé qu’il prêtât préalablement un serment ainsi conçu : « Je jure que mon vote sera dicté par ma conscience et dans l’intérêt de mon pays, et que je n’ai reçu ni ne recevrai, directement ou indirectement, aucune récompense tendante à influencer mon suffrage. »

Les états, dont la durée est de six ans, ne sont convoqués que tous les trois ans, et leur session doit durer au moins deux mois ; celle de 1827-1828 se prolongea l’espace de neuf mois. C’est le roi qui propose et sanctionne les lois ; néanmoins les chambres ont le droit de proposition indirecte, sous certaines restrictions. Les états arrêtent le budget pour six ans, et la dette publique est placée sous leur sauve-garde. Si le roi jugeait convenable de proposer un changement quelconque à la constitution, il devrait être consenti par une majorité des deux tiers, et après une délibération à laquelle les trois quarts des membres des états auraient pris part. Ce sont les présidens qui règlent le nombre et les jours des séances de chaque chambre. Les députés peuvent être rappelés à l’ordre et privés de la faculté de reprendre la parole dans le cas où l’un d’eux se permettrait des personnalités contre le roi, la famille royale ou les membres des états ; le président a le droit de suspendre la séance, et de demander le lendemain l’expulsion temporaire ou absolue du délinquant. La chambre, une fois constituée, se partage en cinq comités, savoir : 1o de législation, 2o des impôts, 3o d’administration intérieure, 4o de l’amortissement de la dette, 5o pour l’examen des plaintes contre les infractions à la constitution. Les états ne votent sur une loi que trois jours après la clôture de la délibération. Les séances sont publiques ; mais les spectateurs, aussi bien que les ministres et les commissaires du gouvernement, évacuent la salle pendant l’opération du scrutin. La chambre vote à haute voix. La correspondance entre les deux chambres se fait par écrit. Elles sont censées n’en former qu’une, et se communiquent leurs résolutions directement jusqu’à ce qu’elles soient tombées d’accord, ou qu’il n’y ait point d’accord possible.

Les ministres et les fonctionnaires publics sont responsables de toute violation de la loi fondamentale. Les états les dénoncent au roi qui y porte remède ; mais, quand il y a doute, il charge son conseil-d’état ou la cour suprême d’examiner l’affaire, et prononce sur leur rapport. Il existe cependant des circonstances où les chambres peuvent les accuser en forme. Alors le roi défère leurs plaintes au tribunal suprême. En cas d’appel, on forme, dans le sein de ce tribunal, une commission spéciale dont la décision est communiquée aux chambres.

Le pouvoir judiciaire est organisé de la même manière qu’en France, à quelque différence près. Les juges sont inamovibles et ne peuvent être dépouillés de leurs charges et de leurs traitemens qu’en vertu d’un jugement. Au roi appartient le droit de grâce.

Depuis le 1er janvier 1829, la Bavière jouit d’une organisation municipale votée par les états dans leur dernière session. La Bavière rhénane, après les événemens de 1814 avait seule conservé quelque vestige de l’ancien système fondé sur la constitution française de 1799 ; mais, dans tout le reste du pays, il n’y avait, à proprement parler, point de loi. La deuxième chambre, jalouse de remplir cette lacune dans la législation, demanda l’adoption pour tous les cercles du régime municipal des provinces rhénanes. La chambre haute s’y étant opposé, la proposition n’eut pas de suite. Cependant, le roi introduisit, en 1820, d’importantes améliorations dans le mode d’élection des membres du landrath de la Bavière rhénane. Le nouveau conseil devait se composer de vingt membres, choisis par le roi, sur quarante candidats nommés par les électeurs ayant capacité de voter aux élections des députés, et dont la moitié au moins devait avoir été prise parmi les membres du collége électoral. Pour être candidat, il fallait être âgé de trente ans, jouir des droits de citoyen, et n’avoir jamais été l’objet de poursuites judiciaires spéciales. Les vingt candidats, autres que ceux choisis par le roi, étaient destinés à remplir les vacances, et tous les cinq ans le landrath devait se renouveler par tiers. Les membres ne recevaient point de traitement. Ils avaient le droit d’élire leur président et leur secrétaire. La durée de leur session annuelle ne pouvait excéder quinze jours, et la présidence des deux tiers des membres était nécessaire pour délibérer. Les commissaires du gouvernement n’y avaient accès que pour faire des propositions, et sortaient aussitôt après. Le landrath répartissait les impôts entre les communes, et connaissait de toutes les plaintes auxquelles cette répartition donnait lieu ; il proposait les dépenses locales, examinait les comptes de l’administration et la spécialité de l’emploi des fonds ; il donnait son avis sur l’état de l’agriculture, de l’industrie, du commerce, des routes, des canaux, et généralement sur tout ce qui était d’un intérêt local ; il exprimait son opinion sur l’exécution des lois, sur la moralité et la capacité des fonctionnaires, etc.

La Bavière rhénane seule était appelée à jouir du bienfait de cette loi. Le roi voyant qu’elle avait d’heureux résultats, voulut l’étendre à toute la Bavière ; et, dans la session 1827-1828, il soumit à la deuxième chambre un projet d’organisation municipale à peu près semblable.

D’après ce projet, le landrath devait se composer de vingt-quatre conseillers, choisis par le roi sur une liste de quarante-huit candidats, et élus pour six ans. Le cens de l’éligibilité était de cinq florins. La session annuelle durait deux semaines. Le conseil devait être présidé par un conseiller du roi. Ses décisions étaient publiques, mais ses délibérations ne pouvaient l’être sans l’autorisation du gouvernement. Quant aux attributions du landrath, elles étaient basées sur celle de la Bavière rhénane.

La seconde chambre fit subir d’importables modifications à ce projet. Elle décida que la législature fixerait tous les six ans le maximum des fonds laissés à la disposition des conseils-généraux ; que les députés ne pourraient en être membres ; que douze candidats seraient nommés par la noblesse et le clergé, autant par les villes et bourgs, et vingt-quatre par les propriétaires ruraux non nobles ; que les délibérations seraient rendues publiques ; que la loi s’appliquerait à la Bavière rhénane, sauf à laisser à cette province ses conditions d’éligibilité, parce que la population n’y est point divisée en classes comme dans le reste du royaume, etc.

La première chambre n’approuva point toutes les dispositions adoptées par la chambre élective. Elle se prononça d’abord contre son application à la Bavière rhénane, et voulut que les archevêques et l’évêque, siégeant dans son sein, fussent de droit membres du conseil-général dans leurs cercles respectifs. Elle éleva à dix florins le cens de l’éligibilité ; partagea le conseil en quatre sections, formées chacune des membres appartenans à la classe des électeurs qui les avaient élus ; elle décida que les propriétaires nobles voteraient par écrit ; que les membres de la noblesse et les pairs héréditaires pourraient se faire remplacer par procuration dans le landrath, etc.

La deuxième chambre, à laquelle le projet fut renvoyé avec les amendemens, persista dans sa disposition à l’égard de la Bavière rhénane, et rejeta l’exception en faveur des archevêques et de l’évêque. Elle maintint le cens de cinq florins ; mais consentit à la division par section, et étendit le vote par écrit au clergé. Il n’en fut pas de même de la prétention de la haute noblesse et des pairs héréditaires à se faire représenter aux conseils-généraux, que la chambre rejeta in toto.

Les pairs appelés de nouveau à délibérer sur le projet, n’insistèrent plus sur l’exception qu’ils voulaient introduire pour la Bavière rhénane ; ils demandèrent toutefois que les propriétaires nobles, qui s’établiraient à l’avenir, y conservassent leurs droits. Ils proposèrent de réduire à 7 florins 30 kreutzers le cens de l’éligibilité, et persistèrent dans leur amendement concernant les archevêques et l’évêque.

La seconde chambre, saisie une troisième fois du projet, ne s’opposa plus aux prétentions des archevêques ; mais elle rejeta l’exception proposée pour les provinces rhénanes, et insista sur la fixation du cens d’éligibilité à cinq florins. La chambre haute vota la loi ainsi amendée ; le roi la sanctionna à son tour, et, au mois de février dernier, les premières élections des conseillers provinciaux ayant eu lieu, les choix tombèrent en général sur des hommes dignes de la confiance de la nation.

Nous résistons au désir que nous aurions de rendre un compte plus étendu des travaux des chambres bavaroises pendant la longue et importante session qui vient de s’écouler. Nous aurions voulu appeler également l’attention publique sur la discussion animée qui a suivi la présentation du projet de loi sur le duel, et dont le vote définitif a été ajourné. Nous croyons toutefois que les détails auxquels nous venons de nous borner pour le moment ne paraîtront manquer ni d’intérêt ni d’à propos.

Y…


  1. On compte 843,469 familles, en tout 4,037,017 habitans, répartis de la manière suivante : 2,880,333 catholiques, 1,094,633 luthériens et réformés, 57,574 juifs et 4,4227 autre co-religionnaires.