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Bepred Breizad/L’Élégie de Brizeux

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Bepred Breizad — Toujours Breton
J. Haslé (p. 19-27).


L’ÉLÉGIE DE BRIZEUX.

Mourir pour vivre !


Deuil à toi, deuil à toi, Basse-Bretagne ! — Gémissez et répandez des larmes, — rochers, au bord de mer profonde, — et vous, chênes, au sein des forêts ! —

La Mort cruelle, comme un loup, — quand il sort du bois, au milieu de l’hiver, — fauche sans pitié dans Breiz ; — sa faux est toute rouge de sang ! —

Mais ce sang-là a bonne odeur ; — il sent la rose et l’aubépine blanche ; — car c’est le sang d’un Barde, un vrai Breton, — qui partout chantait son pays !

Brizeux est mort, le barde d’Armor ? — Il est mort pour vivre en un monde meilleur : — chantez le chant de deuil, bois et mer ; — rossignol de nuit, gémis à haute voix. —

Et vous, Marie du Moustoir, — sur sa tombe priez Dieu et la Vierge, — et mettez une rose nouvelle, — au-dessus du cœur du pauvre chanteur. —

Mais où sera mis en terre — le corps du Barde, qui chantait si bien — le pays par nous tous tant aimé, — mer tout autour, bois au milieu ? —

Mettez-le au bec du Raz, — avec un peulvan au-dessus de sa tête, — en face de l’île de Sein, pour qu’il puisse voir encore — les prêtresses qui passent. —

Ou bien encore dans la plaine de Carnac, — sous le plus grand des men-hirs ; — et non loin de là, quelque part, — il faudra planter un chêne. —

Sur le men-hir fruste, sans ornements, — gravez un petit livre dore, — et au chêne une harpe — sera suspendue par une chaîne d’or. —

Et le vent de mer en passant, — chantera des gwerz et des sônes ; — et dans le chêne, le rossignol — gémira toute la nuit. —

Non, — a-t-il dit, mettez mon corps — à l’ombre des bois de Kermèlo, — dans une vallée près du Scorf : — là, je dormirai d’un sommeil plus doux. —

Dans votre Académie, o Français, — vous n’avez pas voulu du Barde de Breiz, — qui toujours a si bien chanté — son pays la petite Bretagne et la foi. —

Et vous avez bien fait, car dans un autre monde — il est avec Gwenc’hlan, Aneurin, — (une Académie qui n’est pas mauvaise), — avec Taliesin et Merlin. —

Mais en Bretagne il y a des Bardes encore ; — chantez tous ses louanges — qui dureront raille ans dans le pays ; — chantez tous, et faites des gwerz. —

Et moi je voudrais pardessus la mer bleue, — à nos frères qui sont en lointain pays, — porté sur deux ailes à grandes plumes, — pouvoir aller dire : « versez des pleurs !

« Hélas ! il est mort, le barde de Breiz-Izell ! — bois et mer profonde, pleurez ! » — « S’il est mort c’est pour mieux vivre, » — a répondu une voix d’en-haut. —