Bepred Breizad/L’Élégie de Brizeux
Deuil à toi, deuil à toi, Basse-Bretagne ! — Gémissez et répandez des larmes, — rochers, au bord
de mer profonde, — et vous, chênes, au sein des
forêts ! —
La Mort cruelle, comme un loup, — quand il sort
du bois, au milieu de l’hiver, — fauche sans pitié
dans Breiz ; — sa faux est toute rouge de sang ! —
Mais ce sang-là a bonne odeur ; — il sent la rose et l’aubépine blanche ; — car c’est le sang d’un Barde, un vrai Breton, — qui partout chantait son pays !
Brizeux est mort, le barde d’Armor ? — Il est mort
pour vivre en un monde meilleur : — chantez le chant
de deuil, bois et mer ; — rossignol de nuit, gémis à
haute voix. —
Et vous, Marie du Moustoir, — sur sa tombe priez
Dieu et la Vierge, — et mettez une rose nouvelle, —
au-dessus du cœur du pauvre chanteur. —
Mais où sera mis en terre — le corps du Barde, qui
chantait si bien — le pays par nous tous tant aimé,
— mer tout autour, bois au milieu ? —
Mettez-le au bec du Raz, — avec un peulvan au-dessus
de sa tête, — en face de l’île de Sein, pour qu’il
puisse voir encore — les prêtresses qui passent. —
Ou bien encore dans la plaine de Carnac, — sous le
plus grand des men-hirs ; — et non loin de là, quelque
part, — il faudra planter un chêne. —
Sur le men-hir fruste, sans ornements, — gravez
un petit livre dore, — et au chêne une harpe — sera
suspendue par une chaîne d’or. —
Et le vent de mer en passant, — chantera des
gwerz et des sônes ; — et dans le chêne, le rossignol
— gémira toute la nuit. —
Non, — a-t-il dit, mettez mon corps — à l’ombre des bois de Kermèlo, — dans une vallée près du
Scorf : — là, je dormirai d’un sommeil plus doux. —
Dans votre Académie, o Français, — vous n’avez
pas voulu du Barde de Breiz, — qui toujours a si
bien chanté — son pays la petite Bretagne et la foi. —
Et vous avez bien fait, car dans un autre monde —
il est avec Gwenc’hlan, Aneurin, — (une Académie
qui n’est pas mauvaise), — avec Taliesin et Merlin. —
Mais en Bretagne il y a des Bardes encore ; —
chantez tous ses louanges — qui dureront raille ans
dans le pays ; — chantez tous, et faites des gwerz. —
Et moi je voudrais pardessus la mer bleue, — à nos
frères qui sont en lointain pays, — porté sur deux
ailes à grandes plumes, — pouvoir aller dire : « versez
des pleurs !
« Hélas ! il est mort, le barde de Breiz-Izell ! — bois et mer profonde, pleurez ! » — « S’il est mort c’est pour mieux vivre, » — a répondu une voix d’en-haut. —