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Bepred Breizad/Les Cerises de Saint Pierre

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Bepred Breizad — Toujours Breton
J. Haslé (p. 179-185).


LES CERISES DE SAINT PIERRE.




Du temps que notre Sauveur était encore peu connu, — et qu’il allait par les chemins, à pied, par tous les temps, — faisant le Lien et accompagné de ses Apôtres, — un jour il se trouvait près d’une petite ville.

Il était environ midi : le soleil était brillant — et nulle part un peu d’ombre, nulle part une goutte d’eau ! — Quand le Seigneur, le Maître tout-puissant, — aperçut dans la poussière un fer à cheval, vieux, cassé et luisant.

Il dit à Pierre : — « Lève-moi ce fer ! » — Mais Pierre ne fit semblant d’avoir entendu, pas plus que s’il eut été sourd : — Son esprit était préoccupé de tout autre chose, en ce moment, — et il n’eut pas daigné se baisser vers la terre.

À quoi rêvait donc Pierre ? au Gouvernement du monde ! — Oui, le grand Apôtre cherchait dans sa tête — le meilleur moyen de gouverner : de beaux rêves, certes ! — Lui parler en ce moment d’un fer à cheval, — ô la pauvre trouvaille ! —

Si c’eut été une couronne, par exemple !… Alors peut-être… — Mais un fer à cheval ! cela ne valait pas la peine de se déranger. — Il passa donc, en entendant ces paroles, — sans même regarder une chose de si peu de valeur.

Le Seigneur, qui venait après lui, daigna se baisser, — pour ramasser le fer, et ne dit rien… — Puis, quand ils arrivèrent dans la petite ville, — il le vendit à la première forge.

Il en eut trois deniers. En passant par le marché, — il vit de belles cerises ; elles étaient là si luisantes, — si rouges, qu’elles réjouissaient les yeux, — et, rien qu’à les voir, l’eau en venait à la bouche ! —

Le Seigneur acheta des cerises pour ses trois deniers, — et, sans rien dire, il les mit dans sa manche. — Un moment après, les voilà hors de la ville, — et en route, ayant encore loin à faire.

Le soleil était toujours ardent, et nulle part un gazon frais, — pas davantage un buisson vert, mais de la poussière, toujours de la poussière. — Pierre eut payé cher, alors, une goutte d’eau ! — ils étaient donc tourmentés par la chaleur et la soif.

Le Seigneur marchait devant. Sans faire semblant, — il laissa tomber une cerise. Pierre sauta sur le fruit — aussitôt, dans la poussière, et l’avala vite, — et il disait encore : « l’excellente chose, qu’une cerise ! » —

Un instant après tombe une autre cerise : — et Pierre de se baisser encore, pour la ramasser. — Puis une autre ! — une autre ! — une autre ! — de bonnes, de mauvaises… — Quand il se fut baissé cent fois, le Seigneur lui dit : —

— « N’es-tu pas encore fatigué, mon pauvre Pierre ? Si tu avais voulu te baisser — une seule fois, au bon moment, de quelque peu de valeur que fût l’objet, — pour beaucoup moins encore il ne t’aurait pas fallu — te baisser ainsi cent fois, et te donner tant de mal ! » —




Voilà une bonne leçon pour chacun. — À la campagne, comme en ville, gens de toute condition, — riches et pauvres, jeunes et vieux, — écoutez-là, je vous prie, elle s’adresse à tous. —