Bepred Breizad/Les Moissonneurs
« Ferme ! les gars, ferme ! au bout du sillon Fantik — » ira prendre un pichet de cidre : ferme, Yves et Gabriel ! — » Les bons Moissonneurs ! ils sont tout trempés de sueur ! — » Derrière eux les sillons se couvrent d’épis ! » —
Ainsi parlait un jour le vieux Laou à ses domestiques, — dans un champ de froment, debout sur la lizière. — Alors vous eussiez vu la faucille en mouvement, — et le blé mûr tomber si pressé sur le sillon !
De tous côtés les grillons chantaient leurs chansons, — et les petits oiseaux aussi, dans les arbres, sous la feuillée ; — et le soleil était si chaud ! et traversées par la sueur, — leurs chemises de chanvre étaient collées sur leur dos ! —
Pas un mot ! — Fanch-vraz était en tête, — ayant jeté ses sabots et sa veste ; — Fanch-vraz, le meilleur domestique qu’il y eût au pays ; — à dix lieues à la ronde on n’eût pas trouvé son pareil. —
Après Fanch-vraz venait aussitôt Yves Lemeur — et après lui Iannik Talek et son frère, — de bons gars dans un champ avec la pioche comme avec la faucille, — de durs laboureurs, comme il en est beaucoup dans notre pays. —
Un peu derrière eux Efflam Kerborio — travaillait ferme, ayant près de lui Fantik Kerlohio. — Hélas ! la pauvre fille ne pourrait jamais suivre, — si Efflam ne faisait la moitié de sa tâche ! —
Et le soleil brillait, et les oiseaux chantaient, — et la faucille, comme une couleuvre, se glissait parmi le blé, — et le froment coupé, si lourd, si jaune, — recouvrait les sillons, tout du long, derrière eux ! —
Ils sont à l’autre bout ; et voilà venir la servante, — portant sur la tête du lait caillé et des crêpes. — Oh ! comme tout-à-l’heure ils vont trouver bon leur repas, — assis sur l’herbe, à l’ombre d’un vieux chène ! —
On allumera ensuite une pipe, — peut-être y aura-t-il aussi une goutte d’eau-de-vie. — Vous les verrez tous contents, sans crainte de la peine : — et au travail encore, jusqu’à l’heure du souper ! —
Laboureurs de mon pays, moissonneurs courageux, — qui, chaque jour, priez Dieu en breton ; — c’est demain le dimanche : après la grand’messe, — vous danserez et sauterez au pardon, sur le gazon. —
Et à l’heure où le soleil se couchera, vous reviendrez tous à la maison — en riant et en chantant, joyeux et sans soucis : — Efflam achètera des amandes à Fantik, — et Ervoan et Iannik reconduiront leur douce.
Et le lundi vous travaillerez encore, sans regret et sans plainte, — si les crêpes sont bonnes et les faucilles bien aiguisées ; — et de la sorte vous arriverez si doucement à la Mort, — sans regret, sans effroi, qu’elle vienne quand elle voudra ! —