Aller au contenu

Bepred Breizad/Marguerite la Fileuse

La bibliothèque libre.
Bepred Breizad — Toujours Breton
J. Haslé (p. 245-253).


MARGUERITE LA FILEUSE.




I.


Sur le bord du sentier qui mène au bourg, tous les jours, quand je passe, — je vois une fillette qui file sur son rouet, — une fillette sage et jolie, œil noir, cheveux blonds, — et le cœur si gai, dans sa chaumière ! —

Elle est toujours sur le seuil de sa porte, et chante, comme un rossignol, — quelque vieux gwerz, un sône ou un cantique, — et tout en chantant les sônes et les vieux gwerz du pays, — sa petite main si légère et si gentille fait tourner son rouet. —

L’autre jour je me cachai, pour écouter la fillette, — derrière un buisson vert, qui est près de sa petite maison, — et voici la chansonnette que chantait sa voix claire, — comme un roitelet ou une alouette :

II.

« Mon rouet, mon fuseau, ma quenouille, — et mon fil de lin sur ma bobine, — avec eux je sais gagner du pain, — et c’est pourquoi je les aime par dessus tout ! —

» Par dessus toute chose, après ma mère chérie, — ma mère chérie et mon père, — et après Jésus, notre Sauveur, — et la Vierge pleine de bonté. —

» Mon rouet, c’est toi qui me donnes des vêtements, — contre l’hiver rude et inclément, — et, au marché, je vends mon fil, — et achète de la farine, pour faire des crêpes. —

» J’achèterai encore, avec mon cher rouet, — un coq rouge et une poulette, — et peut-être même un petit agneau blanc, — tout comme Soezik Liboudenn. —

» Filons donc, filons avec courage ; — le fil est renchéri de deux sous — la livre, au dernier marché… — Le soleil n’est pas encore près de se coucher. —

» Là-bas, dans la prairie, il y a des faneurs, — tout mouillés de sueur — Il vaut mieux, bien mieux être — à filer sur le seuil de sa porte ! —

» À présent il y a des fleurs partout, — dans les champs, sur les fossés ; — fleurs de genêts, d’aubépine blanche et digitales, — je vois de tous côtés autour de moi. —

» Les oiseaux chantent au-dessus de ma tête, — dans le hêtre et le chêne, — et plus loin là-bas, le coucou, — et la tourterelle, dans les bois. —

» En les entendant et près et loin, — je chante aussi, à haute voix, — et le lin de ma quenouille — s’en va en fil sur ma bobine. —

» Mais le soleil est couché, je crois, — et je suis encore sur mon rouet : — du pain de seigle, du lait et des crêpes, — et voilà le repas de la fileuse ! —

» D’autres sont qui mangent du pain blanc, — qui mangent du rôti et boivent du cidre doré, — les riches ceux-là ; — ils n’en sont peut-être pas plus heureux. —

» Souvent je les vois passer, — et rarement je les vois joyeux, — quelque chose les inquiète toujours, — je ne les entends jamais chanter. —

— Moi je demande au Sauveur du monde — de suivre toujours ses commandements ; — je ne demande pas la richesse, — mais vivre et mourir fileuse, —

» — Mon rouet, mon fuseau, ma quenouille, — et mon fil de lin sur ma bobine, — avec eux je sais gagner du pain, — et c’est pourquoi je les aime par dessus toute chose ! » —