Betzi/2/11
Ici finissent mes mémoires. Pour les
compléter, il suffira d’ajouter que tout
ce qu’avait arrangé d’Eglof s’exécuta
sans beaucoup de difficulté. Henriette
ne put qu’imputer au malheur des
circonstances la trahison par laquelle
son amant fut forcé de l’abandonner ;
quels torts n’eût-elle pas encore pardonnés
aux tendres soins qu’il eut pour son
enfant, au bonheur de le retrouver
au moment où il devenait son unique
consolation, sa plus douce espérance !
Elle ne put refuser à son enfant de lui
rendre un père qu’elle n’avait jamais
cessé d’aimer. Après avoir encore passé quelques mois auprès de sa sœur, elle
suivit d’Eglof dans sa patrie où, sous
le nouveau règne, on venait de lui rendre
tous ses titres et tous ses droits.
Séligni, plus sûr qu’il ne l’avait jamais été des sentimens de Betzi, ne disputa plus contre son propre cœur ; en lui faisant l’éternel sacrifice de sa liberté, en lui consacrant tous les jours de sa vie, il crut recommencer tout le bonheur de son existence. Betzi savait, que, même malheureux, il n’avait pas cessé de garder à son souvenir la constance la plus parfaite : comment se serait-elle défiée encore de l’ascendant des préventions dont il avait tant souffert, du danger de ses principes et de la légèreté de ses anciennes habitudes ? Il justifia toute sa confiance. Satisfait de la fortune qu’il avait acquise par ses travaux et par son économie, (elle se montait à dix ou douze cents pièces de rente, placées le plus solidement possible), il ne voulut point quitter l’asyle fortuné dans lequel il avait retrouvé sa Betzi. Le plus heureux des époux ne tarda pas à devenir encore le plus tendre et le plus heureux des pères ; chaque jour, chaque année lui prouvait davantage la vérité de cette maxime si simple et si profonde : qu’il ne faut jamais ambitionner une manière d’être particulière à sa fantaisie, un bonheur à soi, qu’il n’en est point de vrai, de tranquille, de durable, que celui qui se concilie également avec l’ordre de la nature et celui de la société.
O con quant’arte
E per che ignote strade egli conduce
L’uomo a esser beato.
Tasso.