Bible Crampon 1923/Habacuc

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Traduction par Augustin Crampon.
Texte établi par Société de S. Jean l’Évagéliste, Desclée..
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LIVRE D’HABACUC


Chap. i, 1 : Titre.



Sentence dont Habacuc, le prophète, eut la vision.

1. Chap. i, 2 — ii, 4 : Pourquoi voir partout le triomphe et les violences des impies ?Question anxieuse du prophète (i, 2-4). Les incursions des Chaldêens (i, 5-11). Instances du prophète : pourquoi le méchant dévore-t-il plus juste que lui (i, 12-17). Il attend la réponse (ii, 1) ; Yahweh la lui donne (ii, 2-4).

2Jusques à quand, Yahweh, t’implorerai-je, sans que tu m’entendes, crierai-je vers toi à la violence, sans que tu me délivres ? 3Pourquoi me fais-tu voir l’iniquité, et contemples-tu la souffrance ? La dévastation et la violence sont devant moi, il y a des querelles et la discorde s’élève ; 4à cause de cela la loi se meurt, et la justice ne voit plus le jour[1]  ; car le méchant circonvient le juste ; c’est pourquoi le droit sort faussé.

5Jetez les yeux sur les nations et regardez ; soyez étonnés, stupéfaits. Car je vais faire en vos jours une œuvre, que vous ne croiriez pas si on vous la racontait.[2] 6Car voici que je suscite les Chaldéens, peuple féroce et impétueux, qui s’avance vers les larges espaces de la terre, pour s’emparer de demeures qui ne sont pas à lui. 7Il est terrible et formidable, et c’est de lui-même que vient son droit et sa grandeur. 8Ses chevaux sont plus légers que les léopards, plus ardents que les loups du soir. Ses cavaliers s’élancent, ses cavaliers viennent de loin, ils volent comme l’aigle pressé de dévorer. 9Tout ce peuple vient pour exercer la violence ; leurs regards avides[3] se portent en avant ; il amasse les captifs comme du sable. 10Lui, il se moque des rois, et les princes sont sa risée ; il se rit de toutes les forteresses, il entasse de la poussière et les prend. 11Puis l’ouragan s’avance et passe ; et il se rend coupable ; sa force à lui, voilà son Dieu !

12N’es-tu pas dès le commencement, Yahweh, mon Dieu, mon saint ? Nous ne mourrons pas. Yahweh, tu as établi ce peuple pour le droit, ô mon Rocher[4], tu l’as affermi pour châtier. 13Tes yeux sont trop purs pour voir le mal, et tu ne peux contempler la souffrance. Pourquoi regarderais-tu les perfides, et te tairais-tu, quand le méchant dévore un plus juste que lui ? 14Tu traiterais donc les hommes comme les poissons de la mer, comme les reptiles[5] qui n’ont point de chef !… 15Il prend le tout à l’hameçon, il le tire avec son filet, le rassemble dans ses rets ; et c’est pourquoi il est dans la joie, il jubile. 16C’est pourquoi il sacrifie à son filet[6], et il offre de l’encens à ses rets ; car par eux sa portion est grasse, et sa nourriture succulente. 17Continuera-t-il donc de vider son filet, et toujours égorgera-t-il sans pitié les nations !


Je veux me tenir à mon poste[7], et me placer sur la tour de garde ; et j’observerai pour voir ce que me dira Yahweh, et ce que je répondrai à la remontrance qui me sera faite.

2Et Yahweh me répondit et dit :

Écris la vision et grave-la sur les tables[8], afin qu’on y lise couramment. 3Car il y a encore une vision pour un temps fixé ; elle se hâte vers son terme et ne mentira pas ; si elle tarde, attends-là, car elle arrivera certainement, elle ne manquera pas : 4Celui dont l’âme s’enfle au-dedans de lui n’est pas dans le droit chemin ; mais le juste vivra par sa foi.[9]

2. Chap. ii, 5-20 : Malheur au peuple coupable !Orgueilleux et insatiable (ii, 5, 6a), avide de conquêtes (ii, 6b-8) et d’agrandissement (ii, 9-11), accablant les vaincus pour ses travaux (ii, 12-14), heureux d’humilier les peuples (ii, 15-17) et asservi à ses faux dieux (ii, 18-20).

5Et de plus le vin est perfide[10] ! L’homme arrogant ne subsistera pas, lui qui s’est fait un appétit large comme le schéol, qui, comme la mort, est insatiable ; il rassemble vers lui toutes les nations, et ramasse à lui tous les peuples. 6Est-ce que ceux-ci, eux tous, ne prononceront pas à son sujet des sentences, des fables et des énigmes à son adresse ? On dira : Malheur à qui amasse ce qui n’est pas à lui, – jusques à quand ? – à qui met sur soi un fardeau de gages[11] ! 7Tes créanciers[12] ne se lèveront-ils pas soudain, tes bourreaux ne se réveilleront-ils pas, et ne deviendras-tu pas leur proie ? 8Parce que tu as dépouillé beaucoup de nations, tous les peuples qui restent te dépouilleront, à cause du sang humain répandu, des violences faites à la terre, à la ville et à tous ses habitants.

9Malheur à qui amasse pour sa maison des gains iniques, afin de placer son nid bien haut[13], pour échapper à l’atteinte du malheur ! 10Tu as médité la honte de ta maison ; en détruisant beaucoup de peuples, tu as péché contre toi-même. 11Car la pierre criera de la muraille, et la poutre lui répondra de la charpente.

12Malheur à qui bâtit une ville dans le sang, et fonde une cité sur l’injustice ! 13N’est-ce pas, ceci, la volonté de Yahweh des armées : que les peuples[14] travaillent pour le feu, et que les nations se fatiguent pour le néant ? 14Car la terre sera remplie[15] de la connaissance de la gloire de Yahweh, comme les eaux recouvrent le fond de la mer.

15Malheur à qui fait boire son prochain,[16] à toi qui lui verses ta fureur jusqu’à l’enivrer, pour regarder sa nudité ! 16Tu t’es rassasié d’opprobre, au lieu de gloire ; bois, toi aussi, et montre ton incirconcision[17] ; la coupe de la droite de Yahweh se retournera sur toi ; l’ignominie couvrira ta gloire. 17Car la violence faite au Liban retombera sur toi, ainsi que la destruction des animaux frappés d’épouvante, à cause du sang humain répandu, des violences faites à la terre, à la ville et à tous ses habitants.[18]

18A quoi sert l’image taillée, pour que son auteur la taille, l’idole de fonte, et l’oracle de mensonge, pour que l’auteur de cet ouvrage se confie en lui, en façonnant des divinités silencieuses ? 19Malheur à qui dit au bois : “Lève-toi ! ““Réveille-toi ! “à la pierre muette.

Enseignera-t-elle ?…
Voici qu’elle est plaquée d’or et d’argent,
et il n’y a pas au dedans d’elle un souffle de vie.
20Mais Yahweh est dans son saint temple ;
tais-toi, devant lui, ô terre toute entière !


3. CHAP. III, 1-19 : PRIÈRE DU PROPHÈTE. - Titre (III, 1). Appel à la miséricorde divine (III, 2). L'intervention divine : Yahweh vient du Sinaï (iii, 3, 4) ; les fléaux à son service (iii, 5, 6) ; terreur des peuples (iii, 7, 8) ; trouble des éléments (iii, 9-11) ; il en veut aux nations en vue du salut de son peuple (iii, 12, 13) ; il frappe les chefs ennemis (iii, 14, 15) ; émotion du prophète (iii, 16) ; deuil de la nation (iii, 17, 18). Confiance et crainte (iii, 18, 19).

Prière d’Habacuc le prophète. Sur le mode dithyrambique.[19] 2Yahweh, j’ai entendu ce que tu as fait entendre, je suis saisi de crainte, Yahweh ! Ton œuvre, dans le cours des âges, fais-la vivre ; dans le cours des âges fais-la connaître ! Dans ta colère, souviens-toi d’avoir pitié.[20]

3Dieu vient de Théman[21], et le Saint de la montagne de Pharan (Séla). Sa majesté a couvert les cieux, et la terre a été remplie de sa gloire.[22] 4C’est un éclat comme la lumière du soleil levant ; des rayons[23] partent de ses mains ; là se cache sa puissance.

5Devant lui marche la mortalité, et la fièvre brûlante est sur ses pas. 6Il s’est arrêté et a fait trembler la terre, il a regardé et a secoué les nations ; les montagnes éternelles se sont brisées, les collines antiques se sont affaissées ; il suit ses voies d’autrefois[24].

7J’ai vu dans la détresse[25] les tentes de Cuschan ; les pavillons de la terre de Moab frémissent. 8Est-ce contre des fleuves que Yahweh s’est irrité ? Ou bien est-ce contre les fleuves que s’enflamme ta colère ; contre la mer que se déchaîne ta fureur, lorsque tu montes sur tes chevaux, sur tes chars de délivrance ?

9A nu ton arc se découvre ; tes traits sont les serments que tu as prononcés (Séla). En torrents tu fends la terre[26].

10Les montagnes t’ont vu et tremblent ; une trombe d’eau a passé ; l’abîme a fait entendre sa voix, il tend ses mains en haut. 11Le soleil et la lune sont restés dans leur demeure ; on marche à la clarté de tes flèches à la lueur des éclairs de ta lance.

12Tu parcours la terre avec fureur, tu foules les nations avec colère. 13Tu es sorti pour la délivrance de ton peuple ; pour la délivrance de ton Oint[27] ; tu as brisé le faîte de la maison du méchant, mettant à nu les fondements jusqu’en bas (Séla).

14Tu as percé de ses propres traits le chef de ses bandes, qui se précipitaient pour me disperser, en poussant des cris de joie[28], comme s’ils allaient dévorer le malheureux dans leur repaire. 15Tu foules la mer sous les pieds de tes chevaux, l’amas des grandes eaux.

16J’ai entendu, et mes entrailles se sont émues ; à cette voix mes lèvres frémissent, la carie entre dans mes os, mes genoux tremblent sous moi, de ce que je dois attendre en repos le jour de détresse ; où l’ennemi[29] montera contre un peuple pour l’opprimer.

17Car alors le figuier ne fleurira pas, il n’y aura rien à récolter dans les vignes ; le fruit de l’olivier manquera, et les champs ne donneront pas de nourriture ; la brebis disparaîtra de la bergerie, et il n’y aura plus de bœufs dans les étables.

18Et moi, je veux me réjouir en Yahweh, tressaillir de joie dans le Dieu de mon salut. 19Yahweh, le Seigneur, est ma force ; il rend mes pieds pareils à ceux des biches, et me fait marcher sur mes lieux élevés.[30]

Au chef des chantres, sur mes instruments à cordes.

  1. I, 4. Et la justice ne voit plus le jour ; m. à m., et la justice ne sort plus à jamais.
  2. 5-11. Les Chaldéens paraissent être les impies dont le prophète contemple les déprédations au cœur du pays.
  3. 9. Leur s regards avides se Portent en avant ; m.à m., l’avidité (sens douteux) de leur face est en avant.
  4. 12. Ô mon rocher, etc. Cette traduction n’est pas au-dessus de tout conteste.
  5. 14. Comme les reptiles… comme un vil peuple qui n’a aucune organisation.
  6. 16. Il sacrifie à son filet : il fait honneur de ses succès, non à Dieu, dont il est l’instrument, mais aux moyens qu’il a employés.
  7. II, 1. Mon poste : l’image est empruntée à la sentinelle qui se place sur un lieu élevé pour voir au loin.
  8. 2. Les tables de bois ou de pierre, où le peuple pourra lire la promesse et trouver un encouragement dans les jours d’épreuve.
  9. 4. Conte ni de l’oracle. l’orgueilleux (il s’agit surtout des Chaldéens), qui se confie en lui-même et rejette l’autorité de Dieu, n’est pas dans la voie droite et par conséquent périra. Mais le juste, l’Israélite qui, au milieu des épreuves, se sera attaché à Dieu avec une ferme assurance, vivra, et sera sauvé. M. à m., Voici, elle est enflée (terme douteux), son âme n’est pas droite en lui.
  10. 5. Et de plus le vin est perfide : membre de phrase dont le sens est ici difficile à saisir et qui est diversement rendu par les versions. Le reste du v.5 et la 1re partie du v. 6 forment le prélude du chant de menaces qui suit (6b — 20).
  11. 6. Un fardeau de gages : les biens extorqués aux nations, masse pesante de gages illicites.
  12. 7. Tes créanciers, nôschekéykâ, avec un jeu de mots sur la racine nâschak, mordre. D’autre traduisent, en effet, ceux qui te mordent.
  13. 9. Placer son nid bien haut, assurer son empire contre toute attaque.
  14. 13. Les peuples vaincus et condamnés par le Chaldéen au travail de ses grandioses constructions se seront fatigués en vain, car le jour viendra où l’incendie dévorera ces superbes édifices.
  15. 14. Car la terre sera un jour remplie. Il faut pour cela que Dieu commence par tirer vengeance des puissances terrestres opposées à son règne.
  16. 15. Qui fait boire. Image empruntée à l’état d’abjecte prostration d’un homme ivre, pour représenter la défaite et la honte d’une nation vaincue. — À toi qui lui verses ta fureur. Au lieu de la 2e pers., la Vulg. continue, à la 3e, envoyant son fiel et l’enivrant.
  17. 16. Et montre ton incirconcision (hé’ârét). LXX, et sois enivrée (chancelle, hêni’êl).
  18. 17. Au Liban. Le Chaldéen n’a pas seulement massacré les hommes et les peuples ; il a détruit aussi les plus belles œuvres de Dieu dans le monde physique, telles que les cèdres et les cyprès du Liban, qu’il abattait en masse pour construire des machines de guerre et des palais, ce qui entraînait la disparition des animaux sauvages, hôtes de ces forêts. — Ainsi que la destruction des animaux frappés d’épouvante ; LXX, et la destruction des animaux te sera cause de terreur.
  19. III, 1. Sur le mode dithyrambique ’al schigiô(-)nóth ; LXX, μετ’ ὡδης. Ils ont lu neginóth au lieu de schigionóth, sur les instruments à cordes.
  20. 2. Ton œuvre de jugement et de délivrance ; renouvelle bientôt les merveilles que tu as faites dans le passé. LXX : J’ai considéré tes œuvres, et j’ai été stupéfait ; tu te manifesteras au milieu de deux animaux (ils ont lu schenayîm deux, au lieu de schânîm, années ; et chayyôth, animaux, au lieu de chayyéhû, vivifie-le) ; quand les années seront proches, on le connaîtra ; quand les temps seront venus, tu apparaîtras.
  21. 3. Théman, ville et district de l’Idumée, et le mont Pharan sont dans le voisinage du Sinaï, théâtre des grandes manifestations divines, et au sud de la Palestine, d’où viennent les orages.
  22. 3-15. L’intervention de Dieu décrite sous la forme d’une grande théophanie.
  23. 4. Des rayons, propr. des cornes. — Là se cache sa puissance ; m à m., là est le voile de sa puissance.
  24. 6. Il suit ses voies d’autrefois, il renouvelle les prodiges qu’il a opérés jadis en faveur d’Israël.
  25. 7. J’ai vu dans la détresse. Traduction incertaine.
  26. 9. Tes traits, litt, ont été jurés par ta parole ; membre de phrase très obscur et probablement altéré. — En torrents tu fends la terre de la terre entrouvertes tu fais jaillir les torrents.
  27. 13. Ton Oint : le peuple élu, Israël ; ou bien encore, la royauté théocratique en général, y compris le Messie, le plus glorieux descendant de la dynastie élue. — En bas, traduction incertaine d’une locution difficile (jusqu’au cou).
  28. 14. En poussant des cris de joie etc. ; m. à m., dont l’exultation était comme s’ils allaient dévorer.
  29. 16. Où l’ennemi etc. D’autres : lequel doit se lever sur le peuple qui nous opprime (Van Hoonacker).
  30. 19b. Inscription analogue aux titres des psaumes. La Vulg. l’a, à tort, réunie à ce qui précède.