Bibliothèque Canadienne/Tome I/Numéro 1/Poésie

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Bibliothèque Canadienne/Tome I/Numéro 1
La Bibliothèque Canadienne, Tome I, Numéro 1, Texte établi par M Bibaud, éditeur et propriétaire, Imprimerie J. LaneVolume I, Numéro 1 (juin 1825) (p. 25-29).
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POÉSIE.


LE LEVER DU SOLEIL.


Déjà l’astre du jour s’est emparé du ciel ;
Il lance par faisceaux ses rayons sur la terre,
Et je découvre, à sa lumière,
Les prodiges sortis des mains de l’Éternel.
Mon âme élance-toi vers cette clarté pure ;
Des portes du matin admire la nature,
Et remplis-toi de son auteur.
Ah ! si nos yeux pouvaient, sans blesser leur paupière,
Approcher du soleil, contempler sa splendeur,
Et s’enfoncer dans sa lumière !
Ils ne verraient qu’un océan de feux
Qui ne rencontre aucuns rivages,
Que tourbillons brûlants, luttant sans cesse entr’eux,
Et dès la naissance des âges,
Embrasant les plaines des cieux.
La pierre se dissout, bouillonne avec furie,
Au sein de ses foyers ardents ;
La flamme roule par torrents,
La lumière par flots jaillit et tombe en pluie.
C’est aux clartés de tant de feux divins,
Que marchent les saisons, qu’agissent les humains.
Mais, grand Dieu, cet amas de lumière éternelle,
Qu’est-il devant tes yeux ? à peine une étincelle.
Ce disque dont tes mains ont arrondi les bords,
Dont jamais les feux ne s’épuisent,
Colore seulement la surface des corps
Où ses rayons se brisent.
Ton œil plus pénétrant perce leurs profondeurs ;
Réunit sur un point les déserts de l’espace ;
Il ne parcourt pas, il embrasse,
Et du même regard il sonde tous les cœurs.

LE MIERRE.


Tribut de Reconnaissance de Madame M * * * * aux Dames de Montréal.


Vous que du nom de sœurs je me plais à nommer,
Vous qu’on ne peut trop estimer,
Femmes honnêtes et charmantes,
Qui possédez si bien l’art de plaire et d’aimer,
J’ai trouvé parmi vous ces vertus consolantes
Qui doivent de mes maux adoucir la rigueur.
Ah ! que ne pouvez-vous lire au fond de mon cœur,
Vous y verriez le prix des âmes bienfaisantes.
C’est la franchise et la pitié
Qui forment votre caractère :
C’est à vos soins, c’est à votre air sincère
Qu’on reconnaît la parfaite amitié.
Oui, l’instant seul où je pus vous connaître
Dut me contraindre à vous aimer toujours.
Auprès de vous que les momens sont courts ;
Qu’on est fâché de les voir disparaître !
Montréal fut pour moi le plus beau des séjours.
J’y vis les jeux de l’innocence
Sans y voir les jeux du hazard ;
J’y vis l’esprit, la gaîté, la décence,
L’abondance sans luxe et la beauté sans fard.
J’y vis enfin cette heureuse harmonie
Qui veut que par un doux lien,
La société réunie
S’écarte de tout mal pour ne faire que bien.
Dans tel pays, la politesse
N’est qu’une fausse honnêteté,
C’est l’art d’offrir avec adresse
Ce qui jamais n’est accepté.
Dans tel autre trop de fierté
Fait rougir la délicatesse.
Et je ne trouve que chez vous
Cette sincère complaisance
Qui fit aimer l’ancienne France
Et rendit ses voisins jaloux.
Pour vous offrir un triple hommage,
Mon époux, mes enfans se sont unis à moi ;
Agréez-le, mes sœurs, c’est le triple langage
Du cœur, de l’innocence et de la bonne foi.


Si jamais pièce de vers a senti le jeune homme et l’écolier, c’est sans doute la suivante, et pour cause, puisque c’est l’œuvre d’un étudiant en belles-lettres. Est-elle digne d’être mise sous les yeux du public ? je l’ignore ; mais elle a pour moi le mérite de me rappeller et les plaisirs innocents du jeune âge et ceux de l’amitié. En l’insérant dans la Bibliothèque Canadienne, je demande pour l’auteur la même indulgence qu’il est prêt à accorder aux autres en pareil cas. Hanc veniam petimusque damusque vicissim.M.


Épitre à H. H. sur la Chasse.


Allons, tout est-il prêt, as-tu ce qu’il convient ?
Je suis si bien muni qu’il ne me manque rien.
C’est trop dire pourtant, car ma vue est si courte,
Qu’à peine de dix pas je puis voir une tourte[1]
Mais je sais à cela quel remède apporter ;
C’est une longue-vue, et je vais l’acheter.
L’un sur l’autre, pour lors, n’ayant nul avantage,
On verra qui des deux en fera davantage.
Le gibier dans nos bois commence à se montrer ;
Vite, point de lenteur, il faut le rencontrer :
La paresse jamais ne valut rien qui vaille.
Je me fais fort d’abattre et la grive et la caille.
Tu peux prendre sur toi de tuer l’étourneau :
je t’abandonne encor le merle et le perdreau.
Le milan, le vautour, et tout oiseau vorace
N’ont garde d’espérer que nous leur fassions grâce :
Ce sont des malfaiteurs, des ennemis cruels,
Des êtres abhorrés du reste des mortels :
Le meurtre, le carnage est leur plus grande joie ;
Tout être, s’il est faible, est sûr d’être leur proie,
Et de perdre la vie. Le gentil écureuil,
Dans mon sac, en tombant, trouvera son cercueil.
Mais pourquoi ? dira-t-on, il n’est point hommicide,
Et vouloir le tuer, c’est être bien perfide.
Non, mais il est voleur, il méprise les loix ;
Pour se remplir le ventre, il dérobe nos noix.
Comme tel, il mérite, à mon gré, la torture :
Nous le ferons passer par une mort moins dure.
Il aurait expiré sur un honteux gibet ;
Nous l’en délivrerons d’un seul coup de mousquet.
Il pourrait bien se faire, ô tendre bécassine,
Que malgré soi l’on vint enrichir la cuisine.
Mais ce sera bien pis dans la chaude saison,
Quand nous verrons venir les tourtes à foison,
En tourbillons épais passer par la campagne,
Et lasses de voler, gagner notre montagne ;

Dans les sentiers fangeux de la Pointe à Ménard,
Comme en un pays sûr séjourner le canard ;
La bécasse roder autour de nos fontaines,
Le lièvre, le lapin gambader dans nos plaines ;
Les timides perdrix errer sur nos côteaux,
Les pluviers abonder auprès de nos ruisseaux ;
L’allouette, en un mot, la sarcelle étrangère.
Nous attendre à la file au bord de la rivière.
Pour les petits oiseaux, j’en fais bien peu de cas ;
Les tuer sans raison, la chose ne va pas :
Ayant de tous côtés des ennemis à craindre,
Déjà par leur faiblesse ils sont assez à plaindre :
Je les trouve d’ailleurs et gentils et mignons ;
Pour tout dire en un mot, nous les épargnerons.
Mais si la grue à tort voulait entrer en guerre,
Son cou long de deux pieds ne lui servirait guère :
Ses ailes, son grand bec ne la sauveraient pas ;
Un seul coup suffirait pour la jetter à bas :
Elle verrait alors qu’elle était mal armée,
Qu’il ne s’agissait pas de combattre un pigmée.
De même le hibou, pour sa grande laideur,
Et parcequ’il n’est bon qu’à donner de la peur,
Recevrait sûrement au milieu de sa fale,
Ou bien sur sa caboche, une funeste balle.
Le butor, pour son cri propre à nous effrayer,
De la belle façon se verrait foudroyer.
La triste poule-d’eau qui prédit à la terre
L’orage, écraserait sous un coup de tonnerre.
Et puis ce sombre oiseau qu’on n’entend que de nuit,
Si je l’appercevais, serait bientôt détruit.
Enfin, tout oiseau sale et de mauvais augure,
Se verrait sur le champ déchirer la figure.
En voila bien assez, il est tems de finir :
Ce discours à la fin pourrait t’endormir.
J’oubliais cependant un être détestable,
Qu’avec grande raison l’on nomme enfant du diable.
Ah ! si ton mauvais sort, malheureux animal,
Te mettait devant moi, que tu finirais mal !
Oui, je te le proteste, une balle sifflante
Te percerait le front, bête sale et puante.
Tu n’auras pas de peine à te rendre, je croi :
Tu chéris pour le moins la chasse autant que moi,
Et de t’en voir privé te serait un supplice.
Il n’est point en effet de plus bel exercice :
Les plus fameux guerriers, en tems d’inaction,
En firent presque tous leur occupation.

Ismaël et Nemrod, ces anciens conquérants,
En firent leur métier dès leurs plus tendres ans.
Les payens ont jugé que la chasse était telle,
Qu’il n’était pour un dieu de passion plus belle :
Diane, dans les bois, courait après les cerfs ;
Apollon poursuivait les oiseaux dans les airs.

  1. Le Dictionnaire de l’Académie dit tourtre ; mais le Dictionnaire de Rimes par P. Richelet, dit tourte, oiseau, turtur, et le fait rimer avec courte, écourté, tourte, pâtisserie ; et cela me suffit.