Biographie, discours, conférences, etc. de l’Hon. Honoré Mercier/Biographie

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BIOGRAPHIE
DE
L’HON. M. MERCIER.

I


À la suite des élections provinciales de 1881, il semblait que le parti libéral fut irrémédiablement battu. Il avait été balayé dans toute la province et il ne comptait plus que quinze représentants à la Chambre. Les élections fédérales de 1882 allaient être, l’année suivante, un nouveau désastre. Que la fraude et la corruption eussent joué, dans ce prétendu triomphe des conservateurs, un rôle prépondérant, personne n’en doutait : mais qu’importait, hélas ! si elles devaient toujours triompher et si le peuple devait être perpétuellement trompé ?

Il y eut, à cette époque, un instant de découragement parmi les plus fidèles amis de notre cause ; et il est vrai de dire qu’on eût été découragé à moins. Depuis la funeste division des Canadiens-français en libéraux et en conservateurs, après la chute du ministère Lafontaine-Baldwin, trois fois déjà le parti libéral avait cru tenir dans ses mains les destinées de la province ; et trois fois il avait échoué, en 1858 avec le ministère Brown-Dorion, en 1862-64 avec les ministères McDonald-Sicotte et McDonald-Dorion, en 1879 avec le ministère Joly. Cette dernière fois, la défaite paraissait être sans appel. L’opinion commune était que les libéraux étaient battus pour vingt ou vingt-cinq ans. Ceux qui luttaient encore, ne luttaient plus que pour l’honneur et par fidélité au drapeau ; et c’est à peu près sans espoir qu’ils continuaient une lutte inégale. Alors, il s’est trouvé un homme qui, au lendemain de ces revers, n’a jamais voulu désespérer de son pays. Rassembler les éléments du parti libéral, en refaire une armée et la mener à la victoire, cela semblait une tâche impossible. M. Mercier a tenté cette tâche avec un dévouement absolu, mais aussi avec une confiance tenace. Cet homme politique, qui n’a encore fourni que la première partie de sa carrière, est de ceux qui savent vouloir, qui ont la conscience de leur force et qui ont le don de réussir. Il a accompli en quatre ans une œuvre qui, de l’aveu de tous, paraissait exiger un quart de siècle. Il a fait quelque chose de plus grand que de sauver son parti ; il a su identifier ce parti avec l’âme même de la province. Grâce à lui, les vaincus de 1879 et de 1881 ne sont pas seulement les vainqueurs d’aujourd’hui ; ils ne sont pas seulement la majorité, ils sont devenus la personnification de l’idée nationale.

Comment cette transformation s’est-elle opérée ? Les événements y ont sans doute eu leur part. Les extravagances et les abus de toute sorte du régime tory, et finalement le crime de Régina ont mis la patience du peuple à une trop rude épreuve. Il fallait que le sentiment public se fît jour et que le patriotisme canadien-français eût son explosion. Le rare mérite de M. Mercier est d’avoir prévu cette explosion et d’avoir compris, bien avant l’insurrection du Nord-Ouest et la barbare exécution de Riel, que pour régénérer la politique de ce pays, il fallait mettre de côté les traditions étroites de parti, faire appel à tous les hommes de bonne volonté et s’appuyer résolument sur le sentiment national.

Avant de retracer les phases diverses d’une carrière, dont l’unité éclate aujourd’hui à tous les yeux, il semble qu’on puisse la résumer en disant que M. Mercier a constamment obéi dans sa vie publique à deux idées qui, à vrai dire, n’en font qu’une. Auparavant, les échecs du parti libéral n’étaient point exempts de quelques fautes de tactique et de certaines erreurs de conduite, qu’il faut savoir reconnaître. M, Mercier était d’autant plus propre à réparer ces défauts et ces erreurs, que lui-même ne les avait pas partagées. Tel nous le trouverons, en 1862, partisan de la politique de conciliation avec le ministère Sicotte, en 1871 avec le parti national, en 1881, au moment des essais de coalition ; tel nous le retrouverons au mois de novembre 1885, à l’assemblée du Champ de Mars et tel il s’est montré au cours de cette merveilleuse campagne, pendant laquelle il a su, à force d’estime conquise et de confiance réfléchie, grouper autour de lui tous les patriotes, sans distinction de parti ni d’origine.

Deux idées, disons-nous, ont constamment guidé sa conduite. La première a été d’élargir sa politique et la base de son parti, de faire taire les divisions et d’ouvrir à tous un large terrain de conciliation ; la seconde de ses idées, la plus féconde peut-être, a été de conquérir l’âme du peuple, de ne pas se maintenir avec un groupe de politiciens distingués dans la sphère étroite de la doctrine, mais de pénétrer jusque dans les masses profondes de la nation, en un mot de ne pas se contenter de soutenir une juste cause, mais de la faire comprendre au pays et d’en faire, en même temps qu’une cause juste,une cause passionnante et populaire.

Personne n’était mieux doué que M. Mercier pour remplir ce grand rôle, nous dirions presque pour remplir cet apostolat, grâce auquel la face de la Province a été renouvelée et le vieux patriotisme a tressailli de nouveau dans les cœurs. Les derniers événements ont montré, de façon à surpasser l’attente même de ses amis, à quel point M. Mercier possède les éminentes qualités d’un chef politique : l’habileté, la décision, la clairvoyance, les larges horizons de l’homme d’état qui envisage au delà du succès du jour les nécessités du lendemain, la loyauté qui fait naître la confiance dans les cœurs et qui rend les alliance durables. Mais, ce que tout le monde avait vu et compris, dès le premier jour, c’est que M. Mercier était par essence un chef populaire.

Nul n’excelle autant que lui à s’adresser au peuple, à le convaincre et à l’électriser. D’autres ont pu y mettre plus de brio et provoquer des entraînements passagers ; M, Mercier ne se contente pas de séduire, il persuade ; il ne se borne point à paraître dans les comtés et à y recueillir des applaudissements ; après avoir triomphé sur les hustings par la chaleur pénétrante de sa parole et la mâle puissance de sa logique, il conquiert les esprits un à un, il discipline son parti et il organise la victoire. Bien des chefs politiques ont traîné derrière eux une suite nombreuse de partisans, toujours prêts à acclamer le soleil levant. Bien peu ont su, à l’égal de M. Mercier, grouper autour d’eux, dans la mauvaise fortune, un pareil nombre d’amitiés et provoquer, jusque dans les plus humbles chaumières, autant de dévouements désintéressés.

À contempler cette large nature, cette physionomie rayonnante de force, de franchise et de volonté, ce type si expressif qui paraît avoir conservé quelque chose de l’empreinte des médailles romaines, on sent à première vue qu’on a en face de soi une puissance. Quand on a pénétré de plus près, quand sous la rigidité apparente de l’orateur, on a été à même de reconnaître et d’apprécier la chaleur de l’âme, la spontanéité de la passion, l’affabilité du caractère, disons le mot, cette bonhomie véritable qui ne s’allie bien qu’avec la force, on n’est point surpris du prestige que M. Mercier a su acquérir auprès du peuple.

Et cependant, il y a, à cette communion intime entre lui et le cœur de la nation, une autre raison qui complète les heureux dons de sa nature. M, Mercier est avant tout et par-dessus tout canadien-français. C’est un enfant du pays dans toute la force du terme. Tous les sentiments généreux qui remuent l’âme de notre peuple ont un écho puissant dans la sienne. Le peuple l’a senti d’instinct et ne s’est pas trompé. Avant d’être un chef de parti, M. Mercier est un patriote.

Patriote, il l’était dès son entrée dans la vie publique, lorsqu’après avoir soutenu le ministère Sicotte, il préféra rompre avec une partie de ses amis plutôt que de les suivre dans la voie de l’alliance avec Brown que, à tort ou raison, il croyait funeste. Il l’était encore, à l’époque de la Confédération, lorsqu’au risque de heurter le sentiment de la grande majorité du public, il n’hésitait point à dénoncer, avec une clairvoyance trop pleinement justifiée par la suite, les embûches et les périls contenus dans l’acte fédéral. Patriote, il l’était encore, dans la plus haute acception du terme, pendant son court passage au Parlement Fédéral, lorsqu’en Canadien-français pénétré de l’étroite et nécessaire alliance de l’idée nationale de l’idée catholique, il prenait vigoureusement, contre Sir John A. Macdonald, la défense des écoles séparées du Nouveau-Brunswick.

Depuis cette époque, tous ses vœux ont tendu à la formation d’un parti national, et lorsque le crime de Régina est venu comme un coup de foudre réveiller les consciences, lorsqu’une illumination soudaine s’est faite dans les esprits trop longtemps égarés par une politique astucieuse et perfide, M. Mercier était naturellement désigné pour prendre en main la cause de la patrie et pour la faire triompher. Tous les maux qu’il s’agissait maintenant de réparer, ils les avait prévus et il avait essayé de les prévenir. La politique d’union qui pouvait seule assurer l’avenir, il l’avait constamment désirée et entrevue depuis plus de quinze ans comme une nécessité de salut national.


II


L’hon. Honoré Mercier est né à Iberville, en 1840, d’une famille de simples cultivateurs, originaires de la vieille France et établis depuis plusieurs générations dans le comté de Montmagny. Son père, qui n’était pas riche et qui avait à pourvoir aux besoins d’une nombreuse famille était un homme énergique et à l’esprit ouvert. À défaut d’un gros héritage, qu’il ne pouvait pas laisser à ses enfants, il s’était promis de les armer pour la lutte de la vie en les faisant participer aux bienfaits d’une éducation libérale ; et aucun sacrifice ne lui coûta pour remplir ce vœu, à l’exécution duquel nous devons aujourd’hui de posséder l’un des hommes qui honorent leur pays et qui laisseront un nom dans son histoire.

À l’âge de 14 ans, le jeune Mercier entra au collège des Jésuites, dans lequel il fit de brillantes études ; et depuis cette époque, il est toujours resté profondément dévoué à ses anciens professeurs. Parmi eux un bon vieux Français et un cœur délite, le Père Larcher, qui enseignait alors les éléments de grec et de latin l’a suivi avec affection dans sa carrière et lui a donné d’utiles conseils. M, Mercier aime à se rappeler ces commencements difficiles et à témoigner, toutes les fois qu’il en trouve l’occasion, le sentiment d’affectueuse reconnaissance qu’il a conservé à ceux qui furent les maîtres de son enfance et les premiers guides de sa jeunesse. Disons, tout de suite, que le chef du parti national a puisé, dans sa famille et dans l’enseignement du collège, des sentiments religieux qui sont plus tard devenus chez l’homme mûr des convictions réfléchies. Notre clergé ne l’ignore pas. Tout en s’inquiétant parfois du libéralisme politique et des alliances de M. Mercier, il a toujours compris qu’il avait à faire, en lui, à un catholique sincère, non-seulement à un catholique en théorie ou en paroles, mais à un catholique dans la pratique de la vie et dans la direction de sa famille.

Un prêtre distingué, qui est devenu depuis l’un de nos évêques, a dit un jour, avec raison, que «la cause de la religion et la cause de la nationalité ne pouvaient être placées en de meilleures mains qu’en celles de M. Mercier», et depuis lors, les événements ont justifié cette vérité que l’esprit de parti s’est trop souvent efforcé d’obscurcir.

À sa sortie du collège, M. Mercier entra, pour faire son droit, au bureau de MM. Laframboise et Papineau à Ste Hyacinthe, et fut admis à la pratique en 1865. Mais, déjà, trois ans auparavant, il était entré dans la vie politique, vers laquelle il se sentait irrésistiblement attiré. En 1862, à l’âge de 22 ans, il était rédacteur en chef du Courrier de St. Hyacinthe.

Nous vivions alors sous l’empire de l’Acte d’Union, et le Bas-Canada était représenté, dans le ministère commun, par le gouvernement Sicotte, un gouvernement libéral et modéré, qui s’était donné pour programme la conciliation entre les deux provinces et qui est parvenu, en effet, à mener à bonne fin une œuvre de pacification d’une importance capitale ; nous voulons parler de la loi des écoles séparées, dans le Haut-Canada.

Malheureusement, ce ministère était condamné à ne vivre que peu de temps. En face de l’état des esprits dans les deux provinces, la tâche qu’il avait entreprise était au-dessus des forces humaines. A la question des écoles et à la question toujours pendante de la représentation proportionnelle, il devait bientôt s’ajouter, avec la question du chemin de fer Intercolonial, une nouvelle source de difficultés. D’ailleurs, les efforts de M. Sicotte étaient mollement soutenus par le premier ministre, M. J, Sanfield Macdonald, qui avait besoin de ne pas se brouiller dans Ontario, avec le parti de Brown, et qui ne tarda pas à reconstituer son ministère, en remplaçant M. Sicotte par M. Dorion, et en abandonnant ouvertement le principe reconnu jusque-là, sous le nom de principe de la double majorité.

M. Mercier, qui avait soutenu dans le Courrier de St. Hyacinthe l’administration Sicotte, passa à l’opposition avec son chef. Mais lorsque, six mois plus tard, M. Sicotte eut la faiblesse de se laisser absorber, en acceptant des mains du gouvernement qu’il combattait, une place de juge, M. Mercier n’eut garde de le suivre dans cette nouvelle évolution. Il continua à faire partie avec Cartier et avec un groupe de libéraux modérés, de l’opposition, qu’il considérait alors comme une opposition nationale.

Ce fut l’époque des giands coups de plume, à St. Hyacinthe, entre le Courrier représenté par M. Mercier et le Journal représenté par M. R. E. Fontaine, un libéral ardent, qui devait se retrouver plus tard ami personnel et associé de son adversaire de 1863. Lors de la démission de M. Sicotte comme député, par suite de son élévation au banc, M. Mercier n’hésita pas à combattre la candidature ministérielle de M. Papineau, son ancien patron et le fit battre par M. Rémi Raymond. Cet état de guerre intestine dura jusqu’au mois d’août 1864, où vint le projet de Confédération.

M. Mercier qui avait soutenu Cartier dans son opposition contre le ministère MacDonald-Dorion, ne crut pas pouvoir le suivre dans son alliance avec Brown pour établir la Confédération. Patriote avant tout, mais patriote éclairé et prévoyant M. Mercier était convaincu que la Confédération serait mort de l’influence canadienne-française.

Pendant qu’un trop grand nombre de nos compatriotes se laissaient prendre aux ruses de Sir John A. Macdonald et au mirage décevant d’un grand empire britannique de l’Amérique du Nord, M. Mercier se refusait à voir autre chose dans la Confédération, qu’un expédient tory, imaginé en vue de la conservation du pouvoir ; et derrière cet expédient, il apercevait la pensée secrète de notre ennemi intraitable, le plan longuement médité par Sir John A. Macdonald de notre déchéance politique.

Cartier s’est aperçu plus tard qu’il n’avait vu ni aussi juste ni aussi loin et qu’il avait été dupe de Sir John ; et le regret de cette fatale méprise, dont il a consigné l’expression dans ses épanchements intimes, a empoisonné ses dernières années.

L’opinion de M. Mercier n’était en ce temps-là que celle d’une petite minorité ; il dut abandonner la rédaction du Courrier de St. Hyacinthe.

Mais, alors, on assista à un étrange spectacle, qui eut dû ouvrir les yeux des moins prévenus. Lorsque le projet de Confédération fut discuté, en 1865, une opposition, peu nombreuse mais vaillante, tenta par une série d’amendements de le rendre moins nuisible au Canada français et plus favorable aux droits des Provinces. Toutes les questions qui ont surgi depuis, d’une façon si fâcheuse pour nous, furent alors discutées par les libéraux. Ils demandèrent, avec M. Holton, que l’acte fédéral reconnût expressément la souveraineté des provinces et ne conférât au gouvernement central que des pouvoirs restreints et délégués. Ils protestèrent contre le mode de composition du Sénat, contre le principe de la nomination des lieutenants-gouverneurs par le gouvernement fédéral, contre le droit de veto sur les législatures provinciales, etc., etc. A chacune de ces attaques, Cartier répondait, en disant que l’acte fédéral constituait «un pacte sacré», et qu’on ne pouvait en changer une seule ligne sans provoquer une rupture avec les autres provinces.

Mais lorsqu’il eût fait repousser, à l’aide de cet argument, les amendements les plus raisonnables, il advint que la Nouvelle-Ecosse et le Nouveau-Brunswick refusèrent d’adopter pour leur part ce «pacte sacré». Il semblait que tout fût brisé, que la question fut appelée à revenir librement devant les chambres et que, le principe de la Confédération une fois admis et maintenu, on pût du moins se concerter de part et d’autre, pour lui apporter dans l’application toutes les améliorations désirables. Cette fois encore, les espérances des amis du pays et de la vraie liberté furent déçues.

M. Mercier était rentré, sur les entrefaites, au mois de janvier 1866, à la rédaction du Courrier de St Hyacinthe ; et il avait formé avec M. de la Bruère, M. Bernier, aujourd’hui surintendant de l’instruction publique au Manitoba, et M. Paul de Cazes, un syndicat qui acceptait pour programme, une fois la constitution votée, de lui donner fair play et d’en tirer le meilleur parti possible, à l’exemple de ce qu’avait fait Lafontaine, en 1840.

Quand survint l’opposition des provinces maritimes, le droit d’amendement redevenait ouvert de plein droit ; lorsqu’au mois de février 1866 la Minerve et quelques autres journaux commencèrent à répandre la rumeur que la question ne serait pas soumise de nouveau aux chambres et que Cartier consentait à remettre les difficultés à l’arbitrage impérial. Alors, les patriotes du Courrier de St. Hyacinthe publièrent un article, dans lequel ils déclaraient nettement que, si le principe de l’arbitrage était accepté, ils passeraient à l’opposition. La légende raconte même que l’article était dû à la plume de M. de la Bruère. Quinze jours plus tard, le nouveau malheur qu’on avait prévu se réalisa. Cartier proposa comme on l’avait annoncé, de soumettre les difficultés pendantes à l’arbitrage impérial. Il n’y avait plus, pour les patriotes, qu’à exécuter leur menace et à passer à l’opposition. Cette fois encore, ils furent unanimes ; et cette fois encore, M. de la Bruère rédigea l’article de rupture. Mais, sans doute, il eut dans la nuit quelqu’une de ces illuminations soudaines, que la grâce du gouvernement tory sait répandre sur le chemin des opposants, qui n’attendent qu’un sourire d’en haut, pour se convertir à la mauvaise cause triomphante.

Le lendemain matin, MM. de la Bruère et Bernier avaient changé d’avis et ils déclarèrent que décidément l’article ne paraîtrait pas. On sait que cette conversion opportune leur a valu depuis, dans les rangs conservateurs, quelques bonnes fortunes politiques. Mais il ne restait plus à MM. Mercier et de Cazes qu’à se retirer du Courrier de St. Hyacinthe, cette fois-ci définitivement. On se souvient que, depuis lors, dans l’afifaire de Riel, le journal de M. de la Bruère a été aussi souple et aussi humble, mais moins avisé que par le passé. Le 16 novembre, il a désavoué le meurtre de Riel ; mais huit jours après, il s’est désavoué lui-même, et il est retourné aux pendards.

À la suite de cette rupture, M. Mercier se retira pendant cinq ans de la vie politique, pour se dévouer exclusivement à l’exercice de sa profession ; et il ne reparut dans l’arène qu’en 1871, lors de

la formation du parti national.

III

On n’a point encore fait l’histoire de cette tentative généreuse et hardie, qui rappelle par tant de côtés l’union patriotique de 1886. Les limites de notre étude ne nous permettent point d’aborder aujourd’hui cette histoire dans ses détails.

En 1871 comme en 1885, l’attitude du gouvernement tory dans l’affaire des écoles séparées du Nouveau-Brunswick, avait comme plus tard l’inique exécution de Riel, séparé de Sir John A. Macdonald un certain nombre de conservateurs patriotes. Alors, comme aujourd’hui, les bons esprits étaient convaincus de la nécessité de mettre de côté les vieilles divisions de parti et de réunir tous les patriotes, libéraux ou conservateurs, pour appliquer ensemble le principe de la prédominance de l’intérêt provincial et canadien-français, sur les alliances hybrides, que détermine, au sein du parlement fédéral, une prétendue communauté de passions politiques. En d’autres termes, les promoteurs du mouvement national estimaient que, dans une Confédération sincèrement pratiquée, les députés sont avant tout les plénipotentiaires des provinces ; et qu’au lieu de se séparer en libéraux et conservateurs, il leur appartient de se grouper par provinces, pour la défense commune de leurs intérêts provinciaux et nationaux.

Le nouveau parti avait à sa tête, MM. Holton, Dorion, Loranger, Laframboise, Jette, Mercier, F. Cassidy et Béïque pour Montréal et MM. Joly, Langevin, le sénateur Pelletier, Shehyn, Thibaudeau, Guillaume Bresse et Letellier de Saint Just, pour le district de Québec ; il était représenté dans le journalisme par Messieurs L. O. David et C. Beausoleil ; et il avait adopté pour platforme, la protection douanière, l’autonomie des provinces, la décentralisation à tous les degrés, le scrutin secret, le renvoi des contestations électorales devant la justice, l’abolition du double mandat, la suppression du conseil législatif, l’économie dans les finances et la suppression des travaux du chemin de fer du Pacifique jusqu’à l’époque où les ressources du pays se seraient suffisamment accrues pour lui permettre d’achever cette grande œuvre sans se grever d’une dette ruineuse.

M. Mercier se donna corps et âme au parti national, dont la formation répondait au plus cher de ses rêves. Il se jeta immédiatement dans la lutte, à Bagot, où se présentait l’hon. F. Langelier ; et l’année suivante, aux élections générales de 1872, il fut lui-même élu, comme député fédéral, pour le comté de Rouville. En 1873, lors de la réunion du parlement, il prit une part active à la discussion de la question des écoles du Nouveau-Brunswick, et de concert avec M. Costigan, il défendit éloquemment le Père Michot, qui avait été saisi dans ses meubles et emprisonné pour dette, par les autorités du Nouveau-Bruswick, à la suite de son refus de payer la taxe des écoles protestantes.

Le gouvernement fut battu à une majorité de 35 voix, grâce au vote des Canadiens-Français appuyés par les gris d’Ontario. Mais, Sir John A. Macdonald refusa de se soumettre, sous prétexte de scrupules constitutionnels, et déclara en référer au gouvernement impérial. C’est alors qu’éclata le fameux scandale du Pacifique et que la scène politique fut encore une fois changée.

Ecrasé sous le poids de révélations accablantes, par la publication de la correspondance télégraphique de Sir Hugh Allan, le vieil orangiste eut recours, pour gagner du temps et pour échapper au jugement de la chambre, à tous les artifices que nous avons vus se reproduire ou se tenter depuis, à Québec, au profit du ministère pendard. Depuis le mois de mai jusqu’au mois d’août 1873, M. Mercier avait fait campagne, dans toute la province, avec MM. Dorion, Letellier de St-Just, Cauchon, le juge Jetté et François Langelier, dans le but de soulever le peuple contre les corrupteurs et de faire signer une requête au Gouverneur général, contre le projet hautement annoncé de prorogation des chambres.

On sait que Lord Dufferin ne crut pas devoir déférer à ce vœu, et que, le 13 août 1873, les chambres furent prorogées, le jour même de leur réunion. Mais elles se réunirent de nouveau au mois d’octobre et le 5 novembre suivant, à la suite de sept jours de débats Sir John A. Macdonald, renonçant à soutenir plus longtemps une lutte, dans laquelle il perdait chaque jour un lambeau de sa considération publique et privée, annonça enfin à la chambre qu’il venait de remettre sa démission entre les mains du Gouverneur général. Deux jours plus tard, le gouvernement Mackenzie était constitué ; et au bout de deux mois, il prononçait la dissolution de la chambre. (Janvier 1874).

Il y a des événements qu’il est bon de rappeler à ceux qui seraient tentés de les oublier, pour éviter que les mêmes fautes ne se répètent. Le principal tort du gouvernement Mackenzie fut de ne pas songer à la province de Québec et d’ignorer systématiquement le mouvement national. Depuis lors, nous n’avons cessé de souffrir de cette lamentable erreur, qui devait avoir pour conséquence, en 1878, de rejeter pour sept ans les Canadiens français allarmés et mécontents, dans les bras du parti tory, et finalement de nous livrer pieds et poings liés à l’orangisme.

Peut-être, à cette époque, le mouvement national était-il prématuré. Certains libéraux, étroits et exclusifs, avaient eu quelque peine à s’y prêter. Cependant, il avait obtenu assez de succès dans la population pour justifier la tentative de ses promoteurs et pour démontrer aux esprits clairvoyants que l’avenir était là.

C’est sous l’influence de ce mouvement que la province de Québec avait envoyé, en 1872, une majorité d’opposition au parlement d’Ottawa.

Qui sait combien d’affronts et de ruines on eût pu éviter, en persévérant dans la même voie. Malheureusement, la façon dont le ministère Mackenzie fut constitué nous rejeta dans l’ornière des vieilles divisions de parti. Nous en subissons encore la peine ; et il n’a fallu rien moins que le gibet de Régina et la loyale attitude de M. Blake, pour nous faire oublier notre déception de 1873.

Aux élections de 1874, la situation créée aux libéraux nationaux mettait M. Mercier, dans le comté de Rouville, en face d’un candidat exclusivement ministériel, et d’un candidat conservateur. M. Mercier ne voulut point exposer ce comté à passer entre les mains d’un tory, et pour assurer l’élection du candidat libéral, il préféra se désister en faveur de son concurrent, M. Cheval. En 1875, nous le retrouvons, dans le comté de Bagot, où il fait la campagne en faveur de M. Bourgeois, avec lequel il avait formé, en 1873, à St-Hyacinthe, une des plus fortes associations d’avocats que notre pays ait connues.

Peu de temps après, M. Bourgeois, qui avait été battu par M. Mousseau à une majorité de 42 voix, était appelé par le gouvernement libéral au siège de juge, qu’il occupe encore aujourd’hui avec une si haute distinction. C’est un fait intéressant à relever et bien justement flatteur pour le barreau de Saint-Hyacinthe, qu’il ait compté assez d’hommes éminents pour donner à notre banc, dans un espace de moins de quinze années, les juges Sicotte, Papineau, Laframboise, Chagnon et Bourgeois. Jamais, croyons-nous, on n’avait vu réunies dans un simple district rural autant de célébrités judiciaires.

En 1878, lors de la retraite de M. Delorme, député libéral, M. Mercier se présenta dans le comté de St-Hyacinthe, comme candidat au parlement fédéral. Il fut battu par M. Tellier, candidat conservateur, à une majorité de six voix. Mais l’année suivante, il devait prendre sur le même terrain une éclatante revanche et préluder, par son entrée dans le gouvernement provincial, à une nouvelle phase de sa vie publique.


IV


Lorsque l’hon. M. Joly eut l’heureuse idée d’appeler, au mois de mars 1879, M. Mercier à remplacer dans le poste de solliciteur général, le regrettable M. Bachand, le ministère libéral était déjà à mort. Ce ministère ne disposait pas d’une majorité assez nombreuse ; et surtout, il ne disposait pas d’une majorité assez solide pour survivre à la restauration de Sir John A. Macdonald, à Ottawa. Déjà les acquéreurs de consciences avaient ouvert l’encan, et sans doute ils connaissaient déjà les noms des cinq députés, des cinq traîtres, qui, pour la honte de notre pays, ne devaient pas tarder à contracter, avec l’agent d’affaires véreuses de M. Chapleau, un marché infâme. Sans doute, les ministères pressentaient eux-mêmes leur fin prochaine. Mais il leur convenait de mourir dignement, de combattre jusqu’au bout pour la bonne cause et de préparer, à tout le moins, les revanches de l’avenir. Pour accomplir cette tâche suprême, le ministère Joly avait besoin d’un rude et vaillant jouteur ; c’est pourquoi il jeta les yeux sur M. Mercier, qui n’hésita point à accepter ce poste de combat et qui fut élu, quelques jours après, à St-Hyacinthe, par une majorité de 304 voix.

Il faut avoir entendu M. Mercier dans la discussion de la question constitutionnelle. Il y a eu dans notre parlement des orateurs plus diserts, des hommes doués d’une imagination plus vive ou plus mobile et chez lesquels la parole s’échappait en flots plus abondants. Bien peu, croyons-nous, ont possédé à un degré égal le don de s’imposer à une assemblée.

Sans doute, M. Mercier ne possède ni la voix d’or ni l’élégance châtiée de M. Laurier. Il n’a point, comme M. Chapleau, ces longues périodes rythmées derrière lesquelles se dissimule l’incorrection ou la vulgarité du langage et dont la mélopée communique parfois à ceux qui l’écoutent l’illusion de la vraie et grande éloquence. L’éloquence de M. Mercier est toute faite de puissance continue, de ténacité, et de force logique. Elle ne vient point de la subtile et harmonieuse Athènes ; mais il semble qu’elle n’eût point déparé le Sénat romain, aux temps rudes et forts des harangues viriles qui appartenaient au génie sévère de la vieille république, et dont un Caton n’a point emporté avec lui le secret tout entier.

Il faut l’avoir entendu dans quelqu’un de ces beaux jours, où l’orateur se surpasse lui-même et se révèle tout entier. Il y a du commandement dans cette éloquence large, un peu lente et sonore qui broie un à un les arguments de l’adversaire, captive l’attention des auditeurs les plus indociles ou les plus prévenus, et maîtrise malgré elles les passions d’une assemblée hostile.

Après la chute du cabinet auquel il avait appartenu, M. Mercier songea un moment à se retirer de la vie publique. Non qu’il ait jamais désespéré de l’avenir, ni perdu confiance dans le peuple qui est le juge suprême des politiciens. Mais, peut-être, dans cette dernière tentative, à laquelle il venait de prendre une part tardive et impuissante, avait-il été appelé à constater une fois de plus le vice d’une conception politique, dans laquelle l’ancien parti libéral s’appuyait sur une base trop restreinte pour lutter efficacement contre la condition d’intérêts et de préjugés associés à la politique tory. Il y a, pour les âmes fortement trempées, des heures de lassitude, où sans désespérer du triomphe final de la vérité et de la justice, on s’irrite intérieurement de ne pouvoir faire tout ce que l’on voudrait pour assurer leur victoire, et de participer, malgré soi, dans des conditions défavorables, à un combat inégal.

M. Mercier, qui s’était établi au mois de mars 1881, à Montréal, où il était devenu l’associé de MM. Beausoleil et Martineau, annonça l’intention de ne pas se représenter aux élections générales de la même année. Mais, alors, il se produisit un spectacle inusité. Tout St. Hyacinthe s’émut à la nouvelle de sa retraite ; les deux partis s’unirent pour le solliciter de revenir sur sa détermination et de ne point priver la province des services d’un si vaillant et si vigoureux champion. On peut dire qu’en acceptant la candidature à laquelle il avait voulu renoncer d’abord, M. Mercier se rendit au désir unanime du corps électoral. Il fut réélu par acclamation.

C’est à peu près à la même époque que se place l’incident de la coalition, qui faillit un instant diviser le parti libéral. Les hommes éclairés des deux partis sentaient que l’ancienne organisation ne pouvait aboutir qu’à des luttes stériles. M. Chapleau hésitant, selon son invariable usage, entre la grande politique et la politique des tripotages financiers ou des spéculations louches, paraissait désirer sincèrement la coalition ; et selon son invariable usage, il finit par préférer la mauvaise voie. Tel il était alors, tel on l’a retrouvé lors de sa démission offerte avec fracas à l’heure du péril et retirée ensuite avec profit. Après lui, M. Mousseau reprit encore la même négociation ; mais il la reprit comme pouvait la reprendre un esprit vaniteux et brouillon, sans cesse occupé à la fois de dix projets contradictoires, et dont, le court et triste passage à la tête du gouvernement de notre province a ressemblé assez exactement aux ébats incohérents et désordonnés d’un hanneton dans un tambour.

Peut-être M. Mercier eut-il le tort de se prêter trop facilement aux ouvertures d’hommes politiques sans sérieux et sans bonne foi, et de croire, chez ses adversaires, à une probité d’intentions égale à la sienne. Il devait renouveler encore une fois cette erreur généreuse, lorsqu’à la veille de l’exécution de Riel, il supposait à M. Chapleau assez de patriotisme pour protester contre l’affront fait à sa province et à sa race et il lui offrait spontanément de servir, sous sa direction, la cause nationale.

Quoiqu’il en soit, les documents de l’affaire de la coalition ont été publiés. M. Boucher de la Bruère a même pris la peine de les reproduire, à mauvaise intention sans doute, au cours de la dernière lutte électorale, dans le Courrier de St. Hyacinthe. Pour tout lecteur de bonne foi, il a démontré, involontairement peut-être, mais clairement :

1º Que ce sont MM. Mousseau et Chapleau qui ont pris l’initiative des démarches vis-à-vis de M. Mercier ;

2º Que M. Mercier n’a accepté les pourparlers qu’après avoir posé des conditions, qui sont la preuve péremptoire de son désintéressement personnel et de son dévouement éclairé à la province et à son parti.

Dans cette circonstance, comme dans toutes les autres, M. Mercier a été fidèle à la même pensée, celle d’une politique large et compréhensible sur le terrain de la défense nationale et du salut de la province. Il n’a pas réussi, en ce temps-là.

Mais, si l’expérience a démontré qu’il avait trop compté sur la valeur morale d’un faux grand homme et d’un faux patriote, l’expérience a démontré, en même temps, que cette politique de conciliation, d’oubli des vieilles querelles et d’entente mutuelle sur le terrain national était la seule qui pût nous rendre forts.

C’est cette politique que le peuple Canadien-français a acclamée, sous une autre forme, à la réunion du Champ de Mars et dans toutes les assemblées qui ont eu lieu, depuis le 16 novembre 1885. C’est son esprit qui a triomphé aux élections du 14 octobre dernier. C’est elle qui gouverne aujourd’hui la province.


V


Au commencement de la session 1883, l’honorable M. Joly ayant abandonné la direction du parti libéral, M. Mercier fut reconnu, tout d’une voix, comme chef de l’opposition. C’est dans ce nouveau rôle qu’il a été appelé à déployer les grandes qualités qui l’ont placé, en si peu de temps, au premier rang parmi nos hommes d’Etat Canadiens-français. Dans le cours de ces trois années, il a montré successivement, ce que peut tenter pour le relèvement de son parti un chef habile et vaillant, appuyé sur une petite phalange disciplinée et fidèle, et ce qu’il peut accomplir, le jour où les circonstances lui ont mis en main une grande cause populaire à défendre et à faire triompher.

Dans la première partie de sa tâche, on peut dire que M. Mercier a soutenu une lutte héroïque. Avec une minorité réduite à quinze membres, il a tenu en échec trois gouvernements ; et s’il n’est point parvenu à vaincre les deux premiers par un vote, il les a du moins réduits à la fuite. M. Chapleau et M. Mousseau ont dû, l’un après l’autre, renoncer au combat et se reconnaître trop gravement atteints pour supporter plus longtemps les coups de ce rude adversaire.

Le lecteur n’attend pas de nous que nous retracions ici, les différentes phases de la mémorable campagne qui a précédé et suivi l’exécution de Riel. Tous ces faits sont encore présents à la mémoire de tous. Chacun se rappelle l’anxiété, la consternation, la stupeur qui saisirent le peuple canadien-français, lorsqu’après avoir espéré longtemps contre toute espérance, il apprit enfin que l’échafaud venait de se dresser à Régina. D’un bout à l’autre de la Province, ce fut une explosion spontanée de douleur et de colère.

Chacun sentit que la race canadienne-française avait reçu une blessure et une insulte ; et il sembla, un instant, que tous les partis dussent abdiquer et se confondre dans la douleur commune. Hélas ! la servilité de quelques politiciens en a décidé autrement ; et pendant plus d’un an, il nous a fallu assister à ce douloureux contraste d’un peuple unanime dans sa réprobation, pendant que ses mandataires élus et la plus grande partie des organes de la presse continuaient à vendre leur complicité à l’ennemi de notre race et à conspirer avec lui contre leur pays.

Dès avant le 16 novembre, M. Mercier avait été prêt à s’effacer devant un chef conservateur, si cela était nécessaire pour que la protestation de la province fût unanime et pour que tous les dissentiments politiques fussent oubliés, devant la nécessité de la défense commune. Mais, quand il fut établi que, parmi les chefs soi-disant conservateurs, on chercherait vainement l’âme d’un patriote, alors M. Mercier ne songea plus qu’à venger l’honneur du pays.

On l’a vu parcourir la province, pénétrer jusque dans les comtés, où depuis de longues années aucune parole indépendante n’avait été entendue, prendre la parole, en 1885 et en 1886, dans plus de cent soixante assemblées publiques, diriger partout la lutte, pacifier les différends, réveiller, quand il était besoin, les courages endormis, tenir pendant plus de douze mois tout un peuple en haleine, jusqu’au jour où son indignation serait appelée à se manifester légalement par un vote réparateur.

Les ennemis politiques de M. Mercier, il faut leur rendre cette justice, ne se sont jamais mépris sur la redoutable valeur de l’adversaire qu’ils avaient en face d’eux. Aussi, n’est-il point d’artifices ni de calomnies auxquels ils n’aient eu recours, pour tenter de détruire sa réputation ou de compromettre son caractère. Les éternels menteurs, qui ont érigé la fraude en système de gouvernement et qui disposaient, grâce au patronage des journaux, d’une dangereuse et abondante publicité, n’ont reculé devant rien pour perdre M. Mercier dans l’esprit du peuple. Ce politique modéré et conciliant, trop conciliant au dire de quelques uns de ses amis, qui dès le commencement de sa carrière, a adopté pour programme d’élargir son parti, a été représenté, comme le fougueux apôtre d’on ne sait quel radicalisme avancé, dont il n’existe point de représentant, dans notre pays.

Ce catholique convaincu a été signalé par les alliés de l’orangisme comme un dangereux ennemi de la religion. Cet homme d’État, auquel il n’eût fallu qu’un peu de faiblesse pour conquérir, depuis dix ans, des places et des honneurs et qui a préféré s’attacher à un parti vaincu a été dénoncé comme un ambitieux vulgaire, par ceux là même qui s’enrichissaient chaque jour de leurs trahisons ou de leur apostasie. Cet avocat de premier ordre, deux fois bâtonnier, et tout récemment élu bâtonnier général par un vote unanime, a sacrifié à la cause politique qu’il avait embrassée les bénéfices d’une carrière lucrative. Il a dévoué au pays ses efforts, ses veilles, les faibles ressources dont il disposait et ce chef d’un grand parti, qui est resté pauvre, a été accusé de vénalité !

Puis, quand ce flot de calomnies impuissantes est venu se briser contre le bon sens éclairé de l’opinion publique, quand un jury composé d’adversaires en a eu fait justice, quand on s’est aperçu que ces clameurs n’avaient pas ébranlé, un seul instant, la confiance et l’estime des bons citoyens, aloi-s on a tenté, d’abord par réticences, ensuite par commisération affectée, de mettre en doute la capacité politique de M. Mercier. «Ces pauvres libéraux n’arriveront jamais, disait-on : encore s’ils avaient un autre chef.»

Nous passons ici les commentaires, car nous nous figurons que ces philosophes dédaigneux et repus du parti de la corde doivent commencer aujourd’hui à changer de ton et de langage. Nous aurions d’ailleurs mauvaise grâce à nous plaindre d’eux. En surpassant, comme homme d’Etat, l’attente de ses plus chauds partisans et en se révélant à l’opinion publique dans un rôle nouveau, M. Mercier a d’autant plus grandi, dans la considération du pays, qu’on s’était efforcé de le rabaisser mal à propos. La calomnie tue quelquefois les faibles ; elle relève les forts.

La campagne de la dernière année ne réclamait point seulement les talents d’un vigoureux lutteur. Pour faire vivre une alliance politique, formée entre des hommes naguère profondément divisés, il faut à la fois beaucoup de tact, une prudence vigilante et une habileté unie à une loyauté parfaite. Personne n’ignore qu’au début de la lutte, la situation de M. Mercier vis-à-vis de certains conservateurs-nationaux était délicate. Dans son propre parti, il avait plus d’une résistance à vaincre, plus d’une susceptibilité défiante à ménager. Chose curieuse ! Cet homme dont on avait surtout chercher à contester le caractère, a séduit dès le premier jour ses anciens adversaires, par la loyale franchise de son attitude, par son invariable attention à ne promettre que ce qu’il pouvait tenir et à tenir toujours la parole donnée.

Il faut le dire hautement. Si beaucoup de difficultés, sur lesquelles nos adversaires comptaient, ont pu être évitées ; si l’union nationale s’est maintenue et fortifiée, pendant le cours de la lutte ; si, à la dernière heure, l’œuvre de la formation du ministère a paru si facile, c’est que M. Mercier avait su inspirer à ses amis et à ses alliés une confiance personnelle, qui ne s’est pas démentie un seul instant et que l’événement a justifiée.

C’est grâce à cette heureuse assemblage de qualités diverses, qu’il est parvenu à constituer, en deux jours un cabinet qui, de l’aveu même de ses ennemis, est le plus fort et le plus respectable que notre province ait possédé depuis la confédération

Il nous reste maintenant à le montrer sur un nouveau théâtre. Nous l’avons connu, tour à tour, chef d’opposition redoutable et homme d’action d’une incomparable vigueur. La province de Québec qui a à présent les yeux fixés sur lui, a la confiance justifiée de trouver en lui, dans la tâche nouvelle à laquelle les suffrages du pays viennent de l’appeler, l’homme du gouvernement qui saura rendre la victoire durable et réaliser, à la tête du pouvoir les espérances de tous les bons citoyens.