Biographie nationale de Belgique/Tome 3/CARACENA, don Luis de Benavides, Carillo y Toledo, marquis de Fromista, et DE

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CARACENA, don Luis de Benavides, Carillo y Toledo, marquis de Fromista, et DE



*CARACENA (don Luis de Benavides, Carillo y Toledo, marquis de Fromista, et DE), comte de Pinto, fils de don Juan de Benavides, marquis de Fromista, et de doña Ana de Carillo y Toledo, marquise héritière de Caracena. Il occupait, depuis huit ans, le poste de gouverneur et capitaine général de l’Etat de Milan lorsque, en 1656, Philippe IV le nomma gouverneur des armes aux Pays-Bas, sous les ordres de don Juan d’Autriche, son fils naturel (voir ce nom), qu’il venait de commettre au gouvernement général de ces provinces et du comté de Bourgogne; il avait déjà, pendant les quatre années qui précédèrent immédiatement la paix de Munster, servi aux Pays-Bas comme général de la cavalerie, après avoir rempli la même charge en Italie. Il arriva à Bruxelles, avec don Juan, le 11 mai, et prit une part notable aux événements militaires de cette année ainsi que de celles qui la suivirent. En 1658, Philippe IV rappela don Juan à Madrid, ayant résolu de le mettre à la tête de son armée de Portugal : il avait jeté les yeux, pour le remplacer dans ses États de Flandre, sur l’archiduc Sigismond, fils de l’archiduc Léopold d’Inspruck en de Claude de Médicis; en attendant que ce prince pût s’y rendre, il nomma, par provision, gouverneur de ces provinces le marquis de Caracena (6 novembre 1658). Celui-ci entra, le 1er mars 1659, dans l’exercice de sa nouvelle charge. Il ne voulut point de réception d’apparat à Bruxelles, comme il était d’usage d’en faire à chaque nouveau gouverneur : mais, quelques mois après, un fils lui étant né (16 août 1659), il accepta un don de douze mille florins que le magistrat de la capitale lui fit à cette occasion.

Les circonstances au milieu desquelles Caracena prenait l’administration des affaires rendaient sa tâche moins difficile que ne l’avait été celle de ses prédécesseurs. Des négociations étaient entamées, depuis quelque temps déjà, entre l’Espagne et la France, que la guerre avait toutes deux également épuisées : elles aboutirent, le 8 mai, à une suspension d’armes pour deux mois[1], qui fut prolongée à son expiration, et qui amena, le 7 novembre, la conclusion de la paix des Pyrénées[2]. Quoique cette paix fût, à bien des égards, désastreuse pour les Pays-Bas, la lassitude, le besoin du repos étaient si grands dans ces provinces qu’elle y fut accueillie avec joie; trois jours de fêtes et de réjouissances publiques en solennisèrent la proclamation à Bruxelles. Le rétablissement des Stuarts sur le trône d’Angleterre eut pour résultat, dans le même temps, la cessation de toutes hostilités entre le peuple de ce pays et les sujets du roi d’Espagne[3]; le prince de Ligne, général de la cavalerie, fut envoyé en ambassade extraordinaire à Charles II, pour le féliciter, et, le 24 novembre 1660, on publia, à Bruxelles et dans toute la Belgique, le renouvellement du traité conclu, trente années auparavant, par Philippe IV avec Charles Ier.

Au moment même où allait être signée la paix entre le 3 couronnes d’Espagne et de France, Caracena eut à réprimer, dans une des villes les plus considérables des Pays-Bas, une sédition qui avait pris des proportions alarmantes pour l’ordre public. Le magistrat d’Anvers était en possession de nommer des messagers jurés, à pied et à cheval, pour le transport des lettres à destination de la ville et des communes environnantes. Les doyens des métiers voulurent étendre ce droit, au préjudice des postes royales, jusqu’au transport des lettres destinées pour les Provinces-Unies ou expédiées de ces provinces. Ils excitèrent les messagers de la ville à poursuivre leur route jusqu’à Amsterdam, en établissant des relais de distance en distance; ils arrêtèrent les courriers de la poste qui se rendaient en Hollande ou qui en venaient, saisirent les paquets dont ceux-ci étaient porteurs, et firent déposer les lettres qui y étaient contenues au bureau des messagers. Le conseil de Brabant ayant condamné ces usurpations des doyens sur les droits des postes royales et leur ayant fait défense d’y donner suite (2 décembre 1658), ils s’opposèrent, par des voies de fait, à sa sentence, lorsqu’on voulut l’exécuter. Le conseil alors décréta d’ajournement personnel les doyens des trois chefs-métiers principaux et les deux messagers de la ville; tous cinq furent condamnés au bannissement, avec confiscation de leurs biens; trois autres personnes furent punies des mêmes peines (25 août 1659). Le jour où ces décrets de condamnation furent publiés, la multitude envahit la maison de ville et exigea que la publication en fût révoquée; elle maltraita le premier bourgmestre; elle accabla de coups le receveur communal; elle outragea plusieurs des membres du collége des échevins; elle ne s’en tint pas là, mais elle alla saccager la maison du bourgmestre (30 septembre). Quelques jours après, elle s’ameuta de nouveau et pilla deux maisons dont la rumeur publique désignait les propriétaires comme étant d’opinion qu’il fallait se soumettre aux arrêts du tribunal souverain de la province. Sur les représentations du conseil de Brabant et de l’avis du conseil d’État, des ministres et des généraux, le marquis de Caracena se détermina à employer la force pour faire respecter les décisions de l’autorité judiciaire. Le 17 octobre 1659, il s’approcha d’Anvers avec une partie de l’armée qui avait fait la campagne de l’année précédente, après avoir rendu public un manifeste où il déclarait qu’il ne se servait des troupes pour faire aucun acte d’hostilité contre les habitants ni exercer la moindre contrainte au préjudice de leurs priviléges; il était accompagné du duc d’Yorck, du duc de Glocester et du prince de Condé. Lorsqu’il se présenta devant la ville, les portes lui en furent ouvertes sans résistance; à peine était-il entré dans le château que le magistrat, au nom de la population tout entière, vint faire auprès de lui acte de soumission et d’obéissance; les doyens, à leur tour, lui demandèrent pardon des fautes qu’ils avaient commises, en l’assurant qu’ils étaient prêts à « révérer absolument » les sentences du 2 décembre 1658 et du 25 août 1659. Sur ces assurances, Caracena, le 23 octobre, signa une amnistie dont furent exceptés seulement les instigateurs de la sédition et les pillards; plus tard, six de ceux-ci ayant été condamnés par le conseil de Brabant et par l’auditeur de l’amirauté d’Anvers à être pendus, il fit grâce de la vie à trois d’entre eux. Les troupes qui étaient autour d’Anvers retournèrent dans leurs cantonnements le 26 et le 27 octobre. Cette affaire avait causé de grandes préoccupations à la cour de Madrid : Philippe IV, quand il sut comment elle s’était terminée, en témoigna sa satisfaction et sa gratitude au marquis de Caracena.

Une affaire d’une toute autre nature occupa dans le même temps le gouverneur des Pays-Bas. En 1654, une requête avait été présentée à Philippe IV, au nom d’un assez grand nombre d’habitants de ces provinces et du comté de Bourgogne, où l’on demandait que non-seulement les deux pays, mais encore les armées qui s’y trouvaient, fussent placés sous la protection de la vierge Marie et sous l’invocation de son immaculée Conception. Les évêques et le conseil privé furent entendus sur cette requête : entre les premiers, quelques-uns ne pensèrent pas qu’il convint d’y donner suite; mais la majorité fut d’un sentiment contraire, se fondant sur ce que l’invocation à la Conception de la Vierge était établie en Espagne et dans les États héréditaires de l’Empereur. L’archiduc Léopold et, après lui, don Juan d’Autriche appuyèrent à Madrid l’opinion de la majorité du corps épiscopal[4]. La cour d’Espagne, tant que la guerre avec la France et l’Angleterre dura, ne jugea pas à propos que quelque nouveauté se fît en cette matière[5]; mais, la paix conclue, elle n’y vit plus d’inconvénient. Le 28 novembre 1659, à la demande du marquis de Caracena, l’archevêque de Malines (André Creusen) fit aux trois états de Brabant la proposition de s’engager à défendre, aussi longtemps que l’Église ne définirait pas le contraire, l’immaculée Conception de la Vierge et son exemption de la tache du péché originel, en s’opposant, autant que cela serait en leur pouvoir, à ce qu’elles fussent attaquées de fait ou de paroles. Les états, d’un commun accord, non-seulement prirent l’engagement qu’on réclamait d’eux, mais résolurent d’en faire l’objet d’une manifestation solennelle le jour ne la fête de la Conception : l’archevêque, le duc d’Arschot et d’Arenberg et les bourgmestres des trois chefs-villes du duché furent à cet effet délégués par eux. Au jour fixé, les représentants des états, accompagnés des greffiers de ceux-ci et des conseillers pensionnaires de Bruxelles et d’Anvers, se rendirent à la chapelle royale du Saint-Rosaire, en l’église des Dominicains, où l’abbé de Parck célébra la messe, pendant laquelle le P. Fresneda, de la compagnie de Jésus, prédicateur du Roi, fit un sermon dont l’immaculée Conception était le sujet. La messe finie, l’archevêque, le duc d’Arschot, les bourgmestres, les pensionnaires et les greffiers se présentèrent devant l’autel : l’archevêque, au nom des trois états, prononça à haute voix la formule de l’engagement qu’ils avaient contracté. Le prince de Condé, le marquis et la marquise de Caracena, les principaux chefs de l’armée, les ministres, les dames les plus qualifiées de la cour assistaient à cette cérémonie.

L’archiduc Sigismond n’ayant point accepté le gouvernement des Pays-Bas, Caracena put se flatter un instant que son intérim serait de quelque durée. Cependant le comte de Fuensaldana, auquel il avait succédé dans le gouvernement des armes, aspirait à le remplacer à son tour dans le poste plus élevé qu’il occupait depuis le départ de don Juan d’Autriche. Fuensaldana avait pris part aux négociations de la paix des Pyrénées; Philippe IV l’avait ensuite nommé son ambassadeur extraordinaire en France, pour y conduire l’infantile Marie-Thérèse, destinée à épouser Louis XIV : il s’insinua dans les bonnes grâces de la jeune reine et du cardinal Mazarin, qui agirent à Madrid afin que la charge qu’il ambitionnait lui fut donnée. Philippe IV, en effet, lui conféra le gouvernement des Pays-Bas (17 août 1661), en dédommagement duquel il offrit À Caracena celui de la Galice, avec le commandement de l’armée royale dans cette province (7 août). Mais la providence ne voulut pas que Fuensaldana jouît d’une faveur qu’il avait obtenue par des intrigues : étant tombé malade à Cambrai, lorsqu’il s’était mis en chemin pour venir prendre possession de sa nouvelle dignité, il y mourut le 22 novembre 1661. Caracena resta donc à la tête des affaires dans les Pays-Bas, et cette situation il la conserva pendant trois années encore.

Aucun événement notable ne marqua la dernière période de son administration. Les Pays-Bas étaient en paix avec tous leurs voisins. Depuis le traité de Munster, d’excellentes relations existaient entre le ministère de Bruxelles et les états généraux des Provinces-Unies, et la convention du, 16 décembre 1661, qui régla définitivement le partage, entre ces provinces et le roi d’Espagne, des trois pays d’Outre-Meuse, rendit encore ces relations plus amicales. Le principal objet des soins de Caracena fut d’opérer des réductions dans l’armée, qui était pour les finances de la monarchie une charge accablante; il eut aussi, sur les ordres du Roi, à faire passer des troupes belges en Espagne; il y envoya (1660, 1663) plusieurs régiments wallons qui furent employés dans la guerre contre le Portugal, et dont la conduite justifia la réputation de bravoure que leur nation s’était acquise dans la Péninsule. L’état du port d’Ostende laissait beaucoup à désirer en ce temps-là; Caracena fit faire des ouvrages qu’il surveilla lui-même avec sollicitude, pour en faciliter l’entrée aux navires marchands et en défendre l’approche contre les flottes ennemies. Nous citerons encore, parmi les actes de son administration, les ordonnances du 3 mars 1660 et du 14 mars 1664, qui interdirent l’importation de toute espèce de draps et d’étoffes de laine.

En 1664, le Roi donna pour successeur à Caracena le marquis de Castelrodrigo (voir ce nom). Ce nouveau gouverneur arriva aux Pays-Bas au mois d’octobre. Le 21, après avoir, les jours précédents, reçu les compliments des principaux personnages du ministère, de l’armée, de la noblesse, ainsi que des députés envoyés par les provinces et les villes, Caracena quitta Bruxelles, se rendant à la cour d’Espagne par la France. Les Belges ne le virent pas partir sans regret. « Son épouse et lui — dit Van Loon — s’étaient rendus très-agréables par leurs manières aisées et populaires, qui leur avaient attiré une bienveillance générale ; » et cet historien cite, en preuve, l’accueil que, peu de temps avant leur départ, dans un voyage qu’ils faisaient en Flandre, ils avaient reçu à Gand, « où les magistrats et l’évêque leur avaient voulu marquer à l’envi leur tendresse et leur gratitude. » Nous ajouterons qu’ils n’avaient pas été moins fêtés à Bruges ; là on avait même, en leur honneur, transporté le saint sang à la cathédrale, lorsqu’ils y allèrent entendre la messe : ce que l’autorité municipale n’avait jamais permis auparavant. À Bruxelles, la bourgeoisie était très-sympathique au marquis et à la marquise, qui avaient l’attention, quand ils faisaient représenter au palais quelque comédie nouvelle ou danser un ballet d’un certain renom — ce qui alors était un événement — de convier à cette solennité les personnes marquantes de la ville. Caracena n’était pas aussi bien vu de plusieurs des chefs de la noblesse, et en particulier du prince de Ligne, avec lequel il eut des démêlés assez vifs.

Peu après son arrivée à la cour, Caracena fut chargé du commandement de l’armée d’Estremadure contre le Portugal ; il avait été appelé, en 1659, à faire partie du conseil d’État de la monarchie. À la fin de 1667, il vint à Madrid pour y passer quelque temps ; il y tomba malade et fut emporté en trois jours : il mourut le 6 janvier 1668. La reine régente Marie-Anne d’Autriche venait, au moment où il rendait le dernier soupir, de lui conférer la charge éminente de président du conseil suprême de Flandre. Il avait épousé Catherine Ponce de Léon, fille du duc d’Arcos, de laquelle il eut un fils, mort en bas âge, et deux filles : l’une qui épousa le duc d’Ossuna et l’autre le comte d’Altamira.

Gachard.

Relations véritables, gazette des Pays-Bas, années 1656, l659-1665, 1668. — Placcaerten ende ordonnantien van Brabandt, t. III et IV. — Berni, Titulos de Castilla. — Van Loon, Histoire métallique des Pays-Bas, t. II. — Moréri. — Mémoires du comte de Mérode d’Ongnies, avec notes du baron de Reiffenberg. — Documents inédits concernant l’histoire de la Belgique sous le règne de l’empereur Charles VI, t. 1er, introduction. — Alph. Wauters, Histoire de Bruxelles, t. II. — Vander Vynckt, Histoire chronologique des gouverneurs généraux des Pays-Bas (Ms. de la Bibliothèque royale). — Archives du royaume, fonds de la Secrétairerie d’État espagnole.


  1. Elle fut publiée à Bruxelles et dans les principales villes des Pays-Bas le 15 mai.
  2. La publication s’en fit, aux Pays-Bas, le 18 mars 1660.
  3. Déclaration du marquis de Caracena du 3 septembre 1660.
  4. Lettres de l’archiduc du 13 mars 1656 et de don Juan du 23 avril 1657.
  5. Lettre du Roi à don Juan, du 18 mars 1658.