Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/ABAILARD

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Ch. Winter
Texte établi par Michaud, A. Thoisnier Desplaces (Tome 1p. 10-19).

ABAILARD. Le plus illustre représentant de la philosophie scolastique au 12e siècle, l’adversaire de St. Bernard, le savant professeur qui compta parmi ses disciples un pape et une foule d’évêques, Abailard a traversé les siècles en héros de roman plutôt qu’en philosophe ; son nom inséparablement uni à celui d’Héloïse, s’est gravé dans la mémoire comme un symbole poétique de malheur et d’amour. La critique moderne a retrouvé les véritables titres de ce nom célèbre, et rétabli le caractère de sa gloire en fixant la place qui lui appartient dans l’histoire de la philosophie. ― Pierre Abailard naquit en 1079 à quelques lieues de Nantes, dans le bourg de Palais, dont Bérenger, son père, était seigneur. Dans un de ses écrits, Abailard nous a laissé des détails intéressants sur les occupations de sa jeunesse. « La nature, nous dit-il, m’avait donné, avec une caractère léger, une intelligence qui me rendit l’étude très-facile. Mon père, avant de ceindre l’épée, avait été instruit dans les lettres, et il voulut que tous ses enfants reçussent une éducation savante avant d’être formés au métier des armes. » Placé sous la direction de maîtres habiles, le jeune Abailard fit des progrès rapides ; ses succès accrurent son zèle, et il s’éprit pour l’étude d’une passion si profonde, qu’il voulut s’y livrer sans partage. Il abandonna à ses frères ses droits d’aînesse et d’héritage, « préférant, comme il le dit lui-même, les exercices de l’esprit et les triomphes de la logique aux trophées des batailles. » ― Les matériaux dont l’esprit humain disposait alors n’étaient pas nombreux ; les débris les plus importants de la civilisation antique n’avaient pas encore été retiré des ruines amoncelées par les barbares ; le travail de déblai commençait ; quelques éléments d’astronomie, de géométrie et d’arithmétique, un peu de grec, quelques poëtes latins, le Timée de Platon, traduit par Chalcidius, les parties de l’Orgamun d’Aristote, traduites et commentées par Boëce, les Analytiques, les Topiques et la Division de ce dernier, enfin l’Introduction de Porphyre, tels étaient, à peu de chose prés, les éléments de la connaissance au 12e siècle. Abailard eut bientôt épuisé le savoir de ses maîtres et de ses livres ; il s’était de bonne heure exercé dans la dialectique ; ce lui fut un arsenal où il puisa les moyens de satisfaire son goût inné pour la polémique et la dispute. Le noble clerc « n’avait fait qu’échanger les armes de la guerre contre celles de la logique ; » aussi porta-t-il dans les luttes de l’école la turbulence et la fougue des luttes féodales. Véritable chevalier errant de la philosophie, il s’en allait d’école en école, armé du syllogisme et du dilemme, brûlant de se signaler dans les tournois scolastiques, cherchant de tous côtés des rivaux à combattre et des erreurs à redresser. ― À vingt ans environ, il s’en vint à Paris, où sa réputation l’avait précédé. Guillaume de Champeaux, archidiacre de Notre-Dame, tenait alors l’école du cloître avec le plus grand succès. Il reçut avec distinction Abailard parmi ses disciples et lui donna même des marques particulières de bienveillance ; mais ce premier sentiment passa bien vite : son brillant élève lui devint bientôt insupportable. Abailard ne cherchait qu’à embarrasser son maître, lui soumettait ses doutes, proposait des objections, suscitait des discussions qu’il soutenait vivement et sans ménagement ; argumentant à outrance, réfutant, poussant son interlocuteur dans tous les coins de la logique, il lui arrivait souvent de rester maître du champ de bataille. ― La question des universaux était le sujet ordinaire de leurs disputes. Cette question fondamentale se retrouve sous des formes diverses à toutes les grandes époques de la philosophie : elle avait partagé l’antiquité en deux grandes écoles rivales : Platon et Aristote l’avaient résolu contradictoirement. Transmise au moyen âge par Porphyre et Boëce avec l’une et l’autre solution, elle fut pour l’esprit humain un nouveau point de départ vers une philosophie nouvelle. Le 11e siècle sut tirer des conséquences nouvelles du problème de Porphyre. Roscelin, l’un des premiers, professa que les universaux, c’est-à-dire les genres et les espèces, ne sont que des mots, et qu’il n’y a de réalité que dans les individus ; il allait jusqu’à dire que les parties d’une chose n’ont qu’un valeur verbale : voila le nominalisme. Ce système qui dérivait de la solution péripatéticienne, ne pouvait se concilier avec le dogme de la Trinité. L’Église le comprit, et se rapprocha aussitôt de la solution platonicienne, qui était

plus conforme aux principes du christianisme. St. Anselme soutint contre Roscelin que les genres et les espèces existent par eux-mêmes, que les individus identiquement semblables, ne diffèrent que par les accidents ; de plus, il attribua l’existence de pures abstractions, par exemple la couleur séparée du corps coloré : voilà le réalisme. Cette doctrine allait plus loin que Platon et aboutissait au panthéisme. Le nominalisme fut vaincu dans cette première rencontre. Roscelin fut condamné par le concile de Soissons, et le réalisme régna à peu près sans partage jusqu’à l’arrivée d’Abailard à Paris. Champeaux était le successeur de St. Anselme ; le réalisme avait reçu de lui un formule plus précise. Abailard, qui avait étudié sous Roscelin, s’était approprié ses opinions, mais en les dégageant des exagérations qui les avaient décriées. ― Encouragé par un premier succès, le jeune dialecticien de Palais aspira à devenir maître lui-même. Il quitta Paris et se rendit à Melun avec l’intention d’ouvrir une école. Champeaux s’efforça de faire échouer ce projet ; mais Abailard trouva à la cour de puissants protecteurs et obtint la permission d’enseigner. Dès ses premières leçons, sa voix fut couverte d’applaudissements. Peu de temps après, il transporta sa chaire à Corbeil, afin, dit-il, d’avoir l’ennemi sous la main et de lui donner de plus rudes assauts. Là encore sa réputation ne fit que s’accroître. Mais l’excès de travail avait altéré sa santé, il tomba malade et fut obligé d’aller respirer l’air natal. ― Il resta deux années en Bretagne. Pendant son absence, Guillaume de Champeaux avait quitté l’école de Notre-Dame pour se retirer à l’abbaye de Saint-Victor, où il tenait un cours public (1108). Abailard alla se replacer sous sa discipline pour apprendre la rhétorique. Après une trêve de courte durée, il renouvela ses attaques contre le réalisme, et pressa si vivement son adversaire, qu’il le força d’abord à modifier son système, puis à l’abandonner tout à fait. Les talents qu’Abailard avait déployés dans cette lutte et l’éclat de son triomphe exercèrent un tel prestige sur les esprits, que les plus fervents disciples de Champeaux désertèrent son cours ; et l’on vit le professeur qu’il avait mis à sa place dans le cloître descendre de sa chaire pour y faire monter le vainqueur. Ce dernier coup porta à son comble l’irritation de l’archidiacre ; il fit destituer son successeur, qui fut remplacer par un de ses adhérents. Abailard fut obligé de retourner à Melun pour quelques temps. À Paris, on murmurait contre Champeaux, qui crut devoir s’éloigner. À peine était-il parti, qu’Abailard vint établir son camp sur la montagne Ste-Geneviève, comme pour assiéger son usurpateur. Guillaume accourut pour délivrer son lieutenant ; mais sa présence mit en fuite ce qui pouvait rester d’étudiants dans le cloître ; il se vit réduit à fermer son école, et fut peu après nommé évêque de Châlons. ― Abailard se préparait à recueillir les fruits de sa victoire lorsqu’il fut rappelé en Bretagne par une lettre de Luce, sa mère chérie. Bérenger, son époux, avait pris l’habit ; elle se disposait à suivre son exemple et désirait embrasser son fils avant de se séparer du monde. Après la cérémonie, Abailard revint en France et se rendit à Laon pour étudier la théologie sous Anselme, qui passait pour le premier maître dans cette science. Il goûta peu ses leçons, et le témoignage qu’il avait du savoir et de la méthode de cet évêque est loin d’être avantageux. « Ce vieillard, nous dit-il, devait plutôt à la routine qu’à son génie sa grande réputation. Si vous alliez le consulter sur quelque difficulté, vous reveniez plus incertain qu’auparavant. Lorsqu’il allumait son feu, il remplissait se maison de fumée sans l’éclairer de lumière. » Aussi le disciple montrait-il peu d’assiduité. Il proposa un jour à ses compagnons d’expliquer, avec le secours d’un seul commentateur, tel passage difficile de l’Écriture qu’ils voudraient choisir. Ils acceptèrent, espérant jouir de sa confusion, et désignèrent Ézéchiel. Abailard tint parole. Son explication charme tous ceux qui l’entendirent, et il fut prié de la continuer. Il y consentit ; mais le bruit de ses succès déplut à Anselme, qui lui interdit son école, ne voulant pas, disait-il, prendre sous sa responsabilité les erreurs qui pouvaient échapper à son inexpérience. ― Loin d’arrêter l’essor du talent, la persécution le pousse à son but. Quelques jours après sa disgrâce, Abailard rentrait dans Paris et prenait possession de cette chaire du cloître, depuis longtemps l’objet de son ambition. Jusque-là le vainqueur de Champeaux n’avait guère fait que le polémique ; il avait combattu l’un par l’autre le nominalisme outré de Roscelin et le réalisme panthéiste du successeur de St. Anselme ; mais ce n’était pas assez que d’avoir réduit ses adversaires au silence : il ne pouvait assurer son triomphe et mériter le titre de chef d’école qu’en élevant sa critique à la hauteur d’un système. Cette tâche difficile, Abailard sut la remplir ; ce fut la seconde partie de son œuvre philosophique. Il y a six ans, on était réduit à des conjectures sur la dialectique d’Abailard et sur son argumentation contre les deux écoles qu’il combattit. Si nous pouvons aujourd’hui nous rendre un compte exact de ses opinions philosophiques, c’est à la belle publication de M. Cousin, c’est surtout à la savante introduction aux œuvres inédites d’Abailard que nous en sommes redevable ; le passage suivant donnera une idée nette des opinions et du caractère philosophique du péripatéticien de Palais : « Mais entre ces deux écoles qui réfutent et se détruisent réciproquement, quel système élèvera Abailard ? Un seul est possible encore. Si les universaux ne sont ni des choses ni des mots, il reste qu’ils soient des conceptions de l’esprit. C’est là toute leur réalité ; mais cette réalité est suffisante. Il n’existe que des individus, et nul de ces individus n’est en soi ni genre ni espèce ; mais ces individus ont en soi des ressemblance que l’esprit peut apercevoir, et ces ressemblances, considérées seules, et abstraction faite des différences, forment des choses plus ou moins compréhensives qu’on appelle des espèces et des genres. Les espèces et les genres sont donc des produits réels de l’esprit, ce ne sont ni des mots, quoique des mots les expriment, ni des choses en dehors ou en dedans des individus ; ce sont des conceptions. De là ce système intermédiaire qu’on a nommé le conceptualisme. Maintenant quelle est la valeur de cette solution ? Cette école a-t-elle un caractère qui lui soit propre ? On pourrait avancer que l’école fondé par Abailard est une branche nouvelle, un développement du nominalisme ; développement où les principes nominalistes, dégagés des extravagances qui le décriaient, ont pu reparaître à la lumière, se soutenir contre les principes de l’école opposé, et faire leur chemin à travers les siècles… Le conceptualisme en lui-même n’est pas autre chose qu’un nominalisme plus sage et moins conséquent. ― L’important d’une théorie s’établit par les applications qu’elle offre aux grands intérêts du moment. Abailard transporta la sienne dans la théologie ; la science par excellence à cette époque, et l’adapta à la démonstration des vérités de la foi. Dans cette carrière nouvelle, sa réputation s’accrut encore, son enseignement jeta un éclat extraordinaire, et les plus célèbres écoles de la France et de la chrétienté furent éclipsés par la sienne. De toutes parts on accourait pour l’entendre : « La Bretagne reculée, la Gascogne, l’Espagne, l’Allemagne, la suède, Rome elle-même lui envoyait ses disciples ; ni la profondeur des vallées, ni la hauteur des montagnes, ni la mer, ni les dangers, ni la longueur des chemins ne les arrêtaient. » Un concours immense se pressait à ses leçons. Les talents du professeur justifiaient pleinement sa grande renommée ; il possédait tout ce qu’il faut pour attacher, séduire, subjuguer un auditoire : des idées neuves et hardies, une méthode savante et simple, une rare netteté d’exposition, une argumentation vive, serrée et subtile, une élocution facile et brillante ; à tous ces avantages il joignait encore ceux que donnent la naissance, la jeunesse et la beauté : la nature l’avait investi d’une véritable souveraineté sur les esprits et les cœurs. Autour de sa chaire se pressait sans cesse un concours immense dont sa parole excitait l’admiration. Tout ce qui se sentait attiré par le désir de connaître se donnait rendez-vous à Paris ; cette ville commença dès lors à devenir la capitale des intelligences. « De cette célèbre école sortis un pape, dix-neuf cardinaux, plus de cinquante évêques ou archevêques de France, d’Angleterre et d’Allemagne[1]. » La jeunesse d’Abailard n’avait connu que les distractions et les plaisirs sévères de l’étude ; la voix des voluptés s’était vainement fait entendre, le bruit des luttes scolastiques l’avait étouffé et la panthère agile au poil maculé n’avait pu le détourner de la bonne voie ; à trente-neuf ans, il n’avait encore reposé sa tête que sur le chaste sein de la science. Sa sagesse triomphait avec orgueil ; il avait la richesse et le gloire, « lorsque la fortune lui offrit pour le trahir une occasion plus favorable ; qui devait le renverser des hauteurs de cette vertu sublime[2]. » Nous laisserons le philosophe raconter lui-même sa défaite : ― « Il existait à Paris un jeune fille nommée Héloïse, nièce du chanoine Fulbert, qui l’aimait tendrement et voulait qu’elle fût instruite dans toutes les sciences. Belle, elle avait encore plus d’esprit que de beauté ; son savoir lui avait acquis une haute renommée. Elle possédait toutes les qualités qui captivent un amant : je désirai lui plaire. Mon nom était célèbre ; j’étais jeune, beau et fortement persuadé que toute jeune fille que je jugerais digne de mon amour ne me refuserait pas son cœur. Je me disais : Héloïse aime la science ; je puis donc lui écrire, le papier lui dira bien de choses que ma bouche n’oserait pas prononcer. Enflammé d’amour, je cherchai l’occasion de me rapprocher d’elle, de la voir dans l’intimité, de la voir chaque jour et de la captiver par mes entretiens. Quelques-uns de mes amis engagèrent le chanoine à me prendre dans sa maison, qui touchait à celle où je faisais mes cours. Je prétextai que le soin des affaires domestiques nuisait à mes études. Le chanoine était avare, fier de sa nièce et de son savoir ; il se laissa prendre à l’appât du gain et à l’espoir de profiter de ma présence pour augmenter l’instruction d’Héloise ; il accepta. La jeune fille fut entièrement confié à ma direction, avec prière de lui donner tous les instants que me laissait l’école ; j’étais autorisé à la voir à toute heure du jour et de la nuit, et à la châtier sévèrement si je la trouvais négligente. ― Ce fut ainsi que Fulbert livra la tendre brebis au loup affamé. Ignorait-il donc qu’il me donnait pleine licence à mes désirs, en me fournissant l’occasion d’obtenir au besoin par les menaces et les coups ce qui serait refusé à mes prières ? Il se reposait sur l’innocence d’Héloïse et sur la renommée de ma sagesse ! Nous n’eûmes bientôt plus qu’un cœur. Nous recherchâmes la solitude qu’exige la science, et, loin de tous les regards, l’amour s’applaudissait de nos retraites studieuses. Les livres étaient ouverts devant nous, mais il y avait plus de paroles d’amour que de leçons de sagesse, plus de baisers que de maximes : mes mains revenaient plus souvent au sein d’Héloïse qu’à nos auteurs. Pour éloigner le soupçon, j’allai jusqu’à la frapper !… coups donnés par l’amour et non par la colère, par la tendresse et non par la haine, et plus doux mille fois que tous les baumes qui auraient pu les guérir. Que vous dirai-je ? Dans notre ardeur, nous passâmes par tous les degrés de l’amour ; toutes ses inventions furent mises en œuvre, aucun raffinement ne fut oublié. Ces joies, si nouvelles pour nous, nous les prolongions avec délices, et nous ne nous lassions jamais. Le plaisir me dominait tellement que je ne pouvais plus me livrer à la philosophie, ni donner mes soins à mon école. C’était pour moi un mortel ennui de me rendre à mes exercices. Je faisais mes leçons avec abandon et tiédeur : mon esprit ne produisait plus rien. Je ne parlais plus d’inspiration, mais de mémoire ; je me bornais à être l’écho des anciennes traditions, et s’il m’arrivait de composer des vers, c’étaient des chansons d’amour et non des axiomes de philosophie[3]. » ― La nation savante gémissait du changement qui s’était fait dans le maître ; nul n’en ignorant la cause : dans toute la ville, on ne parlait que des amours d’Héloïse et d’Abailard. Fulbert seul ne savait rien. À la fin, le bruit public parvint à ses oreilles : il sut tout. Qu’on se figure la colère du chanoine et la honte des amants à cette découverte ! Peu de temps après, Héloïse s’aperçut qu’elle était mère. Pour la soustraire aux mauvais traitements de son oncle, Abailard l’enleva, une nuit, et la conduisit en Bretagne chez sa sœur, où elle donna le jour à un fils qu’ils nommèrent Astrolabe. Fulbert était furieux. Abailard, touché de sa douleur, lui offrit d’épouser sa nièce, à condition que le mariage fût tenu secret. C’est qu’en effet, dans ce siècle, le mariage était considéré comme contraire à la dignité d’un philosophe, et incompatible avec le silence et les méditations solitaires qu’exige la science. Le chanoine consentit avec empressement et engagea sa foi. Mais Héloïse refusa d’acheter l’honneur en exposant la gloire de son amant ; les raisons qu’elle fit valoir pour le détourner de son projet sont admirables de dévouement et de tendresse. Abailard refusa d’accepter ce magnanime sacrifice. Héloïse le suivit avec tristesse à Paris. Après une nuit passée en prières dans une église, ils reçurent la bénédiction nuptiale en présence de quelques amis. Les époux se retirèrent séparément et ne se virent plus qu’à de rares intervalles et avec mystère, afin que personne ne pût soupçonner ce qui s’était fait. Mais Fulbert voulut que la réparation fût publique comme avait été l’offense ; et, au mépris de la foi promise, il s’empressa e tout divulguer. Héloïse indignée protesta hautement contres les bruits répandus par son oncle, et Abailard, craignant pour elle la violence de Fulbert, l’envoya au couvent des nonnes d’Argenteuil où elle avait été élevée ; elle y prit l’habit, à l’exception du voile. Le chanoine est ses parents, s’imaginant qu’il la mettait au couvent pour s’en débarrasser, forment aussitôt le projet de punir cette trahison. Ils gagnent un domestique ; s’introduisent dans la chambre d’Abailard pendant son sommeil, et exercent sur sa personne une vengeance sans nom. Deux des bourreaux furent arrêtés et mutilés de la même manière. ― Paris s’éveilla au bruit de ce tragique événement. Abailard, honteux de lui-même, résolut d’aller cacher son humiliation dans l’ombre d’un cloître. Avant de s’y enfermer, il ordonna à son épouse de prendre le voile à Argenteuil. Héloïse n’avait pas de vocation pour la vie monastique. Des amis, des parents, jaloux de conserver au monde sa jeunesse, sa beauté, ses talents, s’efforcèrent de l’effrayer par le peinture d’un interminable supplice ; ils n’obtinrent que des larmes, des sanglots, avec ces plaintes de Cornélie : Illustre époux ! ma couche n’était pas digne de toi ! quels droits avais-je sur une tête si haute ? Pouvais-je former ce nœuds impies, s’ils devaient faire ton malheur ? Reçois aujourd’hui l’expiation volontaire que je t’offre. Elle marcha en même temps vers l’autel et prit le voile des mains de l’évêque. ― Abailard entra à St-Denis. Avant la fin de sa convalescence, les clercs vinrent en foule le solliciter de reprendre ses cours et de consacrer à l’amour de Dieu des talents qui, jusque-là, n’avaient été pour lui qu’un instrument de gloire et de fortune. Les moines, dont il censurait sans ménagement la vie mondaine et les dérèglements, saisirent l’occasion de se débarrasser d’un témoin odieux, et joignirent leurs instances à celles de ses disciples. Il céda et alla s’installer dans une maison dépendante du couvent. Sa parole y attira une si grande foule de disciples, que le lieu ne suffisait pas à les loger, ni la terre à les nourrir. Il recommença à mêler dans son enseignement la philosophie à la religion. Ce fut alors qu’il composa pour ses élèves son Traité sur l’Unité et le Trinité en Dieu, sous le titre d’Introduction à la théologie. Dans cet ouvrage, Abailard appliquait à la démonstration du dogme fondamental des chrétiens des comparaisons tirées de l’ordre humain et philosophique. La Trinité, disait-il, ressemble au syllogisme, où trois propositions distinctes ne forment cependant qu’un seul et même raisonnement. Le livre produisit une vive impression et dut très-goûté de ses disciples, « qui prétendaient, assure-t-il, qu’il est inutile de parler pour n’être pas compris, qu’on ne peut croire que ce qu’on comprend, et qu’il est ridicule de voir un homme prêcher aux autres ce que ni lui ni ceux qu’il veut instruire ne peuvent comprendre. Le Seigneur ne se plaignait-il pas que des aveugles conduisent des aveugles ? » Mais il n’était pas prudent de vouloir expliquer les mystères. Ses ennemis, ceux dont il avait dépeuplé les écoles, l’accusèrent d’hérésie. À leur tête se signalaient par leur acharnement deux disciples de Champeaux et d’Anselme, Albéric et Lotulfe, qui gouvernaient les écoles de Reims. Il fut traduit devant un concile réuni à Soissons, en 1121, sous la présidence du légat apostolique. En entrant dans la ville, Abailard faillit être lapidé par le peuple, à qui on avait persuadé qu’il enseignait trois Dieux. Mais la crainte du danger ne le détourna pas du soin de sa défense. Chaque jours, avant les séances du concile, il expliquait publiquement le sens orthodoxe de ses écrits, et tous ceux qui l’écoutaient cédaient au pouvoir de son éloquence. Les accusateurs étaient fort embarrassés de leur rôle et ne savaient comment le convaincre. Le dernier jour, Geoffroi, le saint évêque de Chartres, exhorta les juges à la modération et demanda que l’accusé fût admis à se justifier. Les ennemis d’Abailard s’écrièrent qu’il y avait folie à vouloir le mettre aux prises avec la rhétorique d’une homme dont les arguments et les sophismes triompheraient du monde entier. Cet avis ayant prévalu, Abailard fut déclaré hérétique sabellien et condamné comme tel, sans qu’il lui fût permis de répondre ni de prononcer un seul mot pour sa défense. Amené en présence du concile, on lui lut sa sentence ; après quoi les évêques le forcèrent à jeter lui-même son livre au feu, et le livrèrent à l’abbé de St-Médard, qui l’emmena prisonnier à son couvent. Cette condamnation rigoureuse pouvait être juste au fond, car les opinions du professeur sur les universaux ne devaient pas facilement s’accorder avec le dogme de la Trinité ; mais les intrigues qui eurent lieu dans ce concile[4], et le mépris de toutes formes usitées, furent cause qu’elle fut généralement attribuée à la haine et à l’envie, et il semble que le légat lui-même ait partagé ce sentiment, puisque, peu de jours après, il permit à Abailard de retourner à St-Denis. ― Le repos n’était pas fait pour ce caractère inquiet, incapable de ménagement et de circonspection. À peine rentré dans le couvent, il recommença ses sorties contre les mœurs relâchées des moines. Un jour, il s’avise de soutenir, d’après Bède, que Denis l’aréopagite n’était point le fondateur de St-Denis : c’était s’attaquer à la fortune du monastère. Cette imprudence souleva contre lui un orage de menaces et d’injures ; les moines étaient d’autant plus furieux qu’il avait raison. Le chapitre s’assembla en toute hâte et décide que le coupable sera immédiatement envoyé au roi, avec prière de tirer vengeance d’un moine séditieux, qui attentait à la sûreté du royaume et à l’honneur de la couronne. Abailard n’attendit pas l’effet de ces menaces ; il profita de la nuit pour se sauver à Provins, sur les terres du compte de Champagne. Ce seigneur, touché des infortunes du pauvre philosophe, pria son abbé de lui permettre de vivre où il voudrait en se conformant à le règle monastique. L’abbé n’y voulut pas consentir. Suger, qui lui succéda, ne se montra pas plus accommodant. Abailard s’adressa alors au conseil du roi et en obtint ce qu’il désirait. ― Mécontent des hommes et fuyant leur société, il se confina dans une solitude entre Nogent et Troyes. Quelques personnes lui firent don d’un morceau de terre où il se construisit une espèce d’oratoire de chaume et de roseaux, qu’il dédia à la Trinité. Caché dans cette thébaïde, il espérait enfin y trouver le repos ; mais le repos n’est pas fait pour la gloire : Abailard l’éprouva. Se retraite ne fut pas plutôt découverte que la foule et le bruit remplirent le désert. Ses disciples, abandonnant les châteaux et les villes, accoururent auprès de lui, et se bâtirent des cabanes autour de la sienne. « Ils échangeaient avec joie pour des huttes leurs demeures somptueuses, pour des joncs et des herbes sauvages leurs mets délicats : » le plaisir de l’entendre leur tenait lieu de tout. Le nombre de ses auditeurs s’éleva en peu de temps à plus de 3,000. L’oratoire étant devenu trop petit, ils le rebâtirent plus grand et plus solide, et Abailard le nomma Paraclet, c’est-à-dire consolateur, en mémoire des consolations qu’il avait trouvées dans ce lieux. ― Il n’y fut pas longtemps tranquille. La célébrité du Paraclet portait ombrage à ses ennemis, parmi lesquels il désigne St. Bernard et St. Norbert. Non contents de diriger leurs attaques contre un traité de morale, le Scito te ipsum, qu’il venait de publier, ils dénoncèrent comme une hérésie le nom qu’il avait donné à son oratoire. Les bruits calomnieux qu’ils réussirent à accréditer sur sa foi et sur son genre de vie lui aliénèrent les puissances ecclésiastiques et séculières. Il tremblait à tout moment de se voir saisi comme hérétique et traînée devant des juges ; si quelque concile s’assemblait c’était pour sa condamnation. « Souvent, nous dit-il, je tombais dans un si profond désespoir, que je songeais à fuir les pays chrétiens pour chercher un refuge parmi les infidèles. » ― Comme il était tourmenté de ces cruelles angoisses, il apprit que les moines de St-Gildas de Ruys, prés de Vannes, l’avaient choisi pour leur abbé. Le monastère de Ruys était situé au fond de la Bretagne, dans un pays sauve, habité par des peuples barbares dont la langue lui était inconnue. Cette sombre perspective ne l’arrêta pas : il accepta sans balancer, voulant se dérober à tout prix aux vexations qui l’accablaient. Arrivé à St-Gildas, il trouve une maison livrée au pillage, et des moines sans mœurs et discipline. Le seigneur de la contrée profitait du désordre pour exercer sur le frères une autorité tyrannique et pour usurper leurs terres. Le seul remède efficaces à ces maux, c’était la réforme : Abailard résolut de l’introduire parmi ces moine déréglés ; mais cette tâche était au-dessus de son pouvoir et de ses forces ; le souvenir de ses faiblesses, et l’espoir qu’ils avaient peut-être conçu de trouver en lui un supérieur indulgent et facile, devaient affaiblir l’autorité morale dont il avait besoin pour gouverner des hommes ignorants et grossiers sur lesquels le savoir, l’éloquence et la gloire étaient sans influence[5]. Aux premières tentatives qu’il fit pour les soumettre à la règle qu’ils avaient fait vœu d’observer, ils répondirent par des torrents d’injures et par une résistance ouverte. Leur colère éclatait en toute occasion. Si l’insuffisance des ressources de la communauté lui ôtait les moyens de satisfaire à leurs besoins journaliers, ils se réjouissaient de ses embarras ; souvent, pour compromettre son administration et le forcer à relâcher la discipline, ils saccageaient la maison, faisaient main basse sur tout ce qu’ils pouvaient importer « pour nourrir leurs femmes, leurs fils et leurs filles. » Mais leu perversité ne lassait pas persévérance : entouré d’obstacles et de périls, il trouvait un puissant appui dans sa conscience, et des secours efficaces dans la ferveur de ses prières. « Là, dit-il, sur le rivage de l’Océan aux voix effrayantes, la terre manquant à ma fuite, je répétais souvent dans mes prières : Des extrémités de la terre j’ai crié vers vous, Seigneur, tandis que mon cœur était dans l’angoisse ! » ― Du sein de ces tribulations, sa pensée se détournait souvent vers le Paraclet, qu’il se reprochait d’avoir quitté. « Pour éviter des menaces, se disait-il, j’ai cherché un asile dans le danger. » Une grande consolation lui fut alors accordé : après onze ans de séparation, il revit Héloïse. La congrégation dont elle était prieure venait d’être expulsé d’Argenteuil par l’abbé de St-Denis. À cette nouvelle, Abailard se rendit au Paraclet pour y rassembler le troupeau dispersé. Lorsque les sœurs y furent installées, il leur fit donation de l’oratoire et de ses dépendances, et une bulle du page Innocent II à perpétuité. Abailard fit dès lors de fréquentes visites au Paraclet. Comme la communauté était fort pauvre, il venait l’aider de son éloquence, provoquant par ses prédications les dons des peuples voisins. « Quand il parlait, écrivait Héloïse, ceux qui jusqu’alors n’avaient eu des mains que pour prendre, et non pour donner, devenaient importuns et prodigues dans leurs libéralités. » Ces démarches, dirigées par un pur esprit de charité, ne trouvèrent pas grâce devant la médisance. On l’accusa de ne pouvoir supporter ni un jour, ni une heure, l’absence de la femme qu’il avait tant aimée. Indigné, il retourna à St-Gildas « se river à son tourment. » À toute heure, il lui fallait lutter contre la ruse et la violence de ses fils, et faire bonne garde pour échapper à leurs complots. Il était réduit à préparer lui-même sa nourriture. Ces atroces cénobites tentèrent un jour de se défaire de lui à l’autel en jetant du poison dans le calice. Ils apostaient des assassins sur les routes où il devait passer ; enfin, ils le menacèrent ouvertement du poignard et ne lui laissèrent pas d’autre alternative que la mort ou la fuite. ― Ce fut peu de temps avant de quitter St-Gildas qu’Abailard écrivit l’Historia calamitatum, triste et douloureuse confession, où il nous ouvre les secrets de son âme et le spectacle de ses peines. Cette lettre s’adressait à un ami malheureux qu’il désirait consoler en lui faisant le récit de ses propres infortunes. « Souvent, disait-il, l’exemple est plus puissant que la parole pour exciter ou pour calmer les passions humaines. » Trompés sans doute par le nudité de certains détails qui pourtant, au 12e siècle, n’excluaient ni la pureté des mœurs, ni la délicatesse des sentiments, quelques écrivains travestissent Abailard en un libertin éhonté qui se vante de ses prouesses amoureuses. Rien de plus faux que ce jugement. L’auteur de la Lettre à un ami ne pense pas à se vanter, mais à expier ses fautes par un aveu sincère et complet. C’est ainsi qu’avant lui, St. Augustin avait mis à nu ses erreurs et ses faiblesses. Abailard, Dant et Pétrarque n’ont fait que suivre cet exemple. Les confessions d’Abailard trahissent un homme aigri, remuant, passionné ; un sentiment d’orgueil et de supériorité intellectuelle y perce à travers une mélancolie profonde, comme le cri d’une âme humilié qui parfois se relève sous le châtiment que lui impose la volonté. ― La Lettre à un ami étant tombée par hasard entre les mains d’Héloïse, donna lieu à une correspondance célèbres entre ces deux amants. Les lettres d’Héloïse nous offrent la peinture fidèle et lamentable d’un amour exalté dans le dévouement, indomptable et irréparablement malheureux : ce sont des souvenirs voluptueux, des désirs insurmontables, des regrets amers, des larmes, des reproches, des révoltes, des murmures impies, des blasphèmes audacieux, puis une soumission timide, une obéissance sans bornes, des prières ; aucun trait n’est oublié à ce tableau du martyre d’un noble cœur. Abailard se montre plus calme et plus réservé dans l’expression de ses sentiments. Sous la triple influence de l’âge, du malheur et de la religion, son amour s’est élevé à une hauteur platonicienne et chrétienne. Une noble pensée remplit entièrement son âme ; c’est de sauver Héloïse du désespoir : toutes ses lettres sont dirigées vers ce but. Répandre sur ce cœur déchiré les consolations et les promesses de la religion, apaiser la tempête qu’y excite encore une passion mal étouffé, relever ce courage abattu par la souffrance, tel est l’unique soin qui le préoccupe. Par un ingénieux artifice, il parle à son épouse des dangers qui le menacent, afin de détourner sa pensée des plaisirs perdus sans retour ; il réclame ses prières et lui demande ensuite de reporter le salut de son âme ces vives sollicitudes qu’il lui inspire ; puis, appelant la science à son aide, il fait parler les philosophes, les Pères et les apôtres, et la convie à un amour plus pur et plus élevé, à un hymen impérissable dans un monde d’éternelles félicités. Les détracteurs d’Abailard s’autorisent cependant de cette correspondance pour le présenter comme un séducteur immoral, sans amour et sans cœurs. Ils se seront laissé prendre, sans doute, à cette froideur apparente, à cette résignation étudiée. Abailard était loin d’être aussi tranquille qu’il veut paraître ; mais il faisait taire ses douleurs, de crainte de réveiller celles d’Héloïse. Nous le demandons, dans ces ménagements délicats, dans cette sollicitude paternelle, dans cette constance pénible avec laquelle il soutient ce rôle de sage directeur, ne faut-il pas voir la marque certaine, éclatante, d’une affection aussi sincère et profonde, qu’elle était éclairée et bienfaisante ? ― Les renseignements nous manquant sur la dernière période de la vie d’Abailard. Seulement nous savons positivement, par le témoignage de Jean de Salisbury, son disciple, qu’en 1136, il enseignait à la montagne Ste-Geneviève avec une réputation prodigieuse. Fier de l’empire qu’il exerçait sur les esprits, il se livra avec plus d’audace à la liberté des ses pensées, et l’Église le vit avec stupeur porter dans les ténèbres mystérieuses du tabernacle le flambeau téméraire de la raison. « Cette philosophie circula rapidement ; elle passa en un instant la mer et les Alpes ; elle descendit dans tous les rangs. Les laïques se mirent à parler des choses saintes. Partout, non plus seulement dans les écoles, mais sur les place, dans les carrefours, grands et petits, hommes et femmes, discouraient sur les plus graves mystères[6]. » Le bruit de sa gloire réveilla ses ennemis ; il est vrai dire qu’Abailard s’exposait à découvert à leurs coups. En effet séduit par l’ambition de tout expliquer dans la foi, il la dénaturait pour l’éclaircir ; « il se mesla d’entrer si avant aux hauts secrets, qu’il y perdit le fonds[7]. » Sans son enseignement et dans la Théologie chrétienne qu’il venait de faire paraître, il reproduisait ses opinions déjà condamnées et renouvelait les controverses sur la plupart des grands problèmes dés longtemps résolus par l’Église ; il avançait que le Père est la toute puissance, le fils une certaine puissance, que le Saint-Esprit n’est point une puissance ; il comparait la Trinité chrétienne à celle de Platon, et considérait le Saint-Esprit comme l’âme du monde ; il attaquait la doctrine augustienne sur la grâce, en soutenant que le péché originel est moins un péché qu’une peine ; que la rédemption est un acte de pur amour, que Dieu avait voulu substituer la loi d’amour à celle de la crainte, et que l’homme peut faire le bien sans le renouvellement de la grâce. De touts côtés des catalogues d’hérésie se dressaient contre lui. Guillaume, abbé de St-Thierry, dénonça aux autorités ecclésiastiques, et particulièrement à St. Bernard, les deux traités de théologie avec le Sic et Non. Alors se leva contre Abailard le gardien vigilant de la foi, le vivant rempart de l’orthodoxie, « pour opposer à ce charme trompeur de la nouveauté la pierre sur laquelle nous sommes fondés, et l’autorité de nos traditions, où tous les siècles passés sont renfermés, et l’antiquité qui nous réunit à l’origine des choses[8]. » St. Bernard surveillait depuis longtemps d’un regard sévère les écrits du philosophe théologien ; plusieurs fois il l’avait averti de corriger ses erreurs, et Abailard, après s’y être engagé, avait plus tard refusé de le faire. Irrité enfin de tant de hardiesse, effrayé surtout de la faveur croissante qu’obtenaient ces doctrines téméraires, parées qu’elles étaient de toutes les séductions de la parole, l’abbé de Clairvaux rompit toute patience et résolut de ramener dans les voies de l’autorité universelle « cet astre errant qui se glorifiait dans ses routes nouvelles et écartées[9]. » En 1140, il lança contre Abailard l’accusation solennelle d’hérésie. Un concile se réunit aussitôt à Sens ; on vit arriver dans cette vile le roi Louis VII, suivi d’une foule de seigneurs curieux de voir et d’entendre cet homme « qui marchait d’un pied royal dans les sentiers évangéliques[10], » et dont le nom replissait de bruit la chrétienté. Abailard n’était pas sciemment hérétique ; il croyait fermement consolider la foi alors même qu’il en mimait les fondements. « Je renonce au titre de philosophe, écrivait-il à Héloïse, si je dois être en désaccord avec St. Paul ; je ne veux pas être un Aristote pour être séparé du Christ. » Plein du sentiment de ses forces et sincèrement convaincu de la grandeur de son entreprise et du mérite catholique de son œuvre, il se présente avec assurance devant ses juge, et demande le débat contradictoire avec son accusateur, se portant de faire éclater son orthodoxie. Mais St. Bernard n’eut garde d’entrer en lice avec un adversaire si bien exercé dans les escrimes dialectiques ; il se borna à soumettre au concile une liste de propositions erronées qu’il avait relevées dans les divers écrits d’Abailard ou dans son enseignement oral. Le philosophe insiste et veut commencer la dispute. Pour toute réponse, l’abbé de Clairvaux le somme de rétracter ses erreurs et soumettre sa raison à l’autorité. « Il lui dérobe la grâce de ses lèvres, » s’écrie Bérenger de Poitiers. Abailard, voyant que sa défense n’est pas libre, refuse de répondre aux questions qui lui sont adressées ; il ne rompt que le silence que pour en appeler au page, et quitte aussitôt l’assemblé. Ses erreurs furent unanimement condamnées. ― Il se mit en route pour Rome dans l’espoir d’y faire casser la sentence du concile. Mais St. Bernard « s’empressa de lui fermer les portes de la clémence. » Il écrivit à Innocent II : « Celui-là ne doit pas trouver de refuge près du siége de St-Pierre, qui attaque la foi de St. Pierre. » Il caractérisait ainsi les doctrines du théologien : « Sur la Trinité, c’est Arius ; sur la grâce, c’est Pélage ; sur la personne de Jésus-Christ, c’est Nestorius. » Puis il rattachait aux principes du philosophe les entreprises de son disciple Arnauld de Brescia, qui soulevait alors les villes d’Italie dans le dessein de réformer l’Église et de restaurer la république la liberté antiques. Les admirateurs sincères de St. Bernard pourront regretter que ce grand homme ait mis cette violence dans l’accomplissement de son devoir ; mais il est juste de reconnaître que, dans cette lutte, l’intérêt de la religion fut son seul mobile et qu’aucun sentiment personnelle dirigea sa conduite. La suite des événements fera voir que c’était la doctrine et non pas l’homme qu’il voulait atteindre. ― Abailard n’alla pas plus loin que Lyon : il apprit dans cette ville que le pape avait ratifié le jugement du concile, qu’il était en outre excommunié et condamné à une réclusion perpétuelle. À ce coup, ses forces et son courage se brisèrent. Chargé du nom d’hérétique dont il avait horreur, il chercha dans sa détresse un asile à Cluny, où l’abbé, Pierre le Vénérable, l’accueillit avec bonté. Par ses soins, Abailard se réconcilia avec St. Bernard, et obtint du pape avec son absolution, l’autorisation de passer dans l’abbaye le reste de ses jours. Il y vécut deux années dans des sentiments de pénitence, d’humilité, de piété, qui firent l’édification de cette communauté. « Ses lectures étaient assidues, sa prière incessante, son silence continuel, à moins qu’il ne fût interrogé par ses frères ou que les conférences du couvents sur les choses divines ne le forçassent de parler. Il s’approchait des sacrements aussi souvent qu’il lui était possible ; son esprit, sa bouche, sa conduite, méditaient, enseignaient des choses toujours divines, toujours philosophiques, toujours savantes[11]. » Mais le travail, le chagrin, les austérités minaient sans relâche sa santé ; il s’affaiblissait visiblement. Pierre, alarmé, l’envoya au prieuré de St-Marcel, sur les bords de la Saône, espérant que la beauté de ce climat ralentirait les progrès du mal. Ses forces s’étant en effet ranimées un moment, il revint aussitôt à ses études, ne laissant passer aucun instant sans prier, lire, écrire ou dicter, Enfin l’âme acheva de détruire le corps, et la mort le trouva, non endormi, mais veillant et préparé, le 2 avril 1142. Il avait 63 ans. Pierre le Vénérable, fidèle exécuteur de ses dernières volontés, envoya ses restes au Paraclet, où ils furent enterrés par les pieux et tendres soins d’Héloïse. ― On lit dans la chronique du chanoine de St-Martin de Tours : « Héloïse, à sa dernière heure, ordonna que son corps fût déposé, après sa mort, dans le tombeau de son époux. Sa volonté fut exécutée. Mais quand le cercueil fut ouvert, Abailard, qui était mort longues années auparavant, étendit les bras vers elle pour la recevoir, et les referma dans cet embrassement ; » expression poétique et naïve du prestige qu’exerçait encore sur les imaginations le souvenir de cet amour merveilleux dont la puissance ranimait la cendre refroidie d’un tombeau fermé depuis plus de vingt ans. ― Pierre Abailard fut le véritable fondateur de la philosophie scolastique et le plus beau génie du 12e siècle. C’est à tort qu’on l’a présenté comme un artisan de paroles vides et sonores, comme un disputeur sans conviction, soutenant le pour et le contre, sans autre but que de faire briller son esprit. Non, le philosophe qui suivit sans dévier la voie périlleuse qu’il s’était tracée lui-même, qui puisa dans sa conscience ferme la force de braver d’incessantes persécutions, et qui souffrit toute sa vie par dévouement à ses principes, n’a pas joué le rôle des sophistes grec. Ce que nous connaissons de son caractère et de ses écrits nous autorise à affirmer qu’il pratiqua la contradiction comme un devoir, et ne céda qu’au désir d’éclairer ses semblables. Enrôlé sous la bannière d’Aristote, il se montra fidèle à cette belle devise du disciple de Platon : Amicus Socrates, amicus Platon, magis amica veritas. Qu’Abailard ait sacrifié quelquefois, surtout dans sa jeunesse, au goût de son siècle pour les disputes frivoles et vaines, pour les finesses et les subtilités de la logique, c’est ce que personne ne saurait nier ; mais il est juste d’ajouter que l’ensemble de son œuvre porte un caractère sérieux, utile et durable, et qu’il vérifie particulièrement ce mot de Leibnitz, qu’il y a beaucoup d’or dans ce fumier de la scolastique. Le 17e et le 18e siècle ont parlé avec un profond mépris des travaux philosophiques du moyen âge ; notre siècle, qui les connaît mieux, en a entrepris la réhabilitation. Un critique habile et savant, M. Leroux, définit la scolastique « l’effort puissant d’hommes neufs et appelés aux travaux de l’intelligence, et concevant toute chose sous un autre aspect et dans une autre forme que leurs prédécesseurs. » Il dit encore : « Dans les éloges accordés de nos jours à quelques illustres scolastiques, il n’y a qu’une tardive réparation d’honneur faite à des noms oubliés pendant plusieurs siècles. Ce qu’il est permis d’affirmer aujourd’hui, c’est que jamais l’école philosophique française n’a été plus grande qu’au moyen âge, c’est que jamais elle n’a été plus féconde[12]. » Voici comment M. Gerbert apprécie le mérite de ces mêmes travaux : « Le génie moderne s’est préparé lentement dans le gymnase de la scolastique du moyen âge. Si cette première éducation lui a communiqué une disposition à une sorte de rigorisme logique qui gène la jouissance et la liberté des mouvements, il a contracté aussi, sous cette rude discipline, des habitudes sévères de raison, un tact admirable pour l’ordonnance et l’économie des idées, une supériorité de méthode dont les grandes productions des trois derniers siècles portent particulièrement l’empreinte[13]. Dans la dialectique, Abailard surpassa de bonne heure tous ses rivaux et régna sans partage sur cette partie de la science ; il en étendit le domaine et la portée, il en perfectionna la méthode et y introduisit plus d’ordre et de clarté. Il résuma les travaux de ses prédécesseurs et les concilia en produisant une explication nouvelle. Ce premier but atteint, il entreprit d’incorporer la dialectique à la théologie et de constituer la philosophie du dogme. L’évolution philosophique qui commence avec J. Scot, Érigène et Bérenger de Tours eut en lui sa phase de croissance, et il fut l’un de plus ardents promoteurs de ce mouvement d’émancipation intellectuelle qui devait produire la réforme et les écoles rationalistes. Ses ouvrages, aujourd’hui mieux connus, ont été jugés dignes de fixer l’attention de tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’esprit humain et aux travaux qui en ont favorisé le progrès : on y trouvera, par mi des raisonnements étroits et mal fondés, parmi des minuties et des toiles d’araignées[14], on y trouvera des conceptions fécondes et hardes, des aperçus profond, le germe et l’ébauche de plusieurs systèmes modernes, et l’on reconnaîtra facilement qu’ils n’ont pas été inutiles à des écrits plus récents, derrière lesquels ils sont maintenant éclipsés. Nous citerons à l’appui le Sic et non, le Oui et le non, récemment retrouvé par M. Cousin dans la bibliothèque d’Avranches. Cet écrit n’est, comme l’indique son titre, qu’un recueil d’autorités contradictoires concernant les points principaux du dogme. Quel est le but de cet échafaudage ? L’auteur nous l’apprend dans le préambule, où sa doctrine et sa méthode théologiques sont nettement exposées en quelques lignes. Les Écritures, dit-il, ne s’accordent pas toujours entre elles, ni les Pères entre eux : selon St. Jean et St. Matthieu, par exemple le Seigneur a été crucifié à six heures ; selon St. Marc, il l’a été à trois heures. En présence de ces témoignages discordants, que faut-il faire pour éviter l’erreur ? Douter ; la clef de la sagesse ; c’est le doute ; le doute amène l’examen, et l’examen, la vérité. C’est la vérité qui nous dit : cherchez et vous trouvera, frappez et l’on vous ouvrira. Du doute théologique d’Abailard au doute méthodique de Descartes et à la liberté d’examen, la route est facile. Le philosophe du 12e siècle se proposait d’accorder la raison et la foi ; celui du 17e, la raison e la science ; tous deux pour but de secouer le joug de l’erreur et de la routine « Abailard a essayé, dit M. Cousin, de se rendre compte de la seule chose que l’on pût étudier de son temps, la théologie ; Descartes sut se rendre compte de ce qu’il était permis d’étudier du sien, l’homme et la nature. Celui-ci n’a reconnu d’autre autorité que celle de la raison ; celui-là a entrepris de transporter la raison dans l’autorité. Tout deux ils doutent et ils cherchent ; ils veulent comprendre le plus possible, et ne se reposent que dans l’évidence La méthode d’Abailard imprima à la marche des études une grande et salutaire impulsion ; l’influence de son école se fit sentir longtemps après lui. Deux siècles plus tard, un poète sublime, qui était en même temps un théologien profond, écrivait, au retour d’un pèlerinage scientifique, à l’université de Paris :

Che non men’ saper, dubbiar m’aggrada.
Il me plaît de douter non moins que de savoir.

L’aristote du 12e siècle se montra digne du surnom d’universel que lui décernèrent ses contemporains ; les lettres ne lui furent pas moins redevable que la philosophie, et il mérite de prendre place parmi les premiers restaurateurs du goût. Abailard s’appliqua à rendre au latin cette clarté, cette simplicité élégante et facile dont la tradition était perdu depuis longtemps ; ses lettres, travaillées comme une composition littéraire, selon l’usage du temps, attestent un jugement supérieur, une science profonde la vie et du cœur humain ; la pensée y revêt fréquemment les images et les couleurs de la poésie ; Abailard y cite souvent les Pères, les poètes et les philosophes de l’antiquité, et applique justement leurs pensées. L’Historia calamitatum est un modèle d’éloquence ; l’écrivain y saisit avec bonheur tous les tons qui conviennent à son sujet : l’expression est animée, brillante et pittoresque lorsqu’il peint l’ardeur présomptueuse et les passes d’armes dialectiques de sa jeunesse ; tendre et voluptueuse dans le récit de ses amours ; triste, amère et forte après la catastrophe qui ouvre l’histoire de ses malheurs. On sait qu’il cultiva avec succès la poésie ; mais le temps ne nous a pas apporté un seul vers de ces chanson d’amour qu’il composait en se jouant, et dont les fraîches images et les grâces musicales s’imprimaient d’elles-mêmes dans la mémoire des ignorants ; elles sont aussi perdues ces riantes mélodiques qui trouvaient des échos dans toutes les bouches amoureuses, et portaient dans les contrées lointaines l’aimable nom d’Héloïse. ― La France ne possède pas encore une édition complète des œuvres de Pierre Abailard. Le conseiller d’État François d’Amboise a donné sous ce titre : Petri Abælardi et Héloïse, conjugis ejus, Opera, nunc primum edila es Mss. codd. Francisci Amboesi, Paris, 1616, un volume in-4o qui contient toute l’histoire des rapports d’Abailard avec Héloïse, le commentaire sur l’épître de St. Paul aux Romains et l’Introduction à la théologie. L’Hexameron in Genesim et la Theologia christiana se trouvent dans le Thesaurus novus anecdotorum, de Martène et Durand, t. 5. L’Ethica, seu liber : Scito te ipsum, a été imprimé dans le Thesaurus anecdotorum novissimus de B. Pex, 1721, t. 3. D. Gervaise donna, en 1720 la vie de Pierre Abailard et celle d’Héloïse son épouse, 2 vol. in-12 ; et, en 1723, une traduction ou plutôt une paraphrase de leur correspondance sous le titre ed Véritables Lettres d’Abailard et d’Héloïse, avec le texte latin en regard, 2 vol. in-12. Parmi les nombreuses traductions de ces lettres, on doit distinguer celle de 1782, 2 vol. in-12 par Bastien, avec le texte en regard. Le libraire Fournier a donné, en 1796, une très belle éditions des Lettres d’Héloïse et d’Abailard, avec la paraphrase de D. Gervaise et une nouvelle vie de ces célèbres amants par M. Delaulnaye, 3 vol. in-8o. Beauchamp a traduit ces lettres en vers français. On recherche l’édition latine de ces lettre publiée par les soins de Richard Rawlinson, Londres, 1714, in-8o, et Oxford, 1728. On a publié en anglais, une histoire d’Héloïse et d’Abailard sous ce titre : The History of lives of Abailard and Héloïse, with theirs original letters, Birmingham, 1781 ; Bâle, 1795. On trouve dans les Archives littéraires de l’Europe, t. 8 (1805), p. 338-362, une vie d’Abailard, d’après celle qui a été composé en anglais par Jos. Burington, et traduite en allemand par Hahnemann, Leipsick, 1799, in-8o. Deux allemands se sont aussi occupés d’Abailard et d’Héloïse. Tessler a publié, à Berlin, un ouvrage intitulé : Abalard und Héloïsa, 1806, 2 vol. in-8o. L’historien Schlosser a fait paraître l’année suivante, à Gotha un vol. in-8o intitulé : Abalard un Dulcin, Leben un Meinuugen e. sckwärmers u. e. Philosophen. Il s’est principalement attaché à développer les opinions philosophiques et religieuses d’Abailard, et, pour mieux faire connaître son esprit, il a traduit l’Hexameron in Genesim. Il serait à désirer que le savant biographe eut comparé les systèmes et la doctrine d’Abailard avec ceux de ses contemporains ; mais il s’est contenté de les rapprocher des idées de Platon. On ne lira pas sans intérêt l’article que M. de Gérando lui a consacré dans son Histoire comparée des systèmes de philosophie, 2e édit., t. 4, p. 399-408, même après les laborieuses recherches des bénédictins dans l’Histoire littéraire de la France, t. 9, et dans celle de St. Bernard et de Pierre le Vénérable (par D. Clémencet). M. Turlot a publié : Abailard et Héloïse, avec un aperçu du 12e siècle, comparé sous tous les rapports avec le siècle actuel, et un vue de Paris tel qu’il était alors, 1 vol. in-8o Paris, 1822. M. de Longchamps a publié en 1823 : Ancienne Héloïse, manuscrit nouvellement retrouvé des lettres inédites d’Abailard et d’Héloïse, avec des notes historiques par A. de Puyberland, 2 vol. in-8o. M. Villenave, notre collaborateur, a publié en 1834 : Abélard et Héloïse, leurs amours, leurs malheurs, leurs ouvrages, 1 vol. in-8o, extrait de plusieurs articles insérés dans la France littéraire. M. Rheinwald a publié à Berlin, en 1831, le Dialogus inter philosophum judæum et christianum. Il a paru à Paris, en 1840, une nouvelle traduction des lettres d’Abailard et d’Héloïse, d’après les Mag. de la bibliothèque royale par M. et Mme Guizot, 2 vol. in-8o, avec ou sans le texte, édition illustrée. Enfin nous devons aux savantes investigations de M. V. Cousin : Ouvrages inédits d’Abailard pour servir à l’histoire de la philosophie scolastique en France ; Paris, imprimerie royale, 1836, in-4o. Ce volume, d’une haute importance philosophique, contient ; 1° une remarquable introduction, par M. V. Cousin ; 2° le Sic et non, dont nous avons déjà parlé ; 3° la Dialectique, divisé en cinq parties, dont la première traite des éléments ou parties de la proposition, la seconde, des propositions simples, dites propositions catégoriques, et des syllogismes qui en dérivent ; la troisième, des lieux communs ou principes de toute argumentation ; la quatrième, des propositions et syllogismes hypothétiques ; la cinquième, de la division et de la définition. « Nous pouvons affirmer, dit M. cousin, que cet ouvrage, jusqu’alors inconnu, contient un monument de dialectique d’une vaste étendue, parfaitement ordonné, composé avec le plus grand soin, qui peut représenter à nos yeux les autres écrits d’Abailard sur les mêmes matières, et qui nous donne une idée exacte et complète de ses idées et de ses travaux dialectiques. » 4° Un fragment sur les genres et les espèces. « Nous le publions en entier, avec la conviction que nous ne possédons rien de plus important sur la philosophie de cette époque, et qu’une fois mis en lumière et livré aux historiens de la philosophie, ce fragment sera désormais la pièce la plus intéressante, dans le siècle d’Abailard[15]. » 5° Des fragments de gloses sur l’Introduction de Porphyre, sur les Catégories et sur le traité de l’Interprétation d’Aristote, et sur les Topiques de Boëce. C. W-r.


  1. Guizot
  2. Hist. calamit.
  3. Hist. calamit.
  4. On en peut lire le détail dans D. Gerval
  5. Héloïse lui écrivait : « Vous semez devant des pourceaux les perles de votre éloquence »
  6. Michelet, histoire de France, t. 2
  7. Bertrand d’Argentré, Histoire de la Bretagne
  8. Bossuet
  9. Bossuet
  10. Bérenger de Poitiers
  11. Lettre de Pierre le Vénérable à Héloïse
  12. Encyclopédie nouvelle, art. Scolastique
  13. Coup d’œil sur la controverse chrétienne
  14. Bacon, de Augmentis
  15. Cousin