Bodin - Le Roman de l’avenir/Introduction

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Lecointe et Pougin (p. 33-58).

INTRODUCTION.

Prudens futuri temporis exitum, etc,

La divinité a prudemment agi en plongeant l’avenir dans une nuit impénétrable.


Audax omnia perpeti
Gens humana, etc.

Hardie à tout oser, la race humaine se précipite dans ce qui lui est défendu.

Horace. Odes

INTRODUCTION


Quoi donc ! une introduction après une préface ! N’y a-t-il pas là double emploi ? — Pardon, s’il vous plaît. La préface est quelque chose d’empesé, de collet monté, de grave, d’ennuyeux, que les auteurs se croient parfois obligés d’adresser à une portion très-exigeante du public, pour son édification ou pour l’acquit de leur conscience et le soulagement de leur modestie.

C’est ordinairement dans une préface qu’on dit : Voilà le sujet que j’ai traité ; je vous le montre du point de vue le plus culminant ; je l’envisage sous tous ses aspects : vous voyez bien que je le comprends mieux que personne, et que jusqu’à présent on n’y avait rien aperçu de semblable. On y dit encore quelquefois : Il est clair qu’il ne tiendrait qu’à moi de faire beaucoup mieux ; je n’ai pas embrassé tout le sujet, uniquement parce que cela ne m’a pas convenu ainsi. Nous verrons plus tard, si le public accueille ce ballon d’essai comme il le mérite. Enfin, on y dit beaucoup d’autres choses aussi impertinentes. Je conçois donc parfaitement l’immense quantité de personnes qui ne lisent point les préfaces.

Quant aux introductions (je ne parle que de celles des romans), c’est toute autre chose. L’introduction fait presque partie intégrante du roman, comme la maison du concierge fait partie du château. L’auteur s’y montre ordinairement sous des formes agréables et engageantes. Il s’y présente comme l’obligeant cicerone, qui doit vous conduire dans le bâtiment, et vous en expliquer les merveilles.

C’est donc dans l’introduction qu’il faut que je dise comment le roman de l’Avenir a pu être fait humainement. J’accomplirai en même temps le devoir de tout auteur consciencieux envers la classe la plus aimable et la plus nombreuse des lecteurs de romans, qui veut y trouver d’abord toute l’apparence de la réalité.

Pour inspirer ici une confiance égale à celle que de très-grandes dames accordent souvent aux oracles de mainte tireuse de cartes, de mainte sibylle en vogue, on pourrait ou imaginer, comme à l’ordinaire, quelque manuscrit bien poudreux trouvé au fond d’un monastère grec, ou bien supposer quelque vieil astrologue à grande barbe, vivant parmi les hibous et les orfraies au sommet d’une antique tour en ruines. Le récit détaillé et longuement dialogué des circonstances qui auraient fait connaître ce personnage à l’auteur ou à l’éditeur ; la description minutieuse de sa mine, de sa taille et de son costume, jointe à celle de l’antique castel, et même des bois, rochers, landes, ravins et torrens circonvoisins, y compris toutes les échappées de vue, plus encore celle de beaucoup d’autres personnages subalternes ; enfin l’entrevue mêlée d’incidens, d’interruptions, de parenthèses et de certaines insinuations mystérieuses : tout cela pourrait s’étendre aisément au point de former une introduction qui remplirait au moins un demi-volume, suivant l’usage d’illustres devanciers.

Mais le respect de l’auteur, ou pour mieux dire, du modeste metteur en œuvre qui publie ce livre ; son respect, dis-je, pour les lecteurs scrupuleux, l’oblige à avouer que la source à laquelle il a puisé cette véridique histoire future, n’est pas tout à-fait si romantique, mais n’en est pas moins digne de confiance.

Il est possible que peu de personnes se rappellent un des réfugiés italiens de 1820, nommé Fabio Mummio, qui se trouvait à Londres en 1823 et 1827, époques auxquelles je l’y ai connu. Je m’empresse de dire, pour obtenir plus de crédit auprès des lecteurs d’outre-Manche (si tant est que cet ouvrage traverse jamais le détroit) que ce modeste savant, qui portait tout simplement le nom de Mummio, n’était rien moins que il signor Marchese di Foscanotte, de l’illustre maison de Mommj.

S’il se bornait à ne porter que son nom dans le pays du monde où les titres produisent le plus foudroyant effet sur les imaginations, c’est par une raison que concevront aisément ceux qui connaissent ce même pays, où l’argent est considéré comme un accessoire indispensable du lustre aristocratique. Sans doute, son hôtesse, mistress Wilson, très-respectable mercière de Bishopsgate street, within, eût servi avec infiniment plus d’égards et de déférence le marquis de Foscanotte, quoiqu’un marquis du continent soit considéré, chez les vaniteux insulaires, tout au plus comme l’équivalent d’un squire anglais ; mais en même temps il est vraisemblable qu’elle eût cru devoir, par compensation, doubler la pension hebdomadaire de deux livres sterling que payait le réfugié pour son logement, y compris le thé ; ce qui eût apporté une grande perturbation dans le budget du pauvre Fabio. Il avait donc très-sagement préféré cacher sa noblesse péninsulaire sous le manteau d’un strict incognito, afin de n’en point supporter les charges dispendieuses ; ce qui lui eût été impossible d’ailleurs, car je dois me hâter de dire qu’il était complètement ruiné.

Cela vous explique tout d’abord comment il se fait qu’il avait pris son domicile dans un quartier si diamétralement opposé au fashionable West-End de Londres ; et en même temps je me trouve dispensé de toute apologie pour le justifier auprès des lecteurs, dans l’esprit desquels il pourrait être perdu par le nom si entaché de vulgarité de la rue que j’ai mentionnée tout à l’heure, rue qui ne peut être habitée que par des Nobody Knows, de véritables Cockneys (je leur en demande pardon à tous).

Mais je m’aperçois que mon style tourne un peu trop à la verbosité que je voulais précisément éviter. Je vais tâcher de hâter le pas. Fabio Mummio avait donc mangé une centaine de mille livres de rentes, soit avant, soit après les événemens qui l’avaient banni de sa patrie. Comment cela ? Vous allez le savoir.

Originaire de la Toscane, sa maison prétendait descendre de la famille Mummia, qui, disait-il, avait fourni un grand nombre d’augures à la ville éternelle ; le fait est qu’il croyait de bonne foi à cette généalogie fabriquée par quelque complaisant érudit de Florence ; il en parlait avec un sérieux que n’avaient sans doute pas ceux de ses illustres ancêtres qui se trouvaient nez à nez avec un de leurs confrères du collège augural.

Soit que le sang étrusque se manifestât en lui, ou qu’il fût dominé par cette préoccupation, il avait montré dès l’enfance un penchant invincible à acquérir la connaissance de l’avenir. L’astrologie judiciaire, la chiromancie, la nécromancie, toutes les sciences occultes avaient eu part à ses études, et il n’avait rien épargné pour entrer en relation avec les personnes de l’Europe, et même des autres contrées, qui s’étaient adonnées à ces singulières spéculations. De longs voyages, une immense correspondance, une bibliothèque cabalistique la plus complète : tout cela n’avait pas laissé que de lui coûter cher. Il faut ajouter qu’il se proposait pour de si laborieux travaux un but assez noble pour faire excuser son extravagance aux yeux du monde. Constamment occupé du sort de sa belle patrie, si digne de figurer avec éclat parmi les nations, il s’était attaché à trouver un moyen de divination pour découvrir dans l’avenir de plus hautes destinées à cette ferre fameuse.

Pendant son séjour en Égypte, le marquis Mummio avait fait la connaissance d’un extatique fort extraordinaire qui, dans l’état de sommeil magnétique, se trouvait en rapport avec tout le passé de l’Égypte, retrouvait l’histoire perdue de plusieurs dynasties de Pharaons, et racontait celle des monumens multiséculaires de cette terre antique, de façon à nous faire regretter de n’avoir plus ce brave homme pour l’endormir au pied de notre obélisque de Louqsor. Mais il est passé depuis long-temps dans un meilleur monde, non toutefois sans nous avoir laissé l’héritage de ses hallucinations, car elles ont été recueillies et imprimées aux frais d’un riche Anglais, en un gros in-quarto, tiré à cinquante exemplaires[1] Il n’en fallut pas davantage pour persuader à l’enthousiaste Fabio qu’il trouverait dans le magnétisme et l’étude du somnambulisme l’agent fatidique qu’il cherchait depuis si long-temps.

Si c’était ici le lieu de faire des objections à l’opinion de notre digne réfugié italien, peut-être en présenterais-je d’assez sérieuses. Je dirais, par exemple, que si le pronostic médical, tel que le donnent souvent les somnambules avec tant de précision, même pour un avenir éloigné, n’a rien qui embarrasse la raison, parce que dans l’état présent des organes d’un malade peuvent se trouver tous les élémens de cette prévision, il n’en est pas de même du pronostic de faits dépendans de ce que dans notre ignorance nous appelons le hasard. Toutefois, si l’on me demandait de prouver l’impossibilité de ce dernier pronostic, j’avoue qu’on me mettrait fort en peine. Il est probable que la vieille question du fatalisme et du libre arbitre sera encore longtemps pendante dans ce monde. Ainsi, en attendant, je crois que nous ferons aussi bien de ne pas trop chicaner le bon Fabio, pas plus que les auteurs anglais qui ont publié de nombreux et surprenans exemples de l’infaillibilité des prédictions faites par voie de second sight[2].

M. de Foscanotte s’était donc soigneusement appliqué, dans les diverses contrées qu’il avait parcourues, à interroger magnétiquement une foule de jeunes filles d’organisations très-diverses : de pâles Italiennes aux belles épaules, au sévère profil, attaquées d’anévrismes ; des Espagnoles au teint rembruni, aux yeux noirs, brillans, et en forme d’amande, atteintes de la maladie du foie ; de fraîches et grasses Allemandes, aux cheveux châtains, aux yeux gris-de-perle, qui, sans être malades, dormaient et parlaient avec une facilité merveilleuse ; de jolies et piquantes Françaises, à la taille svelte, à l’élégante tournure, qui se plaignaient des vapeurs et des nerfs, à une époque où l’on n’avait pas encore inventé le mot de gastrite. Et sans parler des Grecques, des Asiatiques et des Africaines de différentes races, que je ne saurais peut-être pas bien caractériser, le would be prophet (comme diraient les Anglais) avait magnétisé dans le même but des beautés des trois royaumes, aux grands yeux bleus et humides, aux longs cous de cygne, à la démarche naïve et gracieuse par leur timidité, et pour la plupart atteintes de consomption. Il s’était transporté dans les Highlands, et jusque dans l’île de Sky, à l’ouest de l’Ecosse, île renommée par la quantité de seers, ou personnes douées de la seconde vue, qui l’habitent.

Il est vrai que cette partie de sa tache n’avait pas été facile à remplir. De bizarres scrupules religieux, et la sévérité de révérends clergymen, qui condamnaient même la seconde vue spontanée, comme une tentation et une sorte de possession du malin esprit, lui opposèrent souvent de sérieux obstacles, malgré la retenue chaste, et je pourrais dire pieuse, avec laquelle il procédait dans ses expériences. Mais il ne s’était pas rebuté pour cela, et les cures nombreuses et éclatantes qui signalaient presque partout son passage, servaient à faire fuir les préjugés ou les préventions.

À en croire l’excentrique Fabio, ces femmes devaient avoir la prévision du sort qui attendait toute la postérité de leurs familles ; ce qui le conduisait à des renseignemens futurs sur toutes les parties du globe : tant l’espèce humaine devient voyageuse, tant les alliances entre les peuples éloignés se multiplient ! D’autres fois, adoptant l’idée asiatique de la métempsycose, il attribuait à chaque individu le pressentiment des conditions réservées à son âme, dans les divers corps où elle devait passer. S’étant lié, à Calcutta, avec un fameux bramine extatique, il lui avait emprunté cette opinion, ainsi que plusieurs secrets.

Fabio assurait toutefois que cette prescience ne pouvait être obtenue qu’au moyen d’une forte intuition excitée par les jeûnes, la prière, la respiration de certains gaz, de certaines vapeurs aromatiques, et l’usage de certaines potions opiacées ou autres, connues pour agir puissamment sur le système nerveux. De la sorte, il déterminait complètement en lui cet état d’extase qu’ont recherché les exaltés de toutes les croyances religieuses, et même de plusieurs sectes philosophiques, comme un moyen de s’élever au-dessus des choses terrestres, de planer dans les régions éthérées, et d’entrer en contemplation de la suprême intelligence, source de tout bien ; tandis que les physiologistes, les expérimentateurs, gens tout positifs, et en garde contre les hallucinations, pensent que le meilleur moyen d’arriver à quelque résultat dans la recherche de la vérité, est tout simplement de maintenir son cerveau à l’état normal, ses organes en bonne santé, et de fortifier sa raison sur ce terrain solide, au lieu de la lancer sur une mer où elle court de grands risques ; enfin, de ne pas choisir, comme de bons guides pour l’entendement, le sommeil, l’ivresse ni la folie. Vous voyez que je ne néglige jamais l’objection. Mais le subtil et savant Fabio ne manquait point de réponses très-spécieuses sur ce point ; il les présentait avec une calme et patiente conviction, quand il ne se laissait pas entraîner à l’éloquence de l’enthousiasme. Bref, cet honnête illuminé était ce que dans le monde on appelle par bienveillance une tête poétique, et moins poliment, un fou.

Je ne m’arrêterai pas davantage à sa personne, dont je pourrais faire cependant un portrait assez curieux. Je me bornerai à dire qu’il avait le visage maigre, des traits prononcés et remarquables, le nez très-long, le teint fort pâle, les yeux bruns et enfoncés, le menton saillant. Il ne rasait qu’une très-petite partie de sa barbe, jadis du plus beau noir, et cette singularité lui donnait l’air assez peu gentleman-like, à une époque où le monde n’avait pas laissé à la croissance du système barbu toute la latitude dont il jouit aujourd’hui ; j’ajouterai même qu’il laissait flotter ses cheveux extrêmement longs sur ses épaules, ce qui sans doute donne à un homme un air fort intéressant ; mais je dois dire que cela a l’inconvénient grave de maintenir le collet des habits dans une saleté permanente. Je vous ferai grâce des autres accessoires, et je ne décrirai ni son costume, ni ses diverses attitudes, ni la manière dont il prenait du tabac. Il suffit que vous sachiez qu’il a quitté cette vie le 26 mai 1828, et qu’avant sa mort il a bien voulu me léguer ses manuscrits. C’était le seul et unique legs qui se trouvât dans son testament.

Ce témoignage de suprême confiance ne me surprit guère moins qu’il ne me flatta. Ce fut en recevant plusieurs énormes caisses qui contenaient mon héritage inattendu, et qui m’étaient expédiées par le Spread-Eagle office, que j’appris le passage du pauvre visionnaire italien dans un monde où il doit probablement avoir des notions plus exactes de l’avenir que celles qu’il s’est procurées dans celui-ci. Son legs devait toutefois me consoler. En effet le testateur m’autorisait à faire de ses papiers, et pour le bien de l’humanité, l’usage que bon me semblerait.

J’avoue cependant que je me trouvai d’abord assez embarrassé en parcourant l’immense répertoire de visions, de prévisions, de prophéties, livrées ainsi à ma discrétion. Trois cent trente-trois gros cahiers in-folio, composant ce trésor sibyllin, m’offraient, dans le plus grand désordre et sans dates précises, l’avenir de chaque contrée du globe. Apparemment aucun moyen magnétique n’avait pu mettre l’interrogateur à même de fixer une sorte de chronologie future. Les somnambules se contredisaient toutes à cet égard, autant que j’ai pu le comprendre par ses notes marginales. Tout ce que j’ai entrevu, c’est que les plus grands efforts prophétiques n’ont pas atteint au-delà du vingt-unième siècle de notre ère. Encore tout paraît-il couvert de nuages et d’obscurité dans les élans de la pensée visionnaire vers cette époque. Cela se conçoit aisément, à voir les changemens prodigieux qu’un siècle opère sur la face du monde.

Quelle tête politique chez les anciens eût pu imaginer la possibilité d’un état social sans esclaves ? Le vaste esprit d’Aristote et la belle inspiration de Platon n’eussent pu, je ne dirai pas pressentir, mais même comprendre qu’une seule ville d’Italie finirait par conquérir et par civiliser un monde deux fois plus grand que celui qu’ils connaissaient. Quel génie, au dix-septième siècle, eût pu concevoir l’idée de ce qui se passe depuis cinquante ans dans les deux hémisphères ? L’honnête et quelquefois amusant déclamateur Mercier, qui crut, il y a une cinquantaine d’années, rêver l’an 2440, ne poussait pas même jusqu’au gouvernement représentatif, aux pantalons et aux cheveux à la Titus. Il ne va pas plus loin que les idées de quelques philosophes et économistes français en vogue de son temps ; et sa monarchie philantropique, qui n’est qu’une modification du pouvoir absolu, ne parait guère plus avancée que les têtes de ses citoyens futurs sur lesquelles il croit innover audacieusement en se bornant à les blanchir d’un soupçon de poudre, et en relevant les cheveux en chignon.

Mon vieil ami Fabio Mommio attribuait cette limitation de ses perquisitions dans le futur, à quelque cataclysme qui bouleversera notre planète à une époque peu éloignée ; il expliquait l’obscurcissement de la vue intime de ses somnambules dès qu’elles touchent à cette époque, soit par une queue de comète qui doit envelopper notre atmosphère, et plonger notre postérité dans l’engourdissement, ou la noyer ou la rôtir ; soit par l’augmentation croissante de la croûte qui s’interpose entre les rayons solaires et notre globe ; soit enfin par une avalanche de glaces australes qu’amènera la déviation continue de l’écliptique vers le pôle boréal. Pour moi qui attache moins d’importance à ces inquiétudes astronomiques, je pense tout simplement que ce point d’arrêt prouve que la pensée, même aidée de l’interrogation magnétique, ne peut aller plus loin. Il y a même des choses si extraordinaires dans les prophéties tombant vers la fin du vingt-unième siècle, que je me suis abstenu d’en parler, de peur de mettre la créance des lecteurs à une trop rude épreuve. Je ne publie donc, quant à présent, qu’une très-petite partie de ce que je pourrais tirer de cette abondante mine littéraire. Mais je devrais plutôt avoir un autre sujet d’inquiétude, car le pis qui pourrait m’arriver, serait qu’on ne me trouvât pas assez grand sorcier.

Comme il m’a donc été impossible de donner des dates précises sur les événemens qui forment le tissu de ce récit, je dois du moins indiquer l’époque à laquelle se passe l’action principale. Autant que je puis le conjecturer, c’est dans le cours du vingtième siècle de notre ère chrétienne. Pour arriver à ce résultat, j’ai fait d’immenses efforts ; j’ai confronté une foule de passages extraits, soit des divers procès-verbaux somnambuliques, soit des révélations autographes écrites pendant le sommeil par les somnambules elles-mêmes qui ont apporté le tribut de leur système nerveux pour enrichir ce précieux recueil. Est-ce au milieu ou à la fin de ce vingtième siècle ? Je n’en sais rien. D’après cela, l’imagination des lecteurs ne manque pas d’espace pour se promener, et beaucoup d’entre eux peuvent espérer que leurs petits enfans sauront à quoi s’en tenir. Après tout, si ce livre devait vivre jusque-là, et de roman devenir une histoire, je le croirais infiniment plus heureux qu’il ne mérite.

Quant à la forme de la narration, il a fallu, pour qu’elle fût claire et coulante, raconter toutes ces choses futures au présent ou au passé, comme si le roman lui-même était écrit et publié dans deux cents ans d’ici, comme s’il s’adressait au public qui existera dans ce temps-là.

Rien qu’un mot encore. Tout ce qu’on y trouvera de mauvais, j’en décline hardiment la responsabilité, qui doit peser tout entière sur les manuscrits que j’ai consultés. Mon visionnaire italien sera pour moi une façon de Trithême. Si le lecteur ne veut pas l’accepter pour un oracle, il faut bien qu’il le prenne pour un éditeur responsable.



  1. Ceci est à la lettre. J’ai eu entre les mains un des exemplaires de ce livre curieux, qui est imprimé en anglais et en italien. J’avoue franchement que cela m’a semblé un fatras amphigourique et assez ennuyeux.
  2. La seconde vue des montagnards de l’Ecosse et de l’Irlande.