Boileau - Œuvres poétiques/Chansons/Stances à Molière

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Chansons, Stances, Sonnets, Épitaphes, etc.Imprimerie généraleVolumes 1 et 2 (p. 428-429).

VIII

STANCES A M. MOLIERE SUR SA COMEDIE DE L'École des Femmes, QUE PLUSIEURS GENS FRONDOIENT[1].


1663.

En vain mille jaloux esprits,
Molière, osent avec mépris,
Censurer ton plus bel ouvrage :
Sa charmante naïveté
S’en va pour jamais d’âge en âge
Divertir la postérité.
Que tu ris agréablement !
Que tu badines savamment !
Celui qui sut vaincre Numance[2],
Qui mit Carthage sous sa loi,
Jadis sous le nom de Térence
Sut-il mieux badiner que toi ?

Ta muse avec utilité
Dit plaisamment la vérité ;
Chacun profite à ton école :
Tout en est beau, tout en est bon ;
Et ta plus burlesque parole
Est souvent un docte sermon.


Laisse gronder tes envieux ;
Ils ont beau crier en tous lieux
Qu’en vain tu charmes le vulgaire,
Que tes vers n’ont rien de plaisant :
Si tu savois un peu moins plaire,
Tu ne leur déplairais pas tant.


  1. L'École des Femmes avait été représentée pour la première fois le 26 décembre 1662 : huit jours après, c’est-à-dire le 1er janvier 1663, Molière recevait de son ami Despréaux, comme étrennes, ces stances élégantes.
  2. Scipion Émilien, fils de Paul-Émile, adopté par un fils de Scipion l’Africain. Il était le protecteur du poëte Térence, et passe même pour avoir été son collaborateur.