Bouquets et prières/Le Soleil des Morts

La bibliothèque libre.

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le soleil des morts.

LE SOLEIL DES MORTS.



Lune ! blanche figure assise à l’horizon,
Que viens-tu regarder au fond de ma maison ?
Remets-tu chaque soir avec tant de mystère,
Une lampe à ton front pour espionner la terre ?
Et quand tu rentreras, lasse, au bout du chemin,
Aux anges rassemblés que diras-tu demain,
Curieuse ! ou plutôt, sentinelle sans armes,
De ce monde assoupi viens-tu pomper les larmes ;

Puis, les portant au juge à qui tu peux parler,
Dis-tu qui les répand et qui les fait couler ?


Es-tu femme ? et là haut du passé poursuivie,
Oses-tu, sans soleil, redescendre la vie,
Pour effacer ton nom par quelque honte écrit
Au livre d’un méchant qui le relit, et rit !
Mais le mal accompli, dis-moi si rien l’efface,
Ou si l’éternité l’emporte à sa surface ?
Le sais-tu, toi si triste et si grave souvent,
Quand tu cours à travers le nuage et le vent ?
Quand tu baignes, la nuit, ton disque solitaire,
Dans un lac, présageant tant de pluie à la terre ?
Quant aux vitraux d’église, où l’on entend des voix,
Tu passes tes longs fils pour étreindre la croix ?
Quand tu trembles dans l’eau, miroir de la vallée,
Quand tu blanchis des bois la tête échevelée :
Si tu le sais, alors sois douce aux yeux craintifs
Et prolonges sur eux tes rayons attentifs.
Dans nos chambres, vois-tu ; la fiévreuse insomnie,
Sur beaucoup d’oreillers se penche en ennemie,

Elle entre, et bien des yeux qui paraissent fermés,
Sont par des pleurs sans bruit ouverts et consumés.
Oh ! si tu n’étais, toi, qu’un beau front de Madone,
Saintement inondé de l’amour qui pardonne !
Oh ! si Dieu le voulait que tes tendres clartés,
Soient des pardons promis aux pauvres visités !
N’as-tu pas pour cortège un flot de jeunes âmes,
Mêlant à tes lueurs leur vacillantes flammes ?


Dis donc à ces enfants envolés loin de nous,
De venir embrasser leurs mères à genoux :
Lune ! il en est plus d’un qui doit me reconnaître,
S’il me regarde ainsi penchée à ma fenêtre ;
Qui m’apparut à moi, beau, sans ailes encor,
Et qui m’a brisé l’âme en reprenant l’essor.


Nous avons mis leurs noms sous des touffes de roses ;
De tes pâles fraîcheurs, ô toi qui les arroses,
Qui plus forte que nous visites leur sommeil,
Lune ! merci, je t’aime autant que le soleil !

Merci ! toi qui descends des divines montagnes,
Pour éclairer nos morts épars dans les campagnes,
Dans leur étroit jardin qui viens les regarder.
Et contre l’oubli froid tu sembles les garder :

Je me souviens aussi devant ton front qui brille,
Douce lampe des morts qui luis sur ma famille ;
Au bout de tes rayons promenés sur nos fleurs,
Comme un encens amer prends un peu de mes pleurs :
Nul soleil n’a séché ce sanglot de mon âme,
Et tu peux le mêlant à ton humide flamme,
L’épancher sur le cœur de mon père endormi,
Lui, qui fût mon premier et mon plus tendre ami !

Quel charme de penser en te voyant si pure
Et cheminant sans bruit à travers la nature,
Que chaque doux sépulcre où je ne peux errer,
En m’éclairant aussi tu vas les éclairer !
À ma bouche confuse enlève une parole,
Pour la sanctifier dans ta chaste auréole ;

Et de ta haute Église, alors, fais la tomber
Loin, par delà les mers, où j’ai vu se courber
Ma tige maternelle enlacée à ma vie,
Puis, mourir sur le sable où je l’avais suivie,


Son sommeil tourmenté par les flots et le vent,
Ne tressaille jamais au pas de son enfant ;
Jamais je n’ai plié mes genoux sur ma mère ;
Ce doux poids balancé dans une vague amère,
Lune ! il m’est refusé de l’embrasser encor :
Porte-lui donc mon âme avec ton baiser d’or !