Bourdaret - En Corée, 1904/Chapitre III

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Librairie Plon (p. 59-87).


CHAPITRE III


Influence de la Chine et du Japon. — Bouddhisme, confucianisme. — Culte des ancêtres. — Superstitions. — Culte naturaliste. — Sorcellerie. — Exposition des cadavres. — La petite vérole au palais. — Moutangs et Panesous. — Liste des Esprits.


Il est certain que la première impression subie par le nouveau venu — surtout s’il est familiarisé avec les pays de l’Orient jaune — est une impression de déjà vu, malgré que les choses et les gens gardent ici un cachet d’originalité très personnel. C’est que l’influence du Japon et de la Chine s’y manifestent à chaque pas. Vassale de cette dernière jusqu’en 1895, ravagée à différentes reprises par des invasions chinoises et japonaises, comment cette terre n’en garderait-elle pas l’empreinte ineffaçable ? De même que le Japon, la Corée tient surtout sa civilisation de la Chine, de sorte que l’on peut dire qu’elle en est plus tributaire au point de vue intellectuel qu’au point de vue politique. Mœurs, religion, institutions, tout est imité du pays des Célestes, sauf pourtant la division en castes, propre à la Corée, et dont nous parlerons plus loin. Bien que l’état stationnaire dans lequel ce pays s’est obstiné si longtemps l’ait amené à une décadence forcée, on ne peut s’empêcher de reconnaître qu’il a été un remarquable imitateur et un gardien fidèle des arts reçus jadis. Il a eu une époque d’industrie artistique : étoffes, céramiques, dessins, peintures, sculptures sont là pour l’attester. Aux septième et huitième siècles les Coréens furent les initiateurs des Japonais. On ne sera pas peu étonné d’apprendre que ce peuple, qui semble actuellement stationnaire, a possédé une littérature florissante ; qu’avant le dixième siècle les Coréens ont imprimé au moyen de planches gravées, et qu’en 1403 ils ont inventé les types mobiles[1]. Cela prouve qu’il ne faut pas juger les gens à première vue, et que notre modeste petit royaume gagnera à être connu.

Du quatrième au quatorzième siècle, le bouddhisme fut la religion officielle de la Corée. À partir du quatorzième siècle, il fut remplacé par le confucianisme. En même temps que le gouvernement adoptait le calendrier et par conséquent la manière chinoise de compter les années, il prescrivait la doctrine de Confucius comme religion officielle, et des lois sévères condamnaient ceux qui ne se soumettraient pas à ces nouveaux rites. Compris seulement par une élite de lettrés, ni le bouddhisme ni le confucianisme n’eurent de prise sur le Coréen. Il se prosterne, il offre des sacrifices, mais sans comprendre. Seule l’antique croyance populaire aux esprits, vieille comme le monde, a dominé sur l’imagination de ces êtres foncièrement naïfs et puérils, et en a fait un peuple extrêmement superstitieux. On peut dire que toutes les femmes et les trois quarts des hommes en Corée sacrifient aux esprits bons ou malfaisants dont ils ont peuplé l’univers. Le reste suit la doctrine de Confucius, et peu ou pas sont bouddhistes, et encore leurs idées sont-elles assez peu précises, pour qu’on les voie s’adresser tour à tour à Bouddha, à Confucius ou aux esprits. À côté de ce fétichisme indéracinable, la préoccupation capitale du peuple est le culte des ancêtres.

La vie nationale est liée étroitement à ce culte des morts qui absorbe l’existence entière des grands et des humbles. Les esprits des morts sont représentés dans les familles par les tablettes et c’est à elles que l’on fait des offrandes, les unes à époques fixes : changement de lune ou changement de saison, les autres amenées par les événements. Il n’y a pas de sacerdoce constitué à part.

En résumé, du haut en bas de l’échelle sociale, comme en Chine, règne le culte des ancêtres. Dans chaque famille, le fils aîné est héritier des sacrifices, et il présente les offrandes sous forme d’encens, d’étoffes, de vin, de mets, de prières, aux tablettes du père, de l’aïeul, du bisaïeul, ainsi qu’à leurs épouses, c’est-à-dire à une, deux ou trois générations d’ancêtres en ligne masculine. Ce culte est rendu aux tablettes, soit dans la pièce principale de la maison, soit dans une pièce spéciale, soit auprès des tombeaux. Nous aurons occasion de revenir sur ce sujet plus tard, en parlant des cérémonies funéraires.

Comme nous l’avons dit précédemment, avant l’introduction du bouddhisme, les Coréens ne connaissaient que les cultes naturalistes, et ils furent toujours tellement développés parmi eux, que — de nos jours — ces anciennes pratiques sont encore très vivaces. Ils peuplent tout ce qui les entoure d’esprits bons ou malfaisants. La terre, le ciel, les montagnes, les fleuves, les arbres, sont animés par eux. Les maladies elles-mêmes sont causées par des démons. De là à la sorcellerie il n’y a qu’un pas, or elle règne en maîtresse absolue partout en Corée. C’est le point faible, c’est le mal dont souffre ce pays exploité — au seuil du vingtième siècle — par une légion de magiciens, sorciers, astrologues, géomanciens. Le jour où l’empereur expulsera ce cortège d’un autre âge, on peut affirmer que c’est à pas de géant que s’achèvera la transformation du pays.

À chaque instant, on entend résonner çà et là, sur divers points de la ville, le tambourin de la sorcière (moutang) qui vient faire des exorcismes dans une maison où se trouve un malade. C’est par un bruit effroyable de tam-tam, une danse effrénée, qu’elle chasse le démon de la maladie, ainsi que par des offrandes de mets — faites par la famille — et dont elle profite ensuite.

Ici, des aveugles appelés panesous prédisent l’avenir. Là, des géoscopes décident l’emplacement des maisons, des tombeaux. Un enfant aveugle est accueilli joyeusement par ses parents dont il assure l’existence, puisqu’il sera un sorcier, un chamane. Et ces individus ont une telle importance qu’ils sont constitués en « guilds ». Aveugles et sorcières forment deux corporations importantes, avec des chefs, et soumises à la surveillance du gouvernement. Les candidats ne sont admis qu’après avoir subi un examen devant la confrérie. C’est ainsi que le pauvre Coréen ne sait naître, se marier, être malade, ni mourir sans le concours des sorciers. Ceux-ci exercent leur influence sur les démons au moyen de la magie, de rites, d’offrandes, le tout complété d’un bon salaire. Exorcismes, oracles, sont accompagnés de danses, de cris, de tambourin. Le client ne faisant jamais défaut, il s’ensuit que le métier est des plus lucratifs.

Muni d’une boîte à divination, d’un gong, d’une sonnette, de baguettes de bois, et aidé de quelques formules magiques, le panesou recherche d’abord la nature de l’esprit auquel il a affaire et le lieu où il se trouve. Il arrive un moment où la baguette s’agite d’un mouvement très vif, ce qui prouve qu’elle s’en est emparée. Alors s’engage une conversation, un interrogatoire entre l’homme et l’esprit. Tantôt ce dernier répond, tantôt il ne répond pas, par des manifestations de la baguette. Enfin lorsqu’il a fait connaître ses intentions, on l’entraîne au dehors. On touche la baguette avec un papier sur lequel a été écrit le nom du démon, puis ce papier est mis dans une bouteille que l’on bouche, et que l’on va enterrer au loin. Certains exorcismes durent plusieurs jours, et nécessitent une abondance d’offrandes de mets et de salaires.

Les boîtes de divination ont la forme d’une tortue qui remue la tête. Elles renferment trois pièces de monnaie sur lesquelles le sorcier débite des incantations ; puis il les lance trois fois et la combinaison des caractères obtenus lui permet de tirer ses oracles.

Moutang veut dire « sorcière », « possédée par le démon » qui est supposé se saisir de la femme et lui imposer ses volontés. Celles qui entrent dans cette voie cessent toute relation de famille. Elles n’ont pas le pouvoir, comme les panesous, de chasser les esprits, mais celui de les apaiser, de les rendre favorables à ceux qui leur en font la demande. Tantôt la moutang apaise les esprits en dansant et gesticulant autour de tables d’offrandes, jusqu’à épuisement complet. Tantôt, au moyen de ses baguettes, de ses formules magiques et de prières spéciales, elle ramène l’esprit gardien du logis mis en fuite par la mort ou la maladie.

Voici d’ailleurs comment elle s’y prend pour faire réintégrer le logis à l’esprit tutélaire. Elle attache une bande de papier autour d’une baguette de chêne, qu’elle tient en l’air, et elle sort à la recherche du fuyard. Quelquefois, l’esprit se tient tout près de la maison, d’autres fois il en est très loin. Mais la sorcière reconnaît sa présence parce que, lorsqu’elle passe près de lui, il secoue si violemment sa baguette que plusieurs hommes ne peuvent la tenir. La moutang le rapporte alors à la maison où il est reçu avec les plus sympathiques démonstrations. Le papier qui entourait la baguette de chêne est plié avec quelques menues monnaies, trempé dans du vin, puis lancé contre une poutre de la maison, où il se colle. On jette ensuite contre ce papier une poignée de riz dont quelques grains adhèrent ; c’est en ce point que résidera désormais l’esprit de la maison, jusqu’à ce qu’un nouvel événement vienne provoquer sa fuite.

Je pourrais multiplier à l’infini les scènes auxquelles donnent lieu les séances de sorcellerie, car sur le chapitre de la superstition, il y a un livre à écrire. Je ne saurais trop le répéter, cet état d’esprit est la plaie de la Corée. De la plus humble servante jusqu’aux dames du palais, tous les sujets de l’empire de la « Fraîcheur matinale » sont les jouets et les victimes de la redoutable et rusée engeance de ces magiciens. Que peut-on espérer d’un pays où règnent encore des croyances aussi barbares ? Les résultats en ont parfois des conséquences intolérables. Voici — par exemple — la petite porte de l’Est par laquelle sortent les cadavres, ainsi que par celle qui lui correspond à l’ouest. Il y a, — en ce moment — adossés au mur de la ville, près de cette porte, les cadavres des enfants morts récemment de la petite vérole qui seront ainsi exposés à l’air, jusqu’à la fin de l’épidémie en règne actuellement. Cette exposition des cadavres a pour but de chasser l’esprit de la maladie. En attendant, les habitants seront victimes de la pestilence et du danger qu’offre le voisinage de ces corps en putréfaction.

La petite vérole est un des fléaux de Seoul. Elle est très redoutée, et dernièrement, elle fit son apparition au palais dans la personne du jeune prince Oun. Dès que le mal fut constaté, on prit, suivant les anciennes méthodes, les plus grandes précautions pour se rendre propice la malfaisante visiteuse. Il fut décidé de fermer les boucheries, le théâtre ; et partout sorciers et sorcières reçurent l’ordre de dire des prières. Les fonctionnaires qui se trouvaient au palais le jour où la maladie se déclara y furent consignés, et les autres — à l’extérieur — ne purent y entrer. Heureusement, ces minutieuses précautions suffirent, et grâce aux prières et à la suppression des réjouissances publiques, le jeune prince guérit. Cela dut — je suppose — soulager d’un grand poids le chamane qui avait empêché la vaccination de l’enfant.

La petite vérole étant la maladie la plus fréquente et la plus redoutée, elle a le privilège de posséder son esprit à elle. Pendant qu’elle règne dans une maison, aucun animal ne doit être tué, parce que le sang versé ferait gratter et saigner le malade. Nous avons vu que cet usage s’étend au palais puisque, pendant neuf jours, on décréta la fermeture de toutes les boucheries de la capitale. Le treizième jour est regardé comme celui où le danger est conjuré. L’esprit se retire, et la moutang préside à son départ en lui présentant des mets ainsi qu’un petit cheval en bois, confectionné dans ce but. Celui-ci est chargé de menues monnaies et de riz, provisions de voyage de la dangereuse visiteuse, à laquelle on souhaite un bon retour dans ses pénates.


Le peuple a recours à la moutang pour se mettre en communication avec l’esprit des morts. Ceux-ci sont questionnés sur ce qui se passe dans le royaume des Ombres. On leur demande s’ils y ont vu telle ou telle personne morte depuis peu ou d’ancienne date, et ils répondent avec d’autant plus d’aplomb qu’ils ne craignent pas d’être contredits. Lorsque la conversation est terminée avec le défunt, on dit à la sorcière d’appeler le grand Juge (ils sont dix). Celui-ci étant supposé présent, on lui offre un sacrifice de mets, et on le prie de rendre l’existence facile — dans l’autre monde — à celui qui est parti. Généralement, le grand Juge promet tout ce qu’on veut, et se retire en remerciant la compagnie des mets excellents qu’elle lui a présentés. Et la séance de sorcellerie est levée.

Les moutang appartiennent à la basse classe de la société. Leur profession est héréditaire. Il paraîtrait qu’elles sont aussi adoratrices de Bouddha, car leur maison renferme des images de ce dieu à côté de celles des démons. Autrefois elles prédisaient l’avenir en observant les mouvements d’une tortue de mer, sur la carapace de laquelle elles appliquaient un fer chaud, ou en observant — comme les pythonisses de Dodone — les feuilles de certains arbres. Aujourd’hui, leur profession s’est compliquée, ce qui montre que leur prestige n’a pas diminué d’importance. Les filles prennent des leçons de leur mère en l’accompagnant. Il y a aussi celles que le démon possède soudain et qui, par ce fait, sont désignées pour ce métier. Pendant le temps de leur maladie, ces possédées rêvent de dragons, d’arcs-en-ciel, de pêchers en fleurs ou d’un homme d’armes subitement transformé en animal. Elles profèrent des paroles grossières, et menacent de mort tous les gens de la maison, si on ne leur permet pas de se livrer à la pratique des exorcismes. Il en est même dont l’imagination est tellement frappée par ces divagations qu’elles succombent devant la résistance de leur famille.

Quand une fille noble est possédée par le démon, on la tue, ou l’on s’en débarrasse, pour que la disgrâce ne retombe pas sur sa famille.

Toute moutang doit posséder plusieurs robes dont quelques-unes très coûteuses, un tambourin de forme spéciale, des cymbales de cuivre, une baguette en cuivre surmontée de clochettes, des bandes de soie, des bannières qu’elle déploie quand elle danse, des éventails, des ombrelles, des baguettes magiques, des images d’hommes et d’animaux, des gongs, une paire de paniers allongés employés pour s’emparer de l’esprit de certaines maladies que l’on attire au moyen de grattements. La pratique des exorcismes entraîne certains jeûnes. Il arrive parfois que les sorcières mettent une telle frénésie dans leur danse qu’elles tombent inanimées, l’écume à la bouche, et ont besoin de soins empressés pour échapper à la mort. Elles gagnent très largement leur vie et celle de leur famille. Aussi trouvent-elles parfois à se marier. Mais dans l’esprit de l’astucieux mari, c’est à seule fin d’avoir toujours une table bien garnie. Les sorcières de bonne famille exercent à domicile, et sont enterrées sur un flanc de coteau, avec les instruments de leur profession.

Les esprits et les démons qui peuplent l’univers des Coréens sont innombrables, mais en dépit de la plus que certaine origine indigène de ce culte de la nature et de toute cette démonolâtrie, c’est sous la forme chinoise qu’il est surtout pratiqué, en ce sens que l’on retrouve, dans toutes les formules et les cérémonies qu’il comporte, les caractères et les prédictions chinoises.

D’après le Dr Landis[2], voici les plus connus de ces esprits.


ESPRITS DE HAUT RANG

1. — Esprit du ciel.

2. — Esprit de la terre.

3. — Esprit des montagnes et des collines.

4. — Esprit des dragons.

5. — Esprits gardiens des districts

6. — Esprit de la foi bouddhique.


ESPRITS DE LA MAISON

7. — Esprit de la toiture (c’est le chef de tous ceux de la maison).

8. — Esprit des meubles et des tentures.

9. — Esprit démon de la famille Yi.

10. — Esprit de la cuisine.

11. — Esprit serviteur de l’esprit démon de la famille Yi.

12. — Esprits qui servent leurs ancêtres.

13. — Les gardes et servants de l’esprit démon de la famille Yi.

14. — Esprits qui assistent les jongleurs.

15. — Esprit de la petite vérole.

16. — Esprits qui prennent la forme d’animaux.

17. — Esprits qui prennent possession des jeunes filles et en font des sorcières.

18. — Esprit des sept étoiles qui forment le plongeur.

19. — Esprit du lieu de la maison.

20. — Esprits qui font les hommes braves.

21. — Esprits qui résident dans les arbres.

Tout arbrisseau noueux, tout arbre difforme est supposé être la résidence de l’un de ces esprits. C’est eux qui causent les morts violentes ou prématurées. Toute personne morte avant l’âge de soixante ans est regardée comme victime de l’un de ces esprits.

22. — Esprits qui poussent les tigres à manger les hommes.

23. — Esprits qui font mourir les hommes sur les chemins.

24. — Esprits qui rôdent autour des maisons, causant toutes sortes de calamités.

25. — Esprits qui font mourir certains hommes pour d’autres, comme remplaçants, comme délégués.

26. — Esprits qui font mourir les hommes par strangulation.

27. — Esprits qui font mourir les hommes par noyade.

28. — Esprits qui font mourir les femmes en couches.

29. — Esprits qui inspirent le suicide aux hommes.

30. — Esprits qui font périr les hommes dans le feu des incendies.

Dans ce peuple de lutins bons et méchants — tout asiatique, — certains personnages apparaissent comme propres à la Corée. Tel est le personnage mythique appelé Tane-Koun dont la légende se place vers 2300 avant Jésus-Christ. Ouang-eung, fils du créateur Chisok, descendit sur la terre pour y créer un royaume (2332 avant J.-C.). Il se reposa avec ses compagnons sous un arbre le « Pak Tal » et se proclama roi de l’Univers. Il choisit comme lieutenants le « gouverneur de la pluie », le « général du vent » et le « maître des nuages ». Il entendit un jour un tigre et un ours qui prétendaient devenir des hommes. Il leur conseilla pour cela de s’enfermer dans une grotte pendant vingt et un jours sans essayer de voir la lumière. Ils obéirent, mais le tigre sortit avant la date fixée. L’ours, plus patient, resta vingt et un jours enfermé, et se transforma en une superbe femme. Le premier désir de celle-ci fut d’avoir un fils. Comme elle émettait ce vœu, Ouang-eung, qui passait sur le vent, l’entendit et exauça sa prière. Elle eut un fils. C’est lui que les indigènes trouvèrent sous l’arbre Pak et appelèrent Tane-Koun.


Nous avons une idée — d’après la liste précédente — de la variété de ces esprits tourmenteurs des hommes. On leur attribue des fétiches : papier, pierre, bois, paille, vêtements, arbres, etc., qui sont sacrés aux yeux du Coréen pour lequel une identification complète existe entre l’esprit et son fétiche.

Voyons — à présent — ce que sont les esprits de haut rang. Nous avons eu pour cela recours au très intéressant travail du Rév. Jones M. A.[3], ainsi qu’à celui de M. Maurice Courant sur les cultes coréens[4].

À tout seigneur tout honneur. Voici les O-bang-tchang-goun (tchang-goun signifie le chef du monde et o-bang les cinq côtés). Cela veut dire les esprits, les généraux des cinq parties du ciel, et ils portent des noms spéciaux correspondant au ciel oriental, méridional, occidental, septentrional et central. Ce sont les principales divinités coréennes qui gouvernent l’univers, celles que les chamanes invoquent pour combattre les démons.

Tane-Koun, le seigneur mythique, sacrifiait au ciel à Kang-hoa, au sommet du Mari-sane à la dixième lune. Les rois du Sin-rai également. Des sangliers et des cerfs étaient immolés. Partout et en tout temps on a sacrifié au ciel, et en temps de guerre pour obtenir la victoire.

M. Courant pense que ces sacrifices ne sont pas d’origine chinoise, car en Chine ils sont réservés à l’empereur seulement, tandis qu’en Corée ce droit est étendu à tous. Les sacrifices consistent en pâte de riz et en fruits offerts sur les autels pour se rendre favorables les puissances célestes. Pendant que l’encens brûle, et que l’on agite des clochettes, les sacrificateurs (des sorciers) récitent dévotement les prières. Au-dessus de l’autel flotte une bannière sur laquelle sont inscrits les noms des maîtres du ciel.

Ces O-bang-tchang-goun sont les dieux tutélaires des villages. Ils détournent de ceux-ci les esprits errants et malins, qui rôdent aux alentours, dans les vallées. Leurs fétiches sont nombreux, et placés par groupes à l’entrée et à la sortie des bourgs, des hameaux, des vallées. Mais il semblerait, cependant, qu’en divers endroits, ils sont délaissés, car ils jonchent le sol, et seront employés probablement un jour comme bois de chauffage.

O-BANG-TCHANG-GOUN

Placés — comme nous l’avons dit — à l’entrée des villages et des vallées, ces fétiches sont souvent précédés d’une longue perche plantée en terre, et au sommet de laquelle est fixée une racine d’arbre grossièrement taillée en forme de canard. Cet oiseau est l’insigne des généraux. On leur offre des sacrifices au printemps et à l’automne. Ces images, appelées aussi Tsou-sari (rangée de soldats) sont grossièrement sculptées dans des poteaux en chêne ou en pin. Elles représentent des figures humaines monstrueuses, quelques-unes couvertes du chapeau de mandarin à ailettes. Des bras sont quelquefois rapportés et fixés sur les côtés du poteau, ainsi que le nez et les oreilles. Ils portent — en outre — en caractères sculptés ou écrits, la distance de la localité du chef-lieu. Ils servent donc, en même temps, de poteaux indicateurs. Mais il faut les distinguer des Tchang-seung qui sont — eux — réellement et spécialement des poteaux indicateurs sans caractère fétichiste, plantés isolément, non en groupes, et qui sont identiques aux Tsou-sari. Ce sont des poteaux à face humaine que l’on trouve sur certaines routes de la Corée de dix en dix lis ou de cinq en cinq lis. Ils sont peints en rouge et en noir mais, — eux aussi — ne sont pas remplacés. Ils sont la survivance — ainsi que les précédents, — d’une époque de barbarie qui cède le pas rapidement devant les progrès actuels. Les Tchang-seung ont une légende suivant laquelle, au temps jadis, un noble du nom de Tchang, accusé et reconnu coupable de trahison, fut mis au pilori. Il fut décidé, pour rendre sa mémoire exécrable à tout le peuple, qu’il serait figuré sur des poteaux de bois, et que ceux-ci seraient plantés partout sur les chemins. Il est possible que l’on ait eu l’idée d’utiliser ensuite ces poteaux comme indicateurs de distance.

Après ces O-band-tchang-goun, les plus importants parmi les esprits, viennent les Sine-tchang ou esprits généraux. Ce sont en quelque sorte les lieutenants des cinq grands esprits précédents, et c’est surtout à eux que les aveugles sorciers demandent aide pour chasser les démons. Ils sont innombrables, peut-être cent mille, peut-être davantage,

Leur fétiche consiste en une image grossière. C’est toujours en exagérant certains traits de la physionomie que les peuples ont représenté leurs idoles.

Les To-tji-tji-Sine, ou esprits de la terre, sont différents de l’esprit de la montagne que nous verrons plus loin, et jouent un rôle très important parce qu’ils occupent tous les terrains et que le Coréen est obligé d’appeler le sorcier pour se rendre propice l’esprit du sol sur lequel il veut bâtir ou cultiver. Ce sont eux qui occupent les cimetières, et nous savons quelle importance les Coréens attachent au choix d’un emplacement, pour leurs morts. C’est toujours le sorcier qui décide de telle ou telle place, à la suite d’un exorcisme.

Son-hang-Sine. C’est l’esprit de la muraille de la ville, de la localité, de la cité. On s’adresse à lui pour voyager sans difficulté, pour se préserver des serpents de la route. C’est le quinzième jour de la première lune qui est favorable pour lui présenter ses doléances et obtenir de lui la prospérité. L’autel sur lequel on sacrifie à cet esprit s’appelle Son-hang-dang. On le rencontre partout, au bord du chemin, auprès d’un village ou dans le point de la plaine, le plus souvent au col de la route.

Ces autels consistent en un amas de petites pierres, jetées une à une par les passants, sous un arbre, au pied d’un buisson, quelquefois à côté d’un Tchang-seung. Souvent on peut voir à côté du tas de pierres une petite baraque en bois, couverte en chaume, ou même plus solidement construite en pierre et couverte en tuiles. Dans cette baraque se trouve une image grossière représentant un animal qui est le fétiche de cet esprit, ou celui du Sane-Sine, esprit de la montagne, dont je parlerai plus loin.

Sur les branches du buisson des Son-hang-dang, on peut remarquer quantité de guenilles accrochées : morceaux de papier, chiffons de couleur, débris de vêtements, des cheveux, des ustensiles, des piécettes de monnaie même. Ces dernières indiquent des prières pour obtenir de l’argent ; les guenilles sont destinées à obtenir une longue vie aux enfants des passants qui les ont accrochées. Des marchands qui vont faire des opérations commerciales accrochent aux arbres un spécimen de la denrée ou de l’objet dont ils trafiquent, pour avoir plein succès.

Les chiffons de couleur ont été accrochés par des fiancées, quand elles quittent la maison des parents pour celle de l’époux, afin d’éviter que les esprits de la maison paternelle ne les suivent dans leur nouvelle demeure. C’est une croyance populaire, en effet, qu’au départ d’un membre de la famille, les esprits de la maison le suivent, et, si on ne les retient pas par des prières aux Son-hang-dang, ce sera bientôt la ruine de la maisonnée qui perd tout en perdant ses esprits familiers.

En accrochant des chiffons arrachés à son vêtement, la fiancée indique ainsi à l’esprit de ne pas l’accompagner plus loin, et de retourner dans son ancienne demeure.

On peut aussi venir solliciter à cet autel les autres protecteurs de la localité. On suppose, en effet, que, dans cet arbrisseau et dans ce tas de pierres, se trouvent les génies de la cité, de la montagne, de la ville, et des démons qui sont là, en permanence, pour observer le voyageur.

On voit fréquemment des femmes venir prier pour que l’esprit redonne la santé à leurs enfants malades. Elles déposent une écuelle de riz cuit sur le tas de pierres, se frottent les mains et, les portant ensuite à la face, font des génuflexions. Quand leur prière est terminée, elles remportent le riz qui doit être donné au malade.

Des sorcières sont chargées quelquefois de venir faire des exorcismes aux Son-hang-dang, en faveur d’un enfant malade : la cérémonie se complique alors de cymbales et de tam-tams.

En passant devant ces autels, le voyageur, pour obtenir une bonne route, dépose son offrande. Cela consiste simplement à ajouter une petite pierre aux autres, ou à cracher sur le tas. Cette dernière coutume se rattache surtout à la peur qu’inspire aux Coréens l’esprit errant des serpents. Ils croient, en effet, que l’esprit d’un serpent mort erre sur le chemin à la recherche d’un corps à habiter, c’est pourquoi ils espèrent l’occuper avec cette sorte d’offrande, pendant qu’ils s’éloignent rapidement. Nous avons remarqué très souvent cette bizarre coutume, et surtout l’horreur du serpent, qu’un Coréen de sang-froid ne voudra jamais toucher ni tuer.

Si une moutang découvre, en prédisant l’avenir d’un homme, qu’il doit mourir bientôt, elle lui conseille de présenter une offrande aux Son-hang-dang, de suspendre à l’arbre le col de son habit, par exemple. Le démon s’attache alors à ce vêtement croyant avoir affaire à l’homme lui-même.

À la passe de Tong-Sol, près de Piun-yang, col très dangereux en hiver à cause de la pente énorme de la route, se trouve un autel célèbre de ce genre, auquel tous les voyageurs adressent leur prière pour une heureuse descente. Une sorcière habite dans une cabane à côté, et c’est elle qui est chargée d’offrir les gâteaux de riz et les prières. Elle a fort à faire, car les demandes sont nombreuses. Elle inscrit, sur des bandes de papier accrochées dans la cabane qui renferme l’image de l’esprit, les noms des donateurs. Les passants déposent leur carte de visite avec leur prière. D’ailleurs, comme on le verra plus loin, j’ai eu l’occasion de visiter cet autel.

Au Sane-Sine (esprit de la montagne) les Coréens ont attribué de tous temps une puissance extraordinaire. On l’invoqua jadis pour protéger le pays contre les invasions mongoles, et il fit des miracles. Sa renommée était telle qu’un empereur de Chine envoya un ministre en Corée pour faire des sacrifices aux montagnes, et la prière qu’il lut, célébrait en termes pompeux la puissance du Sane-Sine.

La Corée étant un pays montagneux, on comprend aisément l’importante influence que ces esprits des montagnes ont exercée sur l’homme qui les parcourt depuis sa plus tendre enfance. Il y entend des bruits bizarres, s’étonne de la forme de certaines collines, de ces blocs de rochers qui restent comme suspendus dans les airs ou reposent en équilibre presque instable, sur de longues aiguilles de roc, comme si un géant les avait placés là. Il entend l’esprit qui parle, lui ordonne telle ou telle chose. Le silence mystérieux de la montagne a captivé son imagination naïve ; il la craint parce qu’il ne la comprend pas. Il suppose qu’elle engendre des hommes d’une bravoure et d’une force extraordinaires, et il la peuple d’esprits et de démons. Le plus important, celui auquel il pense toujours quand il est dans la forêt, c’est le Sane-Sine.

Le Sane-Sine réside sur les flancs de la montagne, il erre partout à la recherche des villageois qui viennent couper du bois ou cultiver leur lopin de terre. Ceux-ci craignent de l’offenser quand ils viennent ramasser le bois mort, et s’ils se coupent avec leur serpette, ou font une chute, ils pensent que c’est le Sane-Sine qui se venge, parce qu’ils n’ont pas ramassé ce bois mort avec le respect voulu. Quand ils se réunissent pour le repas dans la forêt, ils ne manquent jamais de jeter la première cuillère de riz au Sane-Sine qui est là et les épie. C’est à iui que les chasseurs de fauves se recommandent avant d’entreprendre leur périlleuse course, et ils ont pour lui une grande vénération. Les chercheurs d’herbes rares, de plantes médicinales, comme le ginseng sauvage, font aussi des offrandes à cet esprit pour que leur récolte soit abondante.

Le tigre est regardé par le peuple comme le lieutenant de l’esprit de la montagne. C’est un animal presque divin ; il figure sur les étendards royaux, et constitue l’insigne des fonctionnaires militaires qui reçoivent comme cadeau de l’empereur des peaux de ces animaux.

Si le Sane-Sine est courroucé contre un village, il envoie le mangeur d’hommes (tigre). Aussi lorsqu’un tigre a emporté un animal domestique, les villageois s’empressent-ils de faire une offrande pour apaiser l’esprit de la montagne.

Le Sane-Sine est encore le dieu des ermites. Si un Coréen veut s’engager dans une entreprise délicate, il vient dans la montagne faire une retraite de plusieurs semaines, pendant laquelle il prie, jeûne, fait des ablutions pour obtenir sa protection. Ces individus sont toujours considérés ensuite par leurs voisins avec respect, parce qu’on les suppose en communication avec l’esprit vénéré.

En rêve, les habitants voient quelquefois une apparition devant eux, sous la forme de l’image qu’ils ont l’habitude de rencontrer sur l’autel de cet esprit, et ils ne doutent pas que c’est le Sane-Sine qui leur est apparu. C’est un signe de bonne chance, et cela leur vaudra par la suite du bonheur et une bonne récolte. La plupart des songes que font les Coréens sont rapportés au Sane-Sine.

Les autels destinés à ce culte consistent en petites baraques construites en paille, renfermant des peintures représentant un vieillard assis sur un tigre et vêtu de costumes spéciaux de mandarins. Quelquefois aussi ce sont des femmes qui sont dessinées et peintes pour représenter le Sane-Sine. Ces baraques sont établies auprès d’une source, sous un arbre touffu ou dans une caverne, et dans ce dernier cas, l’autel est regardé comme situé à une place privilégiée.

Tchone-Sine, ou esprit honorable. C’est encore un esprit tutélaire du village ou de la vallée, et chaque année les habitants se cotisent pour faire des offrandes à son autel. Il protège le village contre l’incendie, les maladies, la grêle, les autres fléaux qui sont susceptibles de diminuer sa prospérité. L’autel se trouve parfois confondu avec un autel de Sane-Sine, ou bien consiste en une petite cahute en paille contenant un portrait. Cette relique représente un homme, et c’est toujours avec un grand respect qu’on lui fait des révérences.

Le Yong-Sine ou esprit du dragon gouverne les eaux. Au culte de la nature, les Coréens ajoutent celui d’animaux réels ou fantastiques : le cheval, le rat, le sanglier (ces deux derniers nuisibles) et le dragon redouté par eux de toute antiquité. Celui-ci réside dans les eaux, dans les rivières, dans les lacs, dans les puits, et une infinité de légendes racontent les exploits de dragons fantastiques.

Ce monstre qui n’est pour les Coréens, ni poisson, ni reptile, ni oiseau, ni mammifère, mais qui est tout cela à la fois, leur inspire une grande frayeur, et les offrandes qu’ils lui font sont présentées avec un profond respect. Les enfants portent souvent des noms d’animaux, et celui du dragon est très employé concurremment avec éléphant, chameau, etc.

Quand on fait un sacrifice au dragon de l’eau, les sorciers montent sur un bateau, et s’en vont au milieu de la rivière. Là, avec tambourins et cymbales, ils adressent des prières au Yong-Sine : c’est généralement pour le rendre plus clément envers les membres d’une famille éprouvée par la mort d’un parent noyé accidentellement.

Rêver au dragon est de bon augure, et lui vouer son enfant, c’est lui réserver un avenir brillant.

Si un homme se noie, c’est qu’il a mis en colère le Yong-Sine. Ceux qui entreprennent un long voyage en mer ont soin, avant le départ, de faire un sacrifice au dragon pour obtenir sa protection. C’est également lui qui fait tomber la pluie ou la retient dans le ciel, et en temps de sécheresse, des sacrifices officiels sont ordonnés dans les provinces pour l’apaiser.

Les Tok-Kébi (diables malins) sont des lutins fort connus et craints des Coréens ; ils peuvent être d’origine surnaturelle ou bien être les âmes des hommes qui sont morts de mort violente.

Le Rev. Jones[5] cite le cas d’une femme possédée du démon, qui prétendait avoir en elle trois lutins, l’un était l’âme d’une femme brûlée vive, un autre celle d’une femme qui s’était noyée, et la troisième l’âme d’un condamné à mort.

Ces lutins habitent les cimetières, les champs de bataille, les bois, sous la forme de nains à l’affût de mauvais tours à jouer aux humains. Les maisons abandonnées, les bords de ruisseaux peu fréquentés sont peuplés de ces démons malfaisants.

Nombreuses sont les maisons hantées où les hommes eux-mêmes ne voudraient jamais venir pendant la nuit, et sur lesquelles on raconte des scènes effroyables aperçues pendant des promenades nocturnes, et ces histoires circulent de bouche en bouche.

Des hameaux ont été abandonnés par les habitants à la suite des mauvaises farces des Tok-Kébi, qui, chaque nuit, venaient commettre de nouveaux méfaits : secouer violemment la porte et les fenêtres d’une maison, souffler les lumières, ébranler toute la demeure ou casser la vaisselle, et cela, au dire des victimes, par une nuit calme et sereine, et sans que les voisins entendissent le moindre bruit. Parfois il prend fantaisie au démon de renverser la marmite à riz sens dessus dessous, de salir dans la nuit la vaisselle lavée la veille, de déplacer un meuble, et mille autres tours de ce genre qui font mourir de frayeur les habitants de la maison hantée.

Les feux follets sont regardés comme des Tok-Kébi. On fait à ces lutins des sacrifices spéciaux avec l’aide des sorciers.

Voici maintenant les esprits qui habitent la demeure du plancher jusqu’au faîte. C’est pourquoi, lorsqu’un Coréen achète une maison, il demande toujours à l’ancien propriétaire quels en sont les esprits, et les places qu’ils occupent pour qu’il leur fasse des offrandes à son tour.

Le Song-tjou est l’esprit gouverneur de toute la construction. Le bonheur ou la mauvaise chance de la famille dépendent de lui. Chacun s’efforce de ne pas l’offenser. On recommande sévèrement aux enfants de ne pas marcher sur le seuil de la porte, car ce serait marcher sur le cou du Song-tjou ; en mangeant il ne faut pas se tourner vers le coin de la poutre où il réside.

C’est pendant la construction même que la sorcière l’installe sur la charpente où il est supposé résider. Pour cela on fixe sur la poutre des feuilles de papier et un petit sac de riz contenant autant de cuillères de riz que le propriétaire a d’années. C’est le fétiche.

Le Tote-jou est l’esprit du terrain bâti. Son fétiche consiste en une botte de paille portée au-dessus du sol, sur des chevalets, derrière la maison. On y sacrifie quand on emménage.

Le Same-Sine est l’esprit de la nativité. C’est lui qui préside à la conception des enfants, et c’est à lui qu’on demande la postérité de chaque famille. Il peut déterminer le sexe et aider à l’accouchement. On a l’habitude, quand un enfant est né dans une maison, de la fermer aux voisins pendant un laps de temps variant de quelques jours à deux ou trois semaines, en l’honneur du Same-Sine, pour lui éviter de se rencontrer avec des gens en deuil ou des gens ayant vu des cadavres, ou des serpents. Après la naissance, on place sur le devant de la porte une corde de paille. On y attache soit des piments rouges si le nouveau-né est un garçon, soit des branches de sapin si c’est une fille.

Le Tché-Oung (ou mannequin) est l’esprit chargé d’entraîner loin de la maison la mauvaise fortune, et chaque année une fête a lieu en son honneur. Le fétiche consiste en un mannequin en paille représentant un homme ou une femme, et dans lequel on met quelques menues monnaies, pour lui permettre d’effectuer un long voyage, car on l’abandonne sur le chemin. On trouve à l’époque de la fête, le quinzième jour du premier mois, quantité de ces Tché-Oung sur les routes. On s’en sert encore pour éloigner les maladies en plaçant ces mannequins dans les vêtements des malades où ils sont supposés prendre la maladie, puis on les porte sur la route.

Les Moun-pi sont les esprits gardiens de la porte dont le fétiche est un vieux chapeau, ou un manteau ou des images de guerriers collées sur les portes d’entrée. Il y a encore quantité d’autres esprits et démons, nous terminerons cette longue énumération par celui de la petite vérole, Yok-Sine, qui pénètre dans le corps des enfants.

On pense que les personnes atteintes de la petite vérole sont très impressionnables. On évite avec soin de laisser approcher d’un varioleux les portefaix, parce qu’en leur présence il ressent une grande fatigue dans les épaules comme s’il avait fait le travail de ces coolies. Petite vérole se dit ma-ma en coréen. Le fétiche du Yok-Sine est un bol d’eau claire placé sur une table dans la chambre du malade. Si le mal empire, les parents et amis devront boire quelques gorgées de cette eau en faisant des prières.



Pour compléter cette étude, il me reste à dire quelques mots de la conception que ce peuple se fait de la terre, des éléments, du monde. On verra, là encore, l’influence de la Chine, rebelle aussi à se laisser arracher le voile épais qui la recouvre et la sépare du reste du monde.

Les lettrés des écoles primaires, en vous regardant profondément derrière leurs quartz enfumés, vous apprendront ou plutôt vous liront dans leur vieux classique, Ha-houi-houeun-lame :

« Dans la grande origine, rien n’était visible, pondérable ; dans le grand tout, la vie commence à apparaître ; dans le grand commencement les formes se dessinent ; dans le grand début, la matière prend figure : c’est le monde.

« Sur la masse confuse de la terre, le ciel apparaît comme un œuf ; il est en haut, la terre en bas.

« Dans et sur la terre, l’eau s’amasse, remplit tous les vides et la masse entière tourne comme une roue.

« Le ciel est l’atmosphère de la terre et de l’eau, atmosphère claire et lumineuse qui l’encercle et la couvre.

« La terre est trouble et solide, et l’eau qui est maintenue sous le ciel inonde tout.

« L’homme est l’essence concentrée du ciel et de la terre, formée des cinq éléments ; son esprit est plus développé que celui de toutes les autres choses créées.

« Le soleil est l’essence du principe mâle de la nature ; c’est un roi qui vit dans l’air et sur sa poitrine sont marquées trois pattes de corbeau.

« La lune est l’essence du principe femelle de la nature : elle a un lapin blanc dans son sein, occupé à préparer des médecines.

« Les étoiles sont la gloire du soleil : elles sont composées de l’essence des montagnes, des rivières et autres choses créées. Les hommes célèbres sont représentés par une étoile.

« Les nuages sont les atmosphères des montagnes.

« La pluie est le principe femelle, ou négatif, du ciel et de la terre.

« Quand il fait chaud, il pleut parce que les principes du soleil et de la pluie sont en contact.

« Il gèle quand le principe femelle prédomine ; c’est la rosée qui est changée en neige par le froid.

« La neige est l’essence des cinq graines, des cinq céréales.

« Le vent est le serviteur du ciel et de la terre. On ne sait pas où il commence ; il est produit par la pluie et le soleil.

« Le tonnerre gronde quand les principes mâle et femelle sont en colère.

« L’éclair se produit quand ils se querellent, quand ils se heurtent.

« L’arc-en-ciel se montre quand ces deux principes hian et heum sont en harmonie ; les parties brillantes de l’arc sont les parties mâles, les bandes sombres sont les parties femelles.

« Quand le principe femelle (pluie) dompte le principe mâle (soleil) il s’élève cent vapeurs nuisibles entre le ciel et la terre qui forment la brume.

« La voie lactée dirige toutes les étoiles de l’atmosphère, elle est formée des eaux qui montent dans le ciel.

« Il y a neuf étages au ciel (les bouddhistes en trouvent trente-trois) ; l’étage le plus élevé est celui où les étoiles voyagent ; le deuxième est parcouru par le soleil, et le plus bas est celui où la lune suit sa route.

« Le disque du soleil est plus grand que celui de la lune. Dans la lune, on voit des ombres, des montagnes et des fleuves.

« (Pour le peuple, pour les femmes, le ciel est rond, la terre plate et carrée ; le ciel est mobile autour de la terre qui reste fixe.)

« Le ciel s’abaisse au nord-ouest et la terre au sud-est ; dans la mer de l’est, il y a un trou infini, dans lequel toute l’eau du monde s’engouffre.

« À l’orient, il y a un grand mûrier, sur lequel est un coq doré qui chante pour faire lever le soleil ; au couchant il y a un grand lac dans lequel il se plonge. »

Les Coréens associent encore le ciel (rond) au principe mâle, et la terre (carrée) au principe femelle. Quand ils portent le chapeau de deuil, si c’est pour un homme, la monture intérieure du chapeau, à laquelle s’attachent les brides, est ronde (en bambou recouvert de papier) ; si c’est pour une femme, la monture est carrée. Le bâton de deuil que les membres de la famille tiennent en main à l’enterrement est rond quand il s’agit du deuil d’un homme, équarri pour celui d’une femme.

Voici, pour terminer, la légende du lapin qui habite la lune :

Il y avait autrefois, en Chine, un célèbre tireur d’arc. Il avait préparé des médecines qui devaient lui donner l’immortalité. Pendant une absence qu’il fit, sa femme lui vola cette médecine et l’absorba pour devenir — elle aussi — immortelle. Elle se trouva alors subitement transportée dans la lune, où elle habite depuis le palais de Kouan-hane. Le lapin blanc lui appartient et prépare sans cesse, pour elle, des poudres merveilleuses. La lune est encore habitée par un génie Ho-Gan, qui est constamment occupé à couper un rosier avec une hache.

De tels exemples montrent bien la mentalité du peuple de Corée, et quel bouleversement apportent dans son esprit les théories de l’Occident. Il va sans dire que l’élite de la société — confucianiste — se tient en dehors de ces vieilles croyances. Souhaitons seulement que son exemple se répande de plus en plus, et que bourgeois et gens du peuple arrachent de leurs yeux, au plus tôt, ce bandeau qui depuis trop longtemps les isole du reste de l’univers, et surtout les met à la merci de tant de ruses et de tant de convoitises.

  1. Bibliographie coréenne, tableau littéraire de la Corée, par Maurice Courant, 3 vol. Paris, 1894-1896.
  2. Korean Repository, 1896.
  3. Comptes-rendus de la « Royal Asiatic Society, Korean branch ».
  4. Sommaire et historique des cultes coréens.
  5. Korean Repository.